Mon Ecole Apostolique

Ma vocation et mes années d'apostolique

Ma vocation religieuse est née à Laval où j’ai comme entendu « l’appel » à l’intérieur de la cathédrale où je venais de me confesser à un jeune vicaire de cette paroisse, jeune prêtre qui m’avait profondément marqué alors par je ne sais quoi que j’avais ressenti en lui, cette espèce de sainteté qu’il reflétait à mes yeux d’enfant. C’était en je ne sais plus quelle année mais je devais être encore tout jeune. Aussitôt de retour à la « maison de Laval » où j’étais en vacances chez ma grand-mère maternelle, je m’en entretins avec cette dernière puis avec mes parents dès mon arrivée à Kérivoal, où nous habitions alors, dans les environs de Quimper.

Papa ne consentit jamais à me faire entrer au petit séminaire du diocèse situé, si je me souviens bien, à cette époque, à Pont-Croix près de Pont Labbé. Avec le recul d’aujourd’hui, je pense très sincèrement que, malgré mes récriminations, il a eu raison de s’y opposer ; en effet, en ces temps-là, comme d’ailleurs un peu plus tard (nous le verrons plus loin !) les jeunes étaient pris dans un moule et un espèce de carcan et on ne leur laissait plus beaucoup le choix ni le loisir de s’en sortir… ce n’était sans doute pas la meilleure façon de former nos prêtres ni de les préparer à affronter ensuite la vie de tous les jours. Il faut avouer cependant qu’il en allait alors bien autrement de la religion catholique et qu’en règle générale les prêtres n’étaient guère lâchés seul dans la nature, ils vivaient bien souvent en communauté au sein d’un presbytère qui regroupait un curé (ou recteur) et un, deux, trois, voir plus selon l’importance du lieu, vicaires.

Je ne cessais cependant pas de tarabuster mes parents d’autant qu’ayant rencontré, sur une foire-exposition à Quimper, un « Père Blanc » d’Afrique, je m’étais attaché à ce dernier et entretenais avec lui une correspondance quelque peu suivie. De ce contact, ma vocation se précisa encore davantage et devint principalement missionnaire.

Face à cette obstination de ma part et mes études, poursuivies à l’école Saint-Yves n’étant pas très brillantes (j’étais un rêveur plutôt qu’un élève studieux et assidu !), mes parents rencontrèrent, toujours à l’occasion d’une foire-exposition, le Recruteur de la Congrégation des Pères des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, appelés aussi « Picpuciens » (leur maison de fondation était d’ailleurs située « rue de Picpus » à Paris). Le Père Eric était un jeune missionnaire, grand et bien bâti ; il était ouvert et attirant. Je le rencontrai à la maison au cours d’une soirée à laquelle mes parents l’avaient invité et, dès ce soir là, décision fut pratiquement prise de me rendre à Sarzeau, dans la presqu’île de Rhuys, afin de visiter leur école apostolique (petit séminaire en fait).

C’est ainsi qu’un dimanche du mois de juin suivant, je me retrouvais dans ce petit bourg du Morbihan avec mon papa et une famille de Quimper (les Guével, monsieur étant le « commis » de papa) dont le fils Claude (un peu plus jeune que moi) avait manifesté le même désir de devenir père missionnaire. Au cours de cette visite, nous rencontrâmes le Père Supérieur ainsi que le Père responsable de la classe de troisième, le Père Ambroise, et mon inscription devînt effective pour la rentrée prochaine soit dès les tous premiers jours du mois de septembre de l’an 1958.

Aussi, après un dernier été calme et familial en partie au Huelgoat, en partie à Kérivoal et aussi, pour le traditionnel mois d’août, au Mesgouëz, je quittai pour la première fois le doux nid familial : ma maison, mes parents, mes frères et mes sœurs, en un mot tout mon cadre habituel et chéri pour cette grande et toute nouvelle aventure. C’est à pied que commença, de Kérivoal à la gare de Quimper, accompagné de mon papa, puis, après de rapides adieux à ce dernier, en train, en compagnie de la famille Guével, de Quimper jusqu’à Vannes et enfin en bus pour parvenir jusqu’à Sarzeau.

Mon entrée à Sarzeau

Immédiatement mis dans le bain, je me retrouvai bien seul dans cette grande cour où mes nouveaux camarades faisaient bien peu attention aux nouvelles recrues débarquées au milieu d’eux, trop à la joie de leurs propres retrouvailles avec leurs compagnons d’hier. Je n’avais même pas la possibilité de pouvoir discuter avec Claude Guével qui, étant mon cadet, était dans la cour du côté des jeunes. Ayant toutefois repéré deux âmes esseulées tout comme moi, je les rejoignis et m’en fis, par la suite et tout au long de mes études, deux excellents amis ; il s’agissait de Raymond Darielle qui, par la suite, alla jusqu’aux termes de la prêtrise, et de Didier Lejeune, ce dernier quittera la communauté durant les « vœux temporaires » après son retour de coopération.

Les Pères de Picpus

La congrégation des Sacrés Cœurs et de l’Adoration Perpétuelle du Très Saint Sacrement (dite de Picpus) a été fondée en 1797 par le Très Révérend Père Marie-Joseph Coudrin, né à Coussay-les-Blois (Vienne) en 1768 et mort en odeur de sainteté à Paris, 33 rue de Picpus, le 27 mars 1837. Son but était de pratiquer et de propager la vraie dévotion envers le Cœur Sacré de Jésus et le Très Doux Coeur de Marie à travers ses œuvres :

  • L’adoration perpétuelle. Les membres de la Congrégation assurent cette adoration en se succédant devant le Tabernacle – le jour toutes les demi-heures, la nuit toutes les heures – Pour cet exercice, les Religieux et Religieuses revêtaient le manteau rouge, symbole de sacrifice et d’amour.
  • L’éducation de la jeunesse par les classes gratuites, externats, pensionnats, formant le cœur des enfants sur la base de l’idéal de la Congrégation.
  • Les missions. La congrégation contribue, avec le plus grand succès, à l’œuvre de l’éducation dans les deux Amériques et en Océanie.
  • L’hospitalisation. Les religieuses reçoivent à titre de « Pensionnaires en Chambre » les dames qui désirent vivre hors du monde dans la pratique des vertus chrétiennes et recevoir les soins nécessaires à leurs états de personnes âgées ou infirmes.

La Congrégation comprend deux branches : celle des hommes (fondée par le Père Coudrin, alors jeune prêtre) et celle des femmes. Cette dernière a été, quant à elle, fondée par la Très Révérende Mère Henriette Aymer de la Chevalerie, née au château de la Chevalerie (Deux-Sèvres) en 1767 ; jeune fille pieuse, elle fut emprisonnée à Poitiers avec sa mère pour avoir caché des prêtres et avait pris comme directeur spirituel le père Coudrin ; elle est morte en odeur de sainteté à Paris, 33 rue de Picpus, le 23 novembre 1834.

(Il convient de noter que, très curieusement, le Père Supérieur Général, le Père Jean du Cœur de Jésus d’Elbée, qui fut en fonction de 1938 à 1958 – année où j’entrai à Sarzeau – avait été marié à Claire de Sèze. Relevés exceptionnellement par le pape de leurs obligations maritales, face à leurs vocations réciproques, ils entrèrent dans les ordres et prononcèrent leurs vœux le même jour à la même heure. Après son entrée au carmel, Claire de Sèze devint prieure du Carmel de Louvain en Belgique)

La Congrégation est placée sous un Supérieur général commun et une Supérieure Générale pour les Religieuses, tous deux ayant leur maison respective générale à Rome. Elle est subdivisée en Province, administrée chacune et selon sa branches par un Père Provincial et une Mère Provinciale placée sous l’autorité directe du Père ou de la Mère Générale.

Le personnel de cette Congrégation prononce des vœux simples de pauvreté, de chasteté et d’obéissance. Ces vœux sont prononcés pour une première période de trois ans puis à titre perpétuels. La tenue de l’époque était la robe blanche (soutane) surmontée d’un scapulaire de la même couleur brodé de l’écusson des Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie.

La Province de France

Elle était, à mon entrée à Sarzeau, administrée par le Père Georges, père d’une quarantaine d’année qui se tua en voiture dans la région de Chartres le 13 septembre 1959 alors qu’il venait nous rendre visite. Je n’ai pas eu l’occasion de le connaître. Il fut remplacé par le Père Xavier (Riou), jeune Père très apprécié de tous (du moins de nous, les apostoliques) aux cheveux totalement blancs.

La Province de France comptait trois écoles apostoliques.

