Les journaux des tranchées

(03 Juillet 1915)

Les journaux du front, d’après l’Argus de la Presse, qui en fait un relevé complet, sont au nombre de 43. Ils s’appellent :

A mon sac, l’Autobus, le boyau (organe du 115ème), le Canard poilu, la Chéchia, le cri de guerre (organe de la 103me brigade d’infanterie, le Cri de Vaux., le Diable au Cor (de la 3ème brigade de chasseurs alpins), l’Echo de l’Argonne, l’Echo des boyaux, l’Echo de 17ème territorial, l’Echo des Gourbis, l’Echo des Guitounes (du 144ème), l’Echo des Marmites (du 309ème), l’Echo… Rit… Dort, l’Echo du Ravin (journal du secteur 16), l’Echo des Tranchées (du 18ème territorial – directeur : M. Paul Reboux), l’Echo des Tranchées britanniques, la Gerbe, la Gazette des Tranchées, la Girouette e Montmartre, le Hareng verni, les Imberbes, le journal des Poilus, le Journal de route, le Lapin à plumes, Marmita (du 267ème), le Marcheur du 88ème, le Petit Boyau, le Petit Echo du 13ème territorial, le Poilu (journal des tranchées de Champagne), le Poilu (organe du 203ème), le Poilu enchaîné, le Poilu grognard, la Rascasse territoriale, le Rigolboche, le Son du Cor, le Sourire de l’Argonne, le Torpilleur (du 70ème territorial), le Tournebroche, le Troglodyte, la Voix du 75, la Woëvre joyeuse.

Mr Surboche (Carl Schroeuez)

« Quand nous aurons abaissé nos ennemis et confisqué leurs territoires, si l’un quelconque des anciens indigènes, qu’il soit Anglais, Français, Italien, Américain (sic) ou tout autre de race inférieure, élève la voix plus haut qu’un soupir, nous le briserons contre terre.

« Et après que nous aurons démoli ces cathédrales vermoulues et autres constructions hideuses, y compris les temples de l’Inde et autres contrées païennes, nous construirons des cathédrales bien plus grandes et des temple autrement splendides pour honorer notre noble kaiser et les grands actes de son peuple, destructeurs des races pourries du monde.

« Oh ! combien nous sommes reconnaissants que Dieu ait choisi notre grand et incomparable kaiser et son peuple pour accomplir cette grande mission car Darwin n’a-t-il pas dit (et il a dû rendre cette idée de nos grands professeurs allemands) que le mieux adapté seul doit survivre. Et les Allemands ne sont-ils pas les plus capables en tout ? Aussi, nous autres Allemands, disons-nous : «  Que les charognes pourrissent, il n’y a d’hommes nobles que les Allemands. »

Prédictions du colonel Harrison sur la guerre

Le colonel américain Harrison vient d’émettre sur la marche et la durée de la guerre les pronostics suivants qui ont obtenu grands succès aux Etats-Unis :

Juillet

Occident. – Pas de changement. Initiative des manœuvres aux Français.

Italie. – Elargissement du front italien qui absorbe un nombre double d’ennemis.

Russie. – Grande offensive allemande dans la région de Varsovie. Repliement des Russes en Pologne.

Orient. – Progression très lente aux Dardanelles, en Arménie (région Mer Noire). En Mésopotamie, coopération italienne aux Dardanelles.

Août

Occident. – Sans changement. Accentuation de la dépense en munitions. Renforcement et extension de la ligne anglaise.

Italie.Investissement de Trieste et de l’Istre (Pola).

Russie. – Arrêt de l’offensive allemande (manque d’hommes). Attaques locales serbes. Organisation de l’Union Balkanique. Déclenchement de la Roumanie.

Orient. – Déclenchement de la Bulgarie.

Septembre

Occident. – Offensive générale menée par les Allemands. Dépense effroyable de munitions.

Italie et Russie.Jonction du front méridional : Italie – Serbie – Roumanie. Offensive générale contre l’Autriche. Marche en avant des Russes (aux deux ailes).

