Et que la grande aventure commence

Bien vite nous quittons la ville et si nous n’avions pas un véritable chef dans la conduite et un gros 4 X 4 je ne sais pas comment nous pourrions aller là où nous semblons aller... à l’autre bout du monde.

Nous voici tout d’abord sur l’autoroute, il y a un peu de circulation et nous roulons tout de ce qu’il y a de plus normalement malgré la couche de neige qu’il y a sur la chaussée et sur les bas côtés, ce qui ne nous empêche cependant pas de doubler tous ceux qui traînassent et nous gênent !

Tiens l’autoroute s’est terminé et nous sommes maintenant sur une grande route encore bien suffisamment large pour ne pas nous obliger à ralentir même lorsque nous devons croiser ces monstrueux camions américains qui roulent comme des fous… tous leurs phares allumés et parfois même clignotant, faisant hurler leurs sirènes en nous croisant. Il y a toujours autant de neige sur le sol mais rien ne pourra nous arrêter et désormais nous avons une confiance absolue en notre chauffeur… d’ailleurs que faire d’autre !!!

Après la grande route bien large, nous voici maintenant sur une route un peu moins large, beaucoup moins large même et parfois nous ne voyons pas où elle est cette route et où ils sont ces champs qui la bordent habituellement… mais cela n’a pas l’air d’affoler Robert… alors ne nous affolons pas nous-même, d’ailleurs papa, assis à l’avant, filme le paysage… c’est donc que tout doit aller pour le mieux.

Pourtant c’est bizarre, nous avons parcouru déjà un peu plus de deux cents kilomètres, nous avons passé les Laurentides depuis déjà quelque temps et la route se rétrécie toujours. Nous avons maintenant passé le village de « Mont Saint Michel » et nous obliquons sur notre droite mais... maintenant je ne sais plus sur quoi l’on roule vraiment !... on dirait que l’on est sur de la neige ou de la glace à travers la forêt et nous ne rencontrons plus que de très rares maisons (fermées d’ailleurs) sur notre chemin.

La neige s’est mise à tomber et par moment elle tombe bien fort, à gros flocons... je ne sais vraiment plus où on va et surtout si on va continuer à pouvoir continuer... peut-être serait-il plus prudent de s’arrêter et de faire demi tour car ce sentier ne peut plus nous mener nulle part si tant soit peu que le bout du monde soit nulle part ! Papa n’a tout d’un coup plus l’air d’être aussi rassuré que ça mais il continue à discuter avec Robert : est-ce pour que ce dernier ne s’endorme pas au volant où est-ce parce qu’il veut cacher son anxiété !

Et brusquement voila que, surgit de nulle part, un autobus nous dépasse à vive allure... pourtant nous-même nous ne roulons pas au ralenti ! Robert nous apprend qu’il s’agit d’un groupe de touristes qui déjeunait près de nous à midi et qui s’en vont dormir dans une grande pourvoirie où nous devons aussi faire une halte pour récupérer notre guide de skydoo : Marcel mais aussi pour nous pouvoir en vêtements adéquats.

En effet, dans ce bout du monde où nous allons les guides ne veulent pas nous emmener avec eux sans nous avoir eux-mêmes équipés des pieds à la tête afin de pouvoir supporter les grands froids qui nous attendent et que nous commençons pourtant déjà à bien ressentir… Pourtant papa a tout acheté comme il fallait avant de partir mais même le « tout ce qu’il fallait » ne « fallait » pas encore assez à leurs yeux… Que diable ! Où partons-nous ?

Nous arrivons bientôt, il y a déjà près de trois cents cinquante kilomètres que nous roulons, dans un grand centre canadien : la pourvoirie de Lounan où nous attend le fameux Marcel. Ici encore un super accueil nous est réservé. Marcel qui est tout de suite venu vers nous est super sympa mais il a un énorme défaut : il a l’accent québécois et nous ne comprenons rien du tout à tout ce qu’il essaye de nous raconter.

Après avoir bu une bonne boisson bien chaude, papa rempli quelques formalités administratives pour les motos puis nous passons aux « vestiaires » et essayons nos habits : bottes, combinaisons, casques, gants. Pour moi, il y a tout de suite un petit problème : ici on n’a jamais vu d’enfant de mon âge venir se lancer dans une telle aventure... il n’y a pas de vêtements à ma taille et pourtant je ne peux pas partir sans être suffisamment protégé contre le froid... On va s’arranger tout de même et en trafiquant un peu une manche par ci, une jambe de pantalon par là on va finir par réussir à m’équiper comme il se doit et désormais je vais devenir la mascotte du groupe, ce qui me vaudra d’être chouchouté partout où nous allons nous rendre… mais quelle dégaine cela me fait !!!

