Malgré les copies ci-dessus des premières pages de ce journal, il semble qu'il ne s'agisse pas de l'année 1892 mais de l'année 1898 car grand'mère dans ce récit parle de ces 21 ans. Je pense qu'elle a dû écrire ces notes sur un cahier, y compris ses réflexions sur le Japon, sur un vieux cahier dont la couverture d'ailleurs diffère de tous les autres. L'écriture aussi ne correspond pas à celle de ses 15 ans mais bien plus à celle de ses 21 ans
                                                                                                                                    Philippe

Notes sur le Japon


Paul Domain est revenu et l’adieu éternel que nous lui avions fait lors de son départ il y a trois ans n’aurait pas dû être prononcé. Grâce à Dieu, il est rétabli d’une maladie de consomption qui l’a mené à deux pas du tombeau après la tentative d’assassinat dont il a été l’objet au Japon. Son cou est labouré de cicatrices et son épaule le fait encore beaucoup souffrir aux changements de temps. Nous avons eu la chance de le revoir et voici quelques une des choses que j’ai retenues de sa conversation très intéressante.

Aspect général du pays : 1° Le japon est un des plus beaux si ce n’est le plus beau pays du monde entier. Tandis que la Chine présente l’aspect d’une plaine immense encadrée de montagnes, le Japon est extrêmement accidenté. Partout des montagnes entassées les unes sur les autres. La plus haute de ces élévations dépasse 3000 mètres de hauteur et a la forme d’un cône régulier. C’est un énorme pain de sucre dont la base est verte et dont le sommet perdu dans les nuages est couvert de neiges éternelles. Les Japonais la nomment le mont sacré et on la voit de très loin, elle domine presque tout le pays. Le Japon est la contrée volcanique par excellence. A chaque instant cette île est bouleversée par des tremblements de terre qui détruisent des villages entiers. Pendant son séjour dans cette contrée Monsieur Domain a été témoin de plusieurs agitations du sol. Une nuit, pendant qu’il lisait dans son lit une lampe à pétrole posée auprès de lui, il entendit un bruit semblable à celui que ferait un train d’artillerie roulant avec une grande rapidité sur des pavés. Il n’eut que le temps d’éteindre sa lampe, sa maison fut secouée, tout fut brisé et jeté loin de sa place primitive.

Ces paysages du japon quoique très jolis manquent de ce que je pourrais appeler l’âme de la nature. Les oiseaux  dotés de plumages aux couleurs éclatantes sont muets. Jamais leurs mélodies viennent animer les arbres où ils ont construit leurs nids. Dans toute la contrée il n’y a pas une seule vallée où les oiseaux chantent ; les Japonais expliquent ce prodige en disant que leurs Dieux redescendirent autrefois dans cette vallée et que leurs présences avaient été la source de grands privilèges. L’empereur a acheté tout le terrain favorisé pour s’y faire construire un palais d’été. Au japon les fleurs sont superbes comme formes et comme coloris mais leurs pétales n’exhalent aucun parfum. Quant aux fruits ils n’ont guère de saveur. Ainsi ni parfum, ni chants, rien de ce qui fait le charme des paysages de nos contrées ; c’est quelque chose de particulier et d’étrange.

Vêtements.  Les Japonais de la classe aristocratiques ont de longues robes faites de crêpe de chine de toutes nuances. Les couleurs gris fer et bleu céleste sont des plus distinguées.
Traits du visage. Dans la noblesse la physionomie est régulière et a beaucoup de rapport avec celle des habitants de l’Europe ; le nez est aquilin, la bouche fine et délicate, les yeux fendus en amande mais bridés ce qui les dépare. Dans la bourgeoises et le peuple, les traits sont au contraire grossiers, les lèvres fortes ; les femmes sont particulièrement laides et lorsqu’elles ont dépassé 40 ans elles tiennent bien plus du singe que de l’homme.

Nourriture. La principale nourriture des Japonais est le riz. Ils mangent aussi des légumes et du poisson, ce dernier cru et le plus souvent pourri. Le poisson pourri laisse dans la bouche une forte odeur d’ammoniaque et les Européens s’y habituent difficilement. La principale boisson est le thé mais un thé que l’on ne peut comparer à celui que nous buvons en France. C’est une liqueur douce d’un arôme et d’une saveur extraordinaires. On le prend toujours sans sucre.

Habitations. Les maisons sont toutes très basses à cause des tremblements de terre. Elles se composent généralement d’un rez-de-chaussée et d’un premier étage. Elles sont en bois et séparées en plusieurs pièces par des cloisons mobiles et minces comme une feuille de carton.

Moyens de locomotion. Les chemins de fer sont établis au Japon mais ils sont moins perfectionnés et par conséquent moins rapides que les nôtres. Les voitures publiques (pousse-pousse) sont des fauteuils roulants traînés par un homme que l’on paye environ 5 sous par lieues mais ce prix varie et n’est pas le même dans le jour et dans la nuit, dans la plaine et dans la montagne.

Religion. La religion du pays est le bouddhisme. Les statues de Bouddha le représentent généralement assis sur ses talons et dans une pose fort raide. L’une de ces statues a 25 mètres de haut, elle est creuse et l’on peut montée dedans. Les prêtres nommés bonzes exploitent la crédulité des Japonais. Ils mangent les mets apportés aux idoles et quoiqu’ils aient fait le serment de ne jamais boire de vin et de ne jamais manger de la chair de poisson, Monsieur Domain les a surpris réunis en train de se partager gaiement les aliments défendus. Il y a au Japon un grand nombre de sorciers ayant commerce avec Satan.

Saint Quay


23 Août 1898
Départ gare Montparnasse à 8 heures 35. Division en deux compartiments : grand’mère, les deux jumelles, Louis, Louise et Suzanne. Autre compartiment : maman, Emmanuel, Lucie, Louise et moi. Au dernier moment monte dans notre compartiment le docteur Parent (26, avenue de l’opéra – à Bellevue, nous voyons les Machard dans l’avenue Mélanie) A un moment Marguerite change de case avec Emmanuel. Vers Nogent le Rotrou nous essuyons un orage terrible. A la Ferté Bernard, petite station, il y a un coup épouvantable à croire que le train va être foudroyé. Avant Laval, notre train s’arrête en pleine campagne. Il venait d’écraser un cheval échappé d’un champ. On déblaye la voie, ce qui nous fait perdre une demi-heure. Le petit poulain resté dans le champ regardait cette scène funèbre en hennissant douloureusement. La malheureuse jument était absolument broyée, ce n’était plus qu’une marmelade. Nous arrivons sans autres incidents à Saint Brieuc. Là, nous montons en patache à trois chevaux, Louis suit à bicyclette. Maman, Louis Bocquet, Emmanuel et moi nous sommes sur une banquette derrière le cocher. Devant nous, il y a un jeune homme. Suzanne est horriblement fatiguée.
La route est belle en sortant de Saint Brieuc, le pays est montagneux, ce ne sont que montées et descentes. On passe à Pordic, à Binic, à Etables et à Portrieux. Enfin nous arrivons à Saint Quay ; on nous conduit chez Marie Renault qui nous fait visiter une maison, la seule libre pour fin Août. C’est la maison Marie Jamet classée très luxueuse, on l’arrête. On déjeune comme on peut, on s’installe un peu, on écrit, on va sur la plage, on loue les Vagues, joli chalet dominant la mer. On loue des cabines pour prendre un bain ; eau délicieuse, nous barbotons ; après le bain Marguerite et moi nous allons sur une grève voisine où il y a de bien beaux rochers. Nous rentrons, on dîne. Nous sortons un peu et l’on se couche de bonne heure. Sommeil profond

24 Août
Suzanne souffrante reste au lit. Louis, Louise, Marguerite et Emmanuel courent le pays pendant que Geneviève et moi nous tenons compagnie à Suzanne en travaillant près de son lit. A 11 heures nous allons prendre notre bain. Grand’mère loue une cabine superbe divisée en 2 chambrettes encore assez spacieuses. L’eau est exquise. Nous rentrons affamés, on déjeune puis on retourne sur la plage travailler devant les cabines. Les autres jouent au tennis, je reste un peu seule ; j’entends la conversation de deux petits garçons qui parlent du port de Paris et qui ne veulent pas être l’un en dessous de l’autre dans le commandement de leur bateau. Nous rentrons goûter car ici on meurt de faim toute la journée ; nous dévorons une masse formidable de nourriture.
Maman, Louis, Louise, Suzanne, Emmanuel et moi nous partons pour Portrieux. Derrière le port il y a de beaux rochers couverts de moules et d’herbes marines aux nuances ravissantes. Louis fait des ricochets. Nous voyons dans une flaque d’eau un petit cheval marin, on essaie de l’attraper, impossible. La jetée est magnifique, nous la parcourons entièrement. Un navire venant d’Islande attend la marée pour rentrer au port. Maman achète 2 maquereaux. Nous revenons par la route en goûtant du vin partout et en riant pour des bêtises ; pendant ce temps les jumelles étaient allées au Couvent avec grand’mère. Nous allons au devant d’elles, on dîne. Nous sortons, on cause, on se couche.

25 Août
Fête de Louis et de Louise. Nous allons à l’église et au Couvent puis nous passons notre matinée dans les cabines à essayer de dessiner ; Louis fait pastel. Bain très amusant. Déjeuner. Lettres qui arrivent, nous écrivons. Retour à la plage. Geneviève travaille auprès de moi pendant que j’écris. Cela nous amuse d’écouter les conversations de nos voisins. Les autres jouent au tennis et reviennent nous trouver pour goûter. Nous dévorons à belles dents de gros morceaux de pain avec du chocolat. Grand’mère vient, on travaille, on cause, on rit.
Nous avions l’intention d’aller le soir avant dîner à Portrieux mais nous rencontrons en route grand’mère et maman qui nous indiquent un sentier très joli conduisant à la campagne, nous disent-elles. Nous nous y engageons (tous les enfants). C’était ravissant, grands arbres, prairies où paissent vaches, ciel doré. Plus loin colline rousse surmontée d’un moulin à vent se détachant sur un ciel lumineux dans la gamme des vert d’eau, des jaunes et des argents. Nous prenons un sentier impraticable avec de belles fougères et des ronces moins agréables qui se cramponnent après nous.
Après le dîner maman qui apprend qu’il y a un bateau lundi pour Jersey va envoyer un télégramme à papa. Nous allons tous au sémaphore situé à plus de 1 kilomètre. On suit les falaises très élevées. La nuit était déjà bien tombée, mer très calme, c’est délicieux comme impression. Et voilà que tout en haut du rocher que domine le sémaphore l’horizon s’élargit immensément. C’est un cercle fabuleux, je me sens heureuse, c’est presque l’immensité de la pleine mer. C’est l’infini, c’est beau, nous rentrons un peu vite car la nuit s’épaissit et maman a peur dans l’étroit sentier que nous suivons au bord des grands rochers que la nuit allonge encore. On cause un peu et l’on se couche.

26 Août.
Nous nous levons à 7hrs ½. J’écris plusieurs lettres et je vais à la cabine. Le temps est un peu assombrit et il fait très frais. Louis, Emmanuel et moi nous avons seuls le courage de nous baigner, les autres ont tort car la mer est délicieuse. Nous rentrons déjeuner. Lettres de papa et de Balzard. Maman me taille un mouchoir dont je commence les jours à la plage. Vers 3 heures, l’escadre de Brest arrive. Il y a là à 500 mètres pour être en pleine mer 8 cuirassés : Gemmapes, Valmy, Bouvines, Masséna, Catinal, l’Epervier, le Polhuan et le Dupuy de Lorne ; tout le monde les regarde, beaucoup vont en bateau les voir de plus près. Vers 9hrs ½ les marins débarquent. Ceux qui sont du pays ou qui y ont de la famille ont congé. Ils doivent avoir la nuit car le soir on en voit beaucoup dans les maisons. Notre propriétaire en a deux chez elle.
Je prends un deuxième bain avec tous les autres, le soir nous allons sur la plage. Tous les bateaux allument leurs signaux. Il y a trente deux feux électriques qui illuminent la mer. On dirait d’immenses soleils tombés en mer. Nous rentrons nous coucher.