  • La principale était celle de Sarzeau ; elle regroupait une petite centaine d’élèves (disons : très légèrement moins !), répartis entre la classe de sixième et la terminale (classe, bien entendu, de philosophie). Nous étions fort peu nombreux par classe, dix neuf (ce qui était alors un gros effectif !) pour la classe de troisième dans laquelle j’arrivais. Les sixièmes, cinquièmes et quatrièmes constituaient la branche des « petits », les troisièmes, secondes et premières celle des « grands ». Quant aux « Philosophes » ils bénéficiaient d’un régime différent des autres mais partageait tout de même la partie de cour des « grands ».
  • On en comptait deux autres, l’une à l’Est de la France, à Burthécourt et l’autre dans le Sud-Ouest à Graves près de Villefrance de Rouergue. Ces deux dernières n’avaient que des élèves allant de la classe de sixième à la quatrième pour Burthécourt, et jusqu’à la première pour Graves ; les apostoliques regagnaient ensuite la section des « grands » à Sarzeau. Notons que, si Burthecourt était aussi une école apostolique à part entière, Grave était un petit séminaire où il y avait une section d’apostoliques.
  • A la suite de ces écoles, il y avait le Noviciat où les « candidats à la prêtrise » passaient, après leur année de « philosophie » une année complète, en moine et en vase pratiquement clos, coupés du monde extérieur y compris de leur famille. J’ai cependant dit que c’était « pratiquement » en vase clos car je dois avouer avoir rendu visite à mes anciens camarades l’année qui suivit mon départ. Ce Noviciat était situé à Châteaudun en Eure et Loire et était géré par un Père appelé le Père « Maître des Novices ».
  • Venait ensuite, pour ceux qui avaient passé cette première mise à l’épreuve et qui désiraient poursuivre, cinq années d’études théologiques au « Scolasticat ». En y entrant, ils prononçaient des vœux temporaires : Obéissance, Chasteté, Pauvreté. Ce Scolasticat se trouvait aussi à Châteaudun  jusqu’en 1965 puis fut transféré à Strasbourg pour profiter des études universitaires. Au bout de ces années d’étude, ils parvenaient à la prêtrise, après avoir prononcé leurs vœux perpétuels et étaient affectés par le Père provincial dans l’une ou l’autre des Provinces de mission. Ils pouvaient ainsi se retrouver en Amérique latine (en Equateur, au Pérou), au Canada ou en Asie (au Japon entre autre). Certains d’entre eux pouvaient aussi être affectés à l’encadrement en France des écoles comme professeurs ou dirigeants ou dans les missions intérieures en France.

Organisation de l’école apostolique de Sarzeau

La communauté de l’école de Sarzeau était composée d’une équipe dirigeante :

  • Un Père Supérieur, le Père Jean de la Croix, qui fut ensuite nommé à Rome comme Conseiller du Père Général, remplacé alors par le Père Auguste Jégard).
  • Un Père Préfet, le Père Félix, chargé principalement de la discipline. Il était en même temps professeur de Mathématiques.
  • Un Père Econome chargé de l’intendance générale de la maison. Il s’agissait alors du Père Théophane Michelot, parti ensuite au Canada, et remplacé alors par le Père Eudes (Nicolas Castel) qui avait été en poste au Japon. Ce dernier partit ensuite au Pérou où il est mort le 1er septembre 2003.
  • Sans parler du Père Infirmier, le Père Eugène qui assurait aussi des cours d’Histoire et de Géographie.

La communauté comprenait aussi des professeurs ; chaque classe avait un professeur principal enseignant principalement le français, le latin et le grec. Il y avait aussi des professeurs de langues (anglais, allemand, espagnol), de mathématiques, de physique-chimie, de sciences-naturelles ; à leur nombre, citons les Pères Vincent (mon Père Spirituel qui fut assassiné plus tard dans une paroisse parisienne où il avait été nommé), Paul (mon professeur de troisième, une vraie « peau de vache », qui fut le seul père à m’avoir, à plusieurs reprises, giflé en plein cours pour une leçon mal comprise ou un devoir mal accompli ou même une distraction en classe !!!), Pierre (mon professeur de seconde), Florent (mon professeur de Rhétorique qui, me semble-t-il ne m’a jamais beaucoup porté en son cœur !), Fernand (mon professeur de Philosophie) mais aussi les Pères Raphaël (un vieux Père qui m’enseignait l’Anglais), Léon (mon professeur de Physique-Chimie et de Sciences Physiques, avec lequel nous disséquions les grenouilles), Christian (notre surveillant), et d’autres tel les Pères Maurice (professeur de sixième, très apprécié par l’ensemble des élèves), Calazans (professeur d’Espagnol), Jacques (surveillant des « petits »).

Sarzeau occupait aussi quelques Frères que l’on retrouvait dans des tâches subalternes comme la cuisine ou les entretiens du jardin ainsi que de la petite ferme.

Nous avions en pus, fait tout à fait exceptionnel, une femme et sa fille (cette dernière d’une trentaine d’année) qui s’occupaient de la lingerie et faisaient office de couturières. Nous ne les apercevions que lors des offices religieux du dimanche ; elles étaient logées dans l’enceinte de l’école, occupant une petite maison au fond du jardin principal des Pères.

Parmi ces Pères, nous devions en choisir un en particulier comme « Père Spirituel » qui allait nous suivre et nous seconder sur le plan religieux et personnel. Il était notre confesseur et devenait souvent notre confident. Nous le rencontrions, en tête-à-tête, au minimum une fois par semaine mais nous pouvions le voir plus fréquemment ou à la demande si le besoin s’en faisait ressentir et selon ses temps de liberté.

Vie et discipline « sarzeautine »

La vie d’apostolique n’était pas une vie de tout repos, c’était pour moi une vie sévère et dure. Il fallait en effet nous préparer déjà à nos futures éventuelles missions lointaines.

La section des « petits » était séparée de la section des « grands » et les contacts personnels étaient totalement interdits. C’est très certainement la raison pour laquelle il y naissait parfois des « amitiés particulières » très secrètes. A ce titre d’interdiction la cour de récréation était partagée en deux par une ligne totalement fictive mais infranchissable. Les promenades du jeudi et du dimanche se faisaient en des lieux bien distincts les uns des autres. Seuls les élèves de Philosophie avaient des contacts avec les plus jeunes par les responsabilités qui, parfois, leur incombaient.

Nous n’avions que peu de vacances : une dizaine de jours à Noël, autant à Pâques et deux mois pour les grandes vacances (juillet et août). Mais au cours de ces vacances nous devions nous conformer à un certain règlement de morale ; il nous était, par exemple, pratiquement interdit de nous mettre en maillot de bain sur les plages ; il nous était déconseillé de rencontrer des jeunes-filles, même de la famille (cousines ou amies) et nous ne pouvions (sans doute à ce titre) assister aux réceptions de mariage s’il y en avait un dans notre entourage. Nos parents recevaient à ce sujet des consignes strictes avant notre arrivée. Je me rappelle qu’ainsi, pour le mariage de mon frère Jean, je ne pus participer pas plus au déjeuner qu’à la réception qui s’en suivit au Roc’hou (commune de Plouezoc’h), propriété de mon grand-oncle. Par contre, nous étions astreints d’assister à la messe quotidiennement et le curé de notre paroisse devait, à ce sujet, retourner un petit questionnaire sur nos activités religieuses après chacune de nos rentrées à l’école.

Au cours de l’un de ces étés, j’ai participé en Mayenne, dans la région de Sainte-Suzanne, à un camp-mission. Nous étions plus de deux cents apostoliques et séminaristes à y participer. Nous faisions, par petits groupes, du porte à porte, visitant les familles pour leur dire la « Bonne Nouvelle » tout en essayant de porter quelque réconfort à des gens auxquels la vie n’avait, semblait-il, rien apporté de bon. Ce camp qui nous réunissait tous aussi en grandes assemblées de prière a duré deux semaines complètes. Je me souviens particulièrement d’un vieil homme que nous avons visité plusieurs fois au cours de ce séjour ; il avait perdu toute sa famille, femme te enfants, et se sentait bien seul, abandonné de Dieu. Je pense aussi à cette grande messe solennelle célébrée je ne sais plus dans quelle église de la région mais où nous participions tous en grande aube blanche… messe grandiose et pleine de Foi. Que les temps ont changé ! et pourtant nous étions déjà en terre de mission !

J’ai aussi encadré, en été, deux colonies de vacances en bord de mer dans la région de Mousterlin, avec la paroisse de Kerfeuteun. J’avais un groupe de « onze-douze » ans. Je dois dire avoir gardé un très bon souvenir de ces moments de vacances où nous avions un excellent esprit d’équipe et de camaraderie entre moniteurs, parfois trop même car à cet âge toutes les occasions sont bonnes ; ainsi une nuit, après avoir traversé en barques (empruntées sur la plage) l’anse de Bénodet, de Mousterlin à la plage de Bénodet, nous avons vidé à même les rues l’ensemble des poubelles que par malheur se trouvaient sur notre chemin, nous en avons aussi profité pour dégonfler les pneus de quelques véhicules mal gérés à notre goût… cette nuit là nous fûmes coursés par les gendarmes qui avaient dû être prévenus par quelques « malveillantes » personnes « mal intentionnées » n’ayant pas sans doute pas trop apprécié de se faire réveiller en pleine nuit par notre tapage… mais nous parvînmes à leur échapper en regagnant nos embarcations…

Grand apostolique, pleinement convaincu à l’époque, j’avais plutôt plaisir et quelque fierté à officier, pendant les vacances, dans ma paroisse familiale en l’église de Kerfeuteun, faubourg de Quimper), au cours de la messe dominicale ou durant les fêtes de Noël ou de Pâques, en chef des enfants de chœur (ils étaient alors nombreux !), assistant du prêtre à l’autel. Je déjeunais souvent au presbytère et je me souviens principalement de ces dîners après l’office du Vendredi Saint où, par pure pénitence, nous « dégustions » une succulente brandade de morue… j’adore la brandade de morue mais, pour moi, quel drôle de façon de faire jeûne et abstinence !!!

