1918 - Paris

Mai 1918

Jeudi 2 Mai

Quelle chose navrante que cet enterrement d’hier. La famille Lacau était si belle, bonne et sympathique que tous ceux qui la connaissaient doivent éprouver le même sentiment de profonde mélancolie devant son effondrement. Ma belle famille était représentée à l’église par Charlotte. Quant à moi, j’ai tenu à suivre la cérémonie funèbre jusqu’au bout à cause des liens particuliers qui nous attachent aux Lacau. D’ailleurs le cimetière étant Montparnasse, le dérangement n’a pas été bien grand et, avant de regagner Boulogne, il m’a encore été possible de faire une station rue Las-Cases.

Mon beau-père continue certainement à s’acheminer vers la reprise d’une vie normale mais il le fait à pas très lents. Il tousse encore beaucoup et, d’après certaines marques, il semble atteint d’une sérieuse cathare qui pourrait bien devenir chronique. On vit avec cela...

Les récentes nouvelles de Paul étaient excellentes et le montrait dans un lieu inconnu mais parfaitement tranquille. Il faut croire que le benjamin des Prat est également hors des zones dangereuses car, apprenant la présence de Suzanne à Paris, il l’invite à lui faire visite. Alors demain notre belle-sœur, au lieu de regagner la Trinité ira se jeter dans les bras du dragon. Et pendant ce temps là sa mère gagnera Besançon où elle est réclamée avec insistance pour raccommoder des chaussettes.

Vendredi 3 Mai

L’insuccès chez les marchands de tabac a été moins complet aujourd’hui que Vendredi dernier.

Lundi 6  Mai

On se croirait en été ce matin. Il fait un joli temps de soleil et nos jardins ont déjà une verdure épaisse que les grappes de marronniers commencent déjà à égayer. Ce mois et le suivant sont les plus jolis de notre installation.

Dernière séance de catéchisme ce matin ; l’institutrice pousse un soupir de soulagement encore plus profond que celui des élèves. Cependant je m’étais un peu attachée à quelques-unes de mes 25 petites buses et j’ai senti l’attendrissement d’un vague regret en faisant réciter celles là pour la dernière fois

Mardi 7  Mai

Nouvelles du Coin ! La maison est devenue très belle... au goût de Md Desseux. C’est effrayant ! on a dû tout saccager. D’ailleurs les renseignements complémentaires achèvent mon épouvante et mon regret. Mais ne mélancolisons pas !... Et puis, je ne devrais pas aimer le Vieux Clos. Il faut au contraire, de toute ma volonté, chasser son troublant souvenir qui pèse d’un poids très lourd, horriblement lourd sur le rêve St Chamond que je désire malgré tout conserver au « jardin secret » de mon âme.

La famille Desseux  s’informe de la santé d’Henri après son accident. Si j’étais méchante je dirais qu’on désire savoir s’il n’est pas embusqué en ce moment dans quelques coins d’hôpital ou de Dépôt ! L’honorable Dédé est retourné au camp d’Avrod après une chute grave de l’aviateur dont il était ordonnance.

Hier, visite rue Las-Cases. Papa a fait dimanche ses premiers pas sur le boulevard Saint Germain, il dîne maintenant à table et monte chaque jour passer quelques heures dans son bureau. Enfin la chrysalide est devenue papillon ; il est sorti de sa robe de chambre grise et cette tenue d’hôpital est remplacée par un élégant veston qui donne à notre cher papa l’allure d’un homme bien portant et plus jeune que son âge.

Mercredi 8 Mai

Un drame boulonnais occupe les pensées et les langues d’ici. Cross, le marchand de meubles du boulevard de Strasbourg, s’est suicidé en se jetant dimanche soir dans la Seine. Rien de passionnel dans cette histoire. La pauvre mère Cross pleure à cœur fendre le père Cross, modèle des époux. Ces gens, juifs d’origine allemande, ne m’intéressaient nullement et même m’étaient un peu antipathiques avant le drame.