27 Août.
Fais dans mon lit brouillons des jumelles pour Juliette Machard. Arrivée de papa. Promenade sur les rochers pour voir le départ des bateaux de Brest. Nous mes voyons gagner la haute mer, redescendons sur la plage. Prenons un bon bain, papa est sur le bord qui nous regarde. Rentrons déjeuner. Lettre de Miss à maman puis dépêche de Monsieur Prunier disant que tante Maillot est très male. Nous sommes tous désolés, maman veut partir immédiatement, papa le retient. On envoie deux dépêches avec réponses payées à Eugénie et à Monsieur Prunier. Papa nous mène faire une petite promenade dans la campagne. Nous entrons au cimetière mais le temps est lugubre et bien que la campagne devienne assez jolie nous retournons sur nos pas. Nous goûtons et allons retrouver ces dames à la cabine. Louise arrive peu après portant une dépêche de Monsieur Prunier annonçant la mort de tante Maillot. Papa et moi nous allons au sémaphore envoyer une dépêche aux Gandriaux et une autre pour dire à Eugénie les dernières volontés de tante. L’aller va assez bien mais arrivés là bas la pluie et le vent font rages, nous restons une vingtaine de minutes à causer au guetteur. Il nous dit qu’en hiver, les vagues sont quelquefois si hautes dans les tempêtes que les embruns vont jusqu’au sémaphore.
Je regarde autour de moi les lunettes et les cartes marines et je me demande ce que doivent être les longues nuits d’hiver pour le veilleur. J’ébauche des romans mais je ne peux les finir, la pensée de la pauvre tante Maillot surgissant à chaque moment pour attrister mon esprit. La pluie ayant un peu cessé, nous rentrons. Nous sommes si mouillés que je change complètement d’habits en rentrant. On cause, l’on dîne. Nous sortons un peu dans la cour et nous nous couchons à 10hrs 1/4.

28 Août
Nous allons à la messe de 7hrs, les 3 filles et papa, il n’y a pas beaucoup de monde. Louis, Louise, Suzanne et Emmanuel vont à 8hrs. Nous déjeunons. J’écris à Miss Jones. Nous allons sur plage, je cause avec papa, la mer est très belle, les autres jouent au tennis. Nous voyons une troupe de gens qui se déshabille t dans les rochers et qui se baignent à demi nus. Le temps est revenu beau. Nous nous baignons, la mer est un peu agitée. Louise perd une bague qui lui vient de sa mère. Cette perte ne semble pas la toucher beaucoup, nous en sommes plus affectés qu’elle. Nous rentrons déjeuner. On prépare le petit bagage (1 caisse et 1 sac) de Papa et de Maman que la voiture vient chercher vers 2hrs ½ et 3hrs – ¼. Nous allons ensuite sur la plage. Nous écoutons comme d’habitude les conversations de nos voisins.
J’écris sur une chaise devant notre cabine, la mer est tout à fait haute, jamais je ne l’ai encore vue si pleine ici. Devant moi plusieurs personnes vont s’installer dans le grand trou qu’Emmanuel a fait. Ce sont des gens de Paris qui causent du Jardin d’Acclimatation ; je les écoute d’une oreille mais mon esprit est rempli par le bruit de la chute des vagues sur le sable. Le sémaphore éclairé par le soleil domine le gros rocher de la pointe, c’est un point très blanc avec un toit d’ardoise. Un grand mât noir le surmonte. Melle Marcelle dessine, Mr Robert lui dresse une petite tente. Le petit fusil fait la route sur les falaises. Il n’y a pas traces de Melle Cheval ni de Mr Henri, ils sont probablement aux vêpres.


Note sur la famille Cheval (Le Rochet)
1 garçon : Ferdinand, 3 filles : Yvonne (18 ans), Madeleine (15 ans), Suzanne (13 ans)
Type : blond foncé et salé, figure un peu anguleuse, plus accentuée chez Madeleine, yeux bleus.
Cette famille vient depuis 19 ans à st Quay. Les filles sont nées à Paris mais des raisons de santé (m’a dit Yvonne) les ont forcés à s’établir à la campagne. Les grands-parents ayant une propriété à Lanvollon, c’est là qu’ils se sont fixés. Lanvollon est un bourg horriblement triste au dire de ces demoiselles qui ne sont pas allées à Paris depuis 1889 pour l’exposition, c’est à 9 lieux d’ici. Elles viennent s’établir à St Quay pour 2 mois (Août et Septembre) tous les ans.

Elles ont avec elles une parente ou une amie de 22 ans environ, Melle Adèle. Nous l’appelons Adèle de Montretout parce que dans les premiers jours de notre séjour ici, Melle Adèle, remettant ses bas un jour sur la plage, nous a laissé plonger jusqu’à sa taille. Ce n’était pas de notre faute, nous ne l’avions pas cherché.
Nous ne rentrons que pour le dîner. Nous allons ensuite avec grand’mère faire une petite prière à la chapelle du Couvent et nous nous engageons dans le sentier qui mène au Sémaphore. Le ciel est étonnamment beau, la mer superbe dans  son calme mais grand’mère est lasse et nous n’allons pas loin.

Lundi 29 Août.
On nous réveille à 6hrs afin que nous soyons prêtes pour la messe de 7hrs pour tante Maillot. Le prêtre qui l’a dit avait une queue d’une longueur extraordinaire. Nous nous imaginons un moment que c’est sa ceinture qui est défaite. Grand’mère nous dit qu’autrefois tous les prêtres avaient des queues semblables, que d’ailleurs c’était peut-être un évêque. De très bonne heure (en revenant de la messe) nous recevons deux lettres, l’une de Marie G. à mon adresse, l’autre de Monsieur Reinier donnant quelques détails sur la mort de notre pauvre tante. Nous prenons notre petit déjeuner. Geneviève me tourmente pour écrire des lettres mais je l’envoie promener et nous allons tous à la cabine avec grand’mère. Nous travaillons, je fais les jours d’un mouchoir. Louis va peindre dans les rochers du côté de la plage de la Comtesse. Nous prenons le bain, un bon bain mais ni les jumelles, ni Suzanne ne se baignent. La mer est assez forte, les vagues nous arrosent. Nous nous amusons bien mais pour moi impossible d’essayer de nager.
Nous rentrons déjeuner. J’écris à Maman. Grand’mère veut m’emmener à la bibliothèque du couvent ouverte de 1hr à 2hrs mais, lorsque notre correspondance est faite, il est trop tard. Nous allons donc simplement à la plage où nous causons de la pauvre défunte. Je travaille avec acharnement à mes ourlets à jours. La mer monte assez haut ; l’ombrelle d’une dame est enlevée à l’eau, on la rattrape ; une petite fille qui se baignait avec deux vessies en perd une qui va à la dérive, le marin qui surveille les baigneurs dans son petit bac va loin pour la rejoindre.
Nous rentrons, notre propriétaire construit un bateau qui est presque fini et qu’il compte mettre en loterie. Il l’a commencé en mer et il y travaille depuis 2 ans. Je vais lui causer. C’est un marin de la marine marchande, son port d’attache est Dunkerque ; depuis 32 ans il navigue. Nous nous amusons à le faire causer. Il est revenu dernièrement et depuis 8 ans il n’avait pas vu sa femme. « Mais enfin si vous l’aviez trouvée remariée, lui dis-je, cela pourrait vous arriver, que diriez-vous ? » - « Ah ben v’là tout, j’serions deux, me répondit-il ! » Il navigue dans les mers du Sud où il a vu de belles tempêtes. Dans son dernier voyage, un paquet de mer l’ayant jeté contre une pièce de bois, il a eu une dent cassée par devant et le front arraché, la chair lui pendant sur l’œil. Il va repartir car il ne peut pas rester sur terre. Il sait pourtant bien qu’à chaque voyage il y en a qui partent pour ne revenir jamais mais cela ne lui fait rien car il fera sa prière au moment voulu. Il aime sa femme et ses enfants mais à sa manière, cela ne lui fait rien de les quitter, il aime tant la mer. Il a déjà fait 18 voyages sur un navire qui vogue 160 jours sans que l’on aperçoive la terre. Le dimanche est jour de repos sur les navires alors les marins font ce qu’ils veulent, les uns lisent, d’autres écrivent mais beaucoup confectionnent de petits objets en menuiserie. Ils font des bateaux à l’intérieur de bouteille. Cela semble un problème insoluble lorsqu’on les regarde et cependant c’est relativement assez facile ; il faut beaucoup de patience et d’adresse. En résumé c’est curieux mais point beau. Quant au navire que notre propriétaire achève c’est tout un travail. Je lui ai demandé si c’était pour mettre dans une église en guise d’ex-voto mais il m’a répondu qu’il aimait beaucoup le Bon Dieu mais qu’il n’aurait tout de même pas fait son navire aussi scrupuleusement pour une église.
Louis nous emmène un peu dans la campagne. Nous ne faisons qu’un très petit tour parce qu’il pleuvote et aussi parce que l’heure du dîner avance. On dîne et l’on se couche de bonne heure car la pluie nous empêche de sortir.

Mardi 30 Août.
Nous ne nous réveillons que vers 7hrs ¼. Petit déjeuner. Je fais à Geneviève son brouillon de lettre pour Melle Métinet. Nous partons Louise, Suzanne, Emmanuel et moi avec louis qui veut faire une aquarelle dans les rochers. Nous travaillons pendant que notre artiste peint et que la silhouette du petit fusil domine les falaises à notre droite. Que peut-il bien faire à regarder ainsi la mer pendant des heures avec son fusil sur l’épaule. Rêve-t-il ? Attend-il quelqu’un ? Et depuis que nous sommes ici le petit fusil passe sa vie à regarder la mer dans sa longue vue ou à astiquer son fusil. Le matin il faut sa ronde dans le sentier marchant d’un pas pressé comme s’il avait une mission importante à remplir.
Vers 11hrs nous rentrons pour le bain. En route nous rencontrons les jumelles et Louise (la bonne) qui se rendaient à la cabine ; elles nous apprennent que Papa et Maman sont de retour. Alors nous nous dirigeons en courant vers la maison bien heureux de revoir nos parents. Ils ne semblent pas trop fatigués de leurs 2 nuits passées en chemin de fer. Ils ont eu des compagnons de route. Dans la diligence ils ont voyagé avec un jeune marin qui arrivait d’Islande et qui, débarqué à Portrieux, gagnait Brest où se trouve sa famille. Ce garçon très causant offrit même à Papa de lui payer à boire à un relais de la diligence. Il raconta qu’il avait fait bonne pêche et qu’il avait pris 3700 langoustes car lorsqu’ils ont pêché une morue ils lui arrachent la langue et on leur paie 0,20 par langue qu’ils présentent. En Islande les marins boivent de l’huile de foie de morue pour se préserver des rhumes et se donner de la force, ils en prennent une cuillère le matin et une autre le soir. Mais ce n’est pas de l’huile comme celle que nous buvons. Ces messieurs se réservent les plus beaux foies tandis que dans les tonnes qu’ils mettent à vendre, ils jettent toute la tripaille avec le foie.
On enterre l’un de nos voisins, les hommes portent le cercueil.
Nous allons au bain, l’eau est exquise mais un peu agitée, nous sommes fouettés par les vagues. Premier bain de Suzanne. Nous rentrons. Maman m’a rapporté un appareil photographique. On déjeune puis nous repartons avec Grand’mère, Papa et Maman à la cabine où l’on travaille pendant que papa lit et que Louis peint. La mer monte très haut. Maman et Louis se baignent. Notre propriétaire vient sur la plage pour faire des billets de son bateau. Nous allons sur les rochers et en les longeant, derrière la grande grève de galets, nous en voyons une autre superbe avec une gorge à travers laquelle on aperçoit un bois et des champs roux qui dévalonnent. Notre appareil n’étant pas chargé, Louis court à la maison chercher celui qu’il s’est fabriqué. Comme il n’a pas de pied, je m’agenouille et il tire sur ma tête.
Nous rentrons, nous dînons et comme nos parents sont fatigués on va respirer un peu dans la cour tout simplement. Seulement Marguerite et moi nous écrivons et nous nous couchons qu’à 11hrs, après avoir chargé notre appareil des 12 plaques.