Au sujet de la rudesse de notre vie à l’école, je me souviens d’une petite anecdote qui démontre le climat dans lequel nous vivions. Nous étions en pleine période de « guerre d’Algérie » et vivions parfois dans l’angoisse (pour ma part, mes trois frères aînés se trouvaient pris dans cette spirale infernale et pas dans les moins exposés !) Deux de mes camarades y perdirent un frère… ils ne purent se rendre auprès de leurs parents et durent rester à l’école… ils purent toutefois assister aux obsèques mais y furent accompagnés par l’un de nos Pères et ne firent qu’un aller retour dans la journée. Je me souviens toujours que, par contre, lorsque je perdis mon grand-père paternel, je pus, tout seul et sans attendre, rejoindre mon papa à Paris par le train alors que je ne connaissais rien de la capitale où personne ne devait en principe m’attendre…

La mort de mon grand-père

(ce récit a été rédigé par moi-même le jeudi 27 octobre 1960, selon les propos qui m’ont été rapportés par les uns et les autres)

Le 20 Octobre 1960

Grand-père qui était encore resté couché toute la journée se lève pour le dîner. Aidé par tante Cricri et par Françoise, il parcourt le petit espace qui le sépare de la salle à manger, pourtant le souffle lui manque et il doit faire un arrêt dans le salon. Enfin le voici à table et il mange assez bien par rapport aux jours précédents. Le repas achevé, il regagne sa chambre et se recouche. Peu de temps après il est suivi de grand’mère qui s’est installée un divan à l’autre bout de la chambre. La nuit commence et, ne trouvant pas le sommeil, ils restent à parler tous les deux plus tard que de coutume.

Le 21 Octobre 1960

Après une longue discussion grand-père doit se lever mais refuse l’aide de sa femme toute dévouée malgré ses quatre vingt quatre ans. En se recouchant il resta la regarder et ici je la laisse raconter ce dernier souvenir et ses regrets : « Je fus obsédée par le dernier regard que j’ai reçu de lui avant qu’il s’endorme pour toujours. J’aurais dû y répondre par un : à Dieu, un baiser… Rien ! J’étais pressé qu’il se recouche, ne prenne pas froid ; naturellement je l’ai aidé… comme d’habitude. Lui savait peut-être, moi, je n’ai rien deviné et ce manque de compréhension est un remord. »

Grand-père s’est donc recouché puis demanda : « Quelle heure est-il ? » - « Quatre heures et demie », lui répondit ma chère grand’mère. Alors le silence se fit dan la chambre et lentement, tout doucement, ils s’assoupirent. Le lendemain matin, sur le coup de sept heures trente, tante Cricri, avant de partir, sur la pointe des pieds rentra dans la chambre. Sur son divan grand’mère dormait profondément. Ayant remarqué que la tête de son père avait glissé de l’oreiller, elle s’approcha pour bien le réinstaller ; mais alors qu’elle se penchait au-dessus du lit il se remit tout seul, dans la torpeur du sommeil. Les ayant entendu parler tard dans la nuit elle les laissa dormir et sans bruit, elle se sauva à son travail.

Peu après grand’mère se réveilla et se leva, rien d’anormal semblait-il, son cher mari dormait toujours et l’on percevait sa respiration. Elle se rendit à la cuisine et après avoir pris son petit-déjeuner elle prépara celui de son malade espérant qu’il ne tarderait pas à se réveiller. A neuf heures elle vint le revoir et comme il sommeillait toujours elle le laissa : « Son souffle était faible mais toujours normal. »

Enfin à onze heures, après avoir vaqué aux diverses activités du ménage, elle revint dans la chambre. Il y faisait une demi obscurité, dans son lit grand-père ne bougeait toujours pas. Enfin pour l’éveiller doucement, ma grand’mère, traînant la jambe, ouvrit lentement les stores. Une mince lueur éclaira alors la figure du  "dormeur" et aussitôt la crainte se dévoila sur la figure de la pauvre femme : « Il était là, ne bougeait toujours pas, il "dormait" ». Elle s’approcha alors doucement, lui prit la main tendrement : « Oh ! Mon Dieu ! » Il était froid.

Courant à la fenêtre elle appela : « Lucie, Lucie ». Celle-ci, vaquant à la cuisine du 3ème, entendit les cris, elle se précipita et dès qu’elle fut auprès de mon pauvre grand-père, elle se sauva : « Pour la première fois, a-t-elle confié, je me suis trouvé en présence d’un mort. » Appelant mon parrain elle ne fut guère longue à gravir les deux étages. Peu après l’oncle Albert, en sa compagnie, entra dans la chambre et aussitôt il comprit : « Lucie, courrez vite à Sainte Clotilde et ramenez-moi un prêtre. »

Sans tarder un jeune vicaire accourut mais il était trop tard. Trop tard ? Qui sait et à tout hasard il récita les dernières prières. Pourtant tout était bien fini.

Treize heures trente. Kérivoal. Le téléphone sonne, papa décroche

-          « Allo »

-          « Allo le 15-09, je voudrais parler à Monsieur Morize »

-          « Lui-même »

-          « Ici, c’est Michèle, mon pauvre Pierre, je te téléphone au sujet de ton père. »

-          « Qu’est ce qu’il y a ? »

-          … (un silence)

-          « C’est fini ? »

-          « Oui »

-          « Il est mort ? »

-          « Oui… »

Quatorze quinze. Le Mesgouëz. Nicolas du Rohan arrive, oncle Franz sort ses vaches.

-          « Tiens ! Bonjour Nicolas »

-          « Bonjour monsieur Morize. Beau temps n’est-ce pas ? »

-          « En effet, oui. »

-          « Dites donc, je viens pour vous annoncer une nouvelle assez mauvaise : votre père est mort, c’est monsieur Pierre qui vient de le téléphoner. »

Paris. Vers la même heure. Tante Cricri à son tour est alertée. Elle rentre aussitôt.

De Kérivoal les télégrammes partent pour Henri ainsi que les lettres pour Jean et pour moi, sans oublier Michel. Yves ne sera prévenu qu’un peu plus tard.

Du Mesgouëz, Alain et Olivier sont alertés par coup de téléphone.

A Paris, le soir même, arrive papa suivi d’Henri. Oncle Franz ne peut y parvenir que le lendemain matin et Jean le soir. Puis enfin le dimanche dans l’après-midi, arrivée de maman et de moi.

Les absents furent aussi de  coeur avec nous. A Kérivoal tous les petits prièrent pour leur cher grand-père. Michel, de Lyon, écrivit une longue lettre et Yves aussitôt alerté télégraphia de Bizerte.

Réflexions diverses

J’ai vu mon cher grand-père et j’ai passé quinze jours environ avec lui au Mesgouëz. Evidemment il avait beaucoup vieilli mais je ne pensais pas que cela aurait été si vite. Pourtant, comme je l’ai déjà dit quelque part, la dernière fois que je l’ai embrassé, la dernière fois que je l’ai vu, dans la pose où Marie-France l’a surpris avec son appareil de photo, les mains dans les poches, les yeux dans le vague, semblant parti en pensée, j’ai eu un instant l’impression que cela était fini et qu’il ma fallait lui dire un éternel adieu.

C’est toujours dans cette même pensée, j’avais encore eu de mauvaises nouvelles de lui alors que papa l’avait vu pour l’ouverture de la chasse, que je lui ai écrit pour sa fête. Je lui ai parlé pour cela tout spécialement du Paradis, des bonheurs de la Vie Future. J’ai essayé de lui montrer qu’après tout, si l’on était prêt, il n’y avait pas à craindre de mourir. Je lui ai même confié ce que je faisais le soir dans mon lit en pensant au Seigneur. Grand’mère m’a répondu à sa place et depuis elle m’a confié que ma lettre l’avait frappé, puisse-t-elle lui avoir apporté un peu de réconfort pour aller dans l’Au delà.

Mais sa santé déclinait et il s’affaiblissait de jour en jour ne mangeant plus. Or voici qu’un traitement le retapa un peu mieux, nous rassurant sur son sort, il remangeait davantage. C’est au cours de cette période d’espoir, alors qu’il allait en finir avec son traitement, que le 22 Octobre 1960 la lettre de papa venait subitement détruire mon espérance, en effet voici textuellement les premiers mots de cette courte lettre :

« Mon pauvre petit Philippe

« Ton cher grand-père a été rappelé par le Bon Dieu ce matin vers 10 h. 30…

« Je t’embrasse bien tristement.

« ton Papa »

A l’âge de 86 ans grand-père venait de s’éteindre.

« La mort est la chose la plus importante de la vie » (un contemporain)

« La souffrance est aussi un sacrement » (Elisabeth Leseur)

« Oh mort, tu n’anéantis pas, tu délivres » (Lamartine)

L’évènement du 21 Octobre 1960 et ses conséquences

(ce récit a été rédigé à nouveau par moi-même et écrit au fur et à mesure du temps qui s’écoule)

Samedi 22 Octobre 1960

Treize heures. Nous déjeunons comme chaque jour bien tranquillement mais j’attends une lettre, celle de maman qui n’est pas arrivée la veille comme de coutume.

Treize heures vingt, la lecture est finie, le Père nous laisse « Deo Gracias » et commence la distribution du courrier : il va, il vient, je le guette. Ca y est, la voilà, elle est bien de Quimper et de maman : « Merci, mon Dieu » Comme toutes les autres, je l’enfouis dans ma poche.

Treize heures trente, récréation. Je m’engage pour une partie de basket et ma lettre reste dans ma poche. La récréation passe vite, le jeu est intéressant. Le premier coup sonne, on s’arrête, ma lettre est toujours dans ma poche. J’attendrai maintenant l’étude pour l’ouvrir.

