5 Octobre 1917

Voilà l’automne 1917 qui est commencé et la guerre reste figée à peu près sur le front choisi par les Allemands. Ca et là nous avons amélioré nos positions, mais nulle part nous n’avons encore menacé sérieusement le front boche. La victoire n’est toujours qu’une espérance.

Tous les belligérants continuent à bluffer à fond et restent fermés sur des conditions de paix trop opposées pour qu’il soit possible d’entamer des pourparlers même les plus indirects.

Et cependant, il est bien certain que derrière ce bluff il y a un général et intense désir de paix. Tous les peuples sentent que la continuation de la guerre nous conduit aux abîmes.

Mais aussi les Alliés sentent qu’il y a quelque chose qui serait pire encore que la guerre, c’est une paix allemande. Aussi la guerre va continuer toujours plus implacable, plus féroce. Des millions d’hommes vont de nouveau connaître le martyr d’un quatrième hiver aux tranchées.

25 Octobre

Nous avons remporté un beau succès sur l’Aisne faisant 11000 prisonniers et pénétrant de 4 à 5 kilomètres dans les lignes allemandes. C’est un beau coup de boutoir bien asséné.

Les Anglais ont gagné aussi quelque terrain au nord d’Ypres. Il est possible que la répétition de tels coups amène les Allemands à un nouveau redressement de leurs lignes.

30 Octobre

- en Italie -

De bien tristes nouvelles nous arrivent d’Italie, les Autrichiens appuyés par des forces allemandes considérables ont attaqué avec violence dans la région de Tolmino. Le front italien a été enfoncé et les Boches approchent d’Udine.

Toute l’armée italienne de l’Isonzo menacée d’être prise à revers bat en retraite vers l’ouest abandonnant ses positions conquises au prix de tant de sang.

Hélas ! Hélas ! Voilà qui prouve bien que les fronts ne sont pas inviolables. Il est clair que cette retraite dite stratégique doit coûter aux Italiens bien des dizaines de milliers de prisonniers et bien des centaines de canons. Espérons que le désastre pourra être limité.

Un communiqué laisse entre que les Anglais et les Français envoient des troupes nombreuses au secours de l’Italie. Il est en effet de capitale importance que nous ne laissions pas écraser nos alliés. Mais nos effectifs doivent être bien diminués et sans doute tous nos plans d’opérations pour l’hiver vont être anéantis.

- en Russie -

Les évènements continuent à s’y dérouler logiquement, c’est-à-dire que le pays est en pleine anarchie.

Jean

Il est depuis le 20 sur la rive droite de la Meuse. Tout ce terrain récemment repris aux Allemands est très mal organisé, les Boches bombardent et contre-attaquent sans cesse. Le secteur est très dur. J’espère que le désastre italien ne retardera pas les relèves.

Novembre

- en Italie -

Le désastre italien semble très grave. Beaucoup plus de cent mille prisonniers, un millier de canons. Et ce n’est pas fini !

L’Italie est envahie, on parle d’un recul possible jusqu’à l’Adige !

La rapidité (4 jours) de l’enfoncement des lignes italiennes donne une faible idée de la valeur de l’armée de nos tristes alliés. Dans de telles conditions, tout jugement ou pronostic est impossible.

Quel est l’état moral de cette armée qui recule ? Tout est là.

Hélas ! moi qui réclamais l’effort combiné total de tous les alliés. Tout s’enchaîne. L’anarchie russe a entraîné le désastre italien. Ah ! Certes les Etats-Unis ne seront pas de trop !

14 Novembre

- en Italie -

Le recul général italien continue et il est probable que Venise devra être abandonnée et les nouvelles lignes reportées jusqu’à l’Adige.

Les Italiens ont perdu 2 500 canons et 250 000 prisonniers, ces chiffres se passent de tout commentaire. Une armée franco-anglaise de 20 000 hommes au moins est en formation en Italie.

- en Russie -

Les révolutionnaires se sont emparés du pouvoir, mais il semble qu’après quelques sanglantes journées, Kerenski a repris le pouvoir. Dans cette malheureuse Russie, le bien ne peut naître que de l’excès du mal. Il se peut donc que ce coup d’Etat manqué ait d’heureux effets. Mais il y a hélas tellement à faire.

La démocratie socialiste russe a ruiné en six mois l’œuvre glorieuse de plusieurs siècles. Tel est et sera toujours le sort d’une nation où les socialistes viennent au pouvoir. Telle est la chimère socialiste que leurs doctrines appliquées donnent aussitôt la mort à un pays.

20 Novembre

La situation

Les Italiens se défendent entre la Piave et le lac de Garce, il est douteux qu’ils puissent s’y maintenir. 

En Russie, c’est décidément la Révolution qui triomphe, jusqu’à nouvel ordre.

On estime que les Austro-Boches avaient 1 800 000 hommes contre les Russes. La plus grande partie de ces hommes et un immense matériel se trouvent disponibles. Une partie a été utilisée en Italie. Il n’est pas impossible qu’Hindenburg tente de jeter à la mer l’armée alliée de Salonique… Le coup de bélier contre notre front demeure également possible…

Hélas, combien il est pénible d’être contraint d’avouer que sur bien des points l’Allemagne nous est supérieure.