Mercredi 31 Août.
Aussitôt après le petit déjeuner du matin, Louis, Louise, Suzanne et moi nous sommes partis à la grève du Gacquet pour tirer des photographies. Nous en avons pris 3. Retour. Nous avons pris un bain, nous moins Suzanne. Vagues assez fortes. Déjeuner. Départ pour Etables avec papa. Bébé reste pour la loterie du bateau qu’on ne tire pas. Sur le chemin de Portrieux nous rencontrons les demoiselles Cheval, ainsi nommées à cause de la couleur de leurs robes (Yvonne, Madeleine, Suzanne, Ferdinand). Nous voyons de beaux meubles bretons dans une boutique d’antiquités ; jolie route de Portrieux à Etables. Nous tirons 2 photographies de campagne, jolis chemins ombragés, très hautes falaises ; sentiers très en pente, belle plage d’Etables ; splendides rochers,  nous en tirons plusieurs vues. A la dernière nous nous mettons dans les rochers, Papa, Marguerite, nos cousines et moi.
Nous revenons à Etables. Nous entrons à l’hôtel des voyageurs. Là Papa nous fait boire du sirop de grenadine avec de l’eau de seltz. La bonne femme qui nous sert est tordante. Elle ne pouvait pas croire que papa eut cinq enfants. « C’est pas possible, répétait-elle,  vous m’en contez, à Paris on n’a pas tant d’enfants que cela. On m’a dit que lorsqu’on en avait deux c’était bien tout. » Elle a demandé à papa quel âge il avait ; elle en avait 51 et quand papa lui a dit qu’il en avait 53 elle a dit qu’il était encore plus frais qu’elle. Puis elle nous a parlé de son frère, de sa nièce, de son mari qui était un jeune homme à 50 ans tant il était frais avec sa belle barbe noire et qui est mort il y a 4 ans.
En nous rendant à l’église d’Etables, à un tournant, qui voyions-nous déboucher ? Mr Henri, l’aimable Mr Henri à bicyclette. La surprise m’arracha ce cri qu’il a sûrement entendu : « c’est Mr Henri. » J’étais ensuite très vexée ; mes compagnons riaient comme des fous. Mr Henri est resté grave et il a filé comme un dard sur sa bécasse.
L’église d’Etables a un ossuaire qui m’a rappelé celui de  Plougonlin mais qui est bien moins important  et bien moins curieux. L’église est mi romane, mi gothique ; elle est très simple mais assez intéressante par la période de transition qu’elle représente. Dans une châsse il y a un corps de cire ; une personne à qui je demandais des renseignements me répondit que ce corps recouvrait les ossements de la bienheureuse Marguerite Marie Alacaque. Je n’y comprends rien car je croyais que les reliques étaient à Paray le Monial.
Nous revenons. Devant nous 2 étudiants ; un vieux bonhomme accoste l’un d’eux qui crie à son camarade : « Eh bien dis donc, Monsieur prétend que je suis riche, moi qui suis dans une purée. » Là dessus l’autre d’éclater de rire absolument comme les canards crient sur les étangs : « Coin – coin – coin. » - « Il est comme un canard, m’écriai-je. » Et le monsieur de s’arrêter pendant que notre bande se tort.
En rentrant nous trouvons déjà une partie de la maison déménagée pour aller aux Vagues. Nous transportons quelques objets ; on dîne et nous allons installer Papa et Maman aux Vagues où ils doivent passer la nuit. Nous nous couchons de bonne heure. On blague papa et maman en disant qu’ils vont passer une nuit de noce.


Jeudi 1er Septembre
A 6hrs on nous réveille. Nous quittons la maison Marie Jamet Thaine. Déménagement, installation. Au rez-de-chaussée : anti-chambre, joli salon, belle salle à manger, cuisine, chambre à coucher, wc ; au 1er étage : sur mer chambre gd’mère, charmant petit salon avec balcon, chambre Marguerite et moi ; sur campagne : chambre Papa et Maman (2 gds lits), wc, chambre Geneviève ; 2ème étage : sur mer chambre Louise et Suzanne, chambre Emmanuel, chambre Louis ; sur campagne chambre bonnes (2 lits), chambre.
Nous descendons à la plage prendre notre bain. Dans l’eau nous rencontrons le docteur Parent qui nous cause. Maman nage avec son fils qui est très gentil. Nous revenons déjeuner. Quel changement avec l’autre maison ! On a ouvert les 3 battants de la porte. La mer est sous nos yeux resplendissamment bleue. Il est vrai que nous n’avions pas besoin de cela pour exciter notre appétit. Après le déjeuner nous nous habillons. Nous sortons et prenons le sentier qui longe les falaises du côté de Paimpol.
En passant au dessus de la plage nous voyons les demoiselles Cheval. Louis dirige sur elles l’appareil photographique. Affolées elles se culbutent pour entrer dans la cabine. Elles doivent être furieuses. Le chemin que nous suivons est splendide mais il est très accidenté. Maman a le vertige, elle ne peut plus avancer. Nous tirons 2 photographies. Je descends une colline autant assise que debout en m’écorchant aux ajoncs.
Nous arrivons à la plage St Marc. Là nous nous reposons un peu. Papa nous offre des bonbons et en distribue aussi à quatre petits bretons qui jouent dans les rochers. Louis fait un dessin à la plume. Je me promène sur la grève espérant trouver des coquillages, St Marc étant réputé pour une plage à coquillages. Je ne vois que quelques coquilles de bigorneaux, c’est maigre. Un douanier est sur une falaise observant la mer. Près de lui est une petite cahute recouverte de chaume et d’une farine très pittoresque. C’est là sans doute qu’il s’abrite un peu par les gros temps où même la nuit s’il veille. Le douanier étant descendu sur la grève quelques instants plus tard, on m’envoie lui demander des renseignements. J’y vais un peu tremblante. Le douanier est fort aimable mais il louche des deux yeux ; l’un regardait à l’extrême droite pendant que l’autre lorgnait l’extrême gauche. Il a sans doute été choisi à dessein pour observer la mer de deux côtés à la fois.
Nous partons, Maman s’attarde pour chercher des crabes dans les rochers, elle en prend deux assez gros qu’elle rapporte. Nous nous engageons dans un joli chemin qui mène de la grève St Marc à Tréveneuc en passant par Kercadore. Dans ce village je suis surprise de voir un cochon dans toutes les cours des maisons. Nous arrivons à Tréveneuc. En face l’église sur une place herbeuse très pittoresque en son genre, s’ouvre une avenue conduisant à un grand château au Cte de Tréveneuc. Nous visitons l’église, rien d’extraordinaire. Sur la route ombragée de grands arbres aux formes bizarres qui mène de Tréveneuc à Kertugal. Nous rencontrons Monsieur Henri à bicyclette, il est inévitable mais je me comporte mieux qu’hier et ne laisse échapper aucun cri.
Kertugal n’est qu’un petit village. Son église est drôle, petite et toute ronde. Un tambour en maçonnerie surmonté d’une dame, extérieurement en zinc et intérieurement en bois. Une dizaine de prie-Dieu se baladent d’ici et de là. Il y a même une botte de paille dans un coin. Le curé et 2 ou 3 dames sont en oraisons.
Nous rentrons à St Quay. Je me repose un peu et je vais retrouver les autres à la cabine. La mer monte très haut, elle passe derrière les cabines, alors nous déménageons les nôtres, on met le tennis sur les chaises. Avant le dîner, Marg et moi nous nous retirons dans notre jolie chambre. Là nous voyons la lune se lever derrière le Sémaphore. Elle est pleine et c’est un immense disque rouge qui surgit. Elle diminue un peu et s’éclaircit en montant dans le ciel. Elle est d’un orage foncé qui trace un sillon d’or sur les eaux. Nous dînons. Emmanuel qui pour la première fois de sa vie doit coucher seul dans sa chambre demande à aller se coucher. Il est bien heureux. Louis et moi, nous rechargeons notre appareil, les 12 premières plaques étant tirées. Nous nous couchons Marg et moi vers 11hrs.

Vendredi 2 Septembre
A 5hrs nous sommes réveillées par le lever du soleil qui éclaire toute notre chambre dont nous n’avons pas fermé les volets. Comme la lune d’hier c’est un immense disque sanglant qui sort des flots. L’horizon est d’une jolie nuance saumon. Nous mourrons de faim et grand’mère qui est déjà levée nous monte un pain de chocolat et des biscuits. Nous prenons 3 biscuits chacune et une bonne tranche de pain avec du chocolat puis je me lève à 5hrs ½ pour aller à la messe de 6hrs ½ au couvent. Les 3 demoiselles Cheval y vont. Louis, Louise et Suzanne vont entendre la messe à l’église. Petit déjeuner. Les 2 garçons et nos 2 cousines vont rechercher Maman à Portrieux où elle est allée pour chercher du poisson car c’est Vendredi. Pendant ce temps, les jumelles et moi nous faisons notre ménage qui n’est pas bien long.
Je descends à la plage, on se baigne. Marguerite prend son bain avec les demoiselles Cheval, elle devient très amie avec elles. Nous rentrons déjeuner. J’écris à Miss Jones. Nous aller pêcher bigorneaux et berniques, nous en rapportons une bonne provision. Ce n’est pas amusant de nettoyer les berniques. Geneviève et moi nous nous en tirons bien mais avec du temps. Je retourne à la plage et je trouve Marg installée sur un banc entre les 2 grandes Cheval. Nous causons et jouons avec la petite Suzanne Teysier puis nous partons au Saint. Une dame y chante affreusement mal (à mon avis), Louis, les jumelles et moi nous prenons un 2ème bain à 6hrs ¼. On rentre. Nous mangeons notre pêche et des joues de morues que gd’mère avait achetées avant-hier à des marins arrivant d’Islande ou de Terre Neuve. La morue fraîche comme cela n’a pas le mauvais goût que je déteste. Nous nous sommes régalés aussi de coquilles St Jacques.
Trois lampes à essence ont pris feu dans la soirée, on les a éteintes comme on a pu mais ce triple essai nous engage à nous en tenir à des bougies et à nos petites lampes à pétrole. Nous sommes restés après dîner sur le banc dans le jardin devant la maison ; il faisait très bon mais frais, un beau clair de lune. C’était la plus haute marée de l’année, la mer a beaucoup monté. Nous nous couchons assez tard car Marguerite n’en finit pas d’écrire son journal qu’elle emplit encore de plus de détails qu’il y en a dans ces notes.

