26 Janvier 2005

L’air est froid et vif, le vent ne souffle pas dans la forêt profonde entre les hêtres et les chênes centenaires. Une fine couche de poudreuse blanche saupoudre les vestiges de l’automne et nous cherchons sur le sol gelé les signes de présences mystérieuses. Nous avons ralenti notre allure et n’échangeons que de rares paroles pour signaler des empreintes fraîches tout en restant aux aguets. De temps en temps, une halte, un tour d’horizon avec les jumelles et nous reprenons notre marche précautionneuse sur les sentiers forestiers.

Nous sommes partis en fin de matinée vers 11 heures de chez Philippe, bien emmitouflés, gantés, bottés, sac au dos avec les boissons chaudes et le pique-nique, appareils photos dans la poche avec l’intention d’apercevoir de grands animaux regroupés en hardes au creux de l’hiver. Nous marchons depuis une petite heure quand, sur notre droite à 30 m, quatre chevreuils, couchés sur un tapis de feuilles mortes, s’effrayent de notre présence et s’éloignent rapidement en bondissant. Leurs zigzags ne nous laissent bientôt plus entrevoir que leurs postérieurs teintés de blanc (la serviette) et s’ils n’avaient été aussi craintifs nous ne les aurions probablement pas détectés. Nous continuons notre avancée pour atteindre une partie de la forêt plus accidentée et décidons de faire notre pause « casse-croûte » au pied d’un grand hêtre sur une hauteur qui nous procure une belle vue au dessus d’un vallon, avec en arrière-plan une petite colline également boisée. Assis sur la mousse et adossés à l’arbre nous jouissons de la tranquillité du lieu seulement troublé par le chant de quelques passereaux pas trop frileux pendant que nous savourons notre chocolat chaud. Philippe, par habitude, fait un balayage à la jumelle de notre environnement et me signale l’arrivée silencieuse de quelques biches se déplaçant lentement à une centaine de mètres sur le flanc de la colline face à nous.  Je peux les voir à l’œil nu et nous en décomptons environ une dizaine qui se délectent de faînes de hêtres. Elle ne nous ont pas repérés, aucun vent ne peut nous dénoncer et nous restons immobiles et silencieux pendant toute notre pause, ce qui nous permet de les admirer pendant presque ¾ d’heure. Nous ne pouvons prendre de photos car elles sont trop éloignées mais nous assistons à leur allers et venues bien que gênés par des broussailles qui font de temps en temps écran entre elles et nous.

D’un commun accord, nous décidons après notre repas d’essayer de descendre dans le vallon et de nous rapprocher d’elles pour prendre des clichés. Nous entamons notre descente à petits pas et nous faufilons entre les troncs et les branches basses avec des ruses de « sioux » jusqu’à une cinquantaine de mètres de distance mais notre approche n’est pas assez discrète et les biches en éveil dressent la tête et s’enfuient promptement. C’est alors que nous voyons des dizaines d’animaux au repos se lever de derrière les ronciers et  filer en toute hâte de leur démarche altière ; nous avions levé une grande harde  d’une soixantaine de têtes !  Aussi surpris qu’elles, nos cœurs battent devant cette vision qui s’éloigne vers notre gauche. Heureusement, la harde fait halte un peu plus loin et nous pensons appliquer une stratégie d’encerclement afin de multiplier par deux nos chances de les photographier. Je dois monter sur la colline par la droite et Philippe doit suivre par le vallon sur la gauche afin d’essayer de les approcher suffisamment lui-même ou de les repousser vers moi lorsque la harde va s’enfuir à nouveau. Je prends mes distances et me tiens prête sur la colline, dissimulée plus ou moins derrière les fûts des arbres mais je n’aperçois aucun animal venant dans ma direction.  Au bout d’une vingtaine de minutes, Philippe a terminé sa boucle dans le vallon et me rejoint rapidement sur la hauteur avec de grands signes ; il me dit que la harde s’est éloignée de la colline, a traversé un chemin, est entrée dans un bois  bordé par une petite route d’un côté et par un grillage plus loin en bordure de plaine. Nous partons à grands pas dans cette direction, presque certains de la retrouver dans cette zone ou, tout au moins, d’en apercevoir les traces. Que nenni ! Dans le bois nous débusquons un marcassin mais point la harde qui s’est volatilisée ! Nos interrogations sur la direction qu’elle a pu prendre nous laissent à penser qu’elle a pu rebrousser chemin et repartir vers les collines où elle a ses quartiers en ce moment.