Quatorze heures vingt cinq. On rentre en étude. Je récite ma dizaine de chapelet pour le travail et la bonne marche de mon après-midi. Je sors enfin cette lettre de ma poche. Pourtant un travail urgent m’attend, j’en ai pour une demi-heure au plus et je reporte une fois de plus la lecture de cette lettre.

Quinze heures. J’ai fini, je suis libre et enfin j’ouvre ma lettre : « Oh ! mon Dieu merci… Tiens un petit mot de papa… » - « Ton cher grand-père a été rappelé par le Bon Dieu ce matin vers 10 h 30… » - « Oh !… Est-ce possible… grand-père ?… » Je lis alors la lettre de maman, il n’y  a rien d’anormal et pourtant mon cœur est serré.

Quinze heures cinq. Je ne rêve pas… Grand-père, oui, c’est bien grand-père, est mort… Un étau se referme lentement sur mon cœur… Je ne puis croire et pourtant la réalité est bien là.

Quinze heures dix. Je souffre. Je ferme mes livres. J’attends un instant, abattu. Je me lève. Le Père Christian a l’air de comprendre qu’une mauvaise nouvelle m’est arrivée et il me laisse sortir. Je monte chez le Père Vincent. J’hésite à sa porte.

Quinze heures quinze, je frappe et j’entre. Le Père travaillait et il me regarde surpris, je suis blême. « Père, je vous dérange ? » J referme la porte. « Je viens de recevoir… une mauvaise nouvelle… mon cher… grand-père… est mort hier matin… »

Il m’a compris. Je pleure, il me console. Mon cœur est brisé, une large plaie s’y est ouverte et ma tristesse en sort. Il me parle, me console et chacun de ses mots rentre dans ma blessure.

Après l’avoir écouté et arrêté mes larmes, je lui demande s’il est possible que je parte à Paris. Il me dit qu’il fallait voir le supérieur mas que j’aurais sans doute la permission. Je le quittai donc avec une petite lueur d’espoir.

Quinze heures vingt cinq. J’entre chez le supérieur. Il est assis à sa table et note ma demande en me disant de repasser le soir ou plutôt il viendrait me chercher pour me donner sa réponse.

Quinze heures vingt huit. Je regagne l’étude et ai juste le temps de prendre mes affaires puis de filer en classe. Toute l’après-midi je pense à mon pauvre grand-père, à toute ma si chère famille qui pleure avec moi. Je n’ai guère le courage d’écouter mes professeurs et ils ont tous l’air d’avoir compris que je souffre.

Dix sept heures trente. La fin sonne et ce n’est pas trop tôt. Je n’ai pas faim et monte directement au dortoir pour m’allonger sur mon lit et pour voir la dernière photo de grand-père. Je rêve et je souffre. Je n’en peux plus et je re pleure.

Dix sept heures cinquante cinq. Le premier coup sonne, je me prépare et gagne l’étude. Ma pensée ne les quitte plus. Alors je prends mon journal de bord et je lui confie ma peine et ma souffrance. Puis j’écris à Yves qui est tout seul dans son coin, bien loin de nous et qui souffre aussi. Jean qui va peut-être aller à Quimper et qui, comme moi, à midi, a dû être alerté.

Vingt heures. Enfin la fin de l’étude. C’est alors le dîner qui traîne en longueur, je trouve cela terrible, les minutes se transforment en heures. Mon repas devient un calvaire et j’offre cette souffrance pour Dieu.

Vingt heures quarante cinq. Le Père Vincent vient me chercher. La permission m’est accordée. Le lendemain le supérieur me mettra au train de 11 h 09. Je suis content car tout ira mieux et que j’espère apporter un peu de réconfort. Pourtant, il y aune chose qui m’importune c’est le prix du voyage.

Je me rends chez l’économe mais il est absent. Alors il ne me reste plus qu’à aller pleurer avec le Bon Dieu. Je me retire donc dans la chapelle où dans le noir je laisse s’épancher mon cœur.

Vingt et une heure trente. Ayant regagné l’étude j’offre mon chapelet pour grand-père et pour sa femme et ses enfants. Je prie avec ferveur en essayant d’avoir un contact plus serré entre Dieu et moi.

Vingt et une heure trente. Je repasse chez l’économe, il n’est pas encore là. Je monte alors au dortoir et je demande au Père Christian de me réveiller le lendemain pour sa messe. Je prépare mes bagages et je me couche en priant.

Vingt deux heures, vingt trois heures, minuit, une heure, je ne dors toujours pas, le temps me semble très long, j’étouffe, la pensée de grand-père ne me quitte pas. Enfin entre deux heures et deux heures un quart j’arrive à m’endormir.

Dimanche 23 Octobre 1960

Cinq heures. Je me réveille et aussitôt je repense à ceux qui sont déjà à Paris. Cette fois-ci le temps passe un peu plus vite.

Cinq heures quarante cinq. Le Père vient me chercher. Je me lève sans attendre et m’empresse de descendre après m’être vite habillé. Il fait nuit et froid.

Je rentre dans la chapelle, il y fait très obscur. Il y a le Père Vincent, le Père Christian et le Père Florent. Je m’agenouille et je prie doucement.

Six heures. Je réponds la messe au Père Vincent. Je l’offre ainsi que ma communion pour grand-père et pour toute ma famille.

Six heures trente. La messe est finie et je prie dans la chapelle où le Père Léon célèbre la messe. Il y a du monde de la ville et je ne peux retenir quelques larmes.

Sept heures quinze. Je sors et me rends en étude où je commence une lettre à maman qui, je crois, reste à Kérivoal pour veiller sur les petits.

Sept heures vingt. Le Père Calazans vient me chercher pour lui répondre une messe. J’accepte et me revoilà en prières pour toute la famille.

Sept heures quarante cinq. La messe finie, je monte chez l’économe, il est absent. Alors je regagne le réfectoire où je prépare tout.

Huit heures. Petit déjeuner. Je mange et me force à manger car à midi je risque de ne rien avoir. Je sors avant la fin  et je monte au dortoir.

Huit heures trente. Je prends une douche. Je fais mon lit. Je vais trouver l’économe. Enfin il est là. Il a été très gentil et aussitôt me passe 20000 francs pour mon voyage.

Neuf heures moins quart. Je rentre en étude et je finis ma lettre à maman à qui je pense bien. Mounier me prête un plan de Paris que j’étudie avec le métro car personne ne sera ce soir à la gare à m’attendre car je n’ai pas pu prévenir.

Neuf heures trente. Je reprends mon carnet personnel pour lui confier ma peine. Au bout de 10 lignes, le supérieur m’appelle. Vite je vais changer de chaussures et je le rejoins à sa voiture.

Dix heures. La 2 chevaux s’arrête devant la gare de Vannes. Il me reste une heure. Je prends mon billet et essaye de gagner la caserne de Jean mais je ne la trouve pas et je regagne la gare.

Onze heures. Je passe sur le quai et j’attends. Je pense à ceux de Paris. Je suis bien triste et pourtant je ne pense pas à pleurer ici, devant tout le monde.

Onze heures neuf. Le train est là. J’embarque après avoir regardé si à tout hasard il n’y a personne de la famille aux fenêtres.

Te train repart. J’ai trouvé une place assise. J’ai beaucoup de chagrin. Je voudrais dormir. Après Le Mans ma place est prise par une jeune femme et je reste debout dans le couloir.

Pour me forcer à penser à autre chose, je regarde la campagne en essayant de faire des découvertes géographiques. Malgré tout ma pensée retourne toujours vers grand-père. Le voyage est long et pénible.

Enfin voici Paris. Je descends et sans attendre je remonte le quai. A ma grande surprise je trouve Jean puis Henri sur le quai. Ils ne m’attendaient pas mais venaient chercher maman qui arrivait par mon train. J’ai été peiné de cette nouvelle car si je l’avais su mon voyage aurait été moins long et moins pénible.

Nous prenons le métro et j’apprends que mon cher grand-père a été mis en cercueil et qu’il repose dans la basilique Ste Clotilde. C’est pour lui qu’est notre première visite. Je suis profondément troublé : un autel, une dalle et sous cette dalle grand-père ; pas un cierge, pas une fleur mais l’obscurité.

Après une petite prière, nous gagnons le 26 rue Las cases. Papa et Michèle viennent nous ouvrir. Le pauvre papa semble assez attristé et fatigué. Grand’mère était dans la cuisine, assez effondrée, où tante Cricri lui refaisait un pansement.

Un peu plus tard oncle Franz et tante Cricri arrivèrent. On monta alors pour le dîner et je retrouvai mon pauvre parrain bien triste qui me serra longtemps dans ses bras.

Après le repas je descendis chez Michèle et Eric où nous regardâmes des photos de leurs enfants. Puis vers onze heures je gagnai mes appartements chez les Païens. Il faisait très chaud et je n’ai pu m’endormir que vers les trois heures du matin. Chaque fois que la cloche de l’église sonnait je pensais à mon cher grand-père qui reposait dans cette basilique.

Lundi 24 Octobre 1960

Sept heures dix. Je me réveille, regarde l’heure, me rallonge. Un quart sonne à l’église, je pense alors à la messe, du moins s’il est trop tard pour l’avoir, il n’est pas trop tard pour communier. Je me lève sans bruit et pourtant le parquet craque à chaque pas. Je sors doucement et pourtant la porte grince en s’ouvrant. Me voici sur le palier, j’enfile mes souliers et je descends. En passant devant le 1er je remarque qu’ils sont déjà réveillés mais ma visite sera en premier pour le Bon Dieu et pour grand-père.

