Histoire de l'abbaye de 1131 à 1553

Les Abbés Réguliers (1131-1553)

 

L’Abbé régulier est un moine élu par l’ensemble des moines d’une abbaye, réunis en assemblée plénière, afin de diriger celle-ci tant sur le plan spirituel que matériel. Il reste cependant un moine comme les autres ; il garde le nom qu’il s’est choisi en entrant au monastère, et est soumis aux mêmes règles que ses confrères. Il porte le titre de Père Abbé mais on l’appelle « Dom … » comme tous les autres.

1) Manassès (1131-1166)


Aucun obstacle ne s’opposant désormais, l’Abbé d’Ourscamps convoque ses religieux à l’église, mande à ses pieds le moine Manassès, homme d’une vertu consommée, et lui remet la croix de bois entre les mains. Lui adjoignant douze compagnons choisis parmi les plus fervents de la communauté,  il les envoie tous, pèlerins du Christ et de la pénitence, vers cette nouvelle contrée, pour y faire germer les plus belles vertus. Obéissants jusqu’à la mort, ainsi qu’ils l’ont juré au jour de leur solennel engagement, les humbles moines s’inclinent et se mettent en route accompagnés par leurs frères jusqu’à la porte du monastère. C’est là qu’ils se donnent le baiser d’adieu.

Mettant en la Providence toute leur espérance, ils n’emportent pour bagages qu’un seul missel, un bréviaire, les livres exigés pour le chant de l’office divin, avec la Sainte Règle, le livre des Us qui renfermait la Chartre de Charité, et les règlements des chapitres généraux de l’année 1119 à 1134. Peut-être y avaient-ils ajoutés un calice d’argent et les ornements de laine nécessaires au service de l’autel.

Arrivés au pied du mont César, c’est l’évêque qui les accueille avec la joie la plus vive et les installe dans leurs modestes cellules.

Pendant ce temps, des ouvriers élevaient le monastère définitif sur les bords de la Trye dont les bâtiments réguliers étaient nombreux. On y déploya tant d’activité qu’en moins de deux ans les religieux purent en prendre possession. Lorsque l’église fut achevée, l’évêque de Beauvais vint en faire la consécration  solennelle et la dédier à Notre-Dame, la patronne de l’Ordre. L’Abbé d’Ourscamps, Galeran de Baudemont, l’assistait comme "Abbé Père Immédiat". La fondatrice, Alix de Dammartin accompagnée de ses enfants : Manassès, Lancelin, Renaud et Béatrix, les seigneurs des environs, les populations du voisinage, formaient un imposant cortège. Tout le monde était heureux de faire un cordial accueil à ces bons religieux, qui, tout en se livrant aux exercices de la prière et de la mortification, se faisaient un devoir de demander à la terre et à leur travail personnel, comme le dernier des serfs, leur pain de chaque jour.

Après la cérémonie, Alix et ses enfants, Pierre et Raoul de Bailleul, Richelde de Bresles, les maires Pierre et Garnier, les habitants de Hermes, vinrent se dévêtir entre les mains de l’évêque des biens et droits dont ils faisaient don au nouveau monastère, et le prier de l’en investir. Odon le fit avec plaisir, et lui-même, pour ne pas rester en arrière de générosité, renonça en sa faveur à tous les droits féodaux qu’il avait ou pouvait avoir sur les terres, pâturages, près, eaux, dîmes, usages que les religieux possédaient ou pourraient posséder dans l’étendue du territoire de Bresles. A la demande de Galeran, il promit de faire dresser un acte authentique, aussitôt son retour dans sa ville épiscopale, pour confirmer toutes ces donations et servir de titre à l’abbaye. Il tint sa parole, et l’acte qu’il établit est daté de l’an 1136.
 

« Au nom du Père, du fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il. Odou, par la volonté divine, évêque de Beauvais, au monastère de Trie, et aux frères qui l’habitent, tant à présent qu’à ceux qui l’habiteront à l’avenir, à toujours salut. C’est une œuvre de charité pour des frères de condescendre aux désirs de leurs frères, et pour ces religieux d’en agir de même à l’égard des autres religieux ; c’est pourquoi, nous montrant favorables aux pieuses prières de notre frère Galeran, Abbé d’Ourscamps, du consentement et par la concession de notre chapitre cathédral tout entier, nous concédons aux frères de Trie, actuellement existants, et à ceux qui viendront à l’avenir, la propriété perpétuelle des terres, bois, pâturages, près, eaux, voire même des dîmes, qu’ils ont acquis ou pourront acquérir à l’avenir dans l’étendue de notre mouvance féodale, ainsi que de tous les droits d’usage sur le territoire de Bresles.

« Or, Adélaïde, dame de Bulles, et ses fils Lancelin, Manasès et Renaud, ainsi que leur sœur Béatrix et les filles de la dite Béatrix, Hildeburge et Mathilde, ont donné, en perpétuelle aumône, pour en jouir en toute franchise, par notre main aux dits frères de Trie, toutes les terres et seigneuries qu’ils possédaient sur le mont Hermes, jusqu’au grand bois appelé Hez, et une certaine partie de ce bois, c’est-à-dire toute cette contenance entre les bornes placées pour la délimiter dans la longueur et la montagne, jusqu’au marais dans la largeur, et dans le marais tout ce qui leur appartenait entre la rivière et le bois, c’est  dire depuis un bout du bois de Hez jusqu’à l’autre, et toute la partie de rivière qui était à eux. Ils concèdent aussi toutes les acquisitions que les dits frères avaient faites ou pourraient faire dans l’étendue de leur mouvance seigneuriale. En outre, ils donnèrent aux dits frères de Trie tout droit d’usage dans leurs bois, tant de Hez et de la Houssière qu’autres, soit pour mener paître leurs troupeaux, quels qu’ils fussent, soit pour y couper du bois de chauffage, soit pour y abattre le bois nécessaire à leurs constructions, et cela sans redevance aucune, soit de panage, soit autre introduit par quelque coutume que ce fût.

« Les maires, Pierre et Garnier, abandonnèrent au profit des dits frères tous les droits qu’ils pouvaient avoir sur les biens donnés ci-dessus, et s’interdirent toute réclamation à ce sujet sous prétexte de quelque coutume que ce fut.

« Les gens de Hermes renoncèrent aussi, au profit des dits frères, à tous droits d’usage qu’ils avaient dans la portion de bois sus énoncée et sur les larris de la montagne, moyennant l’échange que leur firent les seigneurs de Bulles.

« En outre à la demande des ermites qui demeuraient jadis au Froidmont et du consentement de Pierre de Bailleul, qui leur avait aumôné le droit de demeurer sur sa terre, nous avons investi les frères de la Trie de tout ce que les dits ermites possédaient et qu’ils avaient remis entre nos mains, pour que les dits frères le possédassent à perpétuité sans trouble aucun.

« Pierre de Bailleul leur donna aussi, en échange de ce qu’il avait reçu des seigneurs de Bulles, sur la montagne et au-dessus de Bailleul, la terre qu’il avait près de la maison des ermites ; la moitié d’une aunaie dont le maire de Bresles possédait l’autre moitié ; la moitié des prés dont ce maire avait aussi l’autre moitié, et la moitié de toute la terre qui est entre la terre d’Aléric et la terre de Roger, et entre la montagne et le marais, et dont Raoul de Bailleul possédait l’autre moitié.

« En outre ce même Raoul de Bailleul leur accensa sa moitié de la dite terre, moyennant neuf deniers de cens payables chaque année à la fête de Saint Rémi.

« La femme d’Odon, Richelde, donna aussi en aumône aux frères de Trie, la terre qu’Herfride, son père, maire de Bresles, lui avait donnée en la mariant à Clermont, et qui est située entre le marais, du côté de Bresles, et la montagne de Froidmont, et cela avec l’assentiment de son père, d’Odon, son mari, et de ses héritiers.

« Et tout ce que dessus, de l’autorité divine, nous ordonnons que ce soit toujours arrêté et complétement inattaquable, et nous le confirmons par l’apposition de notre seau.

« Fait l’an de l’Incarnation du Seigneur MCXXXVI, indiction XIVe, épacté XV.

« Intervinrent comme témoins : Henri, archidiacre, Jean, fils du châtelain, maitre Guillaume, Drogon de Mello, et Drogon et Renaud, ses fils, Guy de Vaux. »

Le monastère prit le nom de "Monastère de Notre-Dame de Trie" du nom de la petite rivière qui baigne encore actuellement les murs de l’abbaye. Ce nom de Trie disparut peu à peu pour faire place, dès 1150, à celui de Froidmont, nom qu’il conserva jusqu’à sa destruction.

L’habitation provisoire qu’avait occupée la communauté porta toujours le nom de Vielle-Abbaye après qu’on l’eût abandonnée, et la ferme qui l’a remplacée le porte encore aujourd’hui. C’est un écart de la commune de Bailleul-sur-Thérain.

Cependant, Manassès, que Galeran avait donné pour Abbé à la petite colonie, voyait augmenter le nombre de ses religieux mais aussi les ressources pour subvenir à leurs besoins. Pour avoir part aux prières de ces saints moines, chacun s’empressait de leur donner des biens. Les seigneurs surtout tenaient à être comptés parmi leurs bienfaiteurs, ce qui pour eux était un honneur.

C’est ainsi que, l’établissement à peine fondé, un illustre chevalier, voisin de la dame de Bulles, Beaudoin de Fournival, donne, en 1131, avec le consentement de sa femme et de ses enfants, la moitié du territoire de Gouy, près de Noyer-Saint-Martin.

Cette donation en valait tellement la peine qu’elle déplut fortement aux Religieux de Breteuil qui s’y opposèrent, prétendant qu’ils avaient des droits sur cette terre. Baudoin vint en garantie et démontra, par des preuves irrécusables, que c’était là une querelle de la plus insigne mauvaise foi, attendu que le père d’Agnès, sa femme, de qui provenait cette terre, avait jadis réglé le différend qui s’était élevé entre eux et lui à ce sujet ; il leur avait alors abandonné des rentes sur les terres de Rossoy et d’Handivilliers afin de se libérer de leurs réclamations. Force fut donc à l’Abbé de Breteuil d’en convenir ; mais il persista à réclamer trente sols qu’il avait prêtés sur ce bien, disait-il. Pour avoir la paix, les religieux de Froidmont lui donnèrent les trente sols qu’il demandait, et proposèrent une transaction au sujet de la dîme, dont il avait la sixième partie. Ils craignaient que la perception de cette dîme ne donnât lieu à de nouvelles vexations. Les Abbés arbitres, Galeran, d’Ourscamps, et Erchenger, de Saint-Martin-aux-Bois, insistèrent pour un accommodement, et l’on décida enfin que, pour tenir lieu de cette dîme, les religieux de Froidmont paieraient, chaque année, à ceux de Breteuil, trois mîmes de blé de cens pour chaque charrue de terre qu’ils cultiveraient. L’incident ainsi fut clos.

Cette querelle pourrait surprendre au premier abord, mais ne doit pas étonner quand on sait que les Bénédictins non réformés, comme l’étaient les religieux de Breteuil, voyaient de très mauvais œil la Réforme de Cîteaux, et ne manquaient pas de le faire sentir en toute occasion. La pénitence austère des Cisterciens entrait trop en contradiction avec la vie molle et oisive des autres pour ne pas soulever contre eux les clameurs des tièdes. On les taxait de "fauteurs de schismes et de scandales", de gens homicides d’eux-mêmes ; si cela peut s’expliquer, cela ne se justifie pas. Tous les Bénédictins, du reste, ne pensaient pas de la même manière, surtout face à l’immense personnalité de Saint Bernard, à l’importante diffusion de son ordre et à l’accueil chaleureux que partout lui faisait le peuple.

Plusieurs même tenaient à se montrer bienfaisants à leur égard. Ainsi, en 1135, l’Abbé de Vézelay accensait aux Cisterciens de Froidmont la dîme que son prieuré de Saint-Rémi, de Montreuil-sur-Brèche, avait droit de percevoir sur la terre de Gouy. Les religieux de Breteuil eux-mêmes voulurent faire oublier leurs anciennes vexations en leur donnant à cens, en 1143, les grosses et menues dîmes qui leur appartenaient sur le territoire de Gouy et celles de Grandmesnil. Ils invitèrent l’Abbé Manassès à venir en  leur monastère, et lui firent la plus cordiale réception. L’Abbé, à son tour, pour ne pas rester en arrière de bons procédés, leur céda le tiers des dîmes de Wavignies, à la condition toutefois qu’ils n’en prendraient pas sur les terres que ses religieux cultivaient dans ce territoire. On se quitta en bonne intelligence.

Manassès avait assez l’expérience du monde pour savoir que, si des frères en religion lui avaient cherché noise pour les biens de son monastère, le moment viendrait où les hauts seigneurs, ses turbulents voisins, craindraient moins encore de le troubler dans leurs possessions. C’était le siècle des croisades, et ces hardis chevaliers n’avaient pas appris, dans ces excursions lointaines, à se montrer plus scrupuleux qu’auparavant sur le bien d’autrui ; ils aimaient fort les dégradations, et la résistance les irritait. Pourtant deux autorités étaient encore sacrées à leurs yeux : celle du pape et celle du roi.

L’Abbé de Froidmont eut recours à elles, et sollicita leur appui. Le roi Louis-le-Gros, par une charte donnée à Paris et datée de l’an 1137, confirma cette abbaye et l’affranchit de toute puissance séculière, amortit tous ses biens et la prit sous sa protection. En août 1147, le pape Eugène III la confirma également ainsi que ses biens de Gouy, de Brinvilliers, de Grosmesnil et de Mauregard. En outre, il exemptait de la dîme toutes les terres que les religieux cultivaient par eux-mêmes ou à leurs frais, ainsi que les nourritures de leurs animaux, et frappait d’excommunication quiconque aurait la témérité de les troubler dans leur abbaye ou dans leurs "granges", et de leur nuire d’une manière quelconque. Il fallait alors ces comminations pour obtenir la paix, et malgré l’esprit de foi de ces siècles, elles ne suffirent pas toujours, aussi les papes durent parfois les répéter avec insistance.

En 1140, un illustre chevalier, Ascelin de la Cengle et Fressende, son épouse, lui aumônèrent toutes les terres cultivées aussi bien que celles en friches qu'ils possédaient, entre Plainval et Montigny, au terrage d'Hombleneuse.

En 1142, un autre chevalier, Odon de Grosmesnil, leur cédait moyennant quinze livres de dédommagement, toute la terre avec la seigneurie qu'il avait à Grandmesnil, entre Campremy et Wavignies.

En 1156, Aymon Faget augmenta cette donation par la cession de tout ce qui lui appartenait au même territoire, et Roger de Wavignies, Pierre de la Tournelle, Arnaud de Campremy, Raoul de Bucamp et ses frères renoncèrent à tous les droits féodaux et autres qu'ils pouvaient avoir sur ces terres.

En 1143, Payen Cambon abandonnait son quart de la dîme de Plainval.

En 1150, les chanoines de Saint-Amand de Noyon en faisaient autant, pour leur part, de la dime du même lieu.

D'autres biens non moins importants allaient leur arriver.

A Mauregard, entre Reuil et Montreuil-sur-Brèche, le neveu du Vidame Hélie, Sagalon de Gerberoy, possédait un vaste tennement qu'il avait hérité de son père. Avec le consentement de Liégarde, sa femme, de Beaudoin et Nicolas, ses enfants, et d'Henri, son frère, il en fit don à l'abbaye de Froidmont, et les religieux, pour le récompenser, s'obligèrent à lui payer annuellement, à la mi-carême, quatre mulds de blé et autant d'avoine, à la mesure de Beauvais. Les Vidames de Gerberoy, Hélie et Pierre, de qui le fief relevait, s'empressèrent, avec leurs enfants, de confirmer cette donation et appelèrent, pour être témoins de leur bon vouloir, les nobles chevaliers Baudoin de Songeons, Pierre et Raoul d'Hodenc et le clerc Eustache.

Un chevalier du voisinage, Simon de Sailly, propriétaire de grandes terres, mais pauvre en écus, désirait répondre à l'appel de Saint Bernard qui venait de convoquer tous les hommes de cœur, à Vezelay, pour marcher à une seconde croisade. Il brûlait du désir de suivre le roi Louis-le-Jeune et d'aller se distinguer à côté de tant d'autres qu'il connaissait et qu'il savait sur le point de partir ; mais l'argent lui manquait pour s'équiper et faire le voyage. Il s'adressa alors à l'Abbé de Froidmont, et lui offrit toutes les terres qu'il avait à Mauregard. L'Abbé ne pouvait pas les acheter, la Charte de Charité qui régissait tout l'ordre, s'opposait formellement à toute acquisition de bien à titre onéreux.

Il eut alors recours à un autre moyen : Simon de Bailly, avec le consentement d'Elisabeth, sa femme, et de Béatrix, sa fille, abandonna en perpétuelle aumône au monastère de Froidmont, toutes ses terres de Mauregard ; c'était une donation pure et simple, et l'Abbé, pour le récompenser, lui fit présent de trente-huit livres d'argent, monnaie de Beauvais, et d'un palefroi qu’il lui acheta. Ainsi Simon de Bailly put désormais donner suite à ses désirs.

Treize ans après sa fondation, cette abbaye se trouvait ainsi, en peu d'années, à la tête de grandes possessions, qui allaient encore se multiplier.

L'argent était rare à cette époque et l'esprit public était aux expéditions d'outre-mer ; les croisades passionnaient les hardis chevaliers qui végétaient dans leurs châteaux. La plupart avaient de la fortune, mais cette fortune consistait plus en biens territoriaux qu'en espèces monnayées, et, avec leurs vastes domaines mal cultivés, souvent ils manquaient d'argent. Ils n'avaient ni le temps, ni le goût de s'occuper de leurs terres, et leurs serfs qu'ils accablaient de corvées, de redevances et d'impôts de toutes sortes calculés d'après le rendement de ces terres, ne les cultivaient qu'avec répugnance et sans soin. Les récoltes étaient maigres et les revenus tout autant. Si l'on joint à cela l'esprit de foi, qui animait cette époque, on comprendra pourquoi les donations aux monastères étaient si nombreuses : les uns donnaient par piété pour avoir part aux prières et aux bonnes œuvres des moines, d'autres par esprit de pénitence afin de se faire pardonner leurs méfaits, et un grand nombre pour se procurer les ressources que leurs terres leur refusaient et qui leur étaient nécessaires pour leurs expéditions lointaines.