Orient. – Effondrement de la Turquie. Chute de Constantinople. Ouverture des Dardanelles.

Octobre

Occident. – Arrêt de l’offensive allemande. Ils commencent d’eux-mêmes à rectifier leur front, opération accélérée par l’offensive française. Léger arrêt à la fin du mois sur la ligne Ostende-Maubeuge-Ardennes-Luxembourg-Metz-Strasbourg.

Italie et Russie.Reprise de la Galicie par les Russes. Invasion de la Hongrie des trois côtés. Départ du gouvernement autrichien qui se réfugie en Allemagne. Recul des Allemands en Courlande et en Prusse Orientale.

Orient.Fin des opérations turques. Une grande partie du corps expéditionnaire, devenue inutile, revient en Europe.

Novembre

Occident. – Nouveau recul allemand ; le front linéaire se rompt en trois ou quatre fragments.

Italie et Russie. Recul des Allemands en Pologne qui découvre la Silésie. Invasion de l’Allemagne.

Décembre

Occident. – Arrivée des Français devant le Rhin.

Italie et Russie. Demande d’armistice par les Allemands.

Pour l'union sacrée

(16 octobre 1915)

La séance de mercredi, cet assaut furieux donné au ministère, n’a produit aucune idée utile à la patrie. La discussion fut violente et sans force. Dans ce triste après-midi, un incident s’est prolongé d’une manière indéfinie dont il faut que je parle. J’ai attendu cinq jours afin d’échapper à la première animation. Les circonstances nous ordonnent de voir clair, mais en même temps de tout pacifier. Nous ne projetterons de lumières sur ce coin d’ombre que pour l’assainir.

Vers six heures et demie, M. Pugliesi-Conti était à la tribune, et il lisait une déclaration expliquent pourquoi il mettrait dans l’urne un bulletin en faveur du ministère.

Il donnait ses raisons et non celles de ses contradicteurs. Ceux-ci devaient-ils s’en indigner ? C’est l’usage de laisser se développer en paix ces « explications de vote ». Elles ont un intérêt restreint et arrivent à l’heure où la discussion générale est épuisée. Pourtant une partie de l’Assemblée poursuivait le député de Paris, phrase par phrase, de ses huées. Soudain quelqu’un lui cria :

« Vous vous êtes fait réformer »

Le signal était donné. En moins d’une minute, ils furent là une centaine, qui entouraient cet homme de 56 ans, l’assaillaient de quolibets et d’injures, lui criaient : « Réformé ! Réformé ! » et lui reprochait de n’être pas dans les tranchées.

Très ému, l’honorable député voulut s’expliquer. Il le fit au milieu d’un effroyable tapage qui couvrait et, si j’ose dire, dépeçait sa justification.

« Au début de cette guerre, dit-il, malgré mes cinquante-cinq ans, j’ai considéré qu’il était de mon devoir, bien que n’ayant jamais fait de service militaire, de me mettre au service de la défense nationale. Il est vrai qu’au bout de quatre mois d’effort, mes forces m’ont trahi, et que je me suis trouvé proposé d’office, par deux conseils de réforme, pour la réforme numéro 2. »

Paroles très simples, nullement irritantes, d’évidente vérité, qui lui valurent un redoublement d’injures et de lazzis. Le Journal Officiel a justement refusé de les enregistrer. Et lui, à travers cette foule d’outrages, il regardait ses assaillants. Les uns, ils les voyaient plus jeunes que lui et par suite ayant l’âge légal d’être à l’armée, et par suite partageant sa honte, si c’en est une, à cinquante six ans de siéger à la Chambre.

Alors, à demi étranglé de fureur, submergé, à demi noyé sous cette mer de méchanceté et d’hypocrisie, il fit, par mots entrecoupés, appel à l’idée de justice :

« Ceux qui sont ici capables d’impartialité jugeront mon cas et celui d’hommes jeunes, plein de vigueur et de santé, d’hommes de trente ans, qui, malgré la loi que vous avez votée, et contrairement à toute espèce de notion du devoir patriotique et militaire, traînent sur ces bancs leur prudence te leur culotte ».