J’arrive au Pater de la messe. Jean est déjà là. Je prie et dans la communion je puise les forces et les grâces nécessaires pour la journée. Je viens ensuite m’agenouiller devant le caveau de Ste Clotilde où, comme prière, je récite les Laudes des défunts et les vêpres. Pendant ce temps, Jean m’a rejoint et il prie avec ferveur. Il me semble bien triste et je devine que pour lui ce deuil est une réelle douleur.

Huit heures. Je rentre avec Jean. Tante Cricri est déjà partie au travail, oncle Franz est à la messe, Françoise est tout de même levée, grand’mère est assise dans son fauteuil. Nous déjeunons. Henri descend et je l’accompagne à la boulangerie.

Peu après notre retour papa et puis maman descendent. Dans la matinée, papa, oncle Franz et Jean vaquèrent dans Paris pour faire des démarches tandis que l’oncle Albert se rendait chez le notaire. Moi, je reste avec maman et Henri tenir compagnie à grand’mère jusqu’au retour des autres.

Onze heures quarante cinq. Je me rends à Ste Clotilde avec maman et Jean pour réciter notre chapelet sur le caveau. L’ambiance n’est pas trop une ambiance de deuil. On parle de grand-père vivant mais non mort et j’ai encore bien du mal à réaliser où se trouve la vérité.

Midi et demi. Françoise rentre de son travail et nous montons déjeuner une nouvelle fois chez mon cher parrain. Je pense aller cet après-midi chez les Prat tandis qu’Henri ira chez les Clausade.

Quinze heures. Finalement je me décide à aller avec Henri. Le pauvre Henri, avec son grand-père, a aussi perdu son parrain et je sais qu’intérieurement il souffre. De plus je ne le vois pas souvent et je préfère ne pas le laisser seul. C’est pourquoi je monte avec lui dans la voiture de Michèle qui, avec maman allant acheter un manteau, nous déposera à la gare du Maine.

Quinze heures vingt cinq. Nous avons tout juste le temps de prendre nos billets, de sauter dans le train et celui-ci démarre. Nous trouvons des places assises. C’est un train de banlieue et il fait penser au métro. On s’arrête tout le temps.

Seize heures vingt. Arrivée à Versailles. Sans perdre de temps nous prenons la route et un quart d’heure plus tard nous voilà chez tante Marie-Thérèse. Elle-même vient nous ouvrir et nous reçoit très gentiment avec Antoine. Sophie puis Jérôme rentrent à leur tour. Nous goûtons tous ensemble dans la cuisine.

Dix neuf heures. Il est grand temps de repartir. Dix minutes plus tard nous sommes à la gare et au quart nous partons. Il fait nuit et Paris est très joli dans toutes ces petites lumières. Il y a plus de monde dan le train mais nous sommes assis.

Dix neuf heures quarante cinq. Arrivée à paris. En un quart d’heure nous gagnons la rue Las cases. On nous y attend et sans plus attendre on se met à table. On espère se coucher tôt car la journée de demain sera fatigante et pour cela on se met à la vaisselle.

Vingt et une heures. Oncle Jacques te tante Yvonne arrivent suivis bientôt de l’oncle Pierrot. Oncle Albert est bien fatigué et ne paraît pas. On descend tous en bas pour le laisser dormir et la soirée se poursuit jusqu’à onze heures.

Qu’ont-ils pu penser de cette visite ? On ne serait pas cru, extérieurement, dans une famille en deuil et pourtant intérieurement chacun de nous souffrait. Evidemment tous essayaient de mettre un peu de distraction. D’ailleurs il faut d’abord voir ce que pensait grand-père ? Il était certes heureux de ne pas nous voir nous lamenter du matin jusqu’au soir. Et puis si nous pleurions sa mort, nous fêtions son entrée au Paradis.

Enfin à onze heures et quart je gagnai mes appartements. Les Païens s’étaient couchés. La porte était restée entr’ouverte, la lumière allumée, mon lit avait été découvert et même ouvert. Vraiment j’ai trouvé chez gens beaucoup de sympathie et de gentillesse et j’en avais besoin. En effet si dans la journée je riais avec les autres, ce soir ma douleur a repris et je pleure mon cher grand-père.

Une nouvelle fois la nuit se fit autour de moi et les heures sonnèrent : minuit, une, deux, trois heures ; je n’arrivais pas à dormir, je pensais. Enfin à trois heures environ mes paupières sont tombées, ma pensée s’est perdue dans le vague, le brouillard s’est levé autour de moi, le vide s’est creusé partout et tout doucement j’ai sombré dans le sommeil.

Mardi 25 Octobre 1960

Cinq heures. Je m’éveille. Il commence à faire jour. Peu à peu je reprends mes esprits et peu à peu la réalité revient. Aujourd’hui, dans quelques heures, je verrai ce cercueil ; quelle sera ma réaction car alors il n’y aura plus à douter. Je pense ainsi et je souffre.

Six heures trente. Lentement et sans bruit je me lève et m’habille. Puis je défais mon lit et arrange le divan sur lequel j’ai passé ces deux nuits. Je remets de l’ordre dans ce salon puis, draps sur le dos, serviette sous le bras, je sors doucement.

Sept heures. On remue déjà au premier et je frappe. Tante Cricri vient m’ouvrir. Jean ne tarde pas non plus. Tous les deux nous déjeunons. Henri arrive et part à la boulangerie. Ayant des courses à faire pour grand’mère je pars avec lui.

Sept heures trente. Je rentre. Tout le monde déjeune. Le temps de dire bonjour, de porter à Michèle ses draps et je file à Ste Clotilde prier une nouvelle fois sur le caveau dont, tout à l’heure, on sortira grand-père.

Huit heures. Je rentre à la maison et je m’assois près de grand’mère pour l’aider un peu car elle souffre beaucoup. A neuf heures je sors et me rends chez le coiffeur. A neuf heures quarante je suis de retour à Ste Clotilde. Une dernière fois je m’agenouille devant ce caveau, mon cœur est toujours bien serré et je pense à celui qui repose devant moi.

Dix heures vingt. Toute la famille, d’un côté oncle Albert, oncle Franz, papa, Henri, Jean et moi, de l’autre, maman, tante Cricri, Françoise part pour l’église après avoir embrassé la pauvre grand’mère qui doit rester dans son fauteuil, mais une de ses amies vient lui tenir compagnie.

A l’entrée de la basilique, le cercueil couvert d’une gerbe de fleurs a été déposé. Nous allons nous installer de part et d’autre du catafalque dressé devant le chœur.

Dix heures trente. Le prêtre arrive et va chercher le cercueil qui est amené par quatre hommes sur leurs épaules. Il est déposé dans le catafalque et après quelques courtes prières la messe commence.

A la vue du cercueil la blessure de mon cœur s’est rouverte car vraiment j’ai compris : tout est fini. Je pleure doucement dès le début de la messe et pourtant j’ai confiance, je sais que grand-père est au Paradis, je sais que le Bon Dieu ne l’aura pas fait attendre.

La messe est très bien. Il y  a peu de communions mais toutes aussi ferventes les unes que les autres. D’ailleurs il n’y a pas grand monde : juste les gens de la famille et des amis.

Onze heures un quart. La messe est finie et nous nous rangeons pour recevoir les condoléances. Un enterrement est toujours triste surtout lorsque le défunt est de la famille mais ce qu’il y a de plus pénible, ce sont les condoléances. Ah ! Que je voudrais pleurer ! Qu’on nous laisse tranquille ! Soudain Jean, à ma droite, éclate en sanglots et devant cet aîné qui pleure, les larmes roulent de mes yeux.

Onze heures quarante cinq. Le cercueil est chargé dans le fourgon, le prêtre le bénit une nouvelle fois puis oncle Albert, oncle Franz, papa et Henri y montent. C’est alors que les discussions commencent sur le parvis de Ste Clotilde. On tarde. Que peut-on bien faire et attendre ?

Midi. Enfin le fourgon se met en route et les voitures démarrent. Je suis monté avec monsieur Païen mais il y a encore la voiture d’Eric, de Paul, des Wabb, des Oliviers Prat. Nous arrivons enfin au cimetière du Père Lachaise après une longue randonnée dans Paris. Il y a trois convois à y entrer e mon cœur se serre à la pensée que l’un est pour mon cher grand-père.

Nous voici enfin près du caveau. Nous descendons de voitures et le cercueil est emmené jusqu’au caveau. Des crochets sont passés aux poignets et alors il se passa quelque chose de bien pénible. Le cercueil dans lequel avait été placé le pauvre grand-père a été dressé et a ainsi commencé à descendre, un peu plus bas ils l’ont remis droit mais il n’arrivait pas à passet et alors ils le soulevaient et le laissaient retomber jusqu’à ce qu’il fut bien mis en place.

Cette terrible scène finie, le prêtre récita les prières de l’inhumation et nous dernière fois nous vînmes asperger d’eau bénite ce cercueil.

Ce fut à nouveau les causettes dans le cimetière avant de reprendre la route. A quatorze heures nous étions rentrés et l’on se mettait à table avec les Chiny et oncle Roger Serdet auxquels nous avions demandé de rester avec nous.

Quinze heures. Le repas est terminé et nous restons discuter au salon jusqu’au départ des autres vers dix sept heures. Alors avec Michèle nous allons faire quelques emplettes en ville.

Dix huit heures. De retour on se change et faisons les bagages. Je descends alors avec grand’mère.

Dix neuf heures trente. Dîner chez oncle Albert.