En 1151, Mathieu de la Cengle, sur son lit de mort et sur les pressantes exhortations de son oncle, de son frère et de sa sœur, fit don à l'abbaye de Froidmont, pour obtenir le pardon de ses fautes, de son vivier de Betonval, du moulin et de la terre de la Péreuse et des droits de voirie et de justice qu'il avait sur les terres de la "Grange de Mauregard".

Cette même année, le Chevalier Anselme de Balagny et la Dame Hersende de Cressonsacq avaient donné toute la vallée de la Verrière, à l'extrémité de la forêt de Hez et près de Filerval.

En 1154, Galeran de Breteuil et Holdeburge, sa femme, concédaient le droit de voirie qu'ils avaient à Mauregard. Par reconnaissance, les religieux donnèrent dix livres de provins à Galeran et soixante sols à sa femme. Il est vrai que les offres de ces bons moines avaient beaucoup influé sur la détermination du Sire de Breteuil, mais ils tenaient à se libérer, toutes les fois qu'ils le pouvaient, des droits qui grevaient leurs propriétés.

En 1155, Drogon de Merlemont fit aussi don d'une vigne appelée le Clos de Merlemont, et le chevalier Hugues de Bracheux renonça à tous les droits qu'il avait sur elle, ce qui ne l'empêcha pas de s'en emparer peu après avec Henri, son frère, et de la garder. Son fils, Pierre de Bracheux, la retint aussi pendant de longues années jusqu'à ce qu'enfin, touché de l'injustice de son fait, il la rendit en même temps qu'il donna le bois de la Chaîne, pour faire oublier sa conduite, en l'an 1201.

En 1156, Gilon, chevalier et seigneur de Brinvilliers-la-Motte, donna deux parts de la dime dudit Brinvilliers, et en 1157, un autre chevalier, Mathieu de Thérines, en fait autant du tiers de la terre du Mesnil, sise près de Noyers, des bois de Moimont et Cornillet et des terres d'Estencheneuse, tous situés au même lieu, et du tiers de ce qu'il avait à Reuil.

Alors que Manassès gouvernait toujours Froidmont, et que le cardinal de Saint-Marc, Roland des Bandinelli, avait été élevé sur le siège de Rome, sous le nom d'Alexandre III, notre Abbé crut opportun de demander une nouvelle confirmation de son monastère et de ses biens. Le pape, toujours désireux de se montrer favorable, comme il le dit lui-même dans sa bulle datée du 14 des calendes de novembre 1164, aux pieuses demandes qui ont pour but l'accroissement de la religion et de l'honnêteté, prit sa maison sous sa protection et sous celle du Saint-Siège, et la confirma dans son existence.

« Nous statuons, y dit-il encore, que l'ordre monastique que nous savons y avoir été établi selon la crainte de Dieu, la règle de Saint Bernard, et l'institut des frères de Cîteaux, y soit toujours observé ; nous statuons en outre que la propriété de toutes les possessions et de tous les biens que ce monastère possède justement et canoniquement à présent, ainsi que de tous ceux qu'il pourra acquérir par la suite, soit par la concession des pontifes, soit par les largesses des rois ou des princes, soit par les offrandes des fidèles ou par tous autres justes moyens lui sera conservée incommutablement.

« Nous confirmons spécialement tout ce que vous avez à Montigny, à Friancourt, à Fay-sous-le-Bois, à Villers-Saint-Sépulcre, à Merlemont, à Délimont, à Saint-Félix, à Hermes, à Montreuil-sur-Thérain, à Froidmont, ainsi que tout ce que vous avez raisonnablement reçu des moines de Saint-Lucien de Beauvais : la "Grange de Couy" et ses dépendances, la "Grange de Mauregard" et ses dépendances, la "Grange  de Grandmesnil" et ses dépendances, la "Grange de Brinvilliers" et ses dépendances, la "Grange de Laverrière" et ses dépendances, la "Grange de la Vieille-Abbaye" et ses dépendances, la "Grange  de Parfondeval" et ses dépendances, la dîme de Plainval pour la part qui vous appartient, la dîme de Lévremont, la dime de Brinvilliers, la moitié du bois de Fournival,

« Que personne n'ose exiger la dime des terres que vous cultivez vous-mêmes ou que vous cultivez à vos propres frais, ni de la nourriture de vos animaux. Si une personne libre de tout engagement et de toute dette veut, dans l'intérêt de son âme, entrer dans votre monastère, il vous est complètement loisible de la recevoir, et qui plus est, en vertu de notre autorité apostolique nous défendons à qui que ce soit d'oser recevoir ou retenir sans votre autorisation, tout frère clerc ou laïque qui aurait fait profession dans votre maison.

« Et pour veiller, avec une sollicitude toute paternelle, à ce que rien ne vienne troubler, ni votre paix, ni votre tranquillité, nous faisons défense, en vertu de notre même autorité apostolique, d'oser commettre aucun acte de violence, de rapine ou de vol, et d'arrêter aucun homme dans l'intérieur de votre monastère ou dans vos "Granges". Nous décrétons en conséquence qu'il n'est permis à personne absolument de vous troubler témérairement, d'usurper vos propriétés ou de les retenir après les avoir prises, de les diminuer, ou enfin de vous obséder par quelque vexation que ce soit, et que tout ce qui vous a été donné pour votre gouverne, votre sustentation ou pour quel qu’autre usage ou utilité que ce soit doit vous-être conservé dans toute son intégrité.

« Si donc quelqu’un, soit ecclésiastique soit séculier, ose porter une téméraire atteinte à ces lettres de confirmation, et si, après avoir reçu deux ou trois avertissements, il ne donne point une suffisante satisfaction, qu'il soit privé de sa puissance et de ses dignités honorifiques, qu'il sache qu'il est gravement coupable devant le tribunal de Dieu, pour l'iniquité qu'il a commise, qu'il soit éloigné de la réception du Corps Très-Saint et du Sang de Jésus-Christ notre Seigneur-Dieu et Rédempteur, et qu'au dernier jugement il soit soumis à la vengeance divine.

« Quant à ceux qui maintiendront les droits de ce monastère, en récompense de leur bonne action, que la paix de Notre Seigneur Jésus-Christ soit avec eux et qu'ils trouvent auprès du Souverain Juge la récompense d'une paix éternelle.»

Cette bulle comblait de joie le bon Abbé et lui donnait l'assurance que son œuvre ne serait pas troublée dans son existence, ni dans ses biens. Il s'était aussi donné bien de la peine pour la voir prospérer, et ses efforts n'avaient pas été vains, le plus brillant succès les avait couronnés : un monastère entièrement construit, les ateliers nécessaires élevés, les propriétés considérablement agrandies et mises en plein rapport, les produits agricoles de l'abbaye enrichissant la contrée, et, ce qui valait mieux encore, une communauté nombreuse et fervente, animée du meilleur esprit, remplie de zèle pour la pratique exacte de sa Règle et des observances monastiques, tel était le résultat de ses travaux.

Ses vieux jours étaient consolés il pouvait maintenant recevoir sa récompense et mourut peu après, le 9 des calendes d'octobre 1166.

2) Pierre Ier (1166-1175)

Son successeur, Dom Pierre Ier, n'eut qu'à suivre ses traces pour maintenir le monastère à la hauteur où il était parvenu et l'acheminer à une prospérité plus grande en augmentant encore ses ressources et son personnel.

Mathieu I1, comte de Beaumont, entendait dire tant de bien des religieux cisterciens, qu'il tenait à témoigner toute sa bienveillance aux monastères de cet ordre. Il commença par leur accorder le passage gratuit ou l'exemption du "droit de péage et de travers" sur toutes ses terres pour leurs gens et leurs marchandises. Froidmont eut cette faveur en 1166 et ce n'était pas un mince privilège. On sait qu'au moyen-âge, et au XIIe siècle surtout, le transit des marchandises était frappé de droits multipliés, qui, sous le nom de péage, portage, travers, etc., nuisaient considérablement au commerce. Au XIIIe siècle, l'usage d'en affranchir les nobles, les clercs et les religieux, s'introduisit petit à petit, et en 1256 le pape Alexandre IV fit une règle de cet usage pour l'ordre de Cîteaux tout entier.

Mais en 1166, la concession du Comte de Beaumont avait une valeur toute spéciale pour l'abbaye de Froidmont. La nécessité où elle se trouvait d'écouler les objets inutiles à sa consommation ainsi que l'excédent du produit de ses cultures, et de devoir se procurer les objets indispensables qu'elle ne trouvait pas chez elle, l'obligeait à se rendre sur foires et les marchés publics qui étaient loin d'être aussi rapprochés qu'ils ne le sont aujourd'hui. Cet usage était alors dans les mœurs générales, et l'on était forcé de s'y conformer par l'absence ou la rareté des établissements commerciaux, par les difficultés des correspondances et des communications. Les courtiers et les commis-voyageurs n'existaient point encore ; il fallait donc se rendre aux localités spéciales qui avaient foires et marchés pour échanger sur place ses marchandises ; il fallait traverser souvent de nombreux pays dont les seigneurs ne manquaient pas de se faire payer un droit de passage, ce qui produisait, à la longue, un déboursé considérable. Etre affranchi de ce droit, n'était donc pas sans valeur.

Les religieux de Froidmont ne se contentaient pas seulement de cultiver les céréales et d'être de grands éleveurs ; pour se procurer leur boisson et celle des serviteurs qu'ils employaient, ils se firent viticulteurs. Les pentes du Mont César et du Mont de Hermes, par la nature de leur sol, paraissaient convenir à ce genre de culture. Elles furent défrichées et plantées en vigne ; un pressoir fut construit à proximité du vignoble de Froidmont et de celui de Délimont, au pied de la montagne et organisé, quant à son personnel, sur le modèle des "granges". Les seigneurs de Bailleul autorisèrent très volontiers cet établissement. Comme il était dans leur mouvance seigneuriale, ils en percevaient les droits nombreux qui, sous le nom de pressurage, roage et forage grevaient la production du vin. Pourtant ils ne tardèrent pas à l'en affranchir.

Cette maison de Bailleul se montrait fort bien disposée à l'égard du monastère, et elle prenait même plaisir à l'enrichir et à augmenter ses propriétés.

Ainsi en 1170, la dame Sigaulde de Bailleul renonça à tous les droits qu'elle avait sur le pressoir de Froidmont ; son fils, Jean de Bailleul, donna trois deniers de cens et la moitié de l'aunaie Bernard et du bois d'Elencourt ainsi que les droits de justice qui lui appartenaient sur les biens des dits religieux, tandis que Bernier, son autre fils, faisait don de cinq sols de rente.

En 1173, Grégoire de Bailleul, noble chevalier de cette même famille, avec le consentement de sa femme Emeline, d'Aimeric, son ainé, de Raoul, Hugues, ses enfants, et de Gautier, son frère, donna le quart de la dime qu'il percevait sur les vignes des religieux à Froidmont et à Délimont, ainsi que tous les autres droits de pressurage, de rouage, de vinage, de garde de vignes, de justice et autres qu'il avait sur ces mêmes vignes. Il y ajouta toutes les redevances et corvées qu'il avait droit d'exiger de toutes les vignes, terres et près du monastère, tous les droits seigneuriaux qu'il pouvait avoir sur la "Grange de la Vieille-Abbaye", le bois situé entre la fontaine d'Aleric et le bois Régnier, les aunaies et les prés lui appartenant au-dessous de la Vieille-Abbaye, l'autre moitié de l'aunaie Bernard, le plateau tout entier qui couronne le Mont César et tout le versant situé entre le val Hersende et le bûcher de Bailleul. Ce généreux chevalier alla déposer lui-même l'acte de donation entre les mains de l'Abbé Pierre, qui crut devoir lui témoigner la reconnaissance du monastère en lui attribuant, sur la "Grange de Gouy", une redevance annuelle de trois muids de blé et de deux muids d'avoine.

Grégoire de Bailleul ne devait pas s'en tenir là, et le cartulaire du monastère nous fait connaître d'autres donations, qui eurent lieu sous le gouvernement de l'Abbé Guillaume, l'un des successeurs de Pierre. Sa sœur, Marguerite de Bailleul, luttait avec lui de générosité, et, pendant qu'il donnait, en 1186, son bois de Froidmont, près de la Vieille-Abbaye, et un muid de blé de redevance annuelle pour accorder pitance aux religieux, elle remettait un muid de blé et un muid d'avoine qui lui étaient dus et donnait le quart de la dîme de Bailleul.

Un autre seigneur, Odon de Mogneville, avait abandonné, en 1175, sa part du dîmage des vignes de Bailleul, un pré appelé le Pré-Messein et trois mines de blé qui lui étaient dues.

L'Abbé Pierre Ier mourut vers cette époque et l'obituaire du monastère fait mémoire de son décès au VI des calendes de janvier 1177.

3) Robert I (1177-1180)

En 1177, un illustre chevalier de la maison de Trie, Enguerrand Il, qui venait d'épouser Odévie de Mouchy, veuve de Nivelon III de Pierrefonds, avait donné à l'abbaye de Froidmont, sur la montagne de Saint-Félix, une terre appartenant à sa femme par indivis avec Basilie, sa nièce, de la contenance d'une charrue de faire valoir. Odévie, avec Jean et Pierre, ses enfants, avait ratifié cette donation, et Basilic de Mello, avec l'agrément de Guillaume de Mello, son frère, avait abandonné ses droits sur cette terre.

Odévie et Basilic se réservèrent chacune deux muids d'avoine de rente annuelle. Hescie de la Cengle et leurs enfants, donnèrent un bois sis au terroir dudit Gannes et appelé le bois d'Ivry. Il contenait quinze muids de terre et les religieux devaient le défricher et le mettre en culture ; c'était, du reste, leur pratique habituelle. Cette donation fut solennellement signée, à Maignelay, par l'intermédiaire de Guillaume de Maignelay, qui renonça aux droits qu'Agnès, sa femme, pouvait avoir sur ce bois.

Robert mourut peu après avoir accepté cette donation, le 6 des calendes de mai 1181.

4) Guillaume I" (1181-1193)

Guillaume 1er venait d'Ourscamps, où il  était encore prieur en 1180.

La première année de son administration, le vendredi après Pâques de l'an 1181, deux frères, Boscion et Gontran de Grosmesnil, voulant lui être agréables, lui concédèrent un chemin large et convenable à travers leurs terres, afin que les troupeaux et les voitures, allant du monastère à la "Grange de Grandmesnil", pussent y circuler commodément. Puis, mettant fin à un différend qui les divisait, au sujet de la dime de certaines terres que l'un de leurs frères avait données à l'abbaye, ils renoncèrent à toutes leurs prétentions. Gontran fit plus encore, il constitua une rente d'un demi-muid de blé à prendre annuellement sur ses biens, tant qu'il vivrait, et voulut qu'après sa mort, cette rente fût remplacée par une partie de sa terre du Saucet de la contenance d'un demi-muid. La rente était ainsi mieux assurée  et il n'avait plus à craindre que ses héritiers ne la payassent pas.

En 1182, l'Abbé Guillaume eut à soutenir les droits de son monastère contre les prétentions d'un Gilbert de l'Hôpital, bourgeois de Beauvais, qui voulait s'emparer de la moitié de la maison où ses religieux habitaient quand ils venaient à Beauvais, et que lui avait donnée Girard Mahommes ; ses titres déboutèrent de ses demandes le cauteleux voisin. Pour n'être plus exposé à une semblable querelle, Guillaume en écrivit au pape, et Lucius III confirma la donation et la possession de cette maison.

Geneviève de Gerberoy fit don, peu après, d'une autre maison à Beauvais, située sur la place Saint-Etienne.

En 1184, un noble habitant de Montigny, Odon dit Cauche de Leu, donne dix-huit mines de terre à la Fosse-Thibault. Barthélemy de Fournival, sénéchal de Bulles, donne aussi trois muids de grains de rente annuelle à prendre sur sa terre de Fournival, afin d'obtenir des prières pour le repos de l'âme d'Hubert de Fournival. Son fils, Barthélemy, ratifie cette donation, en 1185, avec Gérard de Boutenangle, son beau-frère, et donne lui-même toute sa terre de Fournival, qu'il ne parvient plus à faire cultiver, pour que les religieux l'exploitent. Il leur demande toutefois que, pendant sa vie, ils lui abandonnent la moitié du produit qu'ils en tireront, pour l'aider à vivre et à soutenir son rang. Après sa mort, ils ne rendront rien à ses héritiers.

L'année 1186 est signalée par les donations de terres et de bois sur le Mont César, faites par Grégoire de Bailleul et Raoul, maire de Bresles, par celle d'Odon de Brinvilliers, le fils du chevalier Aymard de Brinvilliers, qui abandonne tout son droit de champart, sur les terres que les frères de la "Grange de la Fosse-Thibault" cultivaient à Hombleneuse.

La même année, Raoul de la Cengle donnait tout ce qu'il possédait à Gaimes et, à Ivry, un muid de froment de rente, percevable sur l'essart du bois d'Ivry, qu'il avait lui-même donné à défricher en 1179 à ces religieux, et les tenait quittes de tous les droits auxquels il pouvait prétendre sur leurs propriétés.

D'un autre côté, Gontran du Quesnel et toute sa famille donnaient semblablement six muids de grains de rente, dont deux pour le repos de l'âme de Pierre du Quesnel, fils dudit Gontran, décédé religieux de Froidmont, et trois pour le repos de celle d'Hubert de Fournival.
L'année 1187 fut marquée par la donation d'Odon de Bresles, de plusieurs pièces de vignes et de terre à Froidmont; par celle des chevaliers Mathieu et Simon de Cuignières, de deux muids de blé de rente à percevoir sur les moulins d'Essuile et de Coizeaux ; par celle de Marguerite d'Avrechy, seconde femme et veuve alors de Simon de Cuignières, de deux muids de blé aussi de rente à prendre à Avrechy ; par celle d'Ascelin de Plainval, d'une partie du bois de Légniviler, près Gannes, appelé le bois Guy et par l'abandon que fit Guy, fils du chevalier Pierre d'Haudivillers, de tous ses droits sur certaines terres sises au terroir d'Ansauvillers.

En 1189, les donations sont encore plus nombreuses et plus importantes :

  • un clerc de Clermont, nommé Girard, donne deux arpents de vignes à Béthencourt
  • les nobles chevaliers Aymard et Odon de Brinvilliers, père et fils, abandonnent dix-huit mines de terre à la Fosse-Thibault et trois muids de grains de rente
  • Mathieu d'Angivillers aumône toute la dime qu'il tenait en fief de l'évêque de Beauvais, au terroir d'Aioviler et de Longbus
  • le seigneur de Gannes, le chevalier Ascelin, avec Ermengarde, sa femme, Hugues, AIbin, Odon, Emeline et Agnès ses enfants et Hugues, son frère, donne à défricher trente muids de son bois d'Aioviller près Longbus, sous la réserve du champart ou de la neuvième gerbe que les religieux devront lui porter à Gannes, à Longbus ou à Sains, selon qu'il résidera dans l'une ou l'autre de ces propriétés
  • le Seigneur du Cardonnois Jean Rage, avec Agnès, sa femme, Gautier, Enguerrand et Mabilie, ses enfants, donne aussi deux muids de blé de rente pour le repos de l'âme d'Adam du Cardonnois, son père, qui avait sollicité la faveur d'être enterré dans l'abbaye.