Il nous reste encore une bonne soixantaine de kilomètres à faire, la nuit est tombée mais la neige ne s’est pas arrêtée pour autant... il est temps de reprendre la route. Comme Marcel monte avec nous et qu’il s’installe auprès de Robert, papa vient s’asseoir près de moi sur la banquette arrière et je suis bien content de le retrouver car ainsi je vais pouvoir faire un petit somme, la tête posée sur ses genoux.

La pourvoirue des "100 lacs"

Je ne me réveillerai qu’à l’arrivée... il fait nuit et une bonne petite auberge semble nous attendre, nous sommes à la pourvoirie des « 100 lacs ».

L’intérieur de la pièce dans laquelle nous entrons est super extra, toute en bois, toute décorée de trophées de chasse, il y a un loup blanc, un renard argenté, un lynx, une loutre, une superbe tête d’orignal au mur

et au milieu de la pièce debout sur ses pattes arrières un immense ours brun qui est deux fois plus grand que moi.

A peine entrés et après avoir fait connaissance avec les quelques personnes qui tiennent cette pourvoirie dont Claudette, la femme de Marcel, nous nous laissons offrir un cocktail de bienvenue pendant que Robert s’occupe de nos bagages.

Il est certainement déjà très tard car la nuit est depuis longtemps tombée mais nous dînons avec un très bon appétit... d’ailleurs tout est bon même la bonne soupe que l’on nous sert au début du repas et sur laquelle je rechigne un tout petit peu au départ.

Nous gagnons ensuite notre chambre, une simple petite chambre toute lambrissée et au mobilier réduit à la plus simple expression : deux petits lits de bois, deux chaise, une grande étagère mais cela nous suffit amplement, ce n’est pas là que nous allons passer le plus clair de notre temps, juste le plus sombre...

Mardi 20 Février 2001

Au saut du lit, après une excellente nuit, nous constatons qu’il fait un super grand beau temps ; le soleil est déjà levé sur le lac lorsque nous gagnons la salle de restauration. Nous sommes les seuls clients dans ce bout du monde et une fort sympathique table a été dressé tout spécialement pour nous... je n’avais pas très faim mais comment résister devant d’aussi bonnes choses... je ferai principalement une cure de « pancake » copieusement arrosés de sirop d’érable. Ici je constaterai qu’en fait le sirop d’érable sert à assaisonner tout et n’importe quoi et pas simplement les desserts mais on en met sur la viande, les légumes et tout ce qui se mange... papa doit drôlement aimer ça car il s’en sert avec tout comme un vrai « québécois ».

Mais ne nous attardons pas, dès ce matin nous avons de la piste à faire et mon papa qui ne sait même pas conduire une moto neige !!! Comment allons-nous nous en sortir ? Je suis d’autant plus inquiet que je dois lui servir de passager ! Marcel nous a préparé les engins : quatre magnifiques ski-doo, rayonnants neufs mais assez impressionnants. Un ski-doo n’est en fait qu’une grosse moto (les nôtres sont des 750 cm3) sur laquelle la roue à l’avant a été remplacée par une paire de petits skis et celle arrière par une chenillette. C’est avec les skis, reliés au guidon, que l’on se dirige alors que c’est la chenillette à l’arrière qui propulse l’engin et sert aussi au freinage.

Il y en a un pour Marcel qui ouvrira la piste, un autre pour papa et moi qui nous mettrons en deuxième position, puis celui de Suzanne et Martial mais ce sera Martial qui devrait tenir les commandes et enfin celui de Robert qui fermera la marche. Nous avons la consigne de rouler (je veux bien moi mais avec cette neige je dirai plutôt « glisser »... d’ailleurs comme je viens de vous le dire, nous n’avons pas de roues mais juste une paire de skis et une chenille !) chacun à notre rythme mais en respectant scrupuleusement la trace faite par notre guide Marcel, trace dont il ne faut pas sortir sous peine de nous voir plonger dans une grosse couche de neige molle.

Pour commencer, Marcel fait monter papa tout seul sur son engin et lui explique très rudimentairement les quelques principes de base : (la mise en route, les vitesses, les freins, la marche arrière) puis il me dit de m’installer derrière et nous demande d’aller ainsi jusqu’au bout d’une petite piste en bordure de la forêt. Papa réussit parfaitement même son demi-tour et nous revoilà au point de départ.

Marcel semble content de notre petite démonstration. Il demande à papa s’il ne pourrait pas me prendre plutôt à l’avant, entre ses jambes... ainsi ce serait plus agréable pour moi car je serai protégé par le pare-brise, je pourrai profiter des commandes chauffées et surtout je verrai mieux le paysage. Nous refaisons un petit essai et comme tout semble aller pour le mieux pourquoi attendre plus longtemps... les moteurs se mettent à gronder tandis qu’un gros nuage de fumée blanche brutalement s’envole de chacune d’entre elles et nous décollons en bon ordre pour nous retrouver sans plus tarder sur le lac et « bonjour l’aventure ».