Samedi 3 Septembre
A 5hrs ½ gd’mère nous réveille tous pour voir le lever du soleil. C’est un immense disque rouge qui sort de la mer à l’horizon ; l’horizon en est d’un gris bleu foncé qui tourne au violet puis au rouge sanglant, à l’orange vif, au jaune d’or puis vert d’eau bleu pâle et gris argent. Nous nous levons de bonne heure, faisons nos chambres et paniers de provisions. Nous déjeunons et partons à 7hrs en visite pour Paimpol. On est bien un peu serré dans la voiture qui tient le milieu entre un break et un char à banc mais on est gais et d’humeur. La route est jolie, l’air est vif mais le soleil a une grande puissance. Nous repassons par les villages de Kertugal et de Trémeneuc que nous connaissons déjà. A Plouha, village plus important (5000 habitants) nous descendons de voiture et pendant que les chevaux soufflent un peu nous visitons l’église qui est très belle pour un village mais qui est tout à fait moderne. Sur la grand’place, Grand’mère fait une commande d’oignons disant que nous les reprendrions le soir.
Sur la route le chapeau de Louis s’envole. La voiture arrête et Emmanuel descend le ramasser, il est déjà très loin. Nous lisons une inscription de Cabaret : « On ne passe pas sans s’arrêter – on ne s’arrête pas sans entrer – on n’entre pas sans boire – on ne boit pas sans payer. » Nous rions, on cause gaiement. Louis bavarde comme une pie. Nous passons à Plouézec, à Kérity et nous arrivons à Paimpol. Nous descendons à l’hôtel Gicquel et nous y déjeunons pendant qu’on attelle d’autres chevaux à la voiture.
Nous traversons Paimpol, jolie route de 7 kilomètres et nous arrivons à la pointe de l’Arcouest ou  Aresnet. L’on s’embarque pour l’île de Bréhat. La vue que l’on a lorsque la voiture descend la falaise est superbe à marée basse. Louis en tire 2 photographies, l’une à gauche, l’autre à droite. Nous n’attendons pas longtemps sur la jetée, un joli voilier blanc vient aborder ; nous y sautons et nous voilà parti. La mer est un lac, on glisse ; traversée assez rapide en ½ heure. Débarquement au bout d’une longue jetée de rochers où l’on se butte un peu. Nous parcourons presque toute l’île qui est assez grande à la recherche de l’église. Nous la trouvons enfin. Maman va au presbytère pour demander au curé où est la maison de Melle Le Valois. Le curé ne la connaît pas. Nous en sommes très surpris mais on rit, on cause. Ce curé qui aime beaucoup la solitude (à son dire) est cependant très gai, il nous amuse. « On ne meurt pas à Bréhat, nous dit-il, les vieillards y pullulent et se portent admirablement. » C’est un type à part ce curé qui est l’ami intime de Monsieur Martin, l’aumônier de la communauté de saint Quay. Nous le quittons pour aller à l’église qui est très curieuse extérieurement. Ce qui sert de clocher mais qui est très bas est en pierres, style roman, les cloches sont apparentes.
Nous revenons vers la jetée et nous nous asseyons dans un joli site. Nous passons devant l’atelier de Mr Delabar du Parc. Les cabinets resplendissants de propreté sont ouverts. Grand’mère fait comme chez elle. Personne n’en saura jamais rien. Louis fait une aquarelle, ou tout du moins une esquisse d’aquarelle. Nous repartons. Le bateau vient nous reprendre juste à 3hrs moins le ¼ comme cela était convenu. Bonne traversée comme pour l’aller. Seulement la mer est au plus bas et bien que nous soyons en chaloupe derrière le voilier et que l’on ait détaché, la barque (qui prenait l’eau pendant le voyage), si peu profonde qu’elle soit ne peut aborder. Nous sommes obligés d’attendre que la mer ait monté un peu. Cela se fait très rapidement, en 5 minutes elle avait gagné 20 ou 25 mètres. Un jeune homme était sur la jetée, Louis le reconnut ; c’est un camarade d’atelier Dabadie mais un ancien qui ne connaît pas Louis ou peu du moins. Ils se sont serrés la main et se sont lamentés sur le changement de maître. Enfin nous avons pu aborder. Nous avons repris la voiture qui nous attendait et nous sommes rentrés à Paimpol en une heure à peu près.
Nous nous sommes promenés dans la ville. En voiture nous avions vu le port. Nous allons avec Papa chez un épicier. Achat d’une bouteille d’abricotine, liqueur peu distinguée au dire de l’épicière. Nous allons ensuite à l’église qui est ancienne mais n’a rien de bien remarquable. Il y a quelques tableaux que le guide Joanne déclare assez bons mais qui ne m’ont produit aucun effet à moi qui ait contemplé l’année dernière les si belles toiles qu’enfermaient les églises de Flandres. Grand’mère et maman sont entrées chez tous les bijoutiers et horlogers de Paimpol pour avoir des copies de montres. Elles en ont achetées cinq. On achète aussi du pain et papa nous paie une galette que nous mangeons en voiture en retournant vers Saint Quay.
A 1 kilomètre de Kérity nous arrêtons pour voir les belles ruines de l’abbaye De Beau port. Voilà une chose que j’aime, pureté de l’architecture, ruines entourées d’une verdure luxuriante et se détachant sur un ciel admirablement bleu. Elle date de 1202. On ne peut visiter ce qui reste de l’abbaye qui est la propriété d’une Madame Emet. Louis a pu néanmoins tirer 2 photographies mais dans des sites peu favorables. Espérons toutefois que cela produira quelque chose, je serais désolée de ne rien conserver de cette jolie chose. Louis tira aussi à 2 pas de l’abbaye une vue d’un délicieux étang ! Nous remontons en voiture. On chante pour raccourcir la route. On s’arrête de nouveau à Plouha pour prendre les oignons commandés par grand’mère à la veuve Collin. On lui achète aussi 2 choux.
Devant notre voiture en était une autre dans laquelle dans laquelle se trouvait en compagnie de plusieurs personnes celui qui se disait si « purée » sur la route d’Etables. Il y a des côtes à monter et à descendre. Les cochers sont enragés dans ce pays-là, ils vont à fond de train. Un trait se casse, le cocher prévenu par l’ami de la Pirée le raccorde. Dans une descente un de nos chevaux tombe, il se relève aussitôt. Nous arrivons à Saint Quay assez fatigués mais mourrant de faim, on dîne. Nous déchargeons et rechargeons l’appareil ; on se couche d’assez bonne heure après avoir goûté l’abricotine que tous trouvent excellente.
Prix des voitures : de Saint Quay à Paimpol, 20frs, de Paimpol à l’Arcouest, 10frs, traversée Bréhat 5frs tout aller et retour (Bréhat 0,50fr par personne).

Dimanche 4 Septembre
Grand’mère nous réveille encore pour voir le lever du soleil à 5hrs. Je commence à trouver que ce spectacle a réjoui assez mes yeux et j’ai beau le voir de mon lit, la tête sur l’oreiller, j’aimerai mieux dormir le matin. Cependant le soleil était plus joli, il y avait quelques nuages dorés qui donnaient plusieurs plans du ciel. Nous allons à la messe de 7hrs à l’église. Il n’y a presque personne comme dimanche dernier du reste. On rentre, on déjeune, on cause un peu, et pendant que les autres partent à la plage je me mets à écrire. Je fais 2 longues lettres, l’une à Me Machard, l’autre à Marie Gaudriau.
Nous prenons notre bain, il est très bon. Nous déjeunons. Arrivent des lettres de Mr Bucquet, de tante Danloux, de Suzanne Boucher et de Melle Chaillot. Suzanne nous envoie des photographies de Maurice, Marguerite et d’elle. Dans le nombre il y en a une du portrait de Marguerite fait par Louis, au premier abord je crois qu’elle est prise d’après nature. Aussitôt après le déjeuner, je réponds à Suzanne pour la remercier. Je vais avec Geneviève acheter des timbres pour papa au bureau de tabac. Cela nous amuse de sortir seules au bureau de tabac, nous rencontrons Mr Henri Duclos, son ami et son petit frère qui reviennent derrière nous.
Nous allons ensuite sur la plage. Les demoiselles Cheval arrivent dans leur toilette du dimanche. Elles ont une tournure des plus provinciale. Elles nous parlent. Ce sont les demoiselles Le Rochet, elles habitent Lanvollon (bourg à 3 lieues d’ici) toute l’année, il paraît que c’est mortellement triste. Leurs robes étaient en mousseline blanche imprimée de fleurettes roses aux feuillages d’un vert cru. Pour ceinture et tour de cou, du satin d’un vert étincelant qui vous tourne sur le cœur. Avec cela des chapeaux forme canotiers blancs et bleus garnis de rubans rouge grenat. L’ensemble était d’un goût détestable. Néanmoins comme elles nous causent aimablement, nous cherchons à n’être pas impolis. Louise et Suzanne leur tournent le dos.
Nous rentrons goûter puis nous partons avec papa faire une promenade dans la campagne. Nous prenons des sentiers difficiles, nous traversons 2 cressonnières sur des pierres qui oscillent et font croire à chaque moment que l’on va tomber dans l’eau. Nous arrivons au moulin à vent de St Michel qui est à vendre. Comme je veux savoir le prix d’un moulin à vent, je vais trouver le meunier qui me renseigne. Le moulin est presque vendu pour 10000frs    avec 7 ares de terre autour mais 7 ares ce n’est presque rien, c’est une misère. La vue dont on jouit du moulin est magnifique, on domine tout Saint Quay et la rade de Saint Brieuc.
Nous revenons, on dîne bientôt (Marg n’était pas sortie avec nous). Nous nous couchons de bonne heure mais nous ne nous endormons pas car la lune éclaire notre chambre d’une manière féerique. Elle est un peu écornée mais elle monte de l’horizon juste dans les carreaux de notre fenêtre, son ascension est relativement lente si bien que nous nous endormons enveloppées de sa douce lumière bleuâtre. On a relevé nos rideaux et il fait si clair que nous nous voyons dans la glace. Gd’mère ne pouvait se détacher du spectacle.

Lundi 5 Septembre
Nous nous sommes réveillées de bonne heure les 2 jumelles et moi et, avec la permission de Maman, nous sommes allées prendre notre bain entre 6hrs ½ et 7hrs. C’était délicieux. Les 2 bonnes nous accompagnaient. Nous sommes rentrées dans la maison comme des voleuses et nous nous sommes glissées toutes les 3 dans le lit de ma chambre. Une minute après papa entrait et nous trouvait si drôles qu’il demanda à Louis de nous photographier ainsi.
Nous nous sommes levées très heureuses de la petite farce jouée à nos frères. Nous avons déjeuné, fait un peu le ménage de nos chambres et nous nous sommes mises à écrire. Lettre à Mr Vincent. A 11hrs nous sommes descendus sur la plage. Louis avait pris son bain avec Emmanuel. En rentrant déjeuner j’ai trouvé une lettre de Miss Jones à mon adresse, il y en avait une autre pour Gd’mère ainsi qu’une de Fontenay. On déjeune puis comme il fait très chaud et que nous n’avons pas envie d’attraper de nouveaux coups de soleil, nous allons tout simplement à la plage nous asseoir dans le sable. Au reste il y a beaucoup de monde, toutes les cabines sont occupées. Les demoiselles Le Rochet sont là au grand complet. La famille Duclos, père, mère, enfants et ami. Une bande fort nombreuse à la cabine des Paulin. Une autre à celle de Melle Marcel et de Mr Robert. Les Tessier sont là aussi avec leur petite fille Suzanne (Yayanne) et leurs parents Mr et Me Lambert et Me Tessier mère. Les Le Rochet nous donnent des renseignements sur la famille Tessier. Mr est dans les Contributions à Rouen, sa mère habite Saint Brieuc et ses beaux parents Rambouillet. Ils se réunissent tous pendant le congé de Monsieur à Kerluzeille où ils ont une superbe propriété parait-il. Ils viennent à Saint Quay matin et soir, cela leur fait 12 kilomètres par jour car Kerluzeille est à 3 kilomètres d’ici.
Nous travaillons, on ne rentre que pour le dîner et nous nous couchons de bonne heure.