Que voulez-vous reprocher à cela ? C’est le langage du bon sens. La terrible réplique s’en allait droit crever l’abcès. Comme le Journal Officiel, nous cacherons le flot de pus qui jaillit alors vers la tribune. Le compte-rendu in extenso se borne à mentionner que Pugliesi  Conti de nouveau se déclara :

« J’ai en face de moi de lâches insulteurs que je mets en demeure. Si quelqu’un d’entre eux a au cœur quelque courage et quelque notion de sa responsabilité, qu’il se fasse donc connaître »

Au pied de la tribune, un jeune nègre répondit à grands cris, d’une voie agile : « Tous, tous, tous. » Et le chœur lui faisant écho, dans une bamboula joyeuse, répétait : « Tous, tous, tous »

Qu’eussiez-vous fait à la place de Pugliesi-Conti ? Devait-il rester dans la poussière où l’on cherchait à le jeter ? Un grand esprit, vénéré dans les fastes du parlementarisme, Chateaubriand, lui-même a dit : « Si l’on vous donne un soufflet, rendez-en quatre, n’importe la joue. » Et d’un mouvement pressé, rythmé, haletant, ce courageux Pugliesi-Conti, que je ne savais pas si bel orateur, prononça en trente six lignes un des plus fiers morceaux que je connaisse dans la littérature parlementaire et dramatique.

« Vous êtes allé jusqu’à mettre en cause mon patriotisme, alors que, oubliant tout autour de moi, je suis allé m’engager comme soldat… Alors il m’est permis de demander à des hommes comme M. R… et tant d’autres, qui débordent de santé et de vie, de quel droit ils osent mettre en cause la réforme que j’ai dû subir. Oui, M. R…, vous êtes de ceux que le service militaire ne fera pas maigrir ! A votre âge et avec votre santé, que faites-vous donc ici ? Est-ce que votre présence sur ces bancs, messieurs, n’est pas votre meilleure réponse ? Et vous, monsieur M…, quel âge avez-vous ? Et vous, monsieur R…, et vous, monsieur V…, que faites-vous ici ?… »

De nos places, nous n’entendions rien dans ce tapage, mais nous v^mes de tous côtés des gestes hâtifs presser Deschanel de se couvrir, de lever la séance. Il saisit son chapeau, c’est le geste rituel, et quitta sa haute place. Derrière lui, tous dévalèrent dans les couloirs.

C’est un succès tactique. Le diable d’homme, demeuré seul, forcément se taisait. Mais comment obtenir un succès stratégique.. comment le mette en bas de la tribune ? Des messagers allèrent le sommer, puis le prier de descendre. Il refusa. On éteignit le plafond lumineux. Il s’obstina, debout dans le noir, près de son verre d’eau, bien résolu à ne pas abandonner son poste de tir qu’il n’eût épuisé toutes ses cartouches.

L’Assemblée cependant parlait dans les couloirs. Elle se sentait bête. Le temps s’écoulait ; l’heure du dîner avait sonné. L’homme était toujours là. Vers huit heures, on se résolu à revenir, à l’affronter. Et lui aussitôt, toujours affolé par cette odieuse tentative contre son honneur, de braquer sur ses insulteurs les m^mes arguments.

« J’ai suffisamment mis en valeur la réponse qu’il m’appartenait de faire aux lâches injures anonymes qui m’ont tout à l’heure assailli, sans que j’aie, malgré mes provocations, trouvé quelqu’un en face de moi, pour me déclarer satisfait. Il m’a suffi de comparer le rôle d’un homme de mon âge qui a voulu mettre au service de l’armée ce qui lui restait de forces et celui des éphèbes qui se cachent derrière leur mandat parlementaire pour déserter leur devoir patriotique ! »

J’abrège. Pour finir, Deschanel lui appliqua la censure, avec retenue de son indemnité parlementaire, peine que de toute évidence il eut fallu dès le début appliquer aux provocateurs. Nous fûmes quatre à protester contre ce déni de justice.