Foulques du Quesnel tenait à champart, concurremment avec les religieux, de la "Grange de Grandmesnil", quatre muids de terre auprès de cette grange, que le chevalier Robert de Houssoy lui avait accensés. Il les avait défrichés et mis en rapport, mais se sentant mourir, il voulut assurer l'avenir d'Aline, sa femme, et de Raoul, son fils. Il les abandonna donc à Froidmont, à la condition que le monastère logerait et entretiendrait sa femme,  à ses frais, dans le village de Froidmont qui venait de se former près de l'abbaye, si elle voulait y rester, et qu'il lui accorderait secours et protection ; mais si elle ne s'y plaisait pas et voulait aller habiter ailleurs, alors il lui fournirait, tous les ans, deux muids de blé et deux mines de pois ou de fèves pour sa nourriture, une tunique de même étoffe que celle dont se servaient les religieux, pour son habillement, et tous les deux ans, une pelisse d'agneau. Quant à son fils Raoul, le monastère devra aussi prendre un soin convenable à sa nourriture et à son habillement, mais sans dépenses excessives, et le faire suffisamment instruire pour qu'il puisse être reçu religieux profès dans l'ordre de Cîteaux, si Dieu l'y appelle. S'il veut rester dans le monde, on le laissera faire sans être à rien obligé désormais à son égard, si ce n'est qu'après la mort de sa mère, on lui donnera annuellement les deux muids de blé qu'elle recevait de son vivant.
Bérenger de Noyers avait aussi pris du prieur de Bulles, une terre sise devant l'entrée de la "Grange de Gouy", pour la cultiver moyennant champart, c'est-à-dire moyennant la neuvième gerbe de la récolte, qu'il était tenu de livrer au bailleur ; mais il est probable que le bénéfice n'était pas considérable, car il se lassa bientôt de lui consacrer ses sueurs et l'abandonna aux religieux de Froidmont qui surent en tirer un meilleur parti, et lui donnèrent, pour le récompenser, cent sols de monnaie beauvaisine.

Pendant que les donations pieuses augmentaient le domaine des monastères, les expéditions en Terre-Sainte continuaient leur train. Une nouvelle levée de boucliers avait lieu en 1190, et le roi Philippe-Auguste partait à la tête de ses croisés, le 24 juin. Avant son départ, il tint à témoigner sa bienveillance à un certain nombre d'ordres religieux et à les mettre d'une manière toute particulière sous la protection de l'autorité royale. Il s'éloignait, il est vrai, pour un temps de ses états, mais l'archevêque de Reims, Guillaume de Champagne, à qui il avait confié les rênes du gouvernement, restait pour faire respecter ses ordonnances. Par une lettre datée de quelques jours avant son départ, donnée à Paris et adressée à ses baillis, il prit, sous sa protection spéciale, plusieurs monastères de l'ordre de Cîteaux ; Froidmont fut du nombre, avec Ourscamps, Beaupré, Lannoy et Chaalis. 11 frappa d'une amende considérable quiconque oserait les troubler dans leur personnel ou dans leurs biens, et aussi les baillis qui ne leur feraient pas rendre justice. Il voulait ainsi préluder, par une bonne œuvre, à son lointain voyage, et s'assurer les prières des moines.

Le même motif détermina aussi plus d'une donation :

  • le maire de Saint-Félix, nommé Pierre, partant pour la croisade de Jérusalem concède, à Froidmont, deux mines d'avoine de rente qui lui étaient dues sur la "Grange de La Verrière"
  • le comte de Clermont, Raoul, qui accompagnait Philippe-Auguste en qualité de connétable, donne une partie de la forêt de Hez et le bois de La Houssière, pour que les religieux prient aussi pour lui, l'inscrivent dans leur obituaire et lui fassent célébrer un service solennel aussitôt qu'ils apprendront sa mort. Hélas! Ils ne devaient pas attendre longtemps, car il mourut l'année suivante en 1191 au siège de Saint-Jean-D’acre. Il était venu lui-même, avant son départ, dans l'église de Froidmont, et avait déposé sa charte de donation sur l'autel, en présence de l'Abbé Guillaume et de tout son couvent
  • Guillaume, seigneur de Mello, exempte le monastère de tout droit de travers et autre dans toute l'étendue de son domaine, et ajoute deux muids de vin de redevance annuelle
  • d'autres chevaliers enfin tinrent eux mirent tout leur honneur à contribuer, par de larges donations, à augmenter le domaine et les revenus de Froidmont.

Ce monastère, grâce à sa régularité, jouissait alors d'une si haute réputation que de toutes parts on y venait demander l'habit religieux. Un des compagnons d'exil de l'illustre Thomas Becquet, archevêque de Cantorbéry, vint s'y consacrer à Dieu après la mort de son saint et héroïque protecteur. Comme lui, il se nommait Thomas. Natif de Beberlach, en Angleterre, il avait perdu jeune ses parents et s'était attaché à la personne du grand archevêque. Il partagea sa fortune et le suivit dans l'exil, sur la terre de France. Privé de son appui, il se retira, à Froidmont, dans la solitude du cloître, et demanda à la prière et à 1'étude l'oubli de ses affections. Il avait jadis cultivé les lettres et la poésie ; il s'y livra avec une nouvelle ardeur. Il composa une vie du vénérable archevêque martyr, son bienfaiteur, un "Traité du mépris du monde", qu'il dédia à sa sœur Marguerite, dite de Jérusalem, religieuse à Montreuil-les-Dames, et un poème latin, en forme d'élégie, où cette Marguerite elle-même est supposée raconter sa vie, sa captivité chez les Sarrazins, et son retour en France pour y chercher son frère.

Un autre écrivain et poète aussi habitait en même temps Froidmont et s'adonnait, sous la bure, à ces études chéries qui lui avaient attiré tant d'applaudissements dans le monde. L'église de Beauvais l'honore comme un de ses saints, et les érudits, comme les pieuses âmes le nomment Hélinand. Il reçut l'habit religieux de la main de l'Abbé Guillaume, et les chartes du monastère nous le font plus d'une fois apparaître comme témoin à des actes des années 1190,  1191 et 1192 ; mais c'est surtout sous les six successeurs de Guillaume qu'il vécut.

Guillaume mourut le VII des calendes de mai (25 avril) de l'an 1193.

5) Salicius (1193-1207)

Salicius, qui fut élu pour lui succéder, sortait d'Ourscamps où il avait rempli avec beaucoup d'habileté la charge de cellérier. Son expérience, que les religieux de Froidmont avaient été à même d'apprécier, dans plus d'une circonstance, l'avait tout naturellement désigné à leurs suffrages. Le premier acte du cartulaire, qui fasse mention de lui comme Abbé, est un accord passé en 1195 par devant l'évêque Philippe de Dreux entre son monastère et les enfants d'un nommé Roger Du Bois.

Cette même année, l'abbaye de Breteuil lui donna le tiers de la dime du terrage de Beaufay et quatre mines de terre sises entre l'essart que ses convers faisaient valoir auprès de La Bruyère.

En 1197, le fils de Renaud de Gournay, Hugues dit le meunier, lui fit aussi quelques donations, et l'année suivante, un illustre chevalier, Manassès de Mello, lui aumôna son moulin de Cires.

La maison de Clermont tenait à conserver ses traditions de bon vouloir envers Froidmont. Le comte Raoul était mort en Terre-Sainte, ne laissant que deux filles pour héritières de ses vastes domaines, Catherine et Mathilde. L'aînée, Catherine, comtesse de Clermont, avait épousé Louis, comte de Blois. D'accord avec son mari, et avec le consentement de Thibault et Jeanne, ses enfants, et de sa sœur Mathilde, elle fit don, en 1200, de tout son bois de Cormeilles, pour que les religieux de Froidmont pussent le défricher et y fonder une grange.

Les convers se mirent à l'œuvre aussitôt; mais le fils d'un certain Gondoin, de Cormeilles, nommé Pierre, voulut les arrêter, en réclamant, comme sa propriété, une partie de ce bois. Il paraissait avoir raison, mais le comte de Clermont le détermina à transiger, et, moyennant 80 livres d'argent et une rente annuelle de huit muids de grains sur la nouvelle grange, il abandonna tous ses droits. Richard, dit Rousseau, et les habitants du Crocq renoncèrent aussi à tous les droits d'usage et de pâturage qu'ils avaient en ce même bois, pour que rien ne pût gêner les frères ni leur exploitation.

Les filles de l'ancien sénéchal de Bulles, Barthélemy de Fournival : Adélaïde, Marguerite et Mathilde, venaient d'hériter d'Emeline leur mère, qui avait épousé en secondes noces Gérard de Boutenangle, du tiers des fiefs du Ply, du Mesnil, de la Corneloye, de Moimont et d'Etencheneuse, tous situés près de Reuil-sur-Brèche. Avec le consentement d’Hugues de Plainval, de Warnier Du Bois, et de Simon de Noyers, leurs maris respectifs, elles les donnèrent à Froidmont, moyennant sept muids dix mines de grains de rente annuelle.

Le 25 septembre 1200, le pape Innocent III, acquiesçant aux justes réclamations de l'Abbé de Froidmont, qui se plaignait des droits multipliés qui frappaient la vente et l'acquisition des objets nécessaires à l'alimentation, et voulant lui témoigner sa bienveillance, déclare qu'à l'avenir, il ne sera plus permis de percevoir les droits indirects connus sous le nom de péage, vinage, forage rouage et autres, sur les denrées que ses religieux vendront ou achèteront. Cette mesure affranchissait le monastère de bien des vexations et ne pouvait être que d'une très grande utilité pour lui ; elle favorisait ses transactions commerciales.

En 1201

  • le seigneur de Mello, le chevalier Renaud, donne douze muids de blé de rente à prendre à Mello, et trois muids de vin à Nogent tandis que l'un de ses voisins
  • le chevalier Raoul de Warty, partant pour la croisade, abandonne 12 deniers de cens, sur une vigne à Béthencourt.

En 1202,

  • le châtelain de Bulles, Robert, pour aider les religieux à se procurer la cire nécessaire au luminaire des autels cède 40 sols de monnaie beauvaisine à prendre sur son essart de Houssoy
  • Emeline Morvilain donne la vigne appelée Mathuèle près de Clermont
  • Odon d'Argenlieu deux muids de froment de rente
  • Baudoin de Wavignies, les bois de Beaufay, de Busménard et de Grosselve
  • Guillaume, seigneur de Mello, une rente de 50 sous parisis
  • les chanoines de Mouchy la moitié de la dîme du blé et du vin qu'ils avaient droit de percevoir à Bailleul-sur-Thérain, moyennant un cens annuel de neuf muids de grains
  • Odon de Mogneville le quart de la dime du même lieu.

En 1203, Raoul de Sauqueuse donne vingt-six mines de terre près Grandmesnil, et le droit d'usage dans le bois de Gautier de Mouy.

Pour mieux affermir les concessions faites à son monastère, et rendre la propriété de ses biens plus indiscutable, l'Abbé Salicius eut recours au moyen qu'avaient employé ses prédécesseurs, en demandant au Souverain Pontife leur confirmation.

Le pape Innocent III accédant à sa prière, par une bulle datée de l'an 1203 et donnée à Anagni, déclare qu'il prend sous sa garde et protection l'abbaye avec tout son personnel et ses biens, et qu'il la maintient incommutablement dans la possession de toutes les donations et acquisitions dont elle était bénéficiaire, de quelque part qu'elles vinssent.

Puis il désigne, comme étant plus spécialement l'objet de sa confirmation,

  • le lieu où le monastère est situé avec toutes ses dépendances
  • les "Granges de Gouy", de "Grand-Mesnil", de "la Fosse-Thibault", de "Cormeilles", de "la Verrière", de "Mauregard", de "Parfondeval" et de "Vieille-Abbaye", avec leurs dépendances
  • la partie de la forêt de Hez, et le droit d'usage dans toute cette forêt, ainsi que tous les autres bois, terres et prés que les seigneurs de Bulles et les comtes de Clermont lui ont donnés
  • les bois de la Houssière et d'Elencourt
  • le bois et la terre du Mesnil
  • le bois Perreux
  • l'étang et le libre cours de l'eau pour leur moulin bâti sur la Brèche, près Mauregard, avec le droit de pêche dans la rivière
  • les terres du mont de Hermes et du mont de Froidmont
  • les possessions de Froidmont, de BresIes, de Bailleul, de Hermes, de Saint-Félix, de Condé, de Caillouel, de Fournival, de Merlemont, de Montreuil-sur-Brèche, de Montreuil-sur-Thérain, de Villers-Saint-Sépulcre, d'Haudivillers de Noyers, de Litz de Campremy, de Montigny, de Wavignies, de Plainval, de Brinvilliers, de Gannes, de Beauvais, de Clermont, de Beaumont et de Montdidier.

En outre,

  • il renouvelle l'exemption de la dime pour toutes les terres, jardins, vergers, droits de pêche, d'usage et de pâturage du monastère
  • il permet d'y recevoir à la profession toute personne libre, clerc ou laïque, et défend à tout profès d'en sortir sans le consentement de l'Abbé, et à toute personne de recevoir le fugitif sans l'assentiment dudit Abbé. Si malgré cette défense le contraire a lieu, l'Abbé pourra frapper les délinquants d'une sentence canonique
  • défense est aussi faite d'aliéner aucune propriété de l'abbaye sans le consentement de tout le couvent ou de la plus grande et de la plus saine partie, et cela sous peine de nullité du contrat, comme aussi à tout religieux profès ou convers de cautionner qui que ce soit, ou d'emprunter de l'argent, sans le consentement du chapitre, et au cas contraire le couvent ne sera tenu à rien, ni responsable en aucune manière
  • il leur est permis de déposer dans leurs causes, tant civiles que criminelles, pour conserver leurs droits et d'appeler leurs frères en témoignage, s'il n'y a point d'autres témoins, mais il est défendu à tout évêque comme à tout autre personnage de les citer ou contraindre à se rendre aux synodes ou aux assemblées publiques étrangères à leur institut, ni de les forcer à porter devant les tribunaux séculiers les causes relatives à leurs biens
  • il leur est défendu de même  de venir au monastère pour y conférer les saints ordres ou pour y convoquer des assemblées publiques, d'empêcher l'élection régulière de l'Abbé ni de s'immiscer, contrairement aux statuts de l'Ordre de Cîteaux, de l'institution ou de la révocation dudit Abbé
  • si l'évêque du diocèse refuse, après en avoir été humblement requis, de bénir l'Abbé régulièrement élu, et d'exercer les autres fonctions du ministère épiscopal, quand il en sera besoin, l'Abbé pourra licitement bénir ses novices, si toutefois il est prêtre, exercer les autres fonctions de sa charge, et demander à un autre évêque ce que le sien lui refuse sans raison.
  • Quant à la prestation de serment à exiger des Abbés, les évêques devront se contenter de celle, dont la forme et les expressions ont été adoptées dès l'origine de l'Ordre, et les Abbés ne le prêteront que sauf leur ordre, et personne ne pourra le forcer à le prêter contrairement à ses statuts.
  • L'ordinaire ne devrait non plus rien exiger d'eux sous quelque motif que ce soit, pour la consécration des églises et des autels, ni pour les Saintes Huiles, ni pour l'administration d'aucun sacrement ; tout sera fait gratuitement. En cas de refus, ils pourront s'adresser à tout évêque qui leur plaira, pourvu qu'il soit en communion avec Rome.
  • Pendant la vacance du siège épiscopal diocésain il leur est permis d'avoir recours aux évêques voisins pour tout ce qui est du ressort de leur ministère, mais sans que cela puisse tirer à conséquence, ni porter plus tard préjudice au diocésain qui serait nommé. Pour les favoriser plus encore et parer à tous les inconvénients du défaut d'évêque, Innocent leur accorde la faculté d'user du ministère des évêques en communion avec le Saint-Siège, qui viendraient à passer dans leur monastère, pour bénir les vases et ornements sacrés, pour consacrer les autels et conférer à leurs religieux le sacrement de l'Ordre.

Cette permission, qui parait surprendre, avait alors sa raison d'être ; les évêques, étant grands seigneurs temporels, étaient obligés comme tels de conduire leurs vassaux à la guerre. Ainsi, à cette époque, l'évêque, comte de Beauvais, fut en Terre-Sainte, accompagner le roi à la tête de ses hommes d'armes. Philippe de Dreux, qui du reste était d'humeur assez belliqueuse, aimait ces expéditions, et il fut bien souvent hors de son diocèse ; de la sorte, la bulle pontificale remédiait aux inconvénients de son absence.

D'un autre côté il arrivait assez souvent que l'évêque ou son chapitre voyait d'assez mauvais œil l'accroissement de la fortune du monastère, l'exemption de la dîme dont jouissaient ses biens, et les nombreuses donations qui lui étaient faites. Ils ne voyaient pas mieux les migrations qui se produisaient sur leurs terres, pour aller fixer leur demeure sur celles de l'abbaye et donner leurs bras à leur culture. Les seigneurs faisaient souvent cause commune avec l'évêque, de là des attaques, des sentences d'excommunication et d'interdit portées à chaque instant et pour le plus futile motif, des déprédations, des troubles, des usurpations, des meurtres mêmes.

Le pape s'émut de cet état de choses, et par sa bulle, il déclare nulle et de nul effet toute sentence d'excommunication, d'interdit ou autre, portée contre le monastère, ses religieux ou ses domestiques, à l'occasion de la dîme, ou contre ses bienfaiteurs à raison de leurs donations ou de l'aide charitable qu'ils offraient dans les travaux des champs. Il frappe d'excommunication quiconque osera le troubler dans la possession de ses biens, incendier ses bâtiments ou se livrer à des violences contre ses moines ou ses serviteurs.

Une bulle aussi explicite, et qui confirmait avec tant de solennité, non seulement les possessions territoriales, mais aussi les privilèges tant anciens que nouveaux du monastère, devait assurer la tranquillité de ses religieux et les mettre à l'abri de bien des vexations. Il n'en fut rien et le contraire arriva, comme l'on devait s'y attendre. Naturellement, plus un homme, un ordre, ou une institution quelconque est privilégiée, plus elle voit s'accumuler autour d'elle de mauvais vouloir, de jalousie, de convoitise et de haine. Les moins favorisés se croient toujours blessés dans leurs intérêts par les privilèges des autres. Ceux-ci étaient protégés par la haute autorité du Pape et par les censures ecclésiastiques les plus sévères, mais rien n'y fit, d'autant plus que l'une et les autres perdaient alors considérablement de leur prestige.