Mardi 6 Septembre
Je suis encore réveillé par le lever du soleil mais Marguerite dormait de si bon cœur que je la laisse. Vers 6hrs ½ elle se réveille et nous demandons la permission de nous baigner comme hier. On nous dit d’attendre 7hrs ½. A 7hrs ½ nous nous baignons, l’eau est très agréable mais l’eau a déjà atteint le versant rapide et au moindre pas l’on enfonce. Louis fait même des imprudences, il va trop loin. Il emmène Emmanuel sur le radeau là où il n’a plus pied et il revient à la nage avec Emmanuel pendu à son cou. Il n’est pas assez bon nageur pour cela. Je le gronde mais il se moque de mes frayeurs. Après le bain, nous nous habillons, nous déjeunons et nous faisons notre ménage. Puis Louis étant allé à Portrieux et ayant laissé Emmanuel tout seul sur la grande jetée, Maman meurt de peur. Nous allons retrouver Manu.
Le Vapeur « L’Odet » que nous voulions voir arriver et partir a 1 heure de retard. Pendant que nous l’attendons, nous regardons des jeunes gens qui nagent dans le port. Ils sont merveilleux jamais je n’ai vu nager aussi bien, faire autant de tours dans l’eau. Ils plongent en se jetant tout droit du haut de la jetée, ils descendent jusqu’au fond, nagent longtemps entre deux eaux etc. Vela m’amuse beaucoup. Enfin l’Odet arrive. Il se charge. Le père de Pauline part avec elle. Nous voyons une bien jolie personne. Nous revenons. En passant devant l’église, nous y entrons ; on y étudie des morceaux d’orgue, c’est beau. Nous revenons et nous allons à la plage.
On déjeune. Lettre de gd’mère Prat. Nous passons toute notre après-midi à travailler à la cabine. Nous prenons un 2ème bain moins Suzanne. Puis nous allons nous promener sur la falaise entre Saint Quay et Portrieux. Nous rencontrons Mr Parent. En mer arrive un grand navire norvégien ou danois (dit le garde des côtes) qui est chargé de bois. La vue est très belle au promontoire. Nous rentrons, on dîne, on va dans le jardin, on se couche.

Mercredi 7 Septembre
Je me suis levée vers 6hrs et à 7hrs j’étais au couvent pour me confesser à Mr Martin l’aumônier. J’avais bien peur et cela m’ennuyait d’aller me confesser à un prêtre que je ne connaissais pas du tout surtout à un aumônier qui, habitué aux religieuses, doit être plus sévère qu’un autre. Je me trompais bien. Jamais je n’ai été mieux confessée ni avec plus d’indulgence. J’étais bien contente après d’avoir su surmonter mon impression car cette confession m’a fait beaucoup de bien. J’ai reçu d’excellents conseils et de grandes consolations. Par exemple je trouve étonnantes les questions qu’on m’a posées, on aurait dit qu’il me connaissait, qu’il savait toute ma vie et toute mon âme, qu’il savait mes désirs. Il m’a engagée à revenir le trouver et j’espère pouvoir y aller.
La plus grande partie de la matinée s’est passée à la cabine. Louis et Suzanne se disputent en riant comme toujours, ils se couvrent de sottises, ils n’en trouvent pas de plus fortes que les 2 noms des époux Tricheux : Victorien, Camille. Nous nous baignons à 11hrs. La mer est bonne. Nous trouvons dans le bain la famille Cheval. Louis fait des courses en nageant avec ces demoiselles.
Nous rentrons, nous déjeunons. On reçoit le courrier : une lettre Badenier pour condoléances et une de Louis Bucquet qui reviendra le 21. J’écris à Th Bitschmit et je vais porter la lettre à la poste. En passant j’entre au couvent où y chante (pour étude) l’Ô Salutaris Je vais travailler à la cabine mais je n’y reste pas très longtemps car on envoie Louis faire une aquarelle de paysage et on me dit de l’accompagner pour l’empêcher de faire des imprudences dans le haut des falaises. Nous nous établissons en bas des rochers. Louis fait une aquarelle ou plutôt une impression. Le soleil étant un peu redescendu nous remontons sur les falaises. Nous rencontrons un petit serpent mort. Louis le ramasse avec mon ombrelle et me poursuit. Je m’imagine que le serpent est vivant, je me sauve, Louis court, l’appareil à photographies dégringole. Plus calme, nous nous établissons dans un joli coin. Vers 6hrs, nous voyons arriver papa et les autres. Ils s’installent près de nous, on cause et à 7hrs- ¼ nous reprenons le chemin de la maison. Nous rencontrons dans un pré la vache dont nous buvons le lait. Elle se met à se soulager et Louis de s’écrier : « Voilà tout notre lait qui part. » On dîne, on s’assied au jardin. Le ciel est admirablement constellé. On se couche cers 10hrs.

Jeudi 8 Septembre
Je me lève à 6hrs- ¼ et je vais à la messe de 6hrs ½ en l’honneur de la Sainte Vierge dont on célèbre la Nativité. Les autres vont à la messe de 7hrs ¼. Louis se confesse mais les 2 jumelles ne veulent pas le faire. On déjeune. Je reste dans ma chambre toute la matinée. Ce n’est que vers 11hrs que je descends à la plage pour le bain. Geneviève et moi, nous nageons. C’est la première fois que nous osons nous lancer. Je fais 17 brasses de suite. C’est peu mais c’est un commencement et j’en suis très heureuse. Je le désirais depuis longtemps. C’est la Ste Vierge qui m’aura obtenu cela aujourd’hui.
On voit arriver des troupes de bretons et de bretonnes qui se déshabillent dans les rochers et qui se baignent. C’est l’usage chaque année, paraît-il, après la moisson pour les habitants des campagnes de venir prendre un bain à St Quay. Les femmes n’ont point de costumes de bain, elles gardent leur chemise et un jupon. C’est drôle à voir mais le spectacle n’étant pas (par moment) des plus convenables je m’éloigne un peu. Mr Tessier tire des photographies des bretonnes.
On rentre déjeuner. Le courrier est riche aujourd’hui : 8 lettres. Pour ma part, j’en ai une de ma chère Noémie, j’en suis très heureuse. A 2hrs ½ nous allons aux vêpres et au Salut. En sortant du Salit je rencontre Madeleine Bérand, l’amie de Noémie, je lui parle, elle ne me reconnaît pas d’abord. Nous revenons à la plage, on y travaille un peu et 2ème bain. Je fais 23 brasses cette fois. Je reste dans ma chambre jusqu’au dîner. On dîne et l’on se promène dans le jardin qui me rappelle tout à fait le potager de Boulogne.

Vendredi 9 Septembre
Douloureux anniversaire pour mon cœur, mort d’Henri. Il y a 3mois aujourd’hui que Bernard est marié. Le temps resplendissant depuis notre arrivée est triste et gris aujourd’hui. Il fait chaud, il ne pleut pas mais il n’y a pas le gai soleil des autres jours. Je me lève à 5hrs ½. Messe de 6hrs ½ pour Henri par l’aumônier de la Communauté. Gd’mère, Maman, Louis et moi nous y communions.
On rentre. Petit déjeuner. J’écris une longue lettre à Miss Jones car Lucie a fait notre ménage pour nous avancer. Je vais travailler à la cabine. 1er bain avec les Le Rochet, je fais 25 brasses. On rentre déjeuner. Je vais avec papa à la poste acheter des timbres et à la bibliothèque du couvent où nous prenons la vie de Saint Yves. Revenons à la plage où nous travaillons comme des anges. Dans la matinée, Louis av fait une assez jolie aquarelle dans les rochers (il était avec Louis, Louise et Marguerite). A 5hrs 2ème bain, très drôle car un monsieur et une dame viennent nous demander à Louis, Louise et moi de bien vouloir baigner leur petite fille (2 ou 3 ans) à laquelle le médecin a ordonné 2 bains par jour. Je prends l’enfant dans mes bras et je la plonge dans l’eau malgré ses cris lamentables. Louis s’en charge à son tour, il la prend aussi dans se bras et la rapporte à son père. « Papa, hurlait-elle. »
J’ai les bras rompus à force de nager. Je reprends mon ouvrage. L’oncle du petit Léon qui est ingénieur de la marine et qui est arrivé aujourd’hui vient à la cabine voisine. Il cause avec Melle Marcelle et avec sa sœur. Les autres jouent au tennis. Melles Le Rochet vont avec Emmanuel à l’église. Je vais au devant d’eux, je rencontre papa, Marguerite. On rentre, on dîne ; après le dîner nous sortons dans le jardin. Spectacle étrange, le ciel est parsemé de gros ballons lumineux. Qu’est-ce ? Quelques instants après les ballons s’éteignaient et une aurore boréale rouge et vert clair surgissait sur notre gauche. Elle dura peu. La nuit envahit le ciel, on se couche. Les gens du pays appellent ces aurores boréales des « marionnettes »