Maintenant, il y a dans mon âme une pitié pour eux. Ils sont les victimes de la méchanceté, de la jalousie, de la médisance des Boulonnais. Depuis le début de la guerre on leur faisait ici une existence horrible et la semaine dernière la méchanceté a eu de tels raffinements, que la coupe a débordé... Ce qu’il y a de pénible, c’est que les notables du pays, comme Guibourg et Binier étaient à la tête de cette brimade qui a tourné si tragiquement.

Vendredi 10 Mai

Une petite carte m’apporte ce matin ta pensée de dimanche dernier. Elle a été un peu longue à venir mais... mieux vaut tard que jamais, dit le proverbe et elle ne m’en est que plus chère.

Par une petite carte reçue ce matin d’Henri, le point pour l’instant est fixé, très bien fixé, d’une manière qui m’angoisse mais dont j’aime la précision. Merci de ne pas être traitée en bébé auquel on cache le danger et même son approche. Leurs batteries vont sans doute donner bientôt de la voix ; je pense à mon mari en priant de tout mon cœur.

J’espère que Dieu nous réunira encore sur la terre mais cela ne m’empêche pas de préparer – même de très loin – la vie de l’au-delà où les réunions seront complètement douces et sans fin. C’est le petit opuscule qu’il m’a laissé ici à son dernier passage et dont j’ai achevé la lecture qui m’inspire les saines pensées que je voudrais lui faire partager.

Samedi 11 Mai

Le beau temps a l’air de s’installer mais le retour désiré des beaux jours trouve la maisonnée peu brillante. Cricri est encore fiévreuse et voilà Pierrot avec une angine pultacé. Anna traîne la grippe, je me sens moi-même toute patraque. Ce ne sont cependant que des malaises passagers dont tout le monde sera guéri rapidement.

Nous sommes dégagés maintenant de tout secret au sujet de l’affaire Sandrin car on en parle ouvertement ici. Le bon Loulou n’a pas pu s’empêcher de l’annoncer à sa concierge et la loge de Mariette n’est pas le tombeau des secrets. Toutefois, comme il ne m’est encore venu aucun avis de Noirmoutier je ne parle de rien en adressant là-bas les images de première communion. Il est entendu que Madeleine doit avoir un fils pour faire comme Adrienne. Elle le désire d’ailleurs beaucoup elle-même et une seconde Zézette serait une grosse désillusion.

Les journaux nous préparent à de grands et prochains coups. En les attendant mon cœur bat la breloque… quand donc pourra-t-il sonner joyeusement la berloque.

Lundi 13 Mai

Notre temps se passe à l’Eglise. Ayant quitté la maison à 8hrs ce matin, nous n’y rentrons qu’à 10hrs ½ pour en repartir à 2. Ces exercices de retraite sont véritablement un peu exagérés pour des enfants aussi jeunes.

Nous voici rentrés dans l’air des restrictions annoncées. Les jours sans viande commencent cette semaine juste pour la première communion des petites. Et il est important de prendre quelque chose d’avance car la carte d’alimentation n’alloue que 2OOgrs de viande le mardi. Il faut donc se résigner à faire maigre à moins de recourir au cheval qui, je pense, reste autorisé.

Un mot de Paul me montre mon jeune beau-frère faisant un peu de neurasthénie. Il ne semble pas aussi assuré que sa femme de toucher bientôt la permission fiévreusement désirée.

Mardi 14 Mai

Les lettres d’Henri mettent maintenant 7 jours pour me parvenir. C’est mortel ! L’agitation dans laquelle je vis ne me permet heureusement pas de rêver beaucoup et mon imagination ne se crée pas trop de catastrophes. Et par bonheur aussi mon temps est partagé de telle sorte que j’en passe la majeure partie à l’église en prières.

Hier, visite très inattendue de Charlotte par un temps de chien ; elle venait apporter à Cricri un mouchoir de la part de Jean. Elle m’a donné de bonnes nouvelles de nos parents mais elle m’a raconté qu’Albert avait failli avoir un œil crevé ces jours-ci à Satory. Un madrier lui a fendu l’arcade sourcilière ; il a beaucoup saigné, a dû aller à l’infirmerie mais cet accident n’aura pas de suites.