Une année ne s'était pas écoulée depuis l'obtention de cette bulle, que le monastère de Froidmont était troublé dans ses possessions. L'abondance de ses biens, l'extension de ses propriétés et de ses droits, la prospérité de ses établissements agricoles faisaient envie, et l'on ne se gênait pas pour empiéter sur ses terres, pour enlever furtivement ses récoltes, battre ses convers et ses serviteurs, et piller ses exploitations. L'Abbé Salicius se plaignit encore à Rome, et le pape Innocent III lui accorda une nouvelle bulle, le 4 mai 1204, pour essayer de remédier au mal dont il ne se dissimulait pas la gravité, sa lettre en fait foi. Il l'adresse à l'archevêque de Reims, à ses suffragants, aux Abbés et à toutes les personnes ecclésiastiques constituées en dignité dans la province de Reims, pour qu'elle obtienne plus d'effet et un résultat plus sûr, mais le temps n'y était pas.

Il s'y plaint amèrement que les censures ecclésiastiques, et les sentences canoniques ne sont plus respectées et que ce sont précisément les monastères les plus privilégiés du Saint-Siège qui sont les plus maltraités, sans qu’ils ne puissent nulle part trouver protection. Et il renouvelle la sentence d'excommunication majeure contre quiconque osera porter atteinte à leurs biens, à leurs personnes et à leurs droits.

La violence était si profondément entrée dans les mœurs de cette époque, même dans les mœurs des monastères, que le pape crut devoir spécifier dans la bulle les moyens à prendre pour relever des censures qu'il portait contre elle. Il l'avait frappée d'excommunication et de suspense pour les ecclésiastiques et les religieux, mais pour ne pas fermer la porte au repentir, il statue que les laïques et les clercs séculiers, qui auront encouru cette sentence, pourront en obtenir l'absolution, en venant à Rome, munis de lettres de leur évêque, et que les religieux et les chanoines réguliers serontabsous par leurs Abbés respectifs, à moins de sévices graves qui les renverraient au pape.

Quelques mois plus tard, Innocent se vit encore dans la nécessité d'intervenir, pour s'opposer aux déprédations dont Froidmont était victime. Par une nouvelle bulle, il commet les évêques de Beauvais, d'Amiens et de Noyon pour leur faire rendre justice et forcer les injustes détenteurs de leurs biens à les leur restituer dans le plus bref délai.

Ce monastère était alors bien éprouvé, comme on le voit, et les donations ne venaient pas compenser le tort qui leur était causé. Elles furent rares, de l'an 1203 à l'année 1207. Le cartulaire en mentionne à peine trois ou quatre et encore sont-elles de peu d'importance. Ce sont des redevances, dont Guy d'Attainville, Jean, maire de Cormeilles et autres tiennent quittes l'abbaye.

Salicius mourut le 23 janvier 1207 et fut inhumé dans la salle du chapitre.

6) Henri Ier (1207-1214)

Le moine Henri succéda immédiatement à Salicius, et le cartulaire de Saint-Denis fait mention de lui en l'an 1207.

Les temps n'étaient pas meilleurs, ni moins troublés ; cependant l'Abbé de Froidmont voyait avec joie que la bienveillance de ses nobles voisins ne lui faisait pas défaut. L'année même de sa prise de possession,

  • Odévie de Mouchy lui donnait quarante sols de cens annuel à prendre sur ses redevances de Mouchy, trois muids de vin de ses vignes de Heilles et de Courcelles, et le droit de pêche dans la rivière du Thérain
  • Isabelle, dame d'Antin, lui aumônait quarante autres sols parisis, pour acheter des rentes suffisantes à fournir deux pitances
  • un habitant de Saint-Denis-lès-Paris, Anselme de Poix, lui faisait don de sa maison,  sise audit lieu, avec une masure adjacente
  • le frère du chevalier Jean du Cardinet, Enguerrand, donnait deux muids de blé de rente à prendre à Pierrepont.

Les années suivantes furent marquées par les donations de :

  • Jean de la Cengle, chevalier et seigneur de Thieux, d'une terre à Couy
  • Manassès de Bulles, de tout le territoire qui lui appartenait à Cormeilles, entre le Puits-Léger et le chemin d'Hardivilliers
  • Droguet de Mouy, des droits seigneuriaux qu'il avait sur le territoire de Vessemesnil, près Grandmesnil.

En 1208 ce sont les donations

  • d'Odon et Hubert de Gannes de champart audit lieu
  • d'Odon Scot, bourgeois de Mouchy, du Courtil du roi Raoul, sis à Mouchy, pour en faire une cressonnière à l'usage du couvent.

En 1210, Pierre de Hénu, partant pour la croisade contre les Albigeois, où il accompagne Philippe de Dreux, son belliqueux évêque, donne une vigne sise à Clermont, avec la maison qui sert aux vendanges.

En 1213

  • le chevalier Guy d'Attainville, moyennant huit setiers de vin, que les religieux lui paieront annuellement, concède et confirme, comme seigneur du lieu, les terres et vignes que l'abbaye possède au Fay-sous-Bois
  • Marguerite, dame de Bruyères, et Pierre, chevalier et seigneur de Brinvilliers, donnent, l'une, quarante-huit mines de blé de rente, et l'autre, sa part de la dime de Brinvilliers et de tout ce qui lui revient dans le bois Bouvète, près Grandmesnil.

En 1214, plusieurs pièces de terre et de vignes et deux maisons à Clermont lui sont données par Regnault et Régnier Yillain, et par un clerc, nommé Pierre, surnommé le bourgeois de Clermont.

Vivait alors dans le monastère de Froidmont, un moine illustre, que l'église de Beauvais honore comme un saint, et que les lettres revendiquent comme un poète et un historien. Il s'appelait Hélinand. Né à Pronleroy, en Beauvaisis, d'une famille noble, originaire de Flandre, il vint étudier à Beauvais, sous la direction du grammairien Raoul.

Doué d'une imagination vive et féconde, il cultiva la poésie avec un goût tout particulier, et avec un succès qui le faisait rechercher par les grands, et même par la cour. Il excellait surtout dans la chanson et dans la satire aux traits fins, spirituels et mordants. Gentil ménestrel, il parcourait les châteaux, semant la gaité partout où il se trouvait. « Il ne se donnait, de son temps, dit l'"Histoire littéraire de la France", ni spectacle, ni divertissement, dans les places publiques, dans les écoles ou les tournois, où il ne fut appelé.»  Plus d'une fois, le roi Philippe-Auguste le fit venir à la cour pour entendre ses joyeux propos, et un auteur contemporain, Alexandre de Paris, rapporte que, dans une de ces circonstances, il chanta, aux applaudissements de tous, l'entreprise des Titans et leur défaite par Jupiter.

Pourtant un jour, Hélinand, lassé de cette vie folâtre, licencieuse et mondaine, résolut d'aller demander au cloître un asile où il pût expier ses fautes et ses erreurs passées. Il renonce aux plaisirs de sa vie aventureuse, aux faveurs de la cour, quitte ses biens, et va demander à embrasser la vie religieuse au monastère de Froidmont, tout près de son pays natal. L'Abbé Guillaume le bénit, l'accueille avec tendresse, et lui donne l'habit après quelques jours d'épreuve. Le troubadour converti ne faiblit pas devant les austérités religieuses de son nouveau genre de vie.

Quoique d'une santé faible et délicate il donne partout et toujours l'exemple de la prière, du travail, des veilles et de l'obéissance. Il se livre avec ardeur à l'étude de l'Ecriture-Sainte et de la théologie, mais sans oublier les belles-lettres. Sa gaîté ne l'abandonne jamais, et il fait les délices, par ses spirituelles réparties, de ceux qui vivent avec lui. Un jour que Philippe de Dreux, évêque de Beauvais, lui disait « Comment se fait-il donc que vous soyez mieux portant, et que vous ayez la figure plus belle que lorsque vous viviez dans les plaisirs du siècle ? »« C'est, répond Hélinand, que dans le siècle je vivais d'une manière aussi déréglée qu'elle était désordonnée ; et il est d'expérience que le premier défaut nuit à la beauté et le second à la santé ; tandis qu'ici je mène une vie uniforme et réglée, deux avantages dont l'un me donne la santé et l'autre la beauté. » - « De quoi donc se composait votre dîner d'aujourd'hui ? » - « De choux et de pois, répond Hélinand. » - « Et celui d'hier ? »« De pois et de choux ». – « Et celui d'avant-hier? »« De choux avec des pois. »

Lui-même nous raconte sa vie et sa conversion en un style enjoué dans une lettre adressée au clerc Gautier :

« Vous avez sans doute entendu parler d'Hélinand, dit-il, car qui n'a pas connu cet homme, si toutefois on peut l'appeler un homme ? Et certes, il n'était pas aussi fait pour le travail que l'oiseau pour voler ; il n'avait d'autre occupation que de courir le monde, cherchant à perdre les hommes, soit en les flattant, soit en les déchirant. Le voilà maintenant renfermé dans un cloître, lui à qui le monde entier semblait un cloître, et pire que cela, une étroite prison. Comment donc ne pouvez-vous faire ce qu'il a pu, lui ? Sa conversion, qui est l'œuvre du Tout-Puissant, n'a pas moins procuré de gloire à Dieu, qu'elle n'a causé de stupeur dans le monde et de honte au démon. Il n'était pas aussi inconstant qu'il était frivole. Sa légèreté était si connue, que la plupart lui attribuent le changement qui s'est opéré en lui. Aussi quoique sa conversion date déjà de cinq années, c'est à peine si on veut y voir une garantie pour l'avenir. Il avait aussi donné tant de preuves de son inconstance, qu'on était moins disposé à croire qu'il put persévérer. Rougissez donc, malheureux frère, de ne pas suivre cet homme qui vous a précédé dans la voie, quoique plus jeune, plus infirme, plus faible et plus délicat que vous. Qui donc, en considérant l'abîme d'où il est sorti, ne pourrait sortir aussi de sa malheureuse position ? »

Hélinand avait conservé, dans le cloître, l'estime et l'affection de plusieurs seigneurs de son temps, et il ne les oublie pas dans ses vers. Dans l'une de ses stances à la mort, il salue Louis de Champagne, comte de Chartres, de Blois et de Clermont-en-Beauvaisis, Renaud de Bar, évêque de Chartres, Retrout, comte de Perche.

« Mors, qui as contes et as rois
Accorches lor ans et lor mois.
C'onques hom allongier ne peut
Chartres et Chaalons et Blois
Salue pour les Thibaudois,
Loeis, Renaut et Retrout. »

Les évêques Philippe de Dreux (de Beauvais), Henri de Dreux (de Chartres), Etienne de Nemours (de Noyon), et Geoffroi (de Senlis), l'avaient en singulière estime, aussi ne manque-t-il pas de parler d'eux, dans son même poème,

« Mors va à Beauvais tot courant
A l’évêque qui m’aime tant
Et qui toz jors m’a tenu chier ;
Di li qu’il ert sans contrement
Un nour à toi, mais on se sait quand.
Or se paint dont espeluchier
Sa vie et sa nef espuisier,
Et de bonnes muers aluchiers, etc.

…………………………………..

Mors, qui les haus en prison tiens,
Aussi comme uns povres chiens,
Ke li siècles a en despit,
Salue deus évesques miens,
Celi de Noyon et d’Orliens.
Di leur qu’ils ont mainz de respit,
Ke en lor faces n’est écrit :
Tu fais de lonc terme un petit.
Or se gardent de tes englens.
Tu prends le dormant en son lit, Tu Touls au riche son délit,
Tu fais biauté devenir fiens. »

L'amitié qu'avait l'évêque de Beauvais pour le moine poète, dégénérait parfois en familiarité. Elle donna lieu à une anecdote qu'Hélinand raconte lui-même dans son ouvrage de Cognitione : « Un jour, dit-il, que Philippe de Dreux était à Froidmont, pour un motif de dévotion, il me pria de lui faire entendre la messe le lendemain de grand matin. J'allai le voir après Prime et le trouvai dormant encore, sans qu'aucun de ses domestiques ou de ceux de la maison n’osât le réveiller. Je m'approchai de son lit, et lui dis en riant : « Il y a longtemps, Seigneur, que les passereaux sont levés pour bénir leur créateur, et nos Pontifes sont encore étendus sur leur lit ». A ma voix, il s'éveilla, et tout confus et indigné contre moi de ce qu’il prenait pour un reproche, il me répondit en colère : « Va-t’en de là, misérable, va tuer tes poux ». Sans me déconcerter de ce mouvement de colère, je continuai en riant : « Ah! Mon père, prenez garde que ce ne soit la vôtre de vermine qui ne vous tue; car pour moi, j'ai déjà tué la mienne. Et puis sachez qu'il y a cette différence entre la vermine du riche et celle du pauvre que les riches sont les victimes de la leur, tandis que les pauvres s'en débarrassent en la tuant. Lisez les livres des Macchabées, de Joseph et les actes des Apôtres, et vous verrez que des rois très puissants comme Antiochus, Hérode, Agrippa ont été dévorés par la vermine. » La réplique était bonne et l'évêque se leva sans dire mot ».

La science et la sainteté de vie d'Hélinand lui avaient acquis une grande autorité dans son monastère. Sa réputation était même assez répandue, pour qu'il assistât, en 1229, au concile de Toulouse et qu'il portât la parole devant les prélats assemblés.

Quoique la date précise de la mort de ce grand et saint religieux soit quelque peu controversée, on doit pouvoir la fixer au 3 février de l'an 1237. L'église de Beauvais honore Hélinand comme l'un des saints qui lui appartiennent tout spécialement ; elle a introduit sa légende dans son bréviaire et fait son office le 3 février.

Hélinand a laissé un grand nombre d'ouvrages en vers et en prose. Le plus important est sa "Chronique universelle", qui commençait à la création du monde et finissait en l'an 1212 de Jésus-Christ. Il ne reste qu'un assez long fragment, comprenant de l'an 634 de notre ère à l'an 1204. Le manuscrit original, qui était conservé à l'abbaye de Froidmont, a disparu.

Il paraît que les quarante-quatre premiers livres n'existaient déjà plus du temps d'Albérie de Trois-Fontaines, et Vincent de Beauvais en attribue la perte à la négligence de Guérin, évêque de Senlis, qui les avait empruntés à l'auteur. Cependant Oudin dit avoir vu, en Angleterre, dans le "Catalogue de la Bibliothèque Cottonienne", l'indication d'un manuscrit renfermant les seize premiers livres de cette chronique, de la création du monde à Darius Nothus.

Des poésies qu'il avait composées et qui étaient en grand nombre, on ne connaît que les "Stances à la Mort". Antoine Loisel, l'historien de Beauvais, les publia en 1594. Son texte est pris sur un manuscrit défectueux ; il y manque dix stances et beaucoup de vers. Le manuscrit de Saint Victor était plus complet. Chaque stance est de dix vers de huit syllabes. Quoique Loisel et Adrien Baillet s'accordent à louer la beauté de ses vers, la richesse de sa rime et le feu de son imagination, D. Ceillier trouve que ce poème est dans un style très obscur.

On reproche à Hélinand, sa verve un peu trop mordante et ses traits satiriques contre la cour de Rome, mais les contemporains n'en étaient pas scandalisés, puisque, au dire de Vincent de Beauvais, on lisait ses vers avec édification dans les assemblées publiques. Les auteurs de "Histoire littéraire de la France" pensent que cette raison aurait dû engager le chapitre général de Cîteaux à restreindre la défense, faite aux moines, de se livrer à la poésie en langue vulgaire.

On a encore de lui vingt-huit Sermons pour les principales fêtes de l'année. Ils sont graves, pieux, solides, pleins de science ecclésiastique et d'érudition profane fort bien appliquée. Virgile, Horace, Sénèque, Ovide, Juvénal, Térencey sont cités avec l'Ecriture-Sainte, mais ce mélange, qui était dans le goût de l'époque, ne nuit pas à la sainteté de la doctrine. Le style est clair, vif, serré, et la morale est toujours irréprochable ; on sent toutefois que l'orateur est poète, quand il se laisse aller à des récits fabuleux. Il s'élève avec force contre les vices dominants de son siècle, et l'on trouve dans ses discours des tableaux curieux des mœurs de l'époque, aussi bien de celles des religieux, des ecclésiastiques et des prélats que de celles des gens du monde.

Vincent de Beauvais a conservé trois autres opuscules d'Hélinand, sous le nom de "Fleurs", et intitulés, l'un : "De la connaissance de soi-même", le second : "Institution d'un prince", et le troisième : "Du Retour au bien". Ce dernier est une lettre adressée à un clerc nommé Gautier, ancien religieux profès de Prémontré, qui avait quitté son Ordre pour se marier, et l'auteur s'efforce à le décider à revenir dans la vie religieuse. C'est dans cette lettre écrite sous le nom de Guillaume, frère du pauvre clerc tombé et moine de Froidmont, qu'Hélinand retrace les égarements de sa propre vie.

Parmi les autres productions du même auteur, on cite encore une "Vie des saints Gédéon, Victor, Cassius et Florent, martyrs de Cologne", qui faisaient partie de la légion thébéenne, imprimée dans "Surius" et dans la "Patrologie des Corrections" dit "Cycle de Denis-le-Petit", où il prouve que cet auteur a placé la naissance de Jésus-Christ vingt ans trop tard ; un éloge de saint ; et un "Commentaire sur l'Apocalypse".

Hélinand avait, dit-on, une telle aversion pour Aristote, qu'il le mettait au rang des monstres de la nature. Néanmoins, Vincent de Beauvais et Saint Antonin, archevêque de Florence, parlent de lui avec beaucoup d'éloges.

Henri, mourut en 1214, alors que Hélinand était dans toute sa gloire, mais ce dernier refusa de lui succéder et préféra rester simple religieux.

7) Hugues (1214-1218)

Hugues était prieur de Longpont, et la sainteté de sa vie l'avait fait élire Abbé de Notre-Dame de Signy, au diocèse de Reims. Les voix des religieux de Froidmont l'appelèrent à la tête de leur monastère quelque temps après, et il quitta Signy pour venir régir ce nouveau troupeau.