Samedi 10 Septembre
Réveil à 3hrs du matin. On s’habille à la lumière car il fait complètement nuit. La voiture doit être là à 4hrs mais elle a plus d’un quart d’heure de retard. Papa et tous les enfants moins Emmanuel. Notre diable de tout petit s’était mis dans la tête de rester à St Quay pour jouer toute la journée sur la plage avec des amis. On le réveilla de force lorsque la voiture fut là et il descendit avec son pantalon sur sa chemise de nuit et ses pieds nus dans les bains de mer. Il compléta un peu sa toilette dans la rue avant de grimper dans la voiture. Il faisait tout à fait nuit lorsque nous partîmes. Maman prise de fortes coliques avait été sur le point de rester.
Peu à peu, le jour se lève. Ce fut d’abord une lueur très faible qui nous montait des masses noirâtres le long de la route, puis nous distinguâmes les maisonnettes espacées, les arbres dont les formes sont excessivement bizarres et capricieuses dans ce pays-ci. Dans une demi-clarté comme cela on dirait des animaux fantastiques. Il y a un arbre assez répandu par ici dont je ne connais pas le nom, son tronc monte tout droit sans ramification et il porte au sommet une touffe de feuilles très élégantes. Cet arbre a un peu l’aspect des palmiers. Il y a de nombreux mûriers. Les coteaux lointains surgissent de la nuit encore enveloppés d’un voile de brume, les étoiles pâlissent et disparaissent mais l’horizon ne se dore pas encore. Nous traversons des hameaux endormis. On s’arrête dans une ferme pour prendre des œufs frais. Nous voyons le château de Monsieur Ducornet (je crois), maire de Plouhan.
Nous arrivons à Lanvollon, il fait jour. Nous descendons de voiture pour laisser souffler les chevaux, visiter l’église et voir la maison des demoiselles Le Rochet. D’après leur description, nous la trouvons facilement, elle est très gentille mais simple et je les comprends de s’ennuyer à Lanvollon, c’est bien triste. La voisine était sur la porte, elle nous dit que c’est bien la maison des Le Rochet et qu’elle a même les clefs pour nous faire visiter si nous voulons. Nous la remercions. A l’église il y a un service funèbre. Nous n’y restons pas longtemps à cause de la fameuse cérémonie bretonne qui nous soulève le cœur.
En sortant de Lanvollon nous voyons une assez élégante petite voiture contenant un monsieur (mi Monsieur mi paysan) et 3 sœurs du St Esprit (tout en blanc). On s’échange des saluts. La voiture nous suit toujours. Nous arrivons à Trémévin où nous visitons une église (gr’mère et moi parlons au curé qui a une physionomie bizarre) puis à Pontrieux où nos chevaux sont dételés pour se reposer une heure. Les soeurs en font autant. Nous nous promenons dans Pontrieux qui n’a rien de remarquable à mon avis. Louis en tire 3 photographies cependant, 2 des bords d’une petite rivière et la 3ème d’une fontaine près de laquelle une femme vendait des légumes. Pour occuper le temps, nous allons à l’église, nous flânons dans les rues et nous entrons manger des gâteaux excellents chez un pâtissier.
On repart. Les sœurs nous suivent toujours et comme nous sommes serrés dans la voiture, la supérieure crie à Emmanuel d’aller la trouver. Il descend sans se faire prier et s’installe entre la Supérieure et le cocher. C’est Vert-Vert au Couvent. Les bonnes sœurs lui parlent, il les fait rire. Un peu plus loin, c’est Louis qu’on appelle et l’une des religieuses vient le remplacer dans notre voiture à nous. Elle est assez jeune de 26 à 30 ans, elle se nomme Sœur Ylisée, elle connaît St Pol de Léon car elle y a fait ses études à Sibéril. Elle nous raconte qu’elle habite Pluduall avec les 2 autres sœurs, qu’elle ne sont que 3 pour une centaine d’élèves et que tous les ans pendant les vacances Mr le Recteur leur prête sa voiture une fois pour faire un pèlerinage à Tréguier tous les 2 ans ou bien une promenade. C’est Joseph, le frère du Recteur qui les conduit, le cheval s’appelle Lisette (il a coûté 400frs, la voiture 600) Joseph s’occupe beaucoup d’abeilles, il explique à louis comment il les soigne et récolte le miel. La sœur Elysée nous ayant annoncé l’intention de la bonne Mère de les conduire à St Quay jeudi prochain Gd’mère les invite à déjeuner à la maison mais elles refusent disant que la supérieure doit aller chez des parents qu’elle possède à Etables mais qu’elles viendront nous voir dans l’après-midi si elles viennent à St Quay. Joseph invite Louis pour le dimanche en 8.
Nous arrivons alors à la Roche Derrière. Dans l’église il y a un bien bel autel en bois sculpté. Joseph qui a des habitudes de sacristain nous fait tous entrer dans le chœur et chambarde tout pour tout nous montrer ; il essaie même d’ouvrir des reliquaires, je lui cris que cela ne se fait pas. A la chapelle de Lourdes, les bonnes sœurs et maman veulent relever le dessin d’une nappe d’autel.
On repart. Emmanuel reste toujours avec les sœurs. L’une d’elle lui donne une image de St Antoine de Padoue. Nous voyons la chapelle St Yves qui me plaît beaucoup car elle est ancienne, véritablement d’un joli style : autel en pierres de Kersanton avec personnages sculptés, j’y lis les litanies de St Yves. Au reste tout le long de la route je lis la vie de St Yves que j’ai emportée.
Nous arrivons enfin à Tréguier vers 11hrs du matin fatigués de notre long roulement sur les routes de Bretagne. Nous déjeunons tout de suite avec nos provisions à l’hôtel du lion d’Or, et nous visitons Tréguier. L’église ne doit ouvrir qu’à 1hr et il n’est pas encore tout à fait midi. Papa ayant connu un Monsieur pharmacien à Tréguier s’informe chez Nicole, pharmacien en face de l’église. Celui-ci lui dit que Mr Le Mérou avait été pharmacien non à Tréguier mais à Paimpol et à Portrieux où il est mort il y a seulement un an, qu’il en avait beaucoup entendu parler ainsi que de son frère car son père à lui avait été reçu pharmacien le même jour que Mr Le Mérou. Nous achetons des photographies et pendant que Maman et Gd’mère cherchent des boutures de plantes rares Papa nous conduit au port. C’est gentil mais ce n’est pas la mer, c’est une rivière. Emmanuel y voit la Nathalie qu’il connaît de Roscoff, est-ce le même navire ?
Nous revenons, la cathédrale est ouverte. Elle est très belle mais excessivement irrégulière. Néanmoins elle me plaît beaucoup, c’est un vrai vieux monument et puis il renferme le tombeau de St Yves, tombeau en plâtre, statue de marbre, ossements dans chasse. J’y fais toucher mon chapelet et celui de Marguerite. Nous visitons le cloître et le sacristain qui nous accompagne m’ayant permis d’y cueillir tout ce que nous voulions, j’y prends des feuilles de lierre (à l’intention de Miss Jones et de Marie Gaudriau) que je retourne faire toucher à la chasse. Louis nous photographie dans le cloître. Nous retournons à l’hôtel et à 2hrs ½ nous repartons. Avant Louis photographie un cheval dans l’écurie.
Nous passons à Lézardrieux. En quittant le bourg nous passons sur un magnifique pont suspendu sur un bras de mer, la vue y est excessivement belle. Nous arrivons à Paimpol, arrêt de 10 minutes.  Comme nous connaissons déjà cette ville, nous ne tenons pas à y rester plus longtemps. A Pléhédel nous descendons, visitons l’église. Il y a une statue tout à fait plaisante de St Nicodème, je la montre aux autres et pendant que nous la regardons en souriant, le curé sort de la sacristie et vient nous parler. Il plaisantait lui-même : « Elle est drôle, n’est-ce pas, dit-il, mais que voulez-vous les vielles statues ont les garde. Cependant si on m’en donnait une autre, j’échangerai volontiers celle-ci. » J’aurais voulu emporter St Nicodème. Dans le cimetière je vois les tombes d’une famille ollivier. Maman demande à une bonne femme qui lui dit que ce sont bien les parents du Père Ollivier. Nous nous promenons un peu avec papa car on dételle une demi-heure. Nous causons avec une bonne femme qui a dans ses bras un joli petit garçon de 10 mois (Marcel). Il a un air réveillé et il est adorablement propre auprès de tous les sales marmots du village. C’est l’enfant d’un pharmacien en nourrice chez sa tante. Elle le soigne avec amour. Il marche presque et nous sourit gentiment. On goûte. Nous prenons du veau froid sur nos tranches de pain. C’est peu comme il faut, mais quand on a faim.
On quitte Pléhédel, la nuit tombe. Nous arrivons à Kermaria, vieille chapelle, statues des 12 apôtres. Pause macabre peinte sur les murs, tout cela est en fort mauvais état. De plus la nuit s’obscurcit de plus en plus, nous n’y voyons pas grand’chose. Un magnifique coucher de soleil avec des nuances qui m’étaient inconnues. C’est une féerie qui dure jusqu’à Plouha. Là le ciel s’éteint, les étoiles paraissent peu à peu. Des senteurs de pommes imprègnent l’atmosphère. C’est délicieux, je voudrais emplir mes yeux et mon âme de toutes ces couleurs et de tous ces parfums. Nous gagnons Tréveneuc puis Kertugal et enfin nous atteignons St Quay où nous dînons et nous couchons vers 10hrs.

Dimanche 11 Septembre
Je me lève à 6hrs – ¼. Messe de 6hrs ½. Petit déjeuner. J’écris un peu. A la cabine pour bain. Mr Joseph me jette à l’eau et me dit que je nage comme une naïade. Cela me touche peu venant de lui. Suzanne nage aussi seule. Il ne reste donc plus que Louis, Marguerite et Emmanuel. Nous rentrons déjeuner, restons avec papa qui doit partir à 3hrs. La voiture oublie de venir le chercher. Nous allons au relais de la diligence, toutes les voitures étaient parties. Heureusement le courrier ne passez qu’à 3hrs ½. Papa monte mais il n’aura pas le temps de dîner à St Brieuc.
Nous revenons à la plage mais pas pour longtemps, il se met à tonner, orage très fort. Profitant  d’une accalmie, je vais au Couvent et ensuite à l’église. Je rentre dîner. Après vu de Gd’mère pour Louis, Louise et Suzanne.  Nous nous couchons tard. A peine au lit, un violent orage se déclare. Nous sommes juste entourés de feu. Maman réveille tous ceux qui sont au second étage, on les fait descendre. C’est horrible et cependant je n’en ai pas peur. En somme soirée et nuit très agitées.

Lundi 12 Septembre
Lever à 6hrs ½. Ménage. Il pleut. Je vais au devant de gd’mère qui est au couvent pour lui porter un parapluie. Elle en avait emprunté un chez le boucher. Je le reporte et vais au couvent. Je rentre et travaille jusqu’au déjeuner dans le salon avec nos cousines et mes sœurs. Après le déjeuner, gd’mère me reproche d’anciennes histoires. Je passe mon après-midi à pleurer. La mer est agitée. Nous prenons un bain à 4hrs. Impossible de nager, les vagues sont trop hautes et lorsque l’on reste sur le bord il n’y a pas assez d’eau. Chose étonnante, l’air est très frais et l’eau est absolument tiède comme celle que l’on a fait chauffer. Le soir, Marguerite et moi nous déménageons. Nous laissons tous nos effets dans notre ancienne chambre mais nous faisons nos lits dans la chambre voisine qui en a 2. Gd-mère trouve inconvenant et pas propre que nous couchions ensemble. Marg pleure beaucoup. Enfin on se calme. Dîner. On monte se coucher de bonne heure.

Mardi 13 Septembre
Lever à 7hrs car je suis un peu souffrante, les scènes de la veille et de l’avant-veille m’ont fait mal aux nerfs. Toilette. Petit déjeuner. Un peu de ménage. J’écris. Je sors seule et je rencontre Marg et Suzanne qui me rendez-vous à la chapelle du couvent. Je m’y rends. 10 minutes après elles reviennent me chercher avec Geneviève. Nous allons toutes les quatre à la ville St Roch où nous voyons maman, Louise et Louis qui fait une aquarelle. Retour pour le bain à 11hrs ¼. Je ne vais pas à l’eau. Louis, Louise, Geneviève, Marguerite et Emmanuel seuils se baignent.
Déjeuner. Lettres de Mr Gaudriau, de Misse Jones et de Melle Métiver (pour moi). Lettres de Joseph, de Mr Boucher, de Misse, de Melle Métiver et de Papa pour Grand’mère. Nous écrivons puis nous allons à la cabine. Là on travaille. Les familles Le Rochet et Daclos nous parlent. On ne veut pas permettre aux autres de reprendre un second bain. Nous rentrons. Goûter. On va à St Yves jouer du piano. Mr Joseph qui nous entend dit c’est divinement joué. Nous allons nous promener un peu sur les falaises mais il se met à pleuvoir alors nous rentrons. Mais nous ne tardons pas à repartir chacun de notre côté. Comme il est 6hrs ½ je vais au couvent faire ma prière du soir. Marguerite et Emmanuel m’y rencontrent. Manu pousse jusqu’à l’église qu’il aime mieux que le couvent peut-être parce qu’elle est à 99 mètres plus loin. Il revient nous chercher et cette fois-ci nous rentrons définitivement.
On nous demande où nous sommes allés. Je raconte toute ma promenade, n’oubliant qu’un détail, la rencontre de Mr Joseph qui m’avait dit : « C’est vraiment une journée heureuse ; j’ai eu le bonheur de vous rencontrer souvent aujourd’hui. » Je n’ai pas dit cela, ce n’est point que cela m’ait flattée mais je connais la sévérité de gd’mère pour ces choses. Elle nous a dit pendant le dîner qu’elle ne nous permettait pas de jouer au crochet avec Melle Le Rocher s’il y avait un seul jeune homme avec elle, même Mr Robert ou Mr Henri qui n’ont que 15 ans et qui ont tous deux l’air fort timide.
Après le dîner nous déchargeons et rechargeons notre appareil photographique. On se couche d’assez bonne heure. Seuls Louis et moi nous restons un peu à écrire le détail de nos plaques.