Mercredi 15 Mai

Comme la poste est inégale ! La lettre d’Henri des 10 et 11 est ici après quatre jours seulement de trajet alors que la précédente en avait mis sept !... Cri Cri est tout heureuse des pages qu’elle vient de lire. Elle est vraiment gentille et touchante et sent l’absence de son papa plus vivement que je ne l’aurais cru. Après avoir trouvé ma fille bien linotte, voilà que j’ai un peu peur de la deviner trop profonde. Elle aussi souffrira !

Les choses sont arrangées pour la communion de Cri Cri, nous déjeunerons tous chez Maman et je m’occuperai du repas pour qu’il soit convenable. J’espère que notre chérie garde un lumineux souvenir de cette fête.

Jeudi 16 Mai

Plus que jamais le temps est mesuré pour nous aujourd’hui. Depuis cinq heures du matin, l’agitation règne au logis. C’est fête ! Il faut que Cri Cri soit heureuse, qu’elle conserve un merveilleux souvenir de cette journée. Par bonheur, le Bon Dieu nous aide puissamment, il ensoleille à la fois l’âme de notre chérie et le ciel. La retraite a largement épanoui la fleur de mysticisme que malgré son air calme et son sens pratique ma fille porte en elle. Quant au temps il est superbe et c’est miracle après la vilaine période que nous venons de traverser.

Vendredi 17 Mai

La matinée a été surchargée. L’orage monte. Le ciel s’encombre de nuages et il me semble que la journée ne se terminera pas sans eau.

L’arrière est bien agité par les grèves. Nous sommes ici aux premières loges pour le voir. On s’attend à des drames plus terribles aujourd’hui car les gendarmes, dragons et municipaux qui gardent les usines d’en face ont consigne de tirer si les incidents d’hier se renouvellent. Hier les bandes qui ont défilé devant nous ne semblaient pas vouloir s’en prendre à d’autres qu’à ceux qui travaillaient. Il y a beaucoup de femmes parmi les grévistes, ce sont elles qui hurlent le plus fort et qui sont les plus vilaines.

Dimanche 19 Mai

« 80 divisions allemandes sont massées sur le front franco-britannique se préparant à une ruée prochaine. » Voilà ce que les journaux disent. Et toute ma vie est concentrée sur un petit point de ce front, toute mon âme frissonne...

Mardi 21 Mai

Je me suis levée tôt et je vais partir prier à la messe. Ici, tout va bien, sauf une vilaine Manon qui paie l’accumulement de fatigue des derniers jours.

Les enfants sont en vacances jusqu’à demain matin et naturellement nos fils d’une race de tyrans n’admettent pas que je m’occupe d’autre chose que d’eux pendant leurs vacances. Par bonheur, ils ne s’entendent pas : l’un veut passer la journée à Paris, l’autre réclame une grande promenade dans les bois... et s’ils ne se mettent pas d’accord, nous resterons tranquillement au jardin, comme hier. Je n’en serai pas fâchée.

Mercredi 22 Mai

Je suis sûre que ma pensée et mes prières se sont unies à celles de mon mati aujourd’hui dans le souvenir de sa chère Maman. Je crois qu’elle a conservé pour lui une immense affection au-delà de la Vie et j’ai confiance dans l’ardeur efficace de ses supplications pour son Henri. Plus près de Dieu, elle doit mieux en être écoutée. Et puis sa prière n’est-elle pas plus éclairée que celle d’une âme encore lointaine et trop enténébrée par des considérations terrestres. Tout ce que mon cœur contient de tendresse pour lui je le lui confie pour qu’elle en appuie devant Dieu se propres vœux.

Encore une alerte cette nuit. Les tirs de barrage ont eu une violence inaccoutumée. La grosse voix du Mont Valérien secouait toute notre maison. Mais on dit que cette défense fut efficace et empêcha les avions de survoler la capitale. Ils jetèrent leurs bombes dans la banlieue et je ne serais pas étonné que ce soit cette fois dans nos parages car les éclatements m’ont à plusieurs reprises semblé assez proches.

Ici, le temps, merveilleux depuis huit jours, semble se mettre à l’orage.

