Il me semble aujourd’hui que la nuit m’environne
Je cherche autour de moi mes amis, je suis seul.
A de tristes pensées, mon esprit s’abandonne
Et mon cœur engourdit gît comme un linceul.

Dans une armée en fuite, un blessé qu’on entraîne
Sent que la vie échappe à son corps en lambeaux.
Il se couche au milieu du chemin sans haleine
Et dit : « Je veux mourir sous les pieds des chevaux. »

Et moi je veux mourir car ma vie est stérile
Et ma force s’épuise et je marche éperdu
Sans but et sans appui ; vienne la mort agile
Elle me trouvera sur la route étendue !

Je ne la fuirais pas, j’irais au devant d’elle
Je serais le premier moi-même à la chercher
Comme un amant poursuit son amante et l’appelle,
Mais hélas ! je n’ai plus la force de marcher.

O toi qui m’as créé d’un souffle de ta bouche,
Qui m’a lancé sans dire où je dois aboutir,
Sorti de ton néant, fais que je m’y recouche,
Si d’un souffle tu veux aussi m’anéantir !

Depuis que de mes pieds secouant la poussière
A chaque pas nouveau tu me vois chanceler
Sans aplanir la route et sans combler l’ornière
Au moins si je savais jusqu’au je dois aller.

Dieu, sinistre ennemi de notre race humaine,

Sommes-nous en spectacle à ta Divinité

Dans le cirque du monde où ta main nous promène
Te sens-tu satisfait de notre agilité ?...

Nous nous tuons fort bien nous-même avec des paroles,
Nous enterrons si bien nos morts avec des mots
Pour toutes les horreurs nous ouvrons les écoles
Et puis nous t’invoquons avec tant d’à propos.

Et tu ne frémis pas, ni de voir, ni d’entendre
Cette mêlée où coule un sang à flots versé.
Il me semble pourtant sans avoir l’âme tendre
Qu’à ta place, ô mon Dieu ! moi je m’en serais lassé.

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Du sang ! toujours du sang. La pâle humanité
A l’autel du progrès s’épuise en sacrifice,
Et tarit sainement pour la rendre propice
La source de la vie en son flanc dévasté.

O Dieu ! ne serais-tu qu’une exécrable idole ;
A nos cris de douleur ta puissance s’endort
Tu nous promets la vie et nous donnes la mort ;
Réveille-toi, l’espoir avec la foi s’envole.

L’arme que tu forgeas s’est brisée en nos mains,
N’avons-nous pas assez frappé ? Sous les décombres
N’avons-nous pas assez péri, pauvres humains
Ne nous aurais-tu fait combattre que des ombres !

Descends du piédestal que nous t’avons dressé
Viens lutter avec nous … ou l’ardent prolétaire
Sur qui pèse le joug de ton sanglant mystère
S’en va jeter au vent ton autel renversé.

Gaston Trémiens