Nous décidons de prendre cette direction et d’essayer de la retrouver. Nous randonnons un bon moment par les pistes forestières dans l’air vif qui rosit nos joues, tout à la joie de cette traque. Arrivés sur une hauteur, je remarque que cette partie de forêt est fort bien entretenue d’après le nombre élevé des souches d’arbres abattus et je commence à signaler à Philippe qu’il nous faut être attentifs car nous dominons un vallon, quand brusquement les « souches » à flanc de colline deviennent mouvantes et je n’ai que le temps de montrer avec mon bâton la direction de fuite éperdue des animaux. Philippe s’étant retourné vers moi pour m’écouter poliment, nous perdons quelques précieuses secondes et, pris de court, nous ne pouvons qu’assister à la course de 8 biches et 4 cerfs qui gagnent le sommet du vallon en serpentant au milieu de la futaie. Je me traite de « bigleuse » pour avoir confondu de grands animaux couchés avec des souches mais je m’attendais à voir un « troupeau » d’une soixantaine de têtes et non pas de grosses tâches rousses. A ma décharge il faut signaler que tout ceci s’est déroulé en moins de 3 secondes et que les animaux étaient à environ 70 mètres de nous mais, tout de même, je m’en voudrais longtemps de cette confusion. Nous remontons également le vallon sur les traces très visibles de cette troupe, cette fois-ci bien sur nos gardes, à l’affût du moindre signe de présence ou de mouvement. Echaudés par notre expérience précédente, nous redoublons de prudence et arrivons lentement sur une bosse de terrain ; Philippe, connaissant les lieux et sachant qu’un creux tout proche peut dissimuler cette troupe, s’apprête à me le signaler lorsque nous nous trouvons « nez à naseaux » avec des biches.

Nous nous aplatissons au sol pour nous cacher mais trop tard, les animaux détalent et, dans un grand froissement de feuilles, nous voyons défiler devant nos yeux ébahis une autre harde de moindre importance que la première. Nous enlevons frénétiquement nos gants pour saisir appareils photos et jumelles  mais peine perdue : elles sont déjà trop loin devant nous et nos photos seront trop floues.

Nous poursuivons sans tarder notre chemin derrière cette petite harde, bien décidés à ne pas la perdre de vue. En effet, nous la retrouvons sur le flanc de la colline où nous avions pris notre pique-nique et aperçu la grande harde.

Ce groupe déambule maintenant tranquillement dans ce coin propice au grignotage des faînes et, rassuré par notre immobilité sous les branches basses, reprend ses occupations nous permettant de l’observer à loisir. Dans ce groupe on dénombre de magnifiques bêtes,  4 cerfs et 13 biches, et nous décidons de nous rapprocher par « la bande » en les contournant pour ne pas attirer leur attention. Peine perdue, elles sont vraiment trop malignes pour nous et lorsque nous arrivons près des lieux où elles devraient se trouver, c’est le désert ! Nous ne les avions presque pas quittées des yeux mais elles s’étaient faufilées  derrière un rideau d’arbres et avaient disparu à l’opposé, de l’autre côté de la colline, du moins c’est ce que nous supposions. Qu’à cela ne tienne, nous attaquons encore la montée d’une colline, nous ne les comptions plus depuis le matin, mais en cours de route nous rencontrons un couple de notre connaissance également à la traque et arrivant de la direction opposée. Ceux-ci nous informent qu’ils n’ont vu que 2 chevreuils et nous confirment qu’aucune harde ne semble être passée dans leurs parages. Après quelques minutes de conversation nous nous quittons et rebroussons chemin car il est déjà 16 h et nous décidons d’entamer un quadrillage de cette partie de forêt tout en nous rapprochant petit à petit de notre point de départ. Pendant une heure, nous déambulons discrètement mais nos recherches ne sont pas couronnées de succès bien que de nombreuses traces témoignent des passages fréquents de grands animaux. Nous tombons de temps en temps sur des bauges à sangliers puis nous nous rapprochons d’un coin ou 2 « affûts » ont été dressés par des personnes en traque ou des photographes amateurs. C’est à cet instant que nous retrouvons la grande harde d’une soixantaine de têtes qui n’avait probablement fait qu’une incursion dans le bois pour en ressortir aussi vite et longer la route afin de revenir dans la partie plane de la forêt au bas des collines, lieu de prédilection où elle se sent en sécurité.

Nous l’apercevons d’assez loin, une bonne centaine de mètres, et nous nous séparons à nouveau pour faire la « tenaille » afin que l’un de nous puisse s’en trouver suffisamment proche. Je marche un bon moment sans rien apercevoir et je me retrouve sur un bord de route près d’un poteau indicateur. Philippe a contourné la harde mais celle-ci n’est pas venue dans ma direction et n’a pas non plus « sauté » la route, elle a fait volte-face pour repartir rapidement vers la droite et, compte tenu de l’heure tardive, nous décidons de ne pas  poursuivre notre traque et de rentrer l’esprit en paix et les  yeux émerveillés.

Quelle journée ! De belles rencontres et des occasions d’observer ces magnifiques animaux dans leur milieu naturel. Les amateurs de randonnées comprendront combien nous sont chères ces balades toujours renouvelées, aucune n’étant semblable à la précédente et, si par hasard nos traques ne sont pas couronnées de succès, nous faisons provision d’un air bienfaiteur. Protégeons nos forêts  et nous connaîtrons encore de belles journées de randonnées.

                                                                                    Raulet Caumes Jocelyne


LA BICHE

(Poème d’une petite-fille prénommée Marie-Eve.)

Je suis une petite biche

Qui n'est pas bien riche

J'habite une grande forêt

Qui tranquillement se défriche.

Ma seule peur c’est les humains

Ces êtres avec des mains

Qui en un instant peuvent tout saccager

En un simple coup de pied.

Comment moi un simple animal

Peut décourager les humains de faire le mal

Protégeons cette planète

Qui se transforme tranquillement en mégot de cigarette.