Vendredi 24 Mai

Il se confirme que Boulogne a été survolé l’avant dernière nuit. Des bombes sont tombées aux Moulineaux et au Point du Jour. Notre localité, fortement arrosée par les shrapnells de la défense, n’a conservé aucune trace du passage du méchant oiseau mais il ne faudrait pas enlever aux Boulonnais « leur avion » ; ils en sont trop fiers.

N’y en aurait-il donc que pour les gens de la capitale ? Il est juste que l’on soit ici à l’honneur, tout comme les autres. Hier, Lili et Pierre se disputaient. Ils prétendaient tous deux que le Gotha était passé « juste au-dessus de leur maison » sans vouloir admettre que le toit de l’autre ait pu avoir le même privilège. Tout le monde a vu l’avion boche et le décrit avec complaisance. J’avoue humblement ne l’avoir qu’entendu, mais de son perchoir Madame de Gourcuff a suivi l’impressionnante chasse qui s’est déroulée sur nos têtes.

Hier pèlerinage de la paroisse à Montmartre. En leur qualité de Première Communiante, Annie et Cri Cri en faisaient obligatoirement partie. Le temps est moins chaud, le vent vient du Nord...

Samedi 25 Mai

La population des usines est rentrée dans le calme, au moins pour le moment. Comment les choses se sont-elles arrangées ? Impossible de le dire... parce que je l’ignore. Sont-ce les grévistes qui ont cédé par patriotisme ou par frousse ? Est-ce la Gouvernement qui s’est incliné devant la force de l’émeute ? Les journaux ont soigneusement évité ce thème brûlant et nous serions mauvais Français si nous ne nous réjouissions pas du résultat acquis : les moteurs marchent, les courroies de transmission ont été remises, l’usine revit, nous tenons.

Naturellement, entre nous, on peut avouer que le présage n’est pas sans gravité : une révolution est presque certaine. Ce qu’il faut, c’est qu’elle n’éclate pas avant la Victoire. Et ce recul imposé a l’inévitable mérite d’être payer un bon prix. Petit à petit, nous descendons les échelons du bonheur et de la sécurité. Quand arrivera l’heure de la grande secousse, nous ne tomberons plus de bien haut.

Dimanche 26 Mai

J’ai fait la paresseuse ce matin, avec l’excuse d’une réelle lassitude.

Une carte d’Albert m’apprend qu’il est enfin en permission. Il est allé rejoindre sa femme à Aix-les-Bains et ne passera que quelques heures à Paris au voyage de retour. Il faudra que nous prenions rendez-vous pour ne pas nous manquer. Le plus simple aurait été la réunion rue Las-Cases mais nos parents ne reçoivent plus et je ne sais même pas si Paul sera accueilli à la table de famille. En tout cas, j’aurai tort d’escompter une invitation. Certes, le régime actuel crée des difficultés alimentaires mais Madame Morize ne se soucie certainement pas de les résoudre. Cela me fait un peu de peine de n’avoir pas depuis trois mois rompu le pain et partagé le sel dans le nid familial et pourtant je ne suis guère pique assiette. C’est une si petite misère que ce serait ridicule de m’en attrister. Gardons les fleurs sombres de mon cœur pour des choses plus sérieuses.

Juin 1918

Samedi 8 Juin

Le calme, le vrai calme ne reviendra pas sans doute de longtemps dans une région trop près des lignes et surtout très visée par l’ennemi mais il y a quand même des moments moins durs les uns que les autres. Ainsi cette semaine est très réellement préférable à la dernière. La stabilisation qui s’est opérée sur le Front est pour beaucoup dans l’allègement de nos angoisses.
Mais je ne me laisse pas envahir par de trop belles illusions, je sais que ce n’est qu’un rêve et je la mets à profit pour installer la maison en vue d’une absence prochaine. Dès que j’aurai les réponses de la Trinité et de St Dizier, j’organiserai et fixerai le départ. Une malle est partie pour la Bretagne au moment où tout le monde s’imaginait que la fuite allait s’imposer mais les gares n’acceptent plus maintenant les bagages non accompagnés (ni en grande, ni en petite vitesse) il faut donc se résigner à attendre le dernier moment.