Son administration ne fut signalée que par les donations :

  • de Thibault, comte de Clermont, de 10 muids de terre, à Cormeilles (1215)
  • de Manassès, seigneur de Mello, d'une vigne à Mouchy et de 40 sols de cens à Beaupuit (1216)
  • de Gorréde, prêtre, chapelain de Saint-André de Clermont, de toute sa terre appelée la Couture (1216)
  • de Jean Rage, chevalier et seigneur du Cardonnois, de 20 sols de rente à prendre annuellement à Montdidier, sur la maison de Clément de Ciépy (1216)
  • d'Osmond de Gannes, du champart qu'il prenait sur les terres du monastère sises dans l'étendue de sa seigneurie de Gannes.

Il meurt le 3 mars 1218, quatre ans seulement après sa prise de fonction.

8) Albert (1218-1222

En 1218, Thibault, comte de Clermont et de Blois, poussé par un sentiment généreux, et pour le mettre, lui et sa maison, à l'abri de tout trouble, donna des lettres-patentes, par lesquelles il confirmait le monastère dans la possession franche et incommutable de l'emplacement même où il était construit, des terres et bois que Raoul de Clermont, son aïeul, Louis, comte de Blois et Catherine de Clermont, ses père et mère, et lui-même, avaient donnés, du droit de pâturage et d'usage dans les bois de Hez et de La Houssière, de la "Grange de Cormeilles", et de sa maison de la rue Saint-André de Clermont.

La même année, un chevalier du voisinage, Raoul de Granville, donne un denier de cens annuel et un muid de blé de rente, et un habitant de Hermes, le tiers du vin provenant de sa vigne de la Fosse, tandis qu'un autre chevalier, Odon de Tourly, renonce, avec Jean, Guillaume et Pétronille, ses frères et sœur, à tous les droits qu'il pouvait avoir sur les terres, prés et bois qu'une noble veuve, Mathilde de Mattencourt, avait donnés, vendus ou accensés à l'abbaye, à Parfondeval. En même temps, Fernande de Merlemont avec Jean, son mari, après avoir contesté aux religieux la possession d'un bois qu'Hervé de Merlemont, son frère, leur avait vendu, abandonnait aussi toutes ses prétentions.
En 1219, Erard de Beaumont, prêtre, donne sa vigne du Croissant, à Beaumont, et Jean, Michel et Gérard de Presles, le droit de dîmes qu'ils avaient sur cette vigne.

En 1220, le roi Philippe-Auguste, voulant libérer sa forêt de Hez du droit d'usage, que les religieux de Froidmont y possèdent, leur abandonne, en toute propriété, trois cent cinquante arpents de bois, à prendre dans la partie de cette forêt qui avoisine leur monastère et leur "Grange du Mont de Hermes", et vingt-cinq arpents de friches y attenant, tout en se réservant la jouissance exclusive de la chasse du gibier à poils. L'Abbé Albert, au nom de son couvent, pour reconnaître une si grande libéralité, renonce aussitôt à tout droit d'usage dans le reste de la forêt.

La même année,

  • un chevalier, Simon Le Pauvre, de Hez, fait don d'un muid de vin de rente à prendre sur le clos Joscelin, à Caillouel, et vingt-deux setiers et un quart aussi de vin de rente sur les vignes d'Emeline de Mouchy, de Nivelon de l'Isle, de Lanton du Bus et Grégoire, son frère, de Jean de Ponchon, d'Henri du Bus, de Cadre de Hermes et d'Aveline, toutes sises au terroir de Caillouel
  • le chevalier Guillaume d'Alonnette, fait don de deux muids de vin de rente sur ses vignes
  • Simon de Gouvieux et Adélaïde, sa femme, donnent six journaux de terre, à Berne,
  • Garnier de Hosoy, la dîme de Brèche
  • Amicie, dame de Breteuil, la terre d'Esbéliaux, qu'elle avait achetée de Théodoric, chancelier de Thibault, comte de Clermont, le bois dit de la commune, la terre de la Chalange, qu'elle avait achetée de Jean, vicomte de Breteuil, le droit d'usage et de pâturage dans son bois du Gard, sis entre Breteuil et Hardivilliers et toutes les dîmes d'Esbéliaux.

L'année suivante, pour témoigner encore sa bienveillance au monastère, cette même Amicie lui accorde des lettres de confirmation de toutes ses propriétés de Cormeilles, de Mauregard, de Gouy, de Grandmesnil, de la Fosse-Thibault et de Hermes, qui relevaient d'elle.

En 1221, Gautier d'Heimercourt, maire de Bruyères, aumône sa vigne de Rondel, avec l'assentiment du chevalier Adam de Bernes, son seigneur.

9) Guillaume II (1222-1224)

La bienfaisance ne lui fit pas plus défaut qu'à ses prédécesseurs. L'année même de son avènement,
le seigneur de Mello, le chevalier Guillaume, lui donnait un muid de rente sur sa vigne de Carrières et deux muids de blé sur le moulin de Bulles

  • Vivien Pernintarius, une maison sise à Beauvais, rue Saint-André, et deux chambres rue Portechar
  • Marguerite, dame de Bruyères, deux muids et demi de blé de rente, et Béatrix, sa fille, quatre mesures de vin
  • Wasson Babouraz, de Clermont, deux muids de vin sur ses vignes d'Orgival
  • Albert et Bernard, de Cernoy frères, deux muids de blé de redevance annuelle sur leur terre et seigneurie de Cernoy
  • Renaud Hinart, la terre et seigneurie lui appartenant près de la haie de la "Grange de La Fosse-Thibault"
  • Alix, dame de Condé, tout le champart qu'elle avait droit de prendre sur les terres de Mauregard.

En 1223, Gossuin, chevalier et seigneur de Menin, aux Pays-Bas, accorde le passage gratuit sur ses terres, et Renaud de Clermont, dit le moine, donne la cinquième partie de tous ses biens sis à Sénécourt et Clermont.

Cette même année, l'Abbé Guillaume prêta à un nommé Renaud, une glose et quelques sentences, pour qu'il s'en servît, tout le temps qu'il fréquenterait les écoles de Paris. Les livres alors n'existaient pas, et les ouvrages classiques, aussi bien que tous les autres, ne se trouvaient qu'à l'état de manuscrit. Les monastères en faisaient copier par leurs moines et n'en manquaient pas dans leurs bibliothèques. Les étudiants n'étaient pas dans les mêmes conditions, et ils étaient heureux quand un Abbé voulait bien leur en prêter. Nous ne saurions dire précisément quel était ce Renaud, qui étudiait à Paris, mais nous serions assez porté à croire que c'était ce Renaud de Clermont qui donna, comme nous l'avons dit plus haut, la cinquième partie de ses biens au monastère.

Il meurt en 1224.

10) Bernard (1224-1256)

Bernard avait à peine pris possession de son abbaye que Baudoin de Fournival lui donna tout ce qu'il possédait tant en fief qu'en revenus à la Neuville-en-Hez, et Mathieu, chevalier et seigneur de Morisel en Santerre, deux muids de blé de rente sur sa terre de Domfront.

Parmi les autres donations, qui ont marqué la longue administration de cet Abbé, on peut citer
en 1225,

  • celle de Robert de la Tournelle de trente-trois arpents et demi de terre auprès du bois de la Houssière
  • celle de Baudoin de Saint-Just, de tous ses droits sur le bois sis entre Gouy et Mauregard la même année

en 1226,

  • celle de Gautier de Plainval, partant pour la croisade, d'une partie de la dîme de Plainval
  • celle du chevalier Robert de Sains, de quatre mines de terre, à Sains

en 1227,

  • celle de Thomas de Wavignies, de tout ce qu'il possédait au but Nicholet et au but dame Ermein
  • celles de Mathieu de Saint-Just, et de l'anglais Godefroi du Châtel tous deux bourgeois de Breteuil, de rentes et de terres à Cormeilles.

L'estime générale que l'on avait pour ce monastère n'empêcha cependant pas qu'il n'eût des ennemis. Deux chevaliers, Hugues de Longbus et Raoul de Montigny, ne pouvant souffrir le voisinage de ses terres, lui suscitèrent tant de vexations pour sa "Grange de la Hérelle", que l'Abbé Bernard, pour se débarrasser de leurs importunités, se décida à l'aliéner. C'était ce qu'ils espéraient. Il la vendit donc au prieuré de Montdidier, et la vente aurait eu son effet, si les religieux de Froidmont avaient consenti à ratifier cette aliénation. Leur opposition formelle conserva la propriété, mais les turbulents chevaliers continuèrent leurs mauvais procédés. Alors intervint l'évêque de Beauvais.

Milon de Nanteuil n'était pas homme à laisser molester une abbaye qu'il affectionnait ; aussi, pour faire taire nos chevaliers, écrivit-il à l'Abbé de Saint-Just, qu'il eût à les excommunier publiquement et sans merci, dans son église et dans toutes celles du voisinage, et à leur faire courir sus comme à des gens sans foi. L'ordre fut exécuté, et nos chevaliers, si hardis contre les moines, quand ils n'étaient pas secourus, s'empressèrent de venir solliciter humblement leur pardon et de se soumettre à tout ce que l'on exigerait d'eux. Hugues de Longbus alla encore plus loin, il abandonna avec bienveillance en 1229 tous les droits seigneuriaux et autres qu'il avait ou pouvait avoir sur les terres du monastère sis à La Hérelle et dans l'étendue de sa seigneurie. Raoul de Montigny tâcha aussi de faire oublier, par sa générosité, sa conduite antérieure.

La sainteté de l'Abbé Bernard, sa grande prudence, et l'expérience qu'il avait du monde et de ses affaires, lui avaient fait une haute réputation. On le consultait de toutes parts, et on invoquait son arbitrage dans les questions épineuses et difficiles. En 1223, l'abbaye de Lannoy le prit pour arbitre dans la cession de la terre de Blargies. En 1234, Saint-Louis, roi de France, l'institua exécuteur du testament de Philippe, comte de Boulogne, et il s'acquitta de cette délicate mission, disent les auteurs du temps, avec une justice et une équité qui lui valurent les félicitations du preux roi. Pour le récompenser, Saint-Louis confirma tous les privilèges de son abbaye et la prit sous sa sauvegarde.

L'évêque de Beauvais, Robert de Cressonsacq, eut aussi recours à sa perspicacité pour pacifier un différend survenu entre Robert de l'Isle, bailli de Gerberoy, et le chapitre de la collégiale de cette même ville. Cet officier du vidamé avait plusieurs fois outrepassé ses pouvoirs et porté atteinte aux droits du chapitre et notamment en faisant arrêter et renfermer, dans les prisons du château, un sous-diacre nommé Jean. Une semblable violation des immunités canoniales fut déférée en cour de Rome, et Innocent IV donna commission à l'official de Soissons d'instruire et de juger l'affaire. Mais Robert de Cressonsacq, pour éviter un procès qui ne pouvait qu'aigrir de plus en plus les esprits, décida les parties à s'en remettre à l'arbitrage de l'Abbé de Froidmont.

Bernard se transporta avec l'évêque à Gerberoy, instruisit l'affaire, et le premier dimanche de carême de l'année 1227, il condamna Robert de l'Isle, pour avoir attenté à la vie d'un clerc, à se rendre,

  • le vendredi suivant, jour du marché, à l'heure de la grand'messe, depuis la place publique jusque dans le chœur de l'église collégiale, pieds nus, en chemise et en braies seulement et une verge à la main, pour faire amende honorable au doyen, au chapitre et au sous-diacre auquel il a manqué, promettre, sous la foi du serment, de ne plus jamais lui faire violence, et recevoir telle discipline qu'il plaira aux chanoines de lui infliger
  • Le dimanche Reminiscere il devra suivre la procession dans le même état que ci-dessus et, rentré dans le chœur, il recevra de nouveau la discipline. Le dimanche Lœtare, il ira à Beauvais, se présentera dans le même appareil que ci-dessus, en l'église cathédrale, à l'heure de la procession, et subira la même pénitence
  • Enfin, le dimanche des Rameaux, il reviendra dans l'église de Gerberoy, pour y achever sa pénitence de la même manière que les deux fois précédentes. Après quoi il paiera cent sols tournois au chapitre pour les frais du procès.

Cette sentence, quoique d'une excessive sévérité, fut exécutée. Il faut en convenir, notre Abbé n'était pas la mansuétude même, et il fallait que le respect de la chose jugée fût bien grand, pour qu'un chevalier, officier du puissant évêque de Beauvais, se soumit à une pénitence aussi rigoureuse et aussi humiliante. Autre temps, autres mœurs. Dans ces siècles de fer, où l'on vivait presque toujours sous une cotte de mailles et sous la cuirasse, pour chevaucher dans les expéditions militaires, on ne s'effrayait pas de si peu. Les aises, le confortable et la mollesse n'étaient pas à l'ordre du jour.

Le Saint-Siège lui-même donnait des missions à Bernard pour pacifier des différends ou pour traiter des affaires importantes, et plus d'une cause fut évoquée par devant lui dans son monastère. Ces occupations extérieures nuisaient à la régularité du couvent, et l'Abbé, par ses sorties continuelles, était exposé à perdre l'esprit de sa vocation. Ce pouvait devenir un abus, et Bernard s'en était ouvert au pape. Honorius III comprit le danger et lui répondit par une bulle du 30 novembre 1226, dans laquelle il faisait défense de le forcer à s'occuper malgré lui des affaires qu'il ne jugerait pas à propos de connaître. Cette lettre était de nature à l'abriter contre les importunités ; elle ne l'empêcha pas toutefois de se mêler encore à bien des affaires et de prêter le concours de son expérience et de sa science à ceux qui venaient le solliciter.

Le 25 janvier 1229, le pape Grégoire IX lui accorda, à sa demande, une bulle confirmative de tous les biens de son abbaye et de toutes les franchises, libertés et privilèges confirmés déjà par Innocent III. Ce pape devait avoir l'ordre de Cîteaux en singulière estime, car les bulles qu'il délivra en sa faveur foisonnent dans les cartulaires des monastères. L’une d’entre elles dispensait tous les supérieurs cisterciens de l'obligation de publier les sentences d'excommunications portées contre qui que ce fut, à moins d'un ordre spécial du Saint-Siège.

L'Abbé Bernard s'était plaint que souvent des laïques et même des ecclésiastiques malintentionnés le citaient à comparaître en justice, lui et son couvent, devant des tribunaux situés à une grande distance de son abbaye, pour répondre à des procès intentés au sujet de ses biens, espérant que la longueur du voyage, la fatigue et les dépenses l'effrayeraient et lui feraient abandonner ses droits plutôt que de les défendre à si grands frais. Grégoire IX, pour remédier à cet inconvénient, défendit de l'appeler en justice à plus de deux jours de marche de l'abbaye.

Le 5 septembre 1236, ce même pape, voulant mettre en relief le monastère de Froidmont, en y attirant un concours de peuples par des faveurs religieuses, accorda un an d'indulgence à ceux qui visiteraient son église le jour de sa dédicace et pendant l'octave, et quarante jours pour ceux qui feraient cette visite les jours anniversaires de cette dédicace.

Aussitôt qu'Innocent IV fut élevé sur le siège du souverain pontificat, l'Abbé de Froidmont se hâta de lui rendre ses hommages et de solliciter une nouvelle confirmation de son abbaye et de ses biens. Le pape ne lui refusa pas cette marque de bienveillance, et lui fit savoir, par une bulle datée du 23 février 1244, qu'il le prenait lui, ses religieux, son monastère et tous ses biens sous la protection particulière du Saint-Siège.

Déjà une bulle, du 11 janvier précédent, avait prié le roi Saint Louis de prendre ce monastère sous sa sauvegarde et protection, et d'autres des 5 et 19 février, 7, 12, et 28 mars

  • confirmaient tous les privilèges, franchises, libertés et donations accordés par les papes, rois, princes et autres
  • exemptaient les religieux de Froidmont des dimes et novales des terres, jardins, vergers, étangs et autres biens acquis et possédés avant le concile de Latran de toute redevance pour le pâturage de leurs bestiaux
  • leur accordaient de percevoir les novales dans les lieux où ils avaient les anciennes dîmes
  • et faisaient défense à tous les évêques et prélats de porter contre eux aucune sentence d'excommunication, de suspense et d'interdit, aussi bien que contre leurs domestiques les personnes qui venaient moudre à leurs moulins, cuire à leurs fours et leur vendre des marchandises ou en acheter d'eux.

Tous ces privilèges et exemptions accordés à l'abbaye de Froidmont, comme ceux de tous les monastères du même ordre, déplaisaient singulièrement aux évêques, et ceux-ci ne manquaient pas de saisir toutes les occasions pour le leur faire sentir. Ils usaient et abusaient parfois des sentences ecclésiastiques que l'Eglise mettait en leur pouvoir pour les vexer et leur nuire, et sans cesse les papes devront intervenir pour empêcher ces abus. Innocent IV fut obligé de revenir là-dessus jusqu'à quatre fois pour Froidmont.

Bernard obtint encore, en 1244, d'Innocent IV, la permission d'établir des chapelles dans les fermes et les maisons dépendant de son monastère. Le chapitre général de Cîteaux l'y avait autorisé, mais l'assentiment du Saint-Siège était nécessaire pour les cas particuliers.

Pendant que le pape était retiré à Lyon, par suite des troubles de l'Italie et de ses démêlés avec l'empereur d'Allemagne, il s'occupait avec activité des affaires des ordres religieux de France, et Froidmont eut, grâce à son Abbé, une très grande part dans ses faveurs. Les bulles qui le concernent abondent dans son chartrier.