Mercredi 14 Septembre

A 6hrs ¼ Gd-mère me réveille me disant qu’il faut aller à la messe parce que c’est la fête de l’Exaltation de la Sainte Croix. Je me lève aussitôt et j’arrive pour la messe de 7hrs au couvent. J’y rencontre Yvonne Le Rochet et Ferdinand. C’était pour les 18 ans d’Yvonne qu’ils entendaient la messe (14 septembre). Après nous allons Maman, moi, Yvonne et Ferdinand sur les dunes de la plage et nous nous quittons pour aller déjeuner chacun de notre côté. Je comptais employer ma matinée à travailler tranquillement dans ma chambre mais ces dames m’envoient avec Louis qui veut retravailler son aquarelle de la ville St Roch. Marguerite part de son côté avec Emmanuel. Geneviève et les deux Bucquet sont ensemble. Ces dernières nous rencontrent et restent un moment avec nous mais comme on ne veut pas qu’elles se promènent avec Louis elles nous quittent pour aller se promener  autre part. Pour employer mon temps pendant que Louis peint, j’aide deux bonnes femmes qui sarclent des pommes de terre dans un champ.
Pendant qu’elles fouillent et retournent le sol avec leurs instruments, je ramasse les plus belles pommes de terre et je les mets en sac. J’avais une envie folle de ramasser des pommes de terre, c’est bête mais j’avais aussi une autre idée : me rendre un peu utile, servir quelqu’un. Pour être la servante de Dieu il faut devenir la servante de tous. Louis termine une aquarelle et en commence. Nous ne repartons qu’à 11hrs de là-bas pour le bain que Louis prend avec mes sœurs, mes cousines, Manu et la famille Le Rochet. J’écris dans ma chambre jusqu’au déjeuner.
Nous recevons des lettres, l’une de papa, l’autre de notre cousin Thomas, une du notaire de tante Maillot, Geneviève en a une de Melle Chauvin et les Bucquet de leur grand’mère. Je travaille jusqu’au moment d’aller porter les lettres jusqu’à la poste. Je vais aussi acheter des timbres et en passant devant le couvent j’entre à la chapelle, la vraie Croix y est exposée. Je vais à la cabine avec mon ouvrage mais je n’y reste pas longtemps car Louis qui a envie de faire une étude de rochers me demande de l’accompagner. Nous nous installons sur la falaise de Gicquel. Il y a un vent très frais ; au bout de peu d’instants, je suis glacée ; comme je suis déjà un peu enrhumée, Louis me renvoie à la cabine où l’on est beaucoup plus abrité. J’entends Adèle de Montretout qui parle à ses cousines, elle leur annonce qu’elle va entrer au couvent. Est-ce bien sérieux ?
Je retourne chercher Louis pour le bain qu’il reprendra avec maman et Louise Bucquet. Je les regarde tous les trois de la rampe de la falaise. Je vois aussi le jeune homme qui sert tous les jours la messe au couvent. C’est un admirable nageur. Il gagne la haute mer et va loin, loin en faisant des coupes. En mer je le vois grimper sur un rocher où il se repose un peu avant de reprendre la route dans le sens contraire. Il est très hardi, cela me fait peur.
Je vais avec Gd’mère au Salut du couvent ou je chante fort joliment « Chrétiens, chantons à haute voix. Vive Jésus, Vive sa Croix. » L’aumônier nous fait embrasser la précieuse relique. Gd’mère m’emmène faire des courses chez la bouchère et l’épicière. Nous rentrons et allons causer aux Dalmar qui nous disent les noms de nos voisins, d’un côté Melle Pehlemarche et de l’autre Mr Grandhomme. A dîner nous mangeons des huîtres. Ce n’est pas encore tout à fait l’époque. Je travaille un peu dans le salon avant de rentrer pour la prière. On se couche.

Jeudi 15 Septembre
Marguerite me pince encore au lit pour me faire écrire deux brouillons de lettres, l’une pour Louise Gaudriau, l’autre pour Miss Jones. Grand’mère annonce son intention de partir au Val André avec Louis et les jumelles. Ils s’habillent et déjeunent tous 3 à la hâte. Emmanuel les accompagne au Portrieux où ils doivent s’embarquer sur l’Odet.
Pendant ce temps, je vais au couvent où je me confesse à Mr martin. Comme je suis seule il me garde longtemps et me donne d’excellents conseils pour les passes difficiles que je lui expose. Je vais à la plage où je trouve Maman travaillant avec mes cousines.
Vers 10hrs ½ Maman inquiète de n’avoir pas revu Emmanuel nous envoie au Portrieux toutes les 3 pour le chercher. Nous étions à peine remontées sur la falaise que nous le voyons arriver avec Me Tessier et sa fille. Il était entré à l’Ermitage chez son ami Léon. Nous renonçons donc à notre promenade et descendons avec ces dames à la cabine. Louise vient vers 11hrs ½ nous annoncer que le déjeuner est prêt, nous rentrons. Déjeuner. Le facteur n’apporte qu’une seul lettre à l’adresse de Melles Bucquet (de leur gd’mère).
Maman nous cherche de l’ouvrage mais elle n’en trouve que pour Louise. Suzanne et moi n’avons plus rien à faire. Heureusement je déniche une vieille paire de bas à Marguerite et je l’emporte à la cabine où je lui tricote des talons. Ce n’est pas amusant mais cela m’occupe mon après-midi. Nous causons avec Me Lemor, Melle Marcelle, Mr Robert, Me Tessier, sa fille et Me Haunette. Mr Robert part pour 3 jours avec Mr Léon Tessier (l’oncle du petit). Seulement Mr Tessier nous quitte à 2hrs pour gagner Kérity et même Paimpol à pied tandis que Mr Robert attend plus sagement la voiture de 5hrs. Ils comptent rentrer dimanche après avoir vu Tréguier et Trégastel.
Maman m’envoie me promener un peu sur la plage trouvant que j’avais froid en restant assise près de la cabine. Je me trouve nez à nez avec Mr Joseph. Il fait un saut de carpe ou deux en arrière, j’entends un clic de mauvais augure. J’étais photographiée et Mr Joseph s’en allait d’un air triomphant. Il ne tarda pas à revenir me causer : « Enfin, je vous ai, je vous ai, me dit-il. » Je me contentais de hausser les épaules. Cette photo est sûrement manquée, d’abord nous étions beaucoup trop près l’un de l’autre puis je baissais la tête en mangeant mon pain et mon chocolat ; on ne doit rien voir de ma figure. Cependant le procédé n’en est pas moins un peu indélicat.
Je rentrai à la maison. Lucie me demande d’aller à la rencontre de Gd’mère sur la route du Portrieux pour lui demander d’acheter une salade. En route j’entends la cloche du couvent qui sonne le Salut du Saint Sacrement. J’y entre, me disant que j’y trouverai sûrement Gd’mère, je n’y vois que maman qui me fait signe de venir auprès d’elle. J’oublie complètement la salade et non seulement j’assiste au Salut mais je reste une demi-heure après à la chapelle. Pendant quelques minutes je suis seule devant le Saint-Sacrement. J’aime cela. Il me semble que ma prière alors est mieux écoutée, je suis bien heureuse et je comprends que tous les plaisirs du monde ne sont rien auprès de ces doux bonheurs-là. Il faut cependant m’arracher à la tranquillité de la chapelle. Dans la cour je rencontre Kiki et Suzy qui viennent me chercher parce Me Béraut et sa fille sont à la maison.
Nous revenons très vite. Ces dames sont fort aimables. Madeleine Béraut écrit un mot sur ma lettre à) Mimi. Après leur départ on dîne. Les autres nous racontent leurs excursions au Val André. Ils ne pouvaient pas aborder. Louis porte les 2 jumelels mais comme il ne peut le faire pour Gd’mère la pauvre femme est obligée de se déchausser. Pour remettre bas et bottines, Gd’mère s’installe sur un rocher et Marguerite lève l’une de ses jambes si haut que Gd’mère tombe à la renverse. Et la folle de rire. Ils se mettent à trois pour relever Gd’mère .
La plage à val André est beaucoup plus grande qu’ici paraît-il. Beaucoup de villas et un superbe couvent où ils déjeunent. Les coquillages sont nombreux et beaux, ils en ramassent. Pour le retour l’Oder danse. Aucun des nôtres n’a la mal de mer. Gd’mère est toutefois heureuse d’aborder. Après le dîner je monte copier les litanies de St Yves pour reporter le livre à la Communauté demain. On se couche.

Vendredi 16 Septembre
Louis est malade toute la nuit. Je me lève à 6hrs-1/4 à peu près pour aller à la messe de 6hrs ½. Cette messe dite par l’aumônier n’est pas à heure fixe, elle se dit entre 6hrs ½ et 7hrs. Je communie, je rentre, déjeuner. J’écris, je termine ma lettre à Noemie, j’en fais une à Papa et je mets en ordre mes notes de la veille.
Vers 10hrs ½ je descends à la plage. Un joli vapeur aborde. C’est l’ingénieur des ponts et chaussées, il descend à terre avec sa famille. Pendant que Louise, Suzanne, Marguerite et Emmanuel prennent leur bain avec la famille Le Rochet, Louis, Geneviève et moi qui, sans être malades, sommes un peu souffrants nous allons dans les rochers. Là je fais un brouillon de lettre pour Louis ou pour mieux dire je corrige celui qu’il a fait.
Nous rentrons à la maison déjeuner. Le facteur m’apporte une lettre de Jeanne Reugnet, pour Maman une lettre de Papa et une de tante G pour Gd’mère. Les Gaudriau donneront un bal le 15 Octobre. Après le déjeuner nous écrivons. Je fais un brouillon de lettre pour Gd’mère à l’adresse de Mr Leconte et je vais à la Communauté rendre le livre de St Yves. J’en prends un autre "Le Comte de Gisors" par Camille Rousset, je crois.
Nous allons à la cabine. Madame Tessier m’apporte une brochure sur St Quay par Mr Le Nardez. C’est intéressant mais il y a bien des choses sans importance. La partie qui m’a le plus intéressée c’est celle qui raconte les anciennes légendes du pays. Un moine irlandais, St Brieuc ou peut-être un autre, voulut évangéliser la Bretagne. Il partit de son île dans une auge de pierres sans voile, sans aviron et il arriva ainsi en vue de la côte de Kertugall dont le nom (Ker tug gall) signifie demeure des Gaulois. Ce furent des femmes qui le virent approcher et étonnées de l’aspect singulier du bateau, effrayées surtout par son anneau pastoral qui brillait au soleil, elles le prirent pour un drug du démon. Elles s’appelèrent l’une l’autre et le cou tendu elles attendirent la descende du saint évêque. Lorsqu’il eut touché terre, elles s’élancèrent sur lui armées de faisceaux de genêts et le frappèrent en criant : « Quay, Quay », ce qui veut dire : « Tapons, tapons. » Elles le laissèrent pour mort mais le St Evêque ne l’était pas. Il put invoquer la Mère du Christ et elle vint à son secours. Elle fit jaillir une fontaine avec l’eau de laquelle elle le lava et pansa les plaies du martyr qui se guérirent miraculeusement. Cette source jaillit encore, un petit monument a été élevé au dessus e’elle ; je l’ai vue mais elle est dans un grand état de délabrement, l’eau s’est détournée pour former plus loin un marécage. Les habitants du pays se convertirent mais les femmes de Kertugall ont, paraît-il, le cou plus long que les autres femmes en souvenir de l’attente de St Brieuc.
Il y a encore d’autres légendes dans cette brochure particulièrement sur les grottes d’Etables habitées autrefois par des frères. Une fois 3 jolis garçons firent naufrage sur la côte. Les fées en devinrent amoureuses et les retinrent dans leurs grottes mais les fiancées des jeunes gens firent une neuvaine à la Vierge Marie qui vint elle-même les délivrer pour les rendre à leurs fiancées.
Un navire chargé de richesses immenses fut attiré par les signaux des fées dans un passage dangereux où il périt corps et biens. Les fées s’emparent du trésor qu’elles portèrent au fond de leur demeure ; elles sauvèrent aussi le jeune mousse qu’elles retinrent prisonnier. Mais celui-ci, ayant invoqué Marie, fut sauvé miraculeusement. Il revint à la grotte avec des compagnons fortement armés. Ils tuèrent les fées dont le sang rougit toujours les roches d’une paroi de la grotte mais ils ne purent trouver le trésor qui y est encore. Etc. etc.
Je fais du crochet. Vers 5hrs, le jeune homme qui sert tous les jours la messe de 7hrs au couvent vient prendre son bain. ; il gagne à la nage le vapeur qui est en pleine mer. Il fait 469 coupes très longues pour revenir ; il en avait fait probablement autant pour aller et ne s’était reposé qu’un instant sur le vapeur. C’est un admirable nageur mais quel gars solidement bâti. Il fait toujours le signe de la croix en entrant dans l’eau. On m’a dit que c’était je jeune Mr de Farez, le fils des propriétaires de la belle villa qui domine toute la gauche de St Quay (si on regarde la mer).
Nous regardons les gens du vapeur qui montent en barque et vont rejoindre leur bateau. Comme Mr Henri et Joseph se sont installés derrière moi, Grand’mère trouve cela peu convenable sans doute car elle m’envoie goûter. Je lui dis que Louise doit me rapporter mon pain et mon chocolat. Cela ne fait rien, elle me fait partir, je n’en sais pas davantage.
Je reviens manger sur la plage avec les autres puis je pars au couvent. Comme je suis accompagnée de Suzy, je n’y reste pas longtemps pour ne pas ennuyer la pauvre fille. Nous revenons à la cabine. Me Béraud y arrive avec Madeleine nous rendre une visite. Lorsque ces dames partent, on ferme les cabines et on rentre. Dîner. Je travaille un peu et nous nous couchons.