Pierre s’est pris hier au soir le doigt dans sa carabine à air comprimée. L’accident aurait pu être grave, j’espère qu’il s’en tirera sans infirmité car aussitôt après avoir dégagé le pauvre médium de la main  droite j’en ai fait jouer toutes les phalanges. Aussitôt après, il s’est mis à enfler et il est maintenant raide et énorme. Sauf cette ennuyeuse histoire, les chers petits vont tous bien. Et le beau temps continue.

Dimanche 9 Juin

Une visite de Maman qui a discuté longuement sur l’opportunité d’enterrer l’argenterie avant mon départ a bien diminué mes loisirs que je comptais consacrer ce matin à ma correspondance.

Les journaux sont très rassurants mais disent tous qu’un nouvel effort de l’ennemi sur Paris est à prévoir ; je songe donc très sérieusement à éloigner les enfants avant les nouveaux coups de bélier mais il me faut attendre les deux réponses de la Trinité et de Saint-Dizier. Elles ne peuvent guère arriver avant mardi prochain. Armons-nous donc de patience, la menace s’est éloignée.

Pour Emmanuel aussi la période d’angoisse est passée. Il est encore sorti indemne des combats. Une carte du 7 dit ce matin qu’il ne faut plus se tourmenter à son sujet. Sans doute qu’après avoir donné son régiment, il est maintenant mis au repos.

Mercredi 12 Juin

Une visite de Madame Le Doyen et de Suzanne vient d’abréger considérablement les loisirs de ma matinée. Ces dames sont parties subitement hier au soir de la Trinité en recevant une lettre du foudre de guerre de Besançon. Ce poilu à tout crin s’imagine que dans peu de jours Paris sera à feu et à sang. Il désire sauver quelques papiers et quelques souvenirs de famille et il envoie sa femme et sa fille les chercher. Tout ce qu’on entend ici est de nature à faire peur et le spectacle des gares est affolant.

Si je n’avais pas les enfants, je renoncerais à quitter Boulogne par cette panique. L’ennuyeux de Bertha est ce qui m’émeut le plus mais depuis longtemps déjà elle ne montre sa méchanceté qu’aux gens de quartiers assez lointains pour que j’ose laisser mes chéris aller et venir dans Boulogne. Je les conduis rarement à Paris et lorsque j’y vais pour des courses indispensables, je prends des précautions.

Jeudi 13 Juin

Oh ! Que ma science est cruelle, surtout depuis le communiqué d’hier au soir ! Mais je ne m’en plains pas et je prie de toutes mes forces. Mes fils sont partis ce matin à 6 heures avec leur collège pour un pèlerinage à Montmartre et je vais aller à Notre Dame des Victoires. Que le Ciel est pitié !

Ici, rien de nouveau. L’heure passe, rapide et lente à la fois. Je la sens peser lourdement, ce qui ne m’empêche pas de la trouver trop courte pour ce que je voudrais faire. Enfin, les choses s’organisent un peu et je crois que nous pourrons partir la semaine prochaine. Ce qui m’impressionne, c’est de voir tout ce qui se prépare ici en vue d’un bombardement et d’un siège. En 1914, on n’avait pas pris de telles précautions.

Vendredi 14 Juin

Oui, nous avions confiance, le flot en fureur ne viendra pas jusqu’à nous. Mais quels dégâts fait-il là bas ? L’effort ennemi ne peut se prolonger indéfiniment sur les mêmes points.

Vendredi 14 Juin - soir

Aujourd’hui j’ai déjeuné rue Las-Cases. Les préparatifs militaires de Paris impressionnent la famille qui reparle de départ. Seulement une brusque saute de vent a ramené les projets vers la Bretagne, il n’est plus question de Vichy. Madame Le Doyen et Suzanne se sont rembarquées tout à l’heure pour la Trinité ; elles feront leur possible pour que notre maison soit prête à nous recevoir Samedi prochain ou Mardi 25 Juin au plus tard.

Je commence à désirer la fin de cette existence énervante mais à la Trinité comme ici, il n’y aura de calme pour moi que lorsque je saurai mon mari sorti sain et sauf des dangers courus cette semaine. Voici notre adresse à la Trinité : chez Madame Baron – Kérino – La Trinité s/mer – Morbihan.