Vingt heures quarante cinq. Départ pour la gare, après avoir embrassé grand’mère et tante Cricri, en deux voitures, celle d’Eric et celle de Michèle. Nous prenons nos billets. Oncle Albert, Eric, Michèle, Françoise, oncle Franz passent aussi sur le quai et restent jusqu’au départ du train à vingt et une heures quarante cinq.

Nous, papa, maman, Henri, Jean et moi, nous sommes installés avec un monsieur dans un compartiment. Pendant un long moment on parle puis vers onze heures nous éteignons la lumière.

C’est alors une nuit blanche en train, longue et pénible. Impossible de fermer l’œil. Autour de moi les autres semblent dormir.

Mercredi 26 Octobre 1960

Quatre heures trente. On approche de Vannes. Jean et les autres se réveillent. On mange un peu car ce voyage nous a donné faim. Jean et moi, nous nous préparons.

Cinq heures. Vannes. Arrêt. J’embrasse papa, maman et Henri et je leur fais mes adieux.  Je suis bien triste et pourtant je ne veux pas le laisser paraître : Jean est plus à plaindre que moi.

Cinq heures un quart. A l’hôtel de la gare nous prenons deux cafés puis nous prenons la route de la caserne qui nous donne bien du mal et nous fait courir.

Six heures. Je quitte Jean. Il se présente à la caserne te moi demi-tour. Après un détour dans Vannes je regagne la gare.

Six heures cinquante. Je viens de monter dans le car et nous partons. J’ai un peu de peine et je pense à ceux qui sont arrivés à Quimper et à ceux qui sont restés à Paris.

Sept heures trente. Arrivée à Sarzeau. Je gagne l’école sans tarder et me présente au P. Supérieur. Je vais ensuite frapper chez le P. économe mais il est absent. Alors je regagne le dortoir où sur mon lit j’éclate en sanglots à la pensée de ces si tristes jours. Il y a une semaine à peine, grand-père se promenait encore dans son appartement.

Huit heures trente. Après une rapide toilette et après avoir rangé mes affaires me voici de nouveau allongé sur mon lit. Je n’ai même pas été à la messe, je n’ai même pas communié, je ne descends pas non plus au réfectoire.

Neuf heures dix. Enfin je quitte le dortoir et je descends préparer mes cahiers et mes livres pour la classe du matin. Je suis exténué et j’ai grande envie de dormir.

Onze heures un quart. Je ne vais pas en gymnastique mais je vais d’abord chez le P. économe, puis je monte au dortoir.

Midi. Je suis e, étude. On a un devoir de latin : une version à traduire sans dictionnaire. Je n’avance pas, je dors. A treize heures je mange bien peu car je n’ai pas grand faim.

L’après-midi est tout aussi pénible. Je passe mes récréations au dortoir d’où je descends la photo de grand-père qui désormais est à portée de ma vue dans mon casier en étude.

Le soir j’ai encore besoin de réconfort et c’est toujours le P. Vincent qui me l’apporte. Mon devoir n’est fait qu’à moitié mais le P. Florent ne me le notera pas.

Diverses réflexions

Grand-père est mort. Cette nouvelle bien que je la craignais depuis quelque temps m’a chamboulé.

Pour moi, ce grand-père était un exemple de vertu et un exemple à suivre au point de vue intellectuel. C’était aussi un but dans ma vie car je demandais au Bon Dieu de le conserver pour qu’il me voit en soutane afin que l’un de ses désirs soit davantage confirmé ! Grand-père était aussi un but pour mon bac, je voulais le décrocher un peu pour lui aussi. Enfin c’est à grand-père que je dois le fait d’avoir un père si chrétien et si bon.

Avec grand-père, je perds une partie de mon affection et pourtant celle-ci va retomber sur mes chers parents. Avec grand-père je perds aussi ce grand exemple et ce but mais son image se retrouve dans mon propre papa. Avec grand-père je perds encore une partie de ma joie. Que sera triste notre prochain séjour au Mesgouëz où il ne sera même plus là pour patronner notre 15 Août.

Enfin dans ce deuil j’ai rencontré de grandes amitiés. Le Père Vincent qui m’a le plus aidé à supporter cette épreuve par ses conseils et ses paroles si douces et si bonnes. Le Père Supérieur qui s’est déplacé à Vannes pour me conduire au train afin que je n’eusse pas trois longues heures à attendre seul. Le Père économe qui, aussitôt, m’est venu en aide en me prêtant l’argent nécessaire pour aller à Paris et qui a eu toutes les délicatesses pour moi. Le Père Florent qui ne m’a compté ce devoir de latin et qui est resté délicat à mon égard durant ce Mercredi. Les Pères Léon et Raphaël qui, chacun, sont venus me présenter leurs condoléances. Il y a eu aussi un camarade : Didier Lejeune et c’est à peu près tout.

Me voici donc rentré à Sarzeau et déjà le travail a repris son cours. Ces jours m’ont été extrêmement pénibles et je rends grâce au Ciel de m’y avoir fait trouver l’ambiance qui y régnait. Que dire de celle-ci&n

Sarzeau (suite)

Notre emploi du temps

Notre programme journalier était quasiment le même d’un bout à l’autre de l ‘année scolaire.

  • Lever aux aurores. C’est le Père Surveillant qui dormait dans une petite cellule donnant à même le dortoir qui nous réveillait d’un claquement sec des mains. En hiver, il venait auparavant nous allumer un radiateur électrique pour réchauffer une atmosphère qui, au petit matin, était bien souvent hivernale. Il ne fallait pas tarder et, aussitôt tombé à genoux au bord de notre lit, nous entamions un « je vous salue Marie ».
  • Venait ensuite la toilette qui était faite dans une pièce où se trouvait un immense lavabo surmonté de plusieurs robinets, cette pièce était attenante directement au dortoir. Notons que, un dimanche sur deux, nous avions droit à une douche. Celle-ci était prise dans une grande salle au sous-sol où se trouvaient toutefois des petites cabines individuelles. Il n’y avait qu’une commande générale pour l’ensemble des douches, elle était actionnée par un Père de service et je vous assure qu’il fallait se presser si l’on voulait s’en sortir convenablement : un coup d’eau de mise en condition, un temps de savonnage, un coup d’eau de rinçage et… au groupe suivant. A ce rythme il est certain que nous n’avions guère que le temps de nous doucher… sans pécher… ni même de mauvaises pensées…
  • Puis, après avoir ouverts nos lits – comme à l’armée – nous nous rendions en salle d’étude pour une bonne heure de travail surveillé… finition de nos devoirs… révisions de nos leçons.
  • Venait ensuite la messe à laquelle nous assistions tous ensemble dans la grande chapelle et à laquelle venait parfois se joindre à nous quelques vieilles ou jeunes « bigotes » du bourg (à l’époque je ne pouvais me permettre de porter certains jugements de valeur !)
  • C’était alors et enfin l’heure de la collation du matin : notre petit déjeuner. Que ce soit le petit-déjeuner, le déjeuner ou le dîner, la tradition était toujours la même. Après le « bénédicité », nous commencions à manger dans un silence total, dominé seulement par la voix monocorde d’un de nos camarades qui nous faisait la lecture d’une œuvre pieuse du moment… la vie d’un saint ou d’une quelconque sainte. La lecture s’achevait au tintement d’une petite clochette fébrilement actionnée par notre « gardien », le Père Surveillant qui prenait ses repas dans le réfectoire sur une petite estrade. La durée de cette lecture variait selon la bonne ou mauvaise humeur de ce dernier ; il faut tout de même avouer que parfois nous ne lui facilitions pas la tâche… aussi cela pouvait durer tout au long du repas !
  • Nous nous transportions ensuite au dortoir afin de faire nos lits (toujours comme à l’armée, c’est à dire « au carré » !).
  • Venait ensuite une courte récréation avec, comme à chaque récréation, jeux en équipe obligatoires du genre « foulards » ou autre « débilités de ce genre mais pas question d’y déroger sinon que de s’enfermer dans les WC (peu confortable car à la turque et la plupart du temps plein à craquer !!!).
  • Trois heures de cours assidus.
  • Re-récréation, déjeuner (avec re-lecture, re-tintement de cloche, etc. …, etc. …) Nous mangions sur de grandes tables en bois rassemblant une bonne douzaine de convives. Nous avions un chef de table qui assurait le service. C’est au cours de ce repas que nous étaient distribué le courrier et les colis.
  • A nouveau courte récréation « digestive » mais en rien passive suivie de trois nouvelles heures de cours tout aussi assidus.
  • Le goûter nous était distribué sur les marches du réfectoire après quoi ceux qui avaient eu la chance de recevoir des colis de victuailles pouvaient entrer au réfectoire pour étaler sur leur guignon de pain beurre ou confiture mais aucun d’entre ces derniers ne partageaient si vous ne pouviez leur rendre la pareille… l’engeance du petit apostolique n’est pas prêteuse… je dégustai donc chaque jour mon pain sec…
  •  Etude surveillée, dîner, lecture pieuse, chapelet puis enfin… le coucher. En été, nous avions une petite récréation avant de monter nous coucher.

Les promenades

Voici donc comment se passaient les cinq septièmes de nos journées. Le jeudi toutefois, les heures de cours de l’après-midi étaient remplacées par la promenade. Nous partions donc ces après-midi là ainsi que celles du dimanche, en rang bien serrés, encadrés par un Père (de corvée), le long des routes ou des petits sentiers vers le Beg-Lan (petite propriété que les Pères possédaient en bordure de mer) un jour, le château de Suscinio un autre jour ou encore vers Saint Gildas de Rhuys, Saint Jacques, le Roaliguen ou je ne sais plus trop quel lieu encore.