Après la défection totale russe, la certitude de victoire s’est évanouie. Je continue à y croire, je veux croire à la victoire. Pour cela il faut tenir à l’avant et à l’arrière jusqu’à l’entrée en ligne des armées américaines. Ce sera dur, ce sera long  mais la victoire est à ce prix. Nos ennemis sont sur le grill, encore plus que nous.

Clemenceau

Le ministère Painlevé est renversé. Une fois de plus nous changeons d’équipe. Clemenceau prend la barre.

C’est un patriote et un homme énergique mais un esprit faux et brouillon, ses passages au pouvoir ont toujours été néfastes à la France. Il a 76 ans, souhaitons qu’il ne retombe pas dans ses erreurs passées et qu’il se montre homme de gouvernement, nous avons tellement besoin d’être gouvernés.

La déclaration ministérielle a été courte « Mes buts de guerre c’est vaincre » a dit Clemenceau.

1er Décembre

- en Italie -

Les Italiens continuent à résister.

- en Russie -

La révolution triomphe. La Russie n’est plus qu’une vaste anarchie. Un armistice est conclu et la conclusion d’une paix séparée devient une éventualité des plus vraisemblables.

- en France -

Les Anglais ont exécuté une remarquable attaque dans la région de Cambrai. Sans aucune préparation d’artillerie, ils se sont portés en avant précédés par de nombreux tanks. L’effet de surprise a été complet  sur un front de 12 kilomètres ; le front allemand a été enfoncé sur 8 km en profondeur. 9000 prisonniers ont été faits. Un tel résultat obtenu en 24 heures semblait plein de promesses. Hélas ! une fois de plus, les réserves allemandes sont entrées en ligne et la victoire anglaise est restée sans lendemain…

L’avenir est bien sombre.

10 Décembre

- en Italie -

La ligne Asiago Piave est toujours tenue.

- en France -

Les Anglais ont reperdu une partie du terrain conquis à l’ouest de Cambrai.

- en Russie -

L’anarchie la plus sanglante et la famine règnent en Russie. Un armistice de deux mois a été conclu englobant le front roumain.

Destruction

La puissance russe est pourrie et n’existe plus. Les Austro-Boches peuvent donc disposer contre nous de la plus grande partie des forces qu’ils avaient sur le front oriental. Leur désir de paix est intense et il est clair qu’ils ne peuvent espérer l’imposer que par un succès militaire éclatant. Aussi devons-nous prévoir qu’ils porteront contre notre front un ou plusieurs coups de bélier formidables.

Scandales et trahisons

Depuis quelques semaines les plus tristes scandales se multiplient, à vrai dire le mot scandale est bien impropre car ce qui se passe n’a rien que de conforme à la logique et au principe des institutions corruptrices.

L’honneur est un mot qui n’a plus aucun sens pour la majorité des vieux parlementaires ; à force de vivre dans les compromissions continuelles et de donner du « cher collègue »  aux plus infectes fripouilles, le sens du bien et du mal s’oblitère.

Ah ! Elles sont belles les fleurs du fumier parlementaire ; Malvy et Caillaux, ex-ministres sont accusés de trahison. L’essentiel de la ligne de conduite de Caillaux est résumé dans le passage ci-joint de la lettre du général Dubail. Caillaux poursuivait en temps de guerre ses anciennes et chères idées de rapprochement et même d’alliance avec l’Allemagne. Il estimait que cette alliance rendrait la France invincible.

Et il n’est guère douteux que nos présidents du conseil, Viviani, Briand, Ribot… n’étaient pas sans connaître les menées de Caillaux et, bien plus, les voyaient sans déplaisir.

En cas de malheur on se serait tourné vers lui et il eut été le sauveur…

«  Il exposait, en effet, que le ministère Briand était à la veille d’être renversé, qu’il serait sans doute remplacé par un ministère Clemenceau, qui ne pourrait vivre qu’en intensifiant la guerre, mais que la France, bien vite épuisée par ce nouvel effort militaire ne pourrait pas soutenir la lutte au-delà du printemps 1917 ; qu’à cette heure tragique, il prendrait alors le pouvoir et qu’il signerait la paix. Il faut donc, disait-il, que l’Italie se prépare de son côté à faire avec l’Allemagne une paix séparée ; le monde sera étonné des avantages que, dans ces conditions, l’Allemagne pourra accorder à l’Italie et à la France car tous les frais de guerre devront être payés par la Russie et les Balkans. La Serbie disparaîtra également ; c’est un malheur, mais il vaut mieux que ce soit elle qui paye la casse que nous (sic) ; et enfin cette conclusion dont l’énonciation suffit à elle seule à en souligner la gravité et qui apparaît comme le but poursuivi par M. Caillaux : aussitôt la paix signée, la France conclura un traité d’alliance avec l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne, contre l’Angleterre et la Russie, qui sont nos véritables ennemis ».

(coupure de journal)

Voilà en quelles mains notre grand pays est tombé ; il semble hélas démontré que notre malheureux régime ne peut produire un homme d’Etat patriote et indépendant. La politique de parti a tout détruit.

Il y a déjà vingt ans, j’entendais souvent dire à mon grand-père que sous notre régime un Honnête homme ne pouvait occuper le pouvoir - Il avait raison cent fois –