Les donations ne s'étaient pas ralenties. Ainsi,

  • en 1230, André Horsart, de Froidmont, Isabelle, dame du Fayel, Julienne du Fayel, veuve de Manassès de l'Epine, Hugues Cruchon, et Verrique de Wavignies, fils d'Odon de Bury, lui avaient témoigné leur bienveillance
  • en 1231 les chevaliers Robert de Traignel, Wasson d'Agnetz, Walon de Brunvillers, et Renaud Waignars, de Noyers, les avaient imités
  • en 1232, Grégoire de Campremy, chevalier, donnait toute son exploitation de Bailleul, quarante mines de terre et un bois à Campremy, et la cinquième partie de tout son héritage ; Jean de Ferrières, seigneur de Morainvillers, un muid de blé de rente sur la terre de Longbus ; Pierre Sorel, de Paillart, quatre mines de terre à Grandmesnil; Odon de Ravenel, le champart des terres de Mauregard
  • en 1233, viennent les donations de Jean, maire de Hermes, d'une vigne à la Croix-du-Pèlerin ; de Jean, seigneur de Coudun, de douze livres parisis de rente ; de Nicolas de Chambly, chanoine de Saint-Pierre de Beauvais, de quatre chambres situées vers Penthemont, et d'une vigne à Beaumont ; du chevalier Laurent de Gratepanche, d'un demi-muid de blé de rente sur sa "Grange de Gratepanche" ; de Raoul, châtelain de Breteuil, de quatre mines de terre à Beauvoir ; de Godefroi de La Chapelle, chevalier, de ce qu'il possédait à la Vallée-Vitale, près Cormeilles
  • en 123l, Cervais Patin, de Dresles aumône un pré sur le Thérain ; Robert Chef-de-Ville, dit Grollicr, un muid de vin à prendre sur sa vigne de la Croix ; Mathieu de Trie, chevalier et seigneur dudit lieu et de Mouchy, 20 sols de rente sur le travers de Mouchy ; et les chevaliers Gantier Trousseau, Gérard de Sains et Grégoire de Campremy, abandonnent tous leurs droits sur le ruisseau de Trie, qui coule sous les murs de l'abbaye, à condition que les religieux n'empêcheront pas les femmes du village de Froidmont d'y aller laver leur linge et d'y faire rouir leur chanvre et leur lin.
  • en 1236, le fils du chevalier Gautier de Plainval, Jacques, donne deux mines de terre ; Osmond de Gannes, une terre à Ivry, près Gannes ; Pierre du Quesnel, seize mines de terre entre Fresneau et Bucamp ; et Verrique, seigneur de Wavignies, huit mines de terre, lieu-dit Bouéte
  • en 1237, ce sont les donations de Simon d'Ailly, d'une partie du bois de La Houssière et il vendait en même temps le reste dudit bois, avec tous ses prés et ses terres, sis à Hermes ; de Drogon, médecin à Hermes, de deux pièces de terre au même lieu, avec l'assentiment du seigneur Renaud de Coussenicourt ; de Pierre de Monslier , du champart et de tous les droits seigneuriaux qu'il avait sur les terres de La Verrière, près Filerval ; de Guy de Bruyères, d'une terre à Bernes ; de Pierre, chevalier et seigneur d'Anseauvilliers, du champart et de ses droits seigneuriaux sur la terre de Légnivillers, sise entre Brunvillers et Quinquempois ; de Nicolas de Wavignies, curé de Campremy et fils de Baudoin, seigneur de Yavignies de quarante mines de blé et avoine de rente ; d'Henri Tricherie, de Ponceau, de trois muids de blé de rente sur sa "Grange de Ponceau", et de vingt et une mines de terre entre Gouy et Mauregard ; et de Clément Burneaus, de Breteuil, de sept mines de terre
  • en 1238, Ansold de Mouchy donna douze deniers de cens et les droits de rouage et de pressurage sur une vigne à Caillouel
  • en 1239, Béatrix, damoiselle de Bizancourt, accorda le cinquième de tout son héritage pour obtenir sa sépulture dans l'église de Froidmont ; Alelme de La Noue et Marie, sa femme, de Bailleval, le cinquième aussi de leur héritage ; Simon Lisiard, bourgeois de Clermont, une portion de dime à Rantigny
  • en 1241, Jean de l'Isle, un muid de vin de rente ; Jean, chevalier et seigneur de Coudun sa part d'une terre près Parfonleval
  • en 1242, Marie de Merlemont, veuve de Pierre de Bracheux, la moitié d'une vigne à Merlemont, pour avoir sa sépulture dans l'abbaye
  • en 1243 Jean, seigneur de Campremy, une terre à Grandmesnil
  • en 1244, Jean de Valescourt un muid de blé sur sa "Grange d'Erquinvillers"
  • en 1245, Grégoire de Campremy, deux arpents de vignes à Délincourt, avec l'assentiment de Garnier de Fièreville, de Manassès de Hez et de Guillaume de Berneuil.

Toutes ces donations augmentaient les revenus du monastère et devaient procurer un certain bien-être à ses habitants ; mais le nombre de ceux qui demandaient à entrer était tel que l'Abbé se vit dans la nécessité de leur opposer des refus. Cela paraissait peu conforme à l'esprit de l'institut, et pourtant on ne pouvait pas réduire le couvent à manquer du nécessaire. L'Abbé en référa au pape afin de lui exposer la situation. Innocent IV répondit par une bulle donnée à Lyon, le 23 juillet 1245 par laquelle il permit de ne pas recevoir plus de religieux que n'en pourraient entretenir les revenus de la maison, et exempta de toute pension à l'égard de qui que ce fut.

Il ne devait pas s'en tenir là. L'affection toute particulière qu'il portait à ce monastère  lui fit prendre de nouvelles mesures et édicter de nouveaux ordres pour sauvegarder ses intérêts et consolider sa prospérité temporelle. Certains personnages, malintentionnés, avaient essayé, par de mauvais procédés, de forcer l'Abbé et son couvent à aliéner plusieurs de leurs propriétés, et d'autres  avaient voulu lui contester le droit d'accepter les donations et legs faits en faveur des religieux demeurant dans la maison. Innocent, pour mettre un terme à ces vexations, fit défendre, par une bulle datée du 15juin 1247, de les contraindre à aliéner leurs biens, sous peine de nullité des contrats. Par une autre bulle, du même jour, il statua que le monastère pourrait recevoir, demander l'envoi en possession et retenir, comme véritable propriétaire, tous les biens meubles et immeubles, à l'exception toutefois, des fiefs donnés ou légués à ses religieux, au lieu et place de qui il était substitué.

Enfin, par une bulle du 1er juillet suivant, il les déclara exempts de tous droits de péage, vinage, rouage, forage et autres, que les séculiers avaient coutume d'exiger d'eux, toutes les fois qu'ils allaient vendre ou acheter du blé, du vin, de la laine, du bois, des pierres ou d'autres objets. Cette exemption leur facilitait singulièrement le commerce et leur ouvrait une voie de prospérité, qui, sans cela, était sujette à bien des vexations.

Pendant que le pape prenait ainsi la défense des intérêts de l'abbaye de Froidmont, des personnes bienfaisantes venaient à son aide par des largesses qui n'étaient pas sans mérite. Ainsi, en 1246, Pierre Floris, de Clermont, donnait une vigne à Fay-sous-Bois ; Jean de Fay, bahutier, à Clermont, toutes les terres qu'il avait au clos Saint-Lazare, à la Croix de Béthencourt et au Val du Prêteur ; le chevalier Simon de Dargies, quatre journaux de terre à Esbeliaux, et Renaud, son fils, vingt journaux de bois, au même lieu. L'année suivante, Guillaume de Beausault en donnait vingt-six autres à côté.

Mais voici venir une recrudescence dans les largesses causée par un événement, qui ne manquait pas de produire ce résultat toutes les fois qu'il se renouvelait. La septième croisade s'organisait et le roi Saint-Louis venait de prendre la croix et l'oriflamme de Saint-Denis pour partir sur la fin de l'été de l'an 1248. L'évêque de Beauvais, Robert de Cressonsacq, se mit à sa suite avec un grand nombre de chevaliers de son diocèse. Ceux-ci, avant de partir, tinrent à témoigner leur bienveillance aux monastères de leur voisinage, pour obtenir les prières des religieux, en faveur de leur lointaine entreprise.

Ainsi firent les nobles frères Manassès et Eustache de Hez, qui donnèrent chacun, à l'abbaye de Froidmont, un quarteau de vin de rente annuelle ; Guillaume de Valescourt, seigneur de Béronne, six mines de grains ; Girard du Mesnil-sur-Bulles, trois mines de blé de rente ; Jacques de Plainval, un muid de blé ; Arnault de Longbus, la terre de la Borde, près de la Hérelle ; Pierre de l'Epine, une mine de blé de rente.

Les dernières années de l'administration de Bernard furent marquées :

  • en 1249, par les donations de Roger de Rollo, d'une maison à Merlemont ; de Pierre et Raoul, fils du chevalier Enguerrand de Brunvillers, alors défunt, de la dîme d'une portion du territoire de Brunvillers ; de Renaud de Bernes, de six journaux de terre, à Bernes ; de Pierre Lombard, de plusieurs maisons, à Paris ; de Pierre de Saint-Just, chapelain de Sainte-Marie de Clermont, d'une vigne au lieu-dit Orgival
  • en 1250, de Raoul de Plainval, frère du chevalier Jacques de Plainval, deux muids de blé de rente, avant de prendre l'habit religieux à Froidmont ; de Marie et Gila du Longbus, sœurs du chevalier Arnoult, de toute leur succession
  • en 1251, de Colard de Campremy, du cinquième de la sienne
  • en 1252, de Girard de Sains, de quatorze mines de blé et de sept quarteaux de vin
  • en 1254, de Jean, chevalier et seigneur de Mouy, de sept sols de cens
  • Bernard fit construire, en 1256, l'immense mur d'enclos qui subsista jusqu'en 1789, et le pape Innocent IV l'autorisa à recevoir, à cet effet, jusqu'à concurrence de cent marcs d'argent de la part de ceux qui auraient des restitutions à faire pour cause d'usure, de vol ou autres motifs.

Bernard mourut le 21 mars de l'an 1256.

11) Josbert (1256-1265)

Josbert, que les frères de Sainte-Marthe appellent Hubert, fut élu le 28 mai 1256 et vint prendre possession de Froidmont le 1er juin suivant.

Alors que, sous ses prédécesseurs, les donations avaient afflué au monastère, elles vont désormais devenir excessivement rares suite aux conditions des Seigneurs qui avaient changé avec les croisades. Les dépenses que ces expéditions avaient occasionnées, leur issue malheureuse, les rançons à payer qui en furent la conséquence, la mort d'un grand nombre de ces hardis paladins, les changements de main des propriétés, les troubles qui survinrent, tout cela était bien de nature à produire de profondes modifications dans la disposition des esprits.

Louis IX, de retour de la Terre-Sainte, confirma de nouveau l'abbaye de Froidmont et toutes ses possessions. Par un diplôme donné à La Neuville-en-Hez, au mois de mars 1358, il déclare que, mû par un sentiment de piété, et pour le repos de son âme et celles du roi Louis VIII, son illustre père, de Blanche, sa mère, et de ses prédécesseurs, il concède et confirme, de son autorité royale, toutes les terres, maisons, vignes et autres possessions de Froidmont.

Le nécrologe de Froidmont fait mémoire de la mort de l'Abbé Josbert le 11 Juin mais on ne peut préciser avec exactitude l’année.

12) Jean I (1265-1269)

De cet Abbé, on sait seulement qu’il administrait l'abbaye en 1265 et qu’il est décédé le 12 août 1269, et enterré dans le chapitre.

13) Jean Il (1269-1274)

Jean, second du nom, fut élu aussitôt après la mort de Jean Ier. Il obtient, du pape Grégoire X, des lettres confirmatives de tous les privilèges, franchises et libertés de son monastère.

En 1274, Laurent de Saint-Lazare et Cinard de La Cornède lui donnèrent diverses pièces de vignes à Clermont, et Jean de La Chaise et Agnès de Montreuil-sur-Thérain sa femme, lui vendirent deux arpents de vignes et un arpent de bois à Montmirail.

Mort le 6 octobre 1274, il fut, comme ses prédécesseurs, enterré dans la salle du chapitre.

14) Pierre Il (1274-1288)

Pierre II, qui succéda à Jean II, sollicita du pape Nicolas Il une nouvelle confirmation de son abbaye, doses privilèges et de ses biens, et en obtint une bulle, à cet effet, datée du 21 décembre 1277.

  • En 1279, le prévôt de Hermes, nommé Pierre, lui fit remise de quarante-quatre mines de blé et de quatre gâteaux de rente, qu'il avait droit de prendre sur le moulin de Hermes, et ratifia la vente qu'Alcide, sa sœur, épouse de Roger de Foulangues, avait faite, de six mines de blé de rente sur le même moulin. Thomas d'Houdainville et Jean de La Tournelle confirmèrent cette donation et cette vente, dont la rente, qui en faisait l'objet, était en leur mouvance seigneuriale ; Renaud, chevalier, fit aussi don du droit de champart lui appartenant sur diverses terres de la "Grange de La Verrière" ; Henri du Pont et Emeline, sa femme, de cinq arpents de vignes et de la moitié d'une maison à Hermes, et d'un arpent et demi de vignes sis au-dessous de Carville
  • En 1281, Jean, comte de Dammartin, seigneur de Trie et de Mouchy, donnait sept livres parisis de cens sur ses moulins de l'Isle-Adam, ou sur sa châtellenie de Mouchy
  • En 1282, Henri du Pont, qui déjà s'était montré l'un des bienfaiteurs du monastère, donnait encore tous ses biens meubles et immeubles, et notamment trois arpents de vignes sous Granville, son manoir de Hermes, sis entre la léproserie de Berthecourt et le pont de Hermes, avec ses dépendances, une pièce de terre au Val-Ricard, une vigne près du Vivier-Renaud de Trie, une autre vigne dans la vallée du Bosquet, au territoire de Friancourt, et toutes ses créances, en s'en réservant toutefois l'usufruit pour tout le temps de sa vie et  celle d'Emeline, sa femme
  • En 1287, le 1er février, Marie de Warty, veuve d'Adrien de Milly, jadis chevalier, donna deux pièces de vignes, à Fay-sous-Bois, avec le consentement de Jean et Guillaume de Milly, ses enfants ; Gautier Siot, tous ses biens sis à Froidmont.

L'Abbé Pierre mourut le 6 avril 1288, et fut inhumé dans la salle capitulaire.

15) Guillaume III (1288-1294)

En 1291, Jean, dit courtois, de Hermes, fait don à l’abbaye de deux cents livres d'argent, de deux arpents de vignes et de six mines de terre à Hermes. La même année, le roi Philippe-le-Bel se trouvait à Froidmont, quand il confirma, par une ordonnance, tous les privilèges de l'ordre de Cîteaux.

En 1293 Guillaume acquit, par échange, du chapitre de Saint-Michel de Beauvais et du prieur de Villers-Saint-Sépulcre, les dîmes de Froidmont-la-Ville et de Bailleul-sur-Thérain. Moyennant soixante-neuf livres deux sols huit deniers, qu'il versa entre les mains d'Evrard Porions, chanoine de Soissons et receveur, pour le roi, des droits d'amortissement des biens dits de mainmorte, dans le bailliage de Vermandois, il obtint diverses propriétés :

  • onze mines de terre à Hardivilliers, acquises de Jean Vasse
  • trois mines au même lieu données par Beaudoin Vasse
  • une rente de quatre muids de blé et' de quatre muids d'avoine, que le monastère payait annuellement, sur sa "Grange de Cormeille", à Renaud d'Essertaux et qu'il avait rachetée, en 1260, d'Emeline, sa veuve
  • une rente de deux muids de blé, rachetée de Philippe Le Clerc
  • le quart d'une rente de huit muids de grains, sur la même "Grange de Cormeille", rachetée, en 1261, de Videla, veuve d'Enguerrand de Jumel
  • une rente de six mines d'avoine, sur la "Grange de Gouy", abandonnée par Renaud de Bailleul, chevalier
  • une rente de six mines de blé, donnée par Marie de Campremy
  • un demi-muid d'avoine de rente, donné par Jean de Wavignies
  • huit mines trois quartiers de blé de rente, abandonnés par Gérard de Plainval trois mines et demie de terre à Plainval acquises de Mathieu Galobi
  • deux journaux de terre à La Fosse-Thibault, et le champart sur douze mines de terre, acquis d'Arnoult de Brunvillers
  • six muids de terre, à Brinvilliers, échangés par les enfants de Barthélemy de Brunvillers
  • deux mines de terre, au même lieu, acquises de Jean de La Porte
  • quatre autres mines de terre, sises auprès du chemin de Saint-Just à Montdidier, données par Etienne Lhéritier.

16) Hubert (1294-1295)

Hubert n'administra pas l'abbaye de Froidmont pendant une année tout-à-fait puisqu'il décéda le 11 janvier 1295, mais il resta encore assez de temps à sa tête pour lui voir donner, par Beaudoin du Quesnel, chevalier, onze mines de terre entre Gouy et Mauregard, et un muid de blé de rente sur le moulin Taperel ; et par Emery de Hermes trois arpents de vignes à Caillouel, que concédèrent Bertrand de Lieuvillers et Jeanne d'Auchy.

17) Renaud (1295)

Renaud succéda à l'Abbé Hubert pour bien peu de temps car il mourut le 11 août 1295, ayant à peine gouverné son monastère pendant six mois sans avoir passé aucun acte sous son administration.

18) Robert II de Pierrefonds (1295-1300)

Robert de Pierrefonds, de l'illustre famille de ce nom, était l'un des fils de Jean de Pierrefonds. Il prit l'habit religieux et fut élu par les moines de Froidmont pour succéder à l'Abbé Renaud.

  • En 1296, Philippe de Cayns, de Hermes, donna à son monastère plusieurs pièces de vignes à Hermes.
  • En 1297, Jean de La Marre, curé d'Auvillers, un journal de terre à Montigny
  • En 1298, le jeudi après la fête de Sainte Lucie, Robert du Bois, par reconnaissance pour les bons services qu'il avait reçus des religieux de Froidmont, se donna lui et tous ses biens audit monastère, pour obéir à l'Abbé en tout ce qui lui serait commandé, eu égard toutefois à sa condition. Cet exemple de donation de sa personne aux communautés religieuses n'était pas rare à cette époque; ceux qui le faisaient portaient le nom de frères donnés et pouvaient être assimilés aux frères convers pour le service, mais n'émettaient pas de vœux, comme eux.

Robert de Pierrefonds mourut un 22 novembre, vers l'an 1300.

19) Pierre III (1300-1320)

Pierre, troisième du nom, était Abbé de Froidmont, quand Bernard de La Motte de Quévremont écuyer, et Jeanne, sa femme, vendirent à son monastère, en 1301, les fiefs de La Motte et de Quévremont avec tous les bois, terres, prés, cens, rentes, hôtes, hospices, corvées, justice et autres droits féodaux lui appartenant. Ces fiefs, qui avaient manoir seigneurial et maisons habitées par des tenanciers, formaient un petit village, qui n'existe plus aujourd'hui, situé au sud de Montreuil-sur-Brèche, vers Haudivillers. Une petite éminence orbiculaire, sur laquelle était bâti le donjon du manoir, donnait son nom au fief, et on peut encore la voir, à gauche du chemin d'Haudivillers à Montreuil, près du point de jonction de ce chemin avec celui de La Fraye à Montreuil.