Ma promenade préférée était à Saint Gildas où nous faisions de l’escalade dans les rochers surplombant la mer ou au vieux château de Suscinio dont nous escaladions aussi, parfois certes au péril de nos vies et au grand damne du Père, les tours et les murailles en ruines.

Parfois aussi mais rarement la promenade était remplacée par une séance de cinéma à la salle paroissiale attenant à l’école. Il fallait, en ce cas, que le film ne soit véritablement en rien scabreux ni tendancieux en aucune manière.

Les jours de fête

Nous avions aussi parfois d’autres « saines » distractions.

Dois-je vous parler en premier lieu des dimanches, seul jour de la semaine où nous n’avions de cours. Ils étaient tous semblables. Lever légèrement plus tardif, suivi du petit déjeuner et d’une étude où nous pouvions soit travailler, soit lire. Venait ensuite la répétition de chant avant la grand-messe dominicale ; cette dernière était célébrée en la chapelle et donnait tour à tour aux Pères l’occasion d’exercer en public leur talent de chanteur, ce qui soit dit en passant n’était pas toujours très bien réussi… mais tout le monde ne peut être parfait. La messe, à laquelle assistait un certain nombre de paroissiens « sarzeautains », était suivie d’un repas légèrement amélioré et, en règle général, sans lecture. L’après-midi, promenade, goûter, étude, salut du Saint-Sacrement, dîner, lecture pieuse et coucher. Bref, pas de quoi en faire un fromage !

Notons plutôt les autres occasions de fête qui jalonnaient notre année scolaire.

  • La Fête de Saint Nicolas dans la pure tradition de notre Alsace-Lorraine et que nous célébrions avec faste pour nos pauvres camarades venus de ces lointaines provinces. A cette occasion, après un défilé qui nous conduisait tous dans la salle du réfectoire et auquel se mêlaient bien entendu le grand Saint-Nicolas et le Père Fouettard, nous avions droit à quelques représentations préparées par un groupe d’élèves qui avait monté une petite troupe de théâtre ; une année j’en fis partie. Il nous était alors remis à chacun d’entre nous, de la part des commerçants ou même de certains habitants de la ville, un petit cadeau ; c’est ainsi qu’en classe de première je reçus mon premier rasoir mécanique et que je pus ainsi faire disparaître les quelques poils qui me poussaient au menton ! Adieu ma future barbe de missionnaire !
  • La fête du Père Supérieur qui était aussi la fête de l’école. Ce jour là nous faisions souvent une longue promenade sous forme de grand-jeu avec repas en plein air à midi. On organisait aussi dans la matinée, une sorte de kermesse à l’intérieur même de l’école au cours de laquelle les Pères se mesuraient parfois aux élèves dans des courses en sac ou autres jeux de ce style.
  • La promenade scolaire qui nous conduisait en autobus dans des sites comme l’abbaye de Thimadeuc (l’année où nous la visitâmes, son Père Abbé était le Révérend Père Emmanuel de Miscault, oncle direct par sa maman de mon plus jeune fils Dominique), la basilique de Sainte Anne d’Auray mais aussi en vedette parfois à travers le golfe du Morbihan jusqu’à l’Ile aux Moines.
  • Le dimanche de la Fête Dieu (les traditions se perdent !) avec sa procession solennelle du Saint-Sacrement à travers le jardin dont nous avions paré les allées d’immenses parterres de pétales de fleurs et au bord desquelles nous avions monté de magnifiques reposoirs.
  • Le jeudi de l’Ascension au cours duquel nous allions à la messe des communions solennelles de la paroisse… Quel ravissement pour nous… « Ne nous laissez pas succomber à la tentation et délivrez-nous du mal », nous nous efforcions de le dire, de le répéter, de nous l’imposer… mais il y avait devant nous toutes ces jolies petites communiantes avec leurs belles coiffures, leurs magnifiques robes immaculées, leurs frêles mains gantées jointes, de vraies angelines (tu vois, je ne me souviens même plus d’il y avait des garçons !)… un vrai supplice… tu parles de nos pensées pieuses en ce moment là… plutôt fourrés et autres lieux campagnards (je plaisante… alors disons que je plaisantais et oublie… mais mets-toi à notre place !!!). C’était, il faut le dire, le seul moment de l’année où nous avions le droit de croiser (de loin) et de toucher (des yeux) ces adorables créatures qui ne nous étaient pas insensibles et qui souvent aussi étaient en admiration devant nous… futurs missionnaires…
  • Le passage des Pères, venues de régions lointaines, avec leurs récits, leurs photos, leurs films palpitants, était aussi pour nous l’occasion de distractions.
  • Le lundi de la Pentecôte avec son pèlerinage à la chapelle de la pointe de Penvins où nous nous rendions à pied, marchant le long d’une route merveilleusement fleurie de genêts et d’ajoncs
  • Et puis, il y avait aussi la fête des parents. Celle-ci avait toujours lieu un dimanche du mois de Juin et rassemblait les parents qui pouvaient se déplacer et qui n’habitaient pas trop loin. Cette journée commençait bien entendu par une grand-messe solennelle suivie d’un bon repas pris tous en commun. Je dois dire que jamais, au cours de ces cinq années que j’ai passées à Sarzeau, ni papa, ni maman ne m’ont privé de cette joie de les voir débarquer avec la « traction-citroën-familiale » accompagnés d’une partie de mes jeunes frères et sœurs et ces derniers doivent encore se souvenir de ces grandes expéditions… je les remercie encore aujourd’hui de ce bonheur qui, pour cette journée entière, habitait le fond de mon cœur.

An dehors de la fête des parents, j’avais aussi l’énorme privilège de voir mon papa (remplacé une fois par ma maman) débarquer un dimanche au cours de chacun des deux premiers trimestres à Sarzeau. Nous y passions, pour moi tout du moins, une forte agréable journée même si la séparation était toujours d’une très grande tristesse au fin fond de mon être tout entier mais sans jamais le montrer. Comme je lui étais alors reconnaissant de venir, malgré ce long et fatiguant voyage, m’apporter un peu de cet amour et de cette tendresse qui me faisaient tant et tant défaut ! Mais j’avais appris à cacher ma peine et j’y étais tenu... par ailleurs ! J’eus aussi, une autre fois, le plaisir de voir ainsi mon frère Michel venu me rendre visite tout seul… Merci à tous et à chacun…

Amères réflexions

Il est vrai que j’ai beaucoup souffert tout au long de ces années de pensionnat où je ne me sentais ni aimé par mon entourage immédiat hormis mes deux copains : Didier et Raymond, ni chez moi au sein de cette école. J’avais la boule dans l’estomac pratiquement durant les deux premiers mois de chaque trimestre et chaque fois que celle-ci commençait à disparaître à l’approche du retour à la maison pour les prochaines vacances, la perspective des examens qui chaque fois venaient clôturer nos trimestres m’empêchait d’être tout à ma joie.

Fort heureusement je recevais beaucoup de courrier de mes parents et parfois aussi de mes grands-parents, de mon parrain, de mes grands frères. Régulièrement, chaque mardi et chaque vendredi, me parvenait une lettre de papa (en début de semaine) puis de maman (enfin de semaine)… c’était pratiquement les seuils liens tangibles, en dehors d’une osmose totale et permanente avec eux, qui me rattachaient à ma famille. Cette correspondance réciproque (je leur écrivais de longues missives chaque dimanche) était trop régulière pour ne pas m’attirer en quasi-permanence des réflexions désabusées de certains Pères au moment de la remise du courrier, c’est la raison pour laquelle trop souvent j’attendais, la lettre au fond de ma poche, de me retrouver seul pour l’ouvrir.

Par contre, contrairement à une grande partie de mes camarades, je ne recevais pas de colis et ne pouvais en conséquence agrémenter mon guignon de pain sec du goûter ou ma tartine du matin au petit déjeuner d’un bout de beurre ou d’un peu de confiture. Aussi devais-je me contenter, au petit déjeuner, de ce morceau de « margarine » qui nous était gracieusement offert par la communauté. Savez-vous pourquoi aujourd’hui je maudis la « margarine » et pourquoi je m’étais longtemps promis de ne jamais me rendre acquéreur d’un type de voiture que la marque OPEL exploitait et qui portait le nom de « ASTRA ». Il a fallu que le dernier coupé astra arbore le nom de « BERTONE » pour que je me laisse conquérir par lui au point de l’acheter !!!

Imaginez-vous aussi que tout ce courrier, même celui de nos parents, nous était remis ouvert et que, pour les trois-quarts, il avait été lu et censuré auparavant par l’un ou l’autre des Pères. Je ne sais si la lettre de papa m’annonçant le décès de mon grand-père est passée au travers des mailles du filet ou si ce fut alors pour me durcir le caractère. Il en était de même bien sûr, et là encore avec davantage d’attention, de tout le courrier que nous faisions partir et quel qu’en soit le destinataire. C’est ainsi qu’un jour que je m’étais confié quelque peu à mes parents de mes problèmes personnels je me suis fais « remonter les bretelles » par le Père Eugène qui, pourtant, n’était ni le P. Supérieur, ni le P. Préfet, encore moins mon Père Spirituel : « Vos parents ont déjà assez de soucis propres pour ne pas avoir à s’encombrer avec les vôtres. Vous devriez savoir que vous pouvez toujours sur votre confesseur où vous réfugier dans la prière pour y trouver solution ! » Aussi m’est-il arrivé parfois, à mes risques et périls, mais après m’en être entretenu avec mon papa, afin qu’il ne fasse pas de « gaffes » en retour, pour poster deux ou trois lettres à son intention. Mon papa était un homme formidable et très compréhensif, j’en ai eu la preuve déjà à ce moment de ma vie.