Samedi 17 Septembre
Mr Hannet part.
Anniversaire de tante Amélie. Je vais à la messe de 6hrs ½ a^très m’être levée à 6hrs- ¼. Je rentre, petit déjeuner, manége. J’écris &a



Notes diverses diverses trouvées dans ce cahier sur des feuillets volants

Litanies du glorieux St Yves

(celles du pays de Tréguier)

Seigneur, ayez pitié de nous.
Christ, ayez pitié de nous.
Seigneur, ayez pitié de nous.

Christ, écoutez-nous.
Christ, exaucez-nous.

Père Céleste qui êtes dans les cieux, ayez pitié de nous.
Fils Rédempteur du monde qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Esprit Saint qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Trinité Sainte qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous.
Sainte Marie, reine de tous les Saints, ayez pitié de nous.

Saint Yves, père des pauvres, priez pour nous.
Saint Yves, homme admirable, priez pour nous.
Saint Yves, la lumière de notre patrie, priez pour nous.
Saint Yves, homme séraphique, priez pour nous.
Saint Yves, fournaise de charité, priez pour nous.
Saint Yves, exemple d’humilité, priez pour nous.
Saint Yves, la gloire des confesseurs, priez pour nous.
Saint Yves, amateur de la croix, priez pour nous.
Saint Yves, amateur de la pénitence, priez pour nous.
Saint Yves, l’ornement de toute pureté, priez pour nous.
Saint Yves, miroir de chasteté, priez pour nous.
Saint Yves, ennemi de l’impureté, priez pour nous.
Saint Yves, miroir de perfection, priez pour nous.
Saint Yves, l’exemple de toutes les vertus, priez pour nous.
Saint Yves, victorieux de toutes les tentations, priez pour nous.
Saint Yves, victorieux du monde, priez pour nous.
Saint Yves, homme digne d’honneur, priez pour nous.
Saint Yves, homme sans tâche, priez pour nous.
Saint Yves, homme plein de douceur, priez pour nous.
Saint Yves, défenseur des innocents, priez pour nous.
Saint Yves, protecteur des Vierges, priez pour nous.
Saint Yves, tuteur des veuves et des orphelins, priez pour nous.
Saint Yves, homme de miracles, priez pour nous.
Saint Yves, terreur des démons, priez pour nous.
Saint Yves, qui éclaire les aveugles, priez pour nous.
Saint Yves, qui faites parler les muets, priez pour nous.
Saint Yves, qui guérissez les infirmes, priez pour nous.
Saint Yves, qui ressuscitez les morts, priez pour nous.
Saint Yves, le salut des marins en danger, priez pour nous.
Saint Yves, consolateur des affligés, priez pour nous.
Saint Yves, qui rasassiez ceux qui ont faim, priez pour nous.
Saint Yves, le refuge de tous les misérables, priez pour nous.
Saint Yves, secours de tous ceux qui vous invoquent, priez pour nous.
Saint Yves, notre très doux défenseur et patron, priez pour nous.

Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, pardonnez-nous.
Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, exaucez-nous.
Agneau de Dieu qui effacez les péchés du monde, ayez pitié de nous.

Antienne : Les bonnes œuvres sont affermies devant le Seigneur. Et toute l’assemblée des Saints racontera des aumônes. Heureux celui sui secourt l’indigent et le pauvre. Le Seigneur le délivrera au jour de l’affliction. St Yves, priez pour nous afin que nous soyons rendus dignes des promesses de N.S.J.C.

Oraison : O Dieu qui avez donné à Saint Yves, votre confesseur, pour père aux pauvres, pour avocat aux veuves, pour tuteur aux orphelins, accordez-nous par son intercession la grâce d’être enflammés d’une Charité semblable et de préférer aux besoins temporels qui passent promptement la perle précieuse de l’Eternité. Nous vous le demandons par Jésus-Christ, Notre Seigneur. Ainsi soit-il.


Litanies de Saint Yves

(d’après un Manuscrit du XVIIème siècle)

Seigneur, ayez pitié de nous.
Christ, ayez pitié de nous.
Seigneur, ayez pitié de nous.

Christ, écoutez-nous.
Christ, exaucez-nous.

Père Céleste qui êtes dans les cieux, ayez pitié de nous.
Fils Rédempteur du monde qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Esprit Saint qui êtes Dieu, ayez pitié de nous.
Trinité Sainte qui êtes un seul Dieu, ayez pitié de nous.
Sainte Marie, reine de tous les Saints, ayez pitié de nous.

Saint Yves, priez pour nous.
Saint Yves, prêtre et ministre du Christ, priez pour nous.
Saint Yves, fleur splendide de l’Armorique, priez pour nous.
Saint Yves, juge très équitable, priez pour nous.
Saint Yves, gloire éclatante de l’Eglise bretonne, priez pour nous.
Saint Yves, lumière et modèle des juges, priez pour nous.
Saint Yves, destructeur des procès, priez pour nous.
Saint Yves, arbitre des plaideurs, priez pour nous.
Saint Yves, modèle des prêtres, priez pour nous.
Saint Yves, très vigilant pasteur, priez pour nous.
Saint Yves, délices du roi des cieux, priez pour nous.
Saint Yves, patrons des orphelins et des veuves, priez pour nous.
Saint Yves, contempteur du monde, priez pour nous.
Saint Yves, ami de la modestie et de la chasteté, priez pour nous.
Saint Yves, savant jurisconsulte, priez pour nous.
Saint Yves, client très vénérable de la Vierge, mère de Dieu, priez pour nous.
Saint Yves, contemplateur des Mystères de la Passion, priez pour nous.
Saint Yves, consolateur des affligés, priez pour nous.
Saint Yves, lumière du pays de Tréguier, priez pour nous.
Saint Yves, l’honneur de la Bretagne, priez pour nous.
Saint Yves, l’ornement de la France, priez pour nous.
Saint Yves, le salut des malades, priez pour nous.
Saint Yves, l’espoir des indigents, priez pour nous.
Saint Yves, père des pauvres, priez pour nous.
Saint Yves, gardien très tendre des orphelins, priez pour nous.
Saint Yves, modèle de charité et de patience, priez pour nous.
Saint Yves, miroir de continence et de piété, priez pour nous.
Saint Yves, infatigable dans la prière, priez pour nous.
Saint Yves, ange du grand conseil, priez pour nous.
Saint Yves, prince de la paix, priez pour nous.
Saint Yves, lampe brillante de Dieu, priez pour nous.
Saint Yves, trompette de la vérité évangélique, priez pour nous.
Saint Yves, vase d’élection, priez pour nous.
Saint Yves, miroir de dévotion, priez pour nous.
Saint Yves, règle de justice, priez pour nous.
Saint Yves, loi de clémence, priez pour nous.
Saint Yves, fontaine de miséricorde, priez pour nous.
Saint Yves, fleuve de compassion, priez pour nous.
Saint Yves, très cher aux gens de votre maison, priez pour nous.
Saint Yves, très obéissant à vos supérieurs, priez pour nous.
Saint Yves, magnanime protecteur de la généreuse Bretagne, priez pour nous.
Saint Yves, merveilleux libérateurs des femmes en couches, priez pour nous.
Saint Yves, grand oracle de la vérité, priez pour nous.
Saint Yves, miroir magnifique d’austérité, priez pour nous.
Saint Yves, qui avez ressuscité tant de morts, priez pour nous.
Saint Yves, qui avez rendu la vue à tant d’aveugles, priez pour nous.
Saint Yves, qui avez si souvent par vos prières apaisez les fureurs de la mer, priez pour nous.
Saint Yves, qui chassez du corps humain par vos mérites toutes les infirmités et les maladies, priez pour nous.
Saint Yves, qui avez éteint avec le signe de la croix un effroyable incendie, priez pour nous.
Saint Yves, qui avez rendu la vie à l’enfant dans le sein de sa mère, priez pour nous.
Saint Yves, par le secours duquel les pécheurs obtiennent de Dieu pardon et salut, priez pour nous.
Saint Yves, dont l’intercession fait réussir sûrement les demandes de vos serviteurs en particulier celles des Bretons, priez pour nous.

Christ, écoutez-nous
Christ, exaucez-nous.
Christ, ayez pitié de nous

Antienne : St Yves a enseigné à tous les Chrétiens la règle de la charité en donnant au nom du Christ à tous les malheureux indigents tout ce qu’il avait de bien à donner et gardant seulement pour lui la voie de la pauvreté.

Oraison : O Dieu qui par votre mérite et votre grâce avez glorifié Saint Yves votre confesseur ; qui par son moyen avez guéri les malades, veuillez toujours continuer de nous délivrer par ses mérites des maladies, des pestes, des tentations et de tous les malheurs et nous donner la vie éternelle. Par Jésus-Christ Notre Seigneur. Amen.


Ptière à Saint Yves

(pour demander l'esprit de paix)

Grand Saint qui, pendant votre vie, avez été un ange de paix, qui la prêchiez par votre exemple ainsi que par vos discours, qui faisiez tous vos efforts pour l’établir entre tous les hommes, et qui, pour cette œuvre sublime, n’épargnez ni soins ni fatigues, daignez écouter les vœux que je vous adresse.

Obtenez-moi, par votre intercession, la grâce de posséder cette même paix avec Dieu, mon prochain et moi-même. Faites que nul sentiment, nulle pensée d’inimatie, de rancune, de vengeance n’entre jamais ni dans mon esprit ni dans mon cœur. Eloignez de moi les contestations et les procès. Que je conserve avec tout le ponde mais surtout avec mes parents et mes amis, cette charité parfaite dont le Seigneur m’a fait une si étroite obligation afin qu’après avoir, ô grand saint, imité votre exemple sur la terre, je partae dans le Ciel le bonheur dont vous jouissez.

Ainsi soit-il.


Saint Yves


Etude sur sa vie et son temps par l’abbé France, Vicaire général honoraire, curé archiprêtre de Lannion, 2ème échelon, St Brieux. Imprimerie René Prud’homme – 1892.



Note personnelle glissée dans ce carnet

D’où vient-il donc que cette idée me navre et m’ôte tout goût de vivre.
Moi, je ne veux pas endormir mon cœur avec l’affreux poison de l’oubli.   



Dans ce carnet aussi figurait sur feuilles volantes des poèmes que j’ai retranscrits dans un chapitre spécial de ce site :

"poèmes écrits en 1900"