Mardi 20 – Mercredi 21, par un temps magnifique

Je ne vous décrirai pas dans le menu détail ces deux jours que nous allons ainsi passer au guidon de nos superbes machines... je dis bien « nous » car installé comme je le suis, j’ai vraiment l’impression de conduire moi-même et d’avoir papa en passager : mes mains sont posées sur le guidon, tous les cadrans sont sous mes yeux, je vois parfaitement bien, mieux même que papa auquel je cache l’extrémité des skis, ce qui lui pose parfois quelques problèmes pour guider notre ski-doo dès qu’il lui donne un tant soit peu de vitesse. Nos engins peuvent « glisser » jusqu’à deux cents kilomètres à l’heure mais rassurez-vous nous ne sommes pas les rois des casse-cou et nous ne dépasserons pas le quatre vingt seize... ce qui, à mon goût et pour un début est très bien comme ça...

Nous suivons bien la trace de Marcel même si parfois nous le perdons de vue car, lui, c’est un fou de la motoneige et surtout un très grand spécialiste... il fait des courses et est même champion de je ne sais plus quoi ni dans quelle catégorie. En tout cas parfois, lorsque la piste s’élargit un peu ou que nous abordons un lac, nous voyons un nuage de poudreuse s’élever brusquement devant nous et Marcel disparaît tout aussitôt. Nous le retrouvons plus loin, à une croisée de pistes où gentiment il nous attend : « ben alors qu’est-ce que vous faites ? »

Parfois, pour se reposer, admirer le paysage ou tout simplement se décontracter nous faisons tous ensemble une halte au bord de la piste.

Il faut dire que partout où nous passons les paysages sont grandioses et magnifiques

et puis je n’ai jamais vu autant de neige à la fois et comme j’adore la neige croyez-moi j’en profite pleinement.

En général, lorsque nous nous arrêtons nous nous dévêtissons un peu malgré le froid intense qu’il fait... papa a du givre plein les sourcils et lorsque son nez goutte cela forme une goutte de glace... disons que nous nous débarrassons de nos casques (un peu lourd surtout pour ma petite tête !) ainsi que de nos gants. Alors, Martial allume une cigarette et moi je plonge dans la neige du haut de la piste... parfois je m’enfonce tout droit et tout debout jusqu’à la poitrine... voilà pourquoi Marcel nous a bien recommandé de ne pas quitter la piste avec nos motos... nous allons en faire la triste expérience d’ailleurs...

Allez papa, laisse-moi leur raconter... d’ailleurs ce n’est pas si grave que ça même si la deuxième fois tu as eu très peur... Allez... dis ! Bon je leur raconte quand même mais je leur dis bien que tu n’as pas fait exprès.

La première fois, c’était sur une toute petite piste très étroite. Marcel nous avait emmené voir un campement de trappeur au cœur même de la forêt et voilà-t-il pas qu’en sens inverse arrive un autre ski-doo.

Comment faire ? Oh, cela ne doit pas être très sorcier, il suffit de se croiser tout doucement... d’ailleurs Marcel a parfaitement réussi lui alors pourquoi pas nous ? Eh ben oui pourquoi pas nous ! Eh ben non justement pas nous ! Papa a du s’approcher un tout petit trop près du bord de la piste et... plouf... tout doucement notre moto s’est couchée dans la neige... couchée puis s’est enfoncée tout aussi doucement et avec nous dessus... Rien de grave, nous avons pu nous rependre tout seul et nous remettre en marche sans tarder.

La deuxième fois, ce fut un peu différent. C’était le deuxième jour et la fin de l’après-midi arrivait alors que nous avions encore pas mal de pistes à faire avant de rentrer au « Cent Lacs ». Alors on avait un peu mis la gomme, pas trop tout de même car devant nous on ne voyait plus Marcel depuis belle lurette mais suffisamment cependant pour ne plus voir non plus les autres derrière nous. C’était grisant ; parfois la moto sautait lorsque la piste était un peu dure et cabossée ; parfois on soulevait nous aussi un beau nuage de poudreuse derrière nous.

La piste était devenue un peu plus large et nous nous en donnions à cœur joie. Mais voilà, juste dans un virage, il y avait un petit-gros bloc de glace que papa ne pouvait pas voir parce que je lui cachais en partie le sol juste devant les skis. Alors ce qui devait arriver, arriva et nous n’eûmes pas le temps de réagir... juste celui de nous voir partir... Le ski avant gauche heurta le bloc de glace et changea brutalement de direction nous entraînant dans sa course folle. Nous quittâmes la piste et fîmes un court vol plané, retombant dans une neige poudreuse, bien molle et profonde... nous sentîmes la moto s’enfoncer doucement en dessous de nous, doucement mais sûrement et nous avec...