Tel fut l’incident, à la fois imprévu et préparé. Spectacle repoussant, mais qui n’allait pas sans grandeur. Nous n’en sommes plus à nous émerveiller du grognement des assemblées politiques. Un rien le change en un murmure flatteur. Il y a quelques mois, la Chambre prodiguait à l’une de ses gloires, à M. Ribot, des bottées d’injures, parmi lesquelles on a retenu avec étonnement l’épithète de « vieux sycomore de cimetière » ; aujourd’hui, elle lui met avec respect au col le collier d’or de ses louanges, ce collier d’or que les rois de Perse aimaient à suspendre au vieux palmier, près de la source où ils s’étaient désaltérés. Nous ne sommes pas si badauds de nous émerveiller de ces incohérences. Mais cette affreuse scène du mercredi 13 octobre demeurera comme une illustration par Goya de la fable du bon Lafontaine : Les animaux malades de la peste.

Il y a de la gêne au Palais Bourbon parce qu’on a négligé de régler à l’avance la situation du député en temps de guerre. Doit-il parler, doit-il se taire ? Son devoir l’appelle-t-il à l’armée ou bien au Parlement ? Cette indécision est le mal dont souffre à cette heure la députation.

Le lion tint conseil et dit : « Mes chers amis, - le crois que le ciel a permis – Pour nos péchés cette infortune – Que le plus coupable de nous – Se sacrifie aux traits du céleste courroux ; - Peut-être il obtiendra la guérison commune. »

Vous connaissez la suite : « Un loup quelque peu clerc, prouva par sa harangue – Qu’il fallait dévouer ce maudit animal – Ce pelé, ce galeux d’où venait tout le mal. »

Je n’oublierai jamais cette clameur de haro qu’ils jetèrent sur Pugliesi-Conti, mais elle n’aurait pas dû me surprendre. Nous étions prévenus qu’ils cherchaient à détourner sur quelqu’un qui leur fut antipathique les reproches qu’on leur adressait. Déjà des cris, des manœuvres, des approches avaient été remarqués et des malheureux avaient mis en circulation des mensonges qui furent dédaignés. Principiis obsta. Le nœud de vipère vient d’assaillir à l’improviste Pugliesi-Conti qui l’a broyé sous le talon. C’est bien. Mais je regrette que le président de la Chambre et les chefs de groupe, tenant mieux en main leur monde, ne trouvent pas le moyen d’exclure du Parlement, au cours de la guerre, ces mouvements de haine qui empoisonnent les séances et rapetissent les âmes.

Nous demandons l’union loyale, sans coups de poignard dans le dos.

Maurice Barrès

De l’académie française

Le jour des morts

(1er novembre 1915)

 « Que tous ceux dont le sang coula pour la patrie soient bénis ! Ils n’ont pas fait en vain le sacrifice de leur vie. Glorieusement tués en Artois, en Argonne, en Champagne, ils ont arrêté l’envahisseur qui n’a pu faire un pas de plus en avant sur la terre sacrée qui les recouvre. Quelques-uns les pleurent, tous les admirent, plus d’un les envie. Ecoutons-les… Tendons l’oreille : ils parlent. Penchons-nous sur cette terre bouleversée par la mitraille où beaucoup d’entre eux dorment dans leurs vêtements sanglants… Agenouillons-nous, dans le cimetière, au bord des tombes fleuries de ceux qui sont revenus dans leur cher pays… et là, entendons le souffle imperceptible et puissant que leur voix mêle, la nuit, au murmure du vent et au bruissement des feuilles qui tombent. Efforçons-nous de comprendre leur parole sainte.