La vente fut faite moyennant cent livres parisis, que Bernard employa à payer ses dettes, l'usufruit de deux arpents de bois et une rente viagère assez curieuse. Cette rente consistait à fournir annuellement quatre livres parisis d'argent, deux pièces de vin blanc et deux pièces de vin rouge, le tout sain et bon, deux porcs, de la valeur de quarante sols parisis, dix charretées de bois à brûler, vingt-quatre aunes de l'étoffe en usage au monastère, deux mesures d'étoffe blanche et une d'étoffe grise, cinq cents harengs et six fromages pressés. Le frère de Bernard, Etienne de Quévremont, ratifia la vente et s'engagea solennellement à ne jamais la contester. La dame du Quesnel, Anne du Quesnel, avec Philippe de Trie, chevalier et seigneur de Fresnes, son mari, la concéda comme relevant de sa seigneurie du Quesnel ; Simon Le Blons, de Francastel, et Perronelle, sa femme, de qui le sire de Trie tenait ces fiefs à foi et hommage, la confirmèrent. Jean de Gannes, fils de Robert, et Isabelle de Trie, sa femme, de qui ils mouvaient en arrière-fief, en fit autant, ainsi que Jean dit Muid-de-Blé, seigneur de Digne, et Agnès de Conti, veuve de Ciles de Mézières, chevalier.

En 1302, Baudoin de Reuil, écuyer, et Jeanne, sa femme, donnèrent le droit de champart qu'ils avaient sur trois mines de terre sises à Mauregard.

Pierre III mourut un 3 décembre dont on ne sait avec exactitude l’année.

 

 

 

20) Jean III de Hermes (1320-1340

Jean de Hermes, comme plusieurs de ses prédécesseurs, s'empressa de solliciter du pape Jean XX la confirmation des biens et des privilèges de son abbaye, et une bulle du 13 mai 1322, lui donna satisfaction.

L'année suivante, il eut une contestation avec Pierre de Nointel, chevalier, et Jean de Sains, écuyer, au sujet de la justice de la voirie de Froidmont. Un compromis arbitral s'en suivit, et l'on convint que les haute, moyenne et basse justices des places et voiries de Froidmont-La-ville, jusqu'au bout du village, vers Bailleul, et en s'avançant sur la montagne, vers Caillouel, appartiendraient à ces seigneurs, et que celles de tout le reste du territoire, depuis le gril de Bresles, seraient à l'abbaye.

En 1339, Manassès du Quesnel, fils de Baudoin, chevalier et seigneur dudit lieu, fit la reconnaissance d'une rente de six mines de blé sur sa terre du Quesnel.

Jean de Hermes mourut le 3 mai 1340.

21) Jean IV de Chiry (1340-1365)

Jean de Chiry, en succédant à Jean de Hermes, trouva les intérêts de son monastère quelque peu compromis. Les seigneurs laïques qui, depuis longtemps déjà, lui contestaient l'exercice du droit de justice dans l'étendue de ses seigneuries, refusaient assez souvent de servir les rentes, dont leurs prédécesseurs avaient chargé leurs domaines, en faveur de son abbaye ; d'autres, qui tenaient des terres à cens, ne voulaient ni payer le cens, ni rendre les terres.

Jean de Chiry, en administrateur habile, fit tout ce qu'il pût pour remédier à cet état de choses. Il commença par obtenir du pape Clément VI, en 1343, une bulle qui commettait l'Abbé de Saint-Vincent, de Senlis, pour lui faire restituer tous les biens enlevés ou injustement aliénés. Puis il s'occupa activement de faire renouveler les titres qui constataient l'existence des rentes et de faire passer des reconnaissances par les détenteurs des biens grevés.

Ainsi furent reconnues,

  • en 1344, par Pierre Botrel, d'Angivillers, une rente de huit mines de blé, sur ses terres d'Angivillers.
  • en 1351, par Renaud de Trie, dit Hillebaut, chevalier et seigneur de Fresnes et du Quesnel, des rentes de dix-huit mines de blé sur sa "Grange du Quesnel", de douze mines, sur le moulin Taperel et de dix mines sur sa terre de Quévremont.
  • en 1352, par Aubry dit Paris, écuyer, d'une rente, d'une mine de blé, sur sa maison d'Angivillers.
  • en 1353, par Renaud de Soisy, et Jeanne de Ronquerolles, dame de Sailleville, sa femme, de deux muids de vin, sur leurs fiefs de Ronquerolles et de Carbonnel, sis à Giencourt.
  • en 1356, par Jean de Campdavoine, écuyer, de deux mines de blé, sur son fief d'Angivillers ; par Pierre de Campremy, dit le Bel, seigneur de Fournival, de quatre mines de blé sur ses terres et "Grange d'Angivillers".
  • en 1363, par Guillaume de Cramoisy, seigneur de Filerval, d'un muid de vin, sur sa terre de Filerval.

Le puissant prince Pierre, duc de Bourbonnais, comte de Clermont et de la Marche, estimait tant l'Abbé de Froidmont et son couvent, qu'il voulut que le monastère portât dans son écu ses armoiries à côté des siennes. Il vint exprès à Froidmont, le jeudi après la Saint-André, de l'an 1348, accompagné des nobles chevaliers Mathieu d'Epineuse, Renaud de Trie, dit Billebault, Jean de Repenti, Denis Larchier, et là, étant en la chambre de l'Abbé, il fit dresser par Guyart de Bailly, son procureur, un acte authentique par lequel « il octroia, et donna de son propre mouvement à la dite église, audit Abbé Jehan de Chiry, et à ses successeurs et Abbés, licence, pouvoir, et autorité de porter ses armes, avec les armes de la dite église, lesquelles étaient d'azur, à trois chasteaux d'argent, et croche d'or parmy ; il ordonna dès lors, le dit prince audit Abbé, que les armes dudit duc seraient et fussent assises au destre, et chelle de l'église au senestre, et le dite croche assise au milieu, tellement que le crocheron soit assis et plaqué en et sur les armes dudit prince et seignenr »

Le duc de Bourbonnais ne devait pas s'en tenir là de son bon vouloir. Quelques années après, vers l’an 1348, touché de voir la pénurie dans laquelle se trouvait ce monastère par suite des malheurs des temps, il lui fit don du premier canonicat qui viendrait à vaquer dans la collégiale de Clermont, ces canonicats étant à sa nomination. Il n'eut pas la satisfaction de le voir entrer en possession, car il fut tué, en 1356, lors de la bataille de Poitiers, à côté du roi Jean.

Si l'abbaye avait eu fort à souffrir depuis quelque temps, des jours plus mauvais encore allaient venir fondre sur elle. L'émeute populaire, connue sous le nom de Jacquiers du Beauvaisis, qui pillait et ravageait tous les environs, envahit ses domaines, en 1358, et saccagea toutes ses propriétés : ses animaux furent enlevés, l'église et les bâtiments claustraux furent brûlés.

Les religieux prirent la fuite devant l'invasion et se retirèrent à Beauvais, où ils habitèrent leur maison, appelée l'hôtel de Froidmont. Elle était située entre le cimetière de Saint-Etienne, la rue Saint-Jean, nommée alors rue Saint-Symphorien, et la rue Saint-Etienne. Ils y restèrent pendant deux ans, et y vécurent bien pauvrement, mais rien ne les empêcha d'y observer leur règle dans toute son austérité, le chant de l'office ne fut même pas interrompu.

Après la défaite des Jacquiers, et quand les temps furent devenus plus calmes, l'Abbé Jean de Chiry retourna, avec ses religieux, dans son monastère dévasté, et se mit résolument à l'œuvre pour le faire sortir de ses ruines.

Il survécut peu à cette restauration car il mourut le 6 janvier 1365, et fut enterré à côté de ses prédécesseurs au chapitre.

22) Jean IV de Lécin (1365-1393)

Cet Abbé, docteur en théologie, jouissait d'une haute réputation de science, et son arbitrage fut souvent demandé dans des affaires difficiles.

En 1369, le nouvel évêque de Beauvais, Jean d'Augerant, en considération de sa piété et des maux que son abbaye avait éprouvés, lui fit remise pleine et entière de ces contributions connues sous le nom de droits de joyeux avènement, qu'il lui devait. Jean de Crèvecœur et Jeanne Crespin, sa femme, au nom de Jean de Saint-Saulieu, son fils, issu de son premier mariage, lui donnèrent, l'année suivante, tous les droits d'hommage qu'ils pouvaient avoir, comme seigneurs de Wavignies, sur une rente que son monastère avait acquise d'Harpin de Saint-Sauflieu.

En 1378, Gilles de Béronne, écuyer, lui fit don de dix muids quatre mines de blé pour les deux tiers de la dime de Plainval et le droit d'hommage sur l'autre tiers, et lui vendit en même temps dix muids quatre mines de blé, qui lui étaient dus par la "Grange de La Fosse-Thibault".

En 1380, Jean de Guisencourt, écuyer, et Jeanne, sa femme, étant aux droits d'Enguerrand du Saulchoy, son premier mari, lui vendirent aussi une rente de trente-deux mines de blé et de trente-quatre mines d'avoine.

Jean de Lérins mourut le 30 juin 1393.

23) Denis (1393-1412)

L'Abbé Denis acquit, en 1399, de Jean de Monceaux, chevalier, seigneur de Monceaux, près Bulles, et d'Isabelle de Hennecourt, sa femme, une rente de quatre muids trois mines de blé, sur le territoire du Fayel, près Warivillé.

En 1402, Louis, duc de Bourbonnais, comte de Forest, seigneur de Beaujeu, et Jean, comte de Clermont, son fils, voulant suivre les traditions de pieuse bienfaisance de leurs ancêtres, fondèrent une messe à dire chaque jour, à perpétuité, au grand-autel de l'église de Froidmont, et deux anniversaires solennels chaque année : l'un, la première semaine de l'Avent, et l'autre la première du Carême. Pour subvenir aux frais de cette fondation ils donnèrent à l'abbaye toute la terre et seigneurie de Hermes (hommes, cens, rentes, terres, prés, vignes, bois et justice) qui leur étaient venues par acquisition de Jean, seigneur de Ligne ; ils y rajoutèrent neuf livres sept sols parisis de rente sur divers particuliers de Clermont. De leur côté, les religieux, pour témoigner leur reconnaissance, renoncèrent, en leur faveur, à vingt sols parisis de rente, qu'ils prélevaient annuellement sur les halles de Clermont, pour l'acquit d'une messe quotidienne des morts, fondée par Marguerite de Clermont ainsi qu’à soixante sols parisis de rente sur le travers de Bailleul-sur-Thérain donnés en 1220 par Isabelle de Dargies  et à quatre mines de blé de rente.

En 1409, l'un des chanoines de Notre-Dame de Clermont, Simon de Saint-Germer, étant venu à mourir, l'Abbé de Froidmont saisit cette occasion pour revendiquer le canonicat, qui avait été donné par Pierre de Bourbonnais. Il en parla à Louis, duc de Bourbonnais, qui l'approuva fort, ratifia et confirma la donation par un nouvel acte authentique, prévoyant que les chanoines n'accueilleraient pas cette réclamation avec une bien grande satisfaction. Ils firent, en effet, de l'opposition, quand l'Abbé Denis se présenta avec sa demande. Celui-ci en référa aussitôt au cardinal de Barre, alors légat en France. Sur le vu de l'acte de donation, le légat expédia à l'instant une lettre apostolique, par laquelle il donnait ordre aux chanoines de Clermont d'avoir à mettre l'Abbé de Froidmont en possession réelle et véritable du canonicat vacant par la mort de Simon de Saint-Germer. Les chanoines, cette fois, durent s'incliner mais ils le firent de bien mauvaise grâce et cherchèrent toutes espèces de subterfuges pour contrarier l'Abbé. Ils lui présentèrent à signer, avant de l'installer, une cédule, dans laquelle était spécifié que l'Abbé serait tenu

  • de faire serment à leur église,
  • de payer le droit de chape et de contribuer à toutes les mises comme les autres chanoines séculiers,
  • qu'il n'aurait point voix au chapitre,
  • qu'il ne nommerait point aux bénéfices vacants en son mois et que ce serait le chapitre en commun qui le ferait à sa place,
  • qu'il ne pourrait se faire remplacer par un vicaire ou un religieux qu'il désignerait lui-même mais que ce serait le chapitre à désigner ce vicaire,
  • qu'il devrait toujours venir lui-même, ou se faire représenter par un religieux notable, les veilles et jours de l'Assomption et de l'Annonciation de Notre-Dame, et qu'il ne prendrait aucune distribution à l'église.

L'Abbé accepta la plupart de ces conditions, mais refusa de signer celle qui lui déniait voix au chapitre et la collation des bénéfices, comme étant contraire aux termes de la donation et à l'intention du donateur. Le duc de Bourbonnais intervint et déclara que telle était bien sa volonté et celle de son père, et qu'il voulait que ces Messieurs du chapitre eussent à effacer cette clause. Les chanoines se soumirent sans répliquer, et bien leur en prit. Ils tenaient aussi à ménager leur puissant seigneur et protecteur. Denis fut donc alors installé chanoine de Notre-Dame de Clermont, le 9 février 1411, avec toute la pompe accoutumée.

Il mourut, le l4 décembre 1412.

24) Girard (1412-1416)

On a connaissance que d’un seul acte passé sous l’administration de cet Abbé.

En 1414, Agnès Moinette fait don à son fils D. Firmin de Villers, religieux profès à Froidmont, d'une maison et de quarante mines de terre à Villers-sur-Thève.

Girard mourut en 1416.

25) Nicolas (1416-1430

Nicolas vit aussi troubler la tranquillité de son monastère par les incursions des armées anglaises, et il dut se réfugier à Beauvais, avec ses religieux, pour éviter la violence qui n'aurait pas manqué de lui être faite. Son abbaye, toutefois, n'eut pas à souffrir, en 1419, et l'incendie lui fut épargné.

En 1426, un laboureur, nommé Jean Voisin, lui donna tous les biens qu'il possédait ou qui pourraient lui échoir, à condition qu'on le nourrirait sa vie durant.

En 1428, Mathieu de Longpré, écuyer, demeurant à Mello, lui remit aussi trente sols parisis de surcens, sur des biens sis à Froidmont.

En 1429, Nicolas acquit en justice, par suite d'une saisie opérée sur Enguerrand de Sains, un fief sis à Froidmont, et relevant en plein-fief du comté de Clermont.

Il mourut le 2 janvier 1430.

26) Thibault (1430-1440)

Les temps étaient si malheureux que cet Abbé, ne pouvant plus faire cultiver ses terres par ses religieux et ses convers, se trouva dans l’obligation de les donner à ferme, si on ne voulait pas les voir rester improductives ; aussi trouve-t-on, sous son gouvernement, plusieurs baux passés avec des particuliers installés sur les diverses propriétés de son monastère.

Thibault mourut le 21 avril 1440.

27) Mathieu (1140-1448)

Son administration n'a guère laissé plus de trace que celle de son prédécesseur. Pour aider à faire sortir son monastère de ses ruines, il envoya plusieurs de ses religieux parcourir les divers diocèses de France, portant processionnellement le chef de Sainte Marguerite et quêtant des aumônes. Une lettre, du 11 juillet 1447, de Jacques de Combron, évêque de Clermont-Ferrand, l'autorisait à faire porter ainsi cette relique dans toutes les paroisses de son diocèse.

Il mourut le 9 avril 1448.

28) Vincent. (1448-1456)

29) Adam (1456-1460)

30) Robert. III (1460-1468)

La vie de ces trois Abbés, dont les noms seuls ont échappé à l'oubli des temps, est à peu près inconnue. Tout ce que l'on croit en savoir, c'est que Vincent mourut le 23 juin 1456, Adam le 6 octobre 1460, et Robert le 22 mai 1468.

31) Pierre IV de la Chambre (1468-1489).

Cet Abbé, issu d'une famille noble, était rempli d'une sage et prudente activité. Il travailla de tout son pouvoir à faire refleurir son monastère. Il réussit assez bien à remettre ses biens et ses revenus en bon état mais il ne put empêcher le nombre de ses religieux d'aller en diminuant. Le relâchement s'était introduit à la faveur des troubles politiques, et il n'était plus facile d'y remédier. La simplicité et l'austérité des anciens temps avaient disparu, l'amour du bien-être et le goût du confortable faisaient partout irruption. Les Abbés menaient grand train, et les moines se mortifiaient moins et recherchaient leurs aises.

Une réforme devenait nécessaire. Pierre de la Chambre l'essaya et n'obtint presque pas de résultat, le temps et les esprits n'y étaient pas et puis les vocations religieuses n'allaient plus en augmentant. Il était bien plus facile de restaurer les intérêts matériels du monastère.

En 1468, Renaud de Corbie, seigneur de Thury et Filerval, avait passé titre d'une rente d'un muid de vin, sur sa terre de Filerval, créée jadis par Guillaume de Cramoisy ; mais l'Abbé, en considération de son bon voisinage et de ses malheurs, lui accorda une diminution pour tout le temps de sa vie, afin qu'il pût réparer son manoir de Filerval, détruit par les Anglais.

Pour éviter le passage des Anglais et des Bourguignons, et se mettre à l'abri de leurs déprédations, l'Abbé de Froidmont avait donné ordre aux habitants de Hermes et de Froidmont de rompre les chaussées et de couper les chemins par des tranchées profondes. Les paysans se hâtèrent d'exécuter cet ordre, et bien leur en prit pour eux comme pour l'abbaye car les ennemis furent obligés de tourner par Bresles, et ces villages furent préservés du pillage.

En 1470, Jean II dit le Bon, comte de Clermont, duc de Bourbonnais et d'Auvergne, accorda à l'Abbé de Froidmont de nouvelles lettres de protection, et confirma tous ses biens et ses privilèges.

L'Abbé de la Chambre fit, pendant son administration, de nombreuses acquisitions de biens et reçut quelques donations, entre autres :

  • en 1472, de Renaud de Condé, trois mines de terre à Bailleul et de Pierre Lefèvre, trois mines de terre au même terroir, lieudit la Maladrerie.
  • en 1475, de Pierre Le Maître, prêtre, trente sols parisis de surcens, sur la maison d'Hottin de la Fruiterie, à Angy.
  • en 1476, de Colin Morel, laboureur, une pièce de terre à Bailleul ; d'Isaac de la Chaussée, écuyer, et Nicole de Blargies, sa femme, demeurant à Laversines, douze mines de terre au dit lieu.
  • en 1477, de Mathieu des Saissement, de Mouchy, tous les fiefs, arrière-fiefs, cens, rentes, justice, seigneurie, maisons, terres, prés et bois, qui pouvaient lui appartenir aux territoires de Hermes et de Saint-Félix, tant de son chef que des successions à lui échues de Jean Thibault, Jean La File, Pernelle d'Orange, veuve de Jean Roussel et d'Eustache de Hermès.
  • en 1484, de Guillaume de Beauvais, dit de France, marchand chaussetier, une pièce de terre à Brunvillers.
  • en 1485, de Miquelot Le Boucher, une maison à Reuil-sur-Brèche.
  • en 1488, de Richard d'Abbecourt, écuyer, seigneur dudit lieu, tous les droits d'hommage et de seigneurie qui lui appartenaient sur le fief de Pierre Le Goix sis à Froidmont.