« Papa où t’es passé et  où elle est passée ta moto ? »

Nous nous en sortîmes tant bien que mal et purent ré émerger sur le bord de la piste mais impossible de remonter notre engin trop enfoncé... on ne le voyait même plus... et beaucoup trop lourd pour nous. Nous dûmes attendre quelques instants (disons quelques deux à trois minutes, l’arrivée des autres et le temps semble long dans des cas là !)... je ne sais pas d’ailleurs s’ils nous auraient vus si nous n’étions pas remontés en surface... et trois fois plus de temps pour voir enfin Marcel surgir devant nous... il nous attendait plus loin sur un carrefour depuis belle lurette et commençait à s’impatienter, tout d’un coup inquiet de ne pas nous voir arriver.

En un tour de main il nous sortit de cette situation et pensant que papa était un peu fatigué en cette fin de journée il me fit m’installer sur le siège arrière, ce qui gênerait moins les mouvements car il allait falloir « rouler » assez rapidement maintenant que la piste était bonne et que la nuit tombait assez rapidement. Nous terminâmes d’ailleurs au phare...

Mais ce ne sont pas là les seuls souvenirs de cette grande et formidable équipée. Nous allions à travers les forêts, les lacs et les rivières empruntant parfois ces petits sentiers utilisés l’été par les indiens pour transporter leurs kayacs d’un lac à l’autre.

Nous avons traversé de petits villages d’indiens mais la plupart en cette saison sont désertés ; ils ne servent qu’en été au moment de la pêche et du piégeage ;

ce sont comme des fantômes qui surgissent brutalement, de jolies petits chalets de bois d’un côté, de l’autre des vielles carcasses de voitures, le tout disparaissant bien souvent sous la neige.

En hiver, ils se regroupent dans des villages plus grands où ils vivent un peu en communauté bien organisée. Ils y tiennent quelques commerces et offrent l’hospitalités aux raideurs et camionneurs qui viendraient à s’égarer sur leur passage ; ainsi cette « réserve de Manawan » habitée par des descendants d’Iroquois où nous avons pu déjeuner dans une excellente auberge envahie d’ailleurs par des raideurs comme nous et où nous avons pu faire le plein de nos machines... s’il n’y avait plus eu de gas-oil à la station, nous aurions du attendre peut-être un jour ou deux qu’ils soient à nouveau approvisionnés car il n’y en a pas à tous les détours de sentier et l’approvisionnement n’est pas aisé à réaliser... dommage tout de même qu’il y ait eu assez de gas-oil pour nous quatre machines.

Sur le mur principal de cette auberge au nom typiquement français « Resto Elizabeth ce texte en iroquois :

« Witamowikok aka wiskat »

« e ki otci pakitinamokw kitaskino, nama wiskat ki otci »

« atawanano, nama wiscat ki otci meckotonenano, »

« nama kaie wiskat ki otci pitoc irakonenano kitaskino »

traduit sur le même ton :

« Dites-leur »

« que nous n’avons jamais cédé »

« notre territoire »

« que nous ne l’avons jamais trahi »

« que nous ne lavons jamais déshonoré »

« de même que nous  n’avons jamais statué »

« autrement qu’en ce qui concerne »

« notre territoire »

Nous y avons été superbement accueillis et y avons fait un vrai festin.

Nous sommes aussi passés par les pourvoiries de Lounan et de Outfiller, cette dernière totalement enfouie sous la neige avec, pendant des toits, de formidables mais fort dangereux stalactites de glace.

Nous regagnons les « Cent Lacs » alors que la nuit est déjà tombée et où, après nous être rapidement douchés et changés, nous attend à nouveau un bon repas bien venu après tous ces kilomètres.

Mercredi 21 Février 2001

Malgré notre fatigue nous allons nous embarquer pour la soirée dans une nouvelle aventure et, sitôt notre repas pris, nous voici de nouveau avec Robert et Marcel en 4 X 4. En effet, Marcel doit animer une soirée « trappeur » à la pourvoirie du Lounan et nous a très gentiment invités malgré les quelques soixante kilomètres qui séparent nos deux pourvoiries. Ici, au Québec et ce malgré le temps les distances ne posent jamais de problèmes aux habitants surtout lorsque c’est pour partager une soirée, un repas, une activité.

Soirée très intéressante où Marcel, trappeur lui-même à ses moments perdus, nous parlent des différentes espèces de gibiers vivant ans cette région du monde et des diverses façons de les piéger, qu’il s’agisse des castors ou des ours. Pour conclure cette sorte de conférence nous aurons le droit de goûter à diverses viandes de gibier agrémentées spécialement pour l’occasion.

Puis c’est le retour au « Cent Lacs » où notre lit sera fort apprécié.

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