Ils disent :

« Frères, vivez, combattez, achevez notre ouvrage ; apportez la victoire et la paix à nos ombres consolées. Chassez l’ennemi qui a reculé devant nous. Délivrez la France, vengez le droit, la justice et l’humanité outragées et ramenez vos charrues dans les champs imbibées de notre sang. »

« Ainsi parlent nos morts. Et ils disent encore :

« Français, aimez-vous les uns les autres d’un amour fraternel, et, pour être plus forts contre l’ennemi, mettez en commun vos forces, vos biens, vos pensées. Que parmi vous les plus grands et les plus forts soient les serviteurs des faibles. Ne marchandez point vos richesses ni votre sang à la patrie. Soyez tous égaux par la bonne volonté, la simplicité et le dévouement à la chose publique. Vous le devez à vos morts.

« Vous nous devez d’assurer, à notre exemple, par le sacrifice de vous-même, le triomphe de la plus sainte des causes. Français, pour payer votre dette envers nous, il vous faut vaincre, et il vous faut faire plus encore : il vous faut mériter de vaincre. »

 « Ainsi nos morts nous ordonnent de combattre : et de marcher résolument dans l’ouragan de fer vers la paix qui se lèvera comme une radieuse aurore sur l’Europe affranchie des menaces de se tyrans, et verra renaître, faibles et timides encore, la Justice et la Bonté étouffés par le crime de l’Allemagne.

« Voilà ce qu’inspirent nos morts à un Français que le détachement des vanités et le progrès de l’âge rapprochent d’eux. »

Anatole France

Le Poilu et l'Allemand

(du 15 au  novembre 1915)

Notre poilu, notre grenadier d’aujourd’hui est un héros, un guerrier admirable ; mais il est trop indépendant ; il n’est pas suffisamment soldat, c’est à dire l’homme discipliné qui, joint à ses voisins par les liens hiérarchiques de la soumission, forme les unités ordonnées et fortes. L’Allemand, au contraire, n’est pas guerrier. Il est individuellement très inférieur au Français ; mais il est soldat. Il a la discipline dans les réflexes de tout son être. C’est là sa force essentielle. Nous avons un peu oublié ce premier précepte de notre catéchisme militaire : «  La discipline faisant la force principale des armées, il importe que tout supérieur obtienne de ses subordonnés une obéissance entière et une soumission de tous les instants. » Il nous faut le rapprendre.

Général Cherfils

Emouvantes prières de soldats

« Mon Dieu, protégez ceux qui sont à la guerre, officiers et soldats. Donnez-leur à tous le courage, l’esprit de sacrifice, la résignation ; qu’ils gardent au cœur une foi inébranlable dans la justice de leur cause, le triomphe final e les récompenses qui les attendent !

« Donnez au généralissime le génie de la victoire, qu’il soit noblement secondé par des chefs dont la prudence égale l’audace, et qui, comprenant leur responsabilité redoutable, joignent à l’énergie qui ne recule pas le respect de la vie des hommes qui épargne les sacrifices inutiles.

« Conduisez les pas des patrouilles qui s’en vont, de jour et de nuit, par les chemins.

« Evitez aux sentinelles les surprises mauvaises ; aidez-les dans leur vigilance inquiète et l’angoisse des heures qui sont si longues.

« Aux vaillants des tranchées, immobiles, sous la menace de l’attaque, tout près de la mort, gardez un cœur indomptable, que la monotonie tragique de leur vie ne lasse pas.

« Aux blessés des champs de bataille, des ambulances et des hôpitaux, donnez la force d’âme qui accepte tout.

« Aux morts, disparus et enterrés on ne sait où ; à ceux qui tombèrent aux jours de grande mêlée et qui dorment dans les fosses communes, à ceux dont les tombes se voient au milieu des champs ou sur le bord des routes avec une petite croix où leur nom se lit à peine ; aux morts, à tous les morts couchés au cimetière du village ou à la frontière, donnez, Seigneur, le repos, la paix, et la lumière éternels !

« A ceux qui sont restés, le cœur brisé, au pays, mères qui attendent leurs enfants, femmes qui attendent leurs maris, jeunes filles qui attendent leurs fiancés, tout petits qui attendent leur père, donnez une invincible certitude de retour, ici-bas ou dans le Ciel. Qu’ils soient fidèles aux absents, à leurs promesses d’affection…

« Que l’épreuve les rende meilleurs et leur apprenne à chercher dan la prière le suprême refuge !