En 1477, Pierre de Bourbon, comte de Clermont, accorda des lettres de sauvegarde, et en 1479, Anne de France, comtesse de Clermont et de La Marche, dame de Beaujeu, exempta l'abbaye du logement des troupes.

L'Abbé de Froidmont s'était assez fait remarquer pour que le pape Innocent VIII le préconisât évêque de Nazareth, et le donnât pour coadjuteur au cardinal Jean Balue, évêque d'Angers. Il quitta dès lors Froidmont et abdiqua sa charge en 1489, charge qu’il ne pouvait plus remplir. Il n'oublia cependant jamais son ancien monastère, et voulut qu'après sa mort son corps y fut rapporté.

Il mourut en 1503 et fut donc inhumé dans le cloître selon sa volonté.

32) Louis Huylart (1489-1495)

Louis Huylart, qui succéda à Pierre de la Chambre, fut bénit par Jean Millet, évêque de Soissons, assisté de Jean Godard, Abbé de Saint-Crépin-le-Grand, et de Jean Le Caron, prieur de Royaumont. Le siège de Beauvais était alors vacant, et l'Abbé de Froidmont usa du privilège accordé par les papes à tout son ordre de choisir le prélat qui devait le bénir.

Il aimait le faste et le luxe, ce qui s'alliait fort peu avec la règle et les usages de l'Ordre de Cîteaux mais la décadence suivait sa marche. Il portait la crosse, comme tous les Abbés, en signe de son autorité. Une chose pourtant lui faisait envie, c'était la mitre. Sans être évêque il espéra que le pape lui accorderait de la porter, ainsi qu'il l'avait fait pour plusieurs Abbés. Il fit donc la demande de cette faveur au pape Alexandre V, et celui-ci la lui accorda pour lui et ses successeurs, par une bulle du 5 janvier 1493. L'Abbé était au comble de ses vœux. Néanmoins, il abdiqua peu après sa charge pour devenir Abbé de Beaupré. Il faut croire que ce monastère lui plaisait davantage.

33) Antoine de Chatillon (1495-1525)

Antoine de Chatillon, de l'illustre maison de ce nom, docteur en théologie de la Faculté de Paris, avait pris l'habit religieux à Clairvaux, quand le choix des religieux de Froidmont l'appela à leur tête.

Il administra son monastère avec une très grande sagesse, et veilla de tout son pouvoir à maintenir la régularité claustrale, en même temps qu'il travaillait à améliorer la situation temporelle. Homme intègre et juste, il ne pouvait souffrir la moindre injustice, ni la plus petite exaction de la part de ses hommes de justice, ni de ses hommes de fief dans l'exercice de leurs droits.

Aussi, dans les assises solennelles qu'il tint, en 1497, au siège de l'abbaye, à Froidmont, fit-il les recommandations les plus pressantes à cet égard à tous les justiciers et à tous les fieffés relevant de lui, qu'il avait convoqués. Ces fieffés étaient nombreux, il s’agissait de :

  • Mathieu de la Mare, pour le fief de la Vieille-Abbaye
  • Jean de la Chambre, pour le fief de Parfondeval
  • Jean Loste, pour les fiefs de Cormeille
  • Pierre Pingion, prêtre, pour un fief à Cormeille
  • Jean Ruyer, pour les fiefs de Malassise
  • Nicole Le Césier, pour le fief de Deuil sur Brèche
  • Jean Routier, pour les fiefs de Grandmesnil
  • Pierre Le Mercier, pour le fief de La Fosse-Thibault
  • Jean Watin pour le fief de Mauregard
  • Jean Le Sanier, pour le fief de La Borde-Mauregard
  • Jean Gérard, pour le fief de La Borde-Hérelle
  • Louis Vaudremer, pour le fief du Champ-Coûtant
  • Colin Labitïe, pour le fief de Gouy
  • Etienne Louette, pour le fief de Hermes
  • Louis du Friez, pour le fief de Clermont
  • Eloi Bourgeois, pour le fief de Fay-sous-Bois
  • Antoine Campion, pour les fiefs du Plessis-Billebaut
  • Gillet Droguerin, pour les fiefs de Bernes
  • Tassine Le Maire, pour les fiefs Jean-Roussel et des moulins de Hermes
  • Pierre Morel, pour les fiefs de Bailleul et d'Hénu,
  • Jean Le Marchand, pour le fief de l'Echelle au Fay-sous-Bois.

S'il voulait que la justice fût bien rendue, il tenait aussi à ce que ses droits fussent respectés. Comme seigneur primitif de la paroisse de Hermes, il autorisait les jeux publics les jours de fête.

En 1502, le jour de la Saint-Vincent d'hiver, il avait permis à un particulier d'exposer une paire de souliers pour prix au jeu de quilles. Chacun s'escrimait à qui mieux mieux pour gagner le prix, chacun faisant assaut d'adresse, quand le curé fit saisir les souliers par un sergent, sous prétexte que l'on n'avait pas son autorisation. Grand émoi parmi les joueurs, on court au monastère et l'Abbé intervient, fait rendre les souliers et mettre en prison le malencontreux sergent pour avoir troublé la fête au mépris des droits de l'abbaye.

N'y a-t-il pas lieu de se demander ici quelle était bien la situation intérieure du couvent ? Les troubles et les guerres du XVe siècle avaient profondément modifié l'esprit et les mœurs des monastères, et Froidmont n'avait pas échappé plus que les autres à cette influence délétère. On était bien loin de l'observance primitive et de son austère régime.

  • Les Abbés, la plupart cadets de grandes familles, menaient un train somptueux et fréquentaient les hautes sociétés du monde, où ils se faisaient donner le titre de Monseigneur et achevaient de perdre trop souvent le peu d'esprit religieux qui leur restait.
  • Les moines se relâchaient des mortifications, sortaient aussi dans le monde, se livraient à la chasse, à des divertissements incompatibles avec leur vocation, et trouvant l'abstinence quotidienne trop pénible, se faisaient sans cesse autoriser à user d'aliments gras, sur les plus futiles prétextes.

Ce relâchement n'était pas particulier à Froidmont; mais il était si général, et le mal était si grand, qu'innocent VIII, par une bulle adressée, en 1487, au chapitre général de Cîteaux, dût menacer tout l'ordre de suppression si on ne portait à l'instant même une main vigoureuse à une réforme intérieure, au moyen des visites des monastères, afin d'en extirper les abus et leurs causes.

On se mit effectivement à l'œuvre : la visite régulière de chaque maison fut prescrite, et pour mieux régénérer l'esprit de l'ordre on convoqua, en 1493, tous les Abbés cisterciens, à Paris, pour prendre les mesures que l'on jugerait les plus convenables pour atteindre ce but. Louis Huylart, le prédécesseur d'Antoine de Châtillon, y siégeait comme Abbé de Froidmont, et prit part à la rédaction des fameux articles de réforme qui régirent tout l'ordre depuis l'année 1493 jusqu'en 1789, et que l'on appela "la réforme bernardine du XVe siècle".

Citons ici textuellement ces articles célèbres, parce qu'ils fixent, d'une manière positive, la dernière règle qui a régi Froidmont.

« Les Abbés quitteront la pompe du siècle, le train fastueux, les gibecières et les cornettes. On ne souffrira plus que les religieux soient propriétaires, qu'ils aient des terres, des  vignes, des bestiaux à eux, en particulier. Pour ce qui regarde l'abstinence de chair, on suivra la coutume qui s'est introduite dans la plupart des monastères bernardins, de ne l'observer que les lundi, mercredi, vendredi et samedi. Les religieux ne marcheront plus dans les campagnes qu'avec leurs habits réguliers ; ils ne fréquenteront plus les foires, les noces, les spectacles séculiers ; ils ne porteront plus d'épées, de javelots, ni d'autres armes. Toutes les chambres à feu, qui  sont dans les dortoirs, seront abattues ; les lits de plumes, à l'avenir, seront changés en matelas ; les draps de toile, en draps de laine, et les chemises de lin en chemises de serge. Enfin, quant à la réception des étrangers et des personnes du sexe, les portes des monastères seront exactement fermées aux heures dues ; aucune femme n'entrera plus dans les lieux réguliers, on excepte toutefois certaines grandes dames.»

Tels sont les fameux articles de Paris qui devaient régénérer tout l'ordre de Cîteaux, et qui n'ont fait que l'arrêter un instant sur la pente de sa décadence. Le premier idéal de Saint Bernard était bien loin, aussi un retour énergique à l'austérité primitive eût pu sauver l'ordre mais une mitigation dans sa constitution le perdit.

L'Abbé Antoine de Chatillon arrivait précisément à la tête du monastère de Froidmont pour faire exécuter la réforme mais l'œuvre était difficile.

En 1501, le lundi 9 août, l'Abbé de Morimond vint faire la visite canonique prescrite par le chapitre général. On tint à lui faire une brillante réception et à le fêter le mieux possible. Pour la table, on acheta trente pièces de bœuf pour 20 sols, un mouton de 16 sols, deux cochons pour 6 sols, six perdrix pour 8 sols, douze poulets pour 6 sols, deux gigots de mouton pour 3 sols 8 deniers, une livre de poudre de quatre sortes pour 12 sols, un demi-quarteron de poudre de cynamonde de 6 sols, quatre livres de sucre pour 8 sols, une boite de safran de 4 sols, un minot de sel de 23 sols 8 deniers, onze pots et demi de vin de Beaune à 2 sols le pot. Détail retrouvé dans les comptes du livre du cellérier.

Si le grand Saint Bernard eût vu ses fils faire ainsi bonne chère, qu'aurait-il pensé ? Il aurait, surement désespéré de son institut, et pourtant, on travaillait à la réforme. En prenait-on vraiment les moyens ? Les articles de Paris avaient autorisé l'usage de la viande, et, d'après le menu vu ci-dessus, on peut voir que l'on ne s'en privait pas.

L'Abbé de Royaumont, Jean de Merré, qui avait aussi assisté à l'assemblée de Paris, vint rejoindre, à Froidmont, l'Abbé de Morimond, et les11 et 12 août ils s’en furent à Beauvais avec Antoine de Chatillon. Ils y séjournèrent, en compagnie de l'Abbé de Saint-Symphorien, à l'hôtel de Froidmont et c’est un diner de gala qui fut servi à ces hauts personnages.

François 1er avait conclu, en 1516, avec le pape Léon X, le fameux concordat qui abolissait la pragmatique sanction, et qui mettait en sa main tous les évêchés et toutes les abbayes de France, en laissant à son dévolu la nomination des évêques et des Abbés.

Le 13 octobre 1520, il prescrivait ainsi  par une ordonnance donnée à Fontainebleau, à tous les ecclésiastiques et communautés religieuses, d'avoir à faire amortir leurs propriétés, et à payer des droits d'amortissement fixés par des commissaires spéciaux, sur la déclaration des revenus desdits biens, et cela, sous peine de confiscation. C'était, il le dit lui-même dans son ordonnance, le moyen de se procurer de l'argent pour l'aider à racheter le domaine royal aliéné par ses prédécesseurs, et à couvrir les grandes charges qui lui incombaient pour le gouvernement de l'Etat. L'Abbé de Froidmont fit la déclaration des biens de son monastère, paya cinq cent quinze livres de droits, et reçut ses lettres d'amortissement le 15 septembre 1521.

La tristesse dut pénétrer son âme à la fin de sa vie, car les conséquences du concordat, entre François 1er et Léon X, n'échappèrent point à sa perspicacité.  Il comprenait qu'il était le dernier des Abbés nommés par le vote des religieux, et il ne dut pas penser sans peine à cette importation d'Abbés étrangers que la volonté royale allait faire, pour diriger sa chère colonie.

Il mourut le 9 février 1523, après avoir administré Froidmont l'espace de trente ans. Son corps fut déposé dans le cloître, à côté de celui de Jean de la Chambre.

34) Claude de Beze (1526-1553)

Cet Abbé fit, en quelque sorte, la transition entre les Abbés Réguliers et les Abbés Commanditaires.

Après la mort d'Antoine de Châtillon, l'abbaye de Froidmont resta trois ans sans Abbé. L'inauguration du nouvel ordre de choses, créé par le concordat, fut la cause de cette vacance prolongée. Le roi, vaincu et fait prisonnier à Pavie, ne pouvait s'occuper de nomination. Après le traité de Madrid, qui le rendait à la liberté, les démarches qu'il fit pour s'assurer des alliés contre Charles-Quint, et la reprise des hostilités, ne lui donnèrent guère plus de loisir.

On ne pouvait cependant laisser Froidmont sans cesse vacant, il fallait un supérieur à la tête de la communauté. Il est vrai que le prieur Jean du Mesnil l'administrait avec sagesse mais il n'avait pas l'autorité d'un Abbé. Le roi se hâta d'y pourvoir, et, sans tenir compte des combinaisons qu'il avait en vue, et qu'il appliqua plus tard, il nomma pour ce poste un religieux de Clairvaux, qui lui était désigné comme un homme actif, habile et capable de remplir la charge. Ce religieux se nommait Claude de Bèze. Ce fut le dernier Abbé régulier de Froidmont.

Quand il se présenta pour prendre possession du monastère, les religieux, qui tenaient à leur ancien droit d'élection, refusèrent de le recevoir et de lui ouvrir les portes. « Nous ne voulons pas de vous, lui dirent-ils, parce que nous ne vous avons pas élu. » L'Abbé sans s'irriter, ni sans se laisser intimider par ce refus, se contenta de leur répondre par ces paroles de l'Evangile « Ce n'est pas  vous qui m'avez choisi, mais c'est moi qui vous ai choisis.  » L'à-propos de la réponse désarma quelque peu les mécontents, et l'on finit par laisser entrer ce nouvel Abbé, et même par lui faire bon accueil.

Il régna bien encore quelque froid entre lui et les siens mais sa bonté et l'activité qu'il déploya, pour faire refleurir le monastère et le restaurer, lui eurent bientôt gagné tous les cœurs. Les ruines qu'avaient faites l'incendie de 1338 n'avaient été jusque-là qu'imparfaitement réparées. Claude de Beze se mit résolument à l'œuvre pour les faire complètement disparaître.

Il fit reconstruire les bâtiments avec magnificence. Avant la révolution, ses armoiries, que l'on voyait partout, et qui n'ont disparu qu'avec le monument, donnaient la preuve évidente qu'il n'y avait presque pas d'édifice auquel il n'eût touché pour le rendre plus convenable.

L'église fut presque entièrement rebâtie, et le 5 juin 1534, l'Abbé de Clairvaux, D. Edmond, vint faire la consécration du maître-autel en l'honneur de la Sainte-Croix, de la bienheureuse Vierge Marie, de Saint Jean-Baptiste, de Sainte Marguerite et de tous les saints. On y déposa des reliques de Saint Christophe, de Saint Dominique, de Sainte Angadrême, de Sainte Bénigne et de plusieurs autres saints. En même temps, on érigea, à la porte d'entrée du monastère, une chapelle dédiée à Sainte Marguerite, pour l'usage des gens de peine et des personnes du voisinage, et l'on désigna un religieux pour y faire le service divin. Ce religieux, très souvent dans les chartes, porte le nom de curé de Sainte-Marguerite, probablement parce qu'il était chargé d'administrer les sacrements à ces gens pour qui la chapelle était construite, et de remplir à leur égard toutes les fonctions curiales.

Claude de Bèze, natif de Vezelay, était frère de Nicolas de Bèze, conseiller au Parlement, et l'oncle du trop célèbre hérésiarque Théodore de Bèze, en faveur de qui il avait résigné le prieuré de Longjumeau. L'un des premiers, il vit la pente dangereuse sur laquelle s'engageait son trop léger neveu, aussi ne le ménageait-il ni de conseils, ni de remontrances pour l'arrêter dans sa mauvaise voie mais rien n'y fit. L'esprit frondeur et le cœur corrompu du jeune homme l'empêchèrent d'écouter les sages avis de son oncle ; il s'en moqua et bientôt franchit les limites qui le séparaient de l'erreur dont il devint un des tristes coryphées.

Claude pria pour lui et versa des larmes bien amères sur sa défection, mais jamais il ne fut tenté de l'imiter. Bien vieux, il essaya plusieurs fois encore de faire entendre sa voix aux oreilles de ce malheureux qu'il aimait toujours comme son enfant, pour le ramener à de meilleurs sentiments ; ses paroles ne furent pas écoutées, il devait mourir impénitent. Claude, du moins, ne vit pas cette fatale échéance il mourut avant lui. S'il avait de la peine de ce côté, un autre de ses neveux, Louis de Bèze, qui avait pris l'habit religieux à Froidmont, lui donnait plus de consolation par sa piété et la sainteté de sa vie.

La réputation de régularité dont jouissait Froidmont, sous cet Abbé, lui valut la confiance de tous, et lui attira, des secours et des largesses temporelles.

  • En 1334, Blanche de Mercastel, dame de Bailleul, veuve de Jean du Mesnil, écuyer et seigneur du Mesnil, lui donna son fief de Bailleul ; un laboureur de Froidmont, nommé Jean Nattier, tous les biens qu'il possédait.
  • En 1539, le 13 mars, Pierre Cirier, aussi laboureur au même lieu, fit de même ; un jeune homme de bonne famille, Gérard Domont, avec l'assentiment d'Olivier de Fontenay, et de Nicolas de Bèze, ses oncles, donna aussi tous les biens qui pouvaient lui appartenir par la succession d'Antoine Domont et de Marguerite de Tourny, ses père et mère défunts, avant de faire profession dans ce monastère, où il vécut en bon religieux.

Claude de Bèze mourut le 13 juillet 1553, sans doute empoisonné, mais par qui, et pour quel motif ? Les annales de l'abbaye restent muettes sur ce sujet.

Avec lui se termina la série des Abbés réguliers de Froidmont. Son corps reposa devant la porte du chapitre, comme pour clore cette longue suite de tombes abbatiales, et la fermer à ces Abbés du nouveau régime, qui désormais ne partageront plus la bure de leurs devanciers et ne mériteront plus de venir les coudoyer sous les dalles du cloître ou du chapitre. Il fut aussi le dernier Abbé qui fut inhumé dans le monastère.

L'Histoire de France tourne une grande page mais l'abbaye poursuit sa route sous un nouveau régime avec

ses Abbés Commenditaraires de l'an 1553 à l'an 1790