« A ceux qui pleurent déjà et qui n’attendent plus celui qui ne doit pas revenir, ô Seigneur, ô Ami, ô Père, en souvenir des larmes de votre mère, donnez l’espoir divin qui console ; dites leur qu’à défaut de tombe où l’on puise s’agenouiller, il y a le cœur de Dieu où vivants et morts se retrouvent !

« A tous, ô mon Dieu, à nous qui vous prions, aux bien aimés pour qui nous vous prions, paix, courage, patience, espoir !

« Ayez pitié de ceux que nous avons laissés,

« Seuls, avec le fardeau de leurs cœurs angoissés.

« Ayez pitié de ceux qui sont restés là-bas,

« Attendant des absents qui ne reviendront pas.

« Ayez pitié, Seigneur, de l’enfant trop petit

« Pour avoir tout compris quand son père partit.

« Ayez pitié de qui n’eut personne où poser

« A l’aube des adieux un suprême baiser.

« Ayez pitié de ceux qui n’iront plus s’asseoir

« Parmi leurs bien-aimés. Pour les veilles du soir.

« Ayez pitié, Seigneur, des épouses en deuil

« Qui n’ont pour y pleurer ni tombe ni cercueil.

« Ayez pitié de ceux qui ne connurent pas

« En mourant le secret sublime du trépas.

« Ayez pitié, Seigneur, de ceux qui ne sont plus,

« Ensevelis, sans noms, en des champs inconnus.

« Ayez pitié de ceux qui dorment sous la Croix

« Dispersés dans les champs, les coteaux et les bois.

« Les yeux illuminés par des soleils plus beaux

« Qu’ils dorment dans la paix leur éternel repos.

« Quand tu te sentiras frappé,

« Prépare ton éternité,

« Remets à Dieu ton âme, soldat.

« Ainsi tu reverras au Ciel

« Dans le rendez-vous éternel,

« Tous ceux que ton cœur aime, soldat.

« Mon Dieu, console le trépas

« Des vaillants frappés aux combats,

« Héros de l’obscur devoir.

« Fais comprendre à ceux de là-bas

« Qui peut-être ne savent pas,

« Qu’au Ciel on peut se revoir ;

« Que dans les splendeurs du Repos,

« Les yeux, de la nuit des tombeaux,

« S’ouvrent sur des jours meilleurs.

« Et que, les voiles déchirés,

« Ceux que la mort a séparés

« Se retrouveront ailleurs.

« Des sentinelles dans la nuit,

« Adoucis l’angoisse et l’ennui,

« Seules, face aux ennemis.

« Le soir tombe, qu’ils sont bien las,

« Abrite les pauvres soldats

« Sur l’herbe dure endormis.

« Souris au mourant qui s’en va

« Loin des tendresses qu’il rêva

« Pour aider son dernier jour.

« Au petit qui part tristement

« Sans les baisers de sa maman

« Sans les adieux de l’amour.

« Pitié pour ceux des grands assauts,

« Jetés en lugubres monceaux

« Ou germeront les froments,

« Et pour les tertres du chemin

« Où dorment la main dan la main

« Les Français, les Allemands.

« Couchés sous les arbres des bois,

« Où le printemps fleurit les croix,

« Un jour tu les reprendras.

« Dans leur capote ensevelis,

« Garde-les des honteux oublis

« Et du froid des cœurs ingrats.

« Quand novembre sera venu,

« Puisse quelque frère inconnu

« S’arrêter les yeux mouillés !

« Puissent tous ceux qui passeront

« Saluer, découvrir leur front,

« Tendrement agenouillés !

« Quand tout semble éteint pour jamais,

« Toi seul, ô mon Dieu, tu promets

« Que tout renaît dans les cieux.

« Attendant l’heure du Réveil,

« Qu’ils dorment en paix leur sommeil

« Jusqu’au matin radieux.