Les vieux Pères

Je ne serai certainement pas complet sur Sarzeau si je ne vous disais « les Bons Pères ». Curieusement, en ces lieux, étaient réunis les tenants et les aboutissants de la Congrégation. En effet, d’un côté nous avions cette école apostolique avec ces jeunes qui se destinaient à entrer dans les ordres, de l’autre nous avions regroupé dans l’enceinte même de l’école la maison de retraite des vieux Pères qui, après souvent de longues carrières en mission venaient terminer leur vie auprès de nous. Certains, encore quelque peu valides, avaient quelques activités tel le Père Raphaël comme je l’ai déjà dit qui enseignait l’Anglais mais ils étaient peu nombreux dans ce cas.

C’est ainsi que, lors de mon entrée en 1958, je rencontrai par le plus grand des hasards, dans cette Maison de Retraite, le Père Melchior, Père que mon grand-père paternel avait très bien connu alors qu’il était au Chili et que ce Père assumait les fonctions de Supérieur du collège français de Valparaiso du Chili. Pour l’anecdote, ce collège était le point de ralliement que mon grand-père avait donné à toute sa famille si un jour, suite aux grandes guerres, la famille venait à être dispersée aux quatre coins du monde.

Si je tiens à vous parler ici de cette Maison de Retraite c’est que cette « Maison » nous faisait parfois vivre des situations tout à la fois tristes et cocasses.

Plaçons tout d’abord le contexte. En bonne école apostolique, c’est à dire destinée aux missions, nous avions un musée qui se situait à l’entrée même de l’école, accessible aux étrangers et alimenté régulièrement à chaque passage de Pères en mission dans des contrées lointaines venant se reposer chez nous. Il était situé juste en face de la porte de la chapelle dont il n’était séparé que par le couloir d’entrée dans l’école.

Il arrivait donc que, comme dans toute Maison de Retraite, ces braves Pères nous quittent pour aller rejoindre le Bon Dieu. C’était chaque fois bien triste pour nous qui nous attachions à tous ces Bons Pères qui étaient pour nous des exemples et pour lesquels nous avions de l’affection mais le cérémonial qui s’en suivait était assez amusant, Dieu me le pardonne ! En effet, aussitôt le brave Père décédé, il était exposé, en grand habit d’apparat, dans sa soutane immaculée et son scapulaire aux Sacrés Cœurs de Jésus et de Marie, sur une grande table en plein milieu du… musée où nous le veillions, nous relayant avec les autres pères, jour et nuit !!! C’était certainement très impressionnant pour les gens non au courant qui entraient par hasard dans ce musée de se retrouver brutalement face à cette pièce de musée d’un genre quelque peu particulier.

Par la suite, après une très jolie messe d’adieux dans la chapelle en présence de toute notre communauté et des membres de sa famille, il était conduit en grande procession au petit cimetière de l’école qui se trouvait au fond du verger attenant à notre cour de récréation. Il était inhumé là avec ses autres compagnons partis avant lui. Il n’y avait que trois ou quatre monticules de terre dont on se servait à tour de rôle, toujours les mêmes, quelques plaques d’inscription sur les murs.

C’est en ces lieux que, il y a quelques années seulement, a été inhumé le Père Vincent, mon Père Spirituel, appelé par la suite : Père Jean Strulou, après son perfide assassinat pour une poignée de pièces de monnaie, dans la sacristie de l’église parisienne où il avait été nommé. Certains cependant étaient récupérés par leur famille et avaient une sépulture en un autre lieu. Il en fut ainsi d’ailleurs du Père Melchior qui repose en terre de Kerlouan dans le Finistère.

Je me souviens aussi que dans ce petit cimetière il y avait de jeunes apostoliques qui, décédés de maladie au cours des guerres, n’avaient pu être ramené chez eux. Il y avait ainsi en cette terre un dénommé François Augée dont l’image pieuse était dans tous nos missels. On pouvait y lire, au dos de sa photo :

FRANCOIS AUGEE

Né en Vendée, d’une famille très pauvre, mais profondément chrétienne, François eut, dès l’enfance, le cœur tout imprégné de piété et de zèle pour la vertu. Les manifestations touchantes qu’il en donnait souvent inclinèrent des personnes charitables à l’ »aider pour la réalisation de ses désirs de vie sacerdotale, et, en 1895, il entra à Sarzeau comme élève du Petit Séminaire, ou Ecole Apostolique de la Congrégation des Sacrés-Cœurs (Picpus)

Son âme y trouva aussitôt le climat qu’il lui fallait pour s’épanouir. Il s’y montra aimable, toujours souriant, surtout très humble. Dans cette âme neuve et comme limpide, toute entière tournée vers le Bon Dieu, la vertu gravissait, pas sans efforts ni mérites, mais avec succès, les degrés qui mènent à la perfection.

Assez peu doué pour les études, il devait compenser cette faiblesse par un travail acharné et persévérant. Il menait sa vie pénible d’étudiant en s’appuyant sur la prière et la mortification avec une simplicité et une confiance profondément édifiantes.

Les différents emplois qui lui furent confiés, celui de Sacristain surtout, mirent en relief son dévouement, en même temps qu’un esprit pratique, remarquable. Fervent d’Eucharistie qu’il recevait quotidiennement, on sentait qu’il y puisait toute sa force.

Ce lui était une joie de visiter le Saint-Sacrement et de commencer, déjà, la vie d’adoration et de réparation à laquelle le destinait sa vocation.

Ses projets d’apostolat saintement ambitieux le faisaient rêver de conquête et même de martyre. En attendant sa belle âme rayonnante faisait autour de lui beaucoup de bien. Tous ceux qui l’ont connu de près en témoignent avec émotion.

Il plut à Dieu de cueillir dans sa fleur cette existence qui aurait tant voulu se dépenser pour sa gloire. François Augée expira, pieusement, le 12 mars 1896.

Puisse-t-il, du haut du ciel, protéger sa chère école !

L’extinction d’une vocation

Peut-être qu’ainsi, à la force du temps et de ces « brimades », ma vocation que je croyais si solide au début s’est-elle amenuisée au fil des heures, des jours, des semaines, des mois, des années jusqu’à ce moment où je pris la décision, plus que difficile à prendre cependant par rapport à ma famille d’abord et avant tout pour laquelle tout allait si bien… , mais aussi par rapport à mes camarades et aux Pères, de ne pas poursuivre ma marche sur cette route et de me sortir de ce « bourbier » dans lequel je m’enfonçais un peu plus chaque jour.

Ma décision fut totalement prise à la fin de ma seconde année de première. J’avais redoublé cette année ayant échoué « lamentablement » à mon baccalauréat pour une belle bêtise de ma part mais, en ce temps là, j’étais certainement un adolescent à part entière. Je n’étais cependant pas le dernier de ma classe et faisait des prouesses en Français, matière dans laquelle j’adorais écrire… mais je vivais dans un contexte difficile avec trois frères en Algérie et, pour deux au moins d’entre eux, continuellement exposés. Parmi les trois sujets proposés en Français, je choisis le sujet général, basé sur la Fable de La Fontaine : « Le lion le loup et le renard » et je transformais mon sujet en véritable sujet politique sur la guerre et l’attitude du gouvernement actuel, comparant le Président de la République de l’époque à notre « lion » de la fable et les ministres du Gouvernement à la « cour » de ce fameux lions… allez chercher l’erreur. Ce ne fut certainement pas du goût de mon examinateur qui me colla un « 4,99 », note éliminatoire en français (en-dessous de 5) bien que j’eus malgré cela une moyenne générale respectable  au-dessus de 10. Faut-il vous dire que je ne refis pas la même erreur l’année suivante et me sortait un 17 dans la même matière !!!

Je pris donc la décision de ne pas poursuivre sur cette voie et donc, à mon grand regret malgré tout, de ne pas devenir prêtre. Cela mettait toutefois un grand désarroi en moi car je ne me sentais absolument pas en mesure de m’affronter à la vie et encore moins de poursuivre mes études dans un lycée ou une autre école privée surtout pour une seule année à faire pour terminer ce cycle de mes études.

Aussi, sans même m’en être entretenu avec mes parents, décidai-je d’en informer mon Supérieur (qu’il me pardonne d’avoir ici oublié son nom !) et de lui demander l’autorisation tout à fait exceptionnelle de faire ma philosophie à Sarzeau. Après réflexion, cette autorisation me fut accordée à la condition sine qua non : « Vous ne devrez en faire part à aucun de vos camarades ni professeurs hormis au Père Vincent, votre Père Spirituel et vos parents si vous le jugez nécessaire mais en m’en tenant informé. Personne au sein de la communauté en dehors de moi-même et du Père Vincent ne doit pouvoir imaginer un seul instant votre départ. A ce titre, vous continuerez à mener votre vie d’apostolique en vous soumettant totalement aux règles et coutumes de l’école ». Ce furent à peu de choses près le contenu de sa réponse et, trop content mais ne pouvant faire autrement pour répondre à mon propre désir, j’acceptai… et je tins parole… respectant jusqu’au bout mon contrat…

Mon année de philosophie

Mon année de philosophie fut donc assez particulière.

Le régime accordé aux élèves de philosophie était quelque peu différent de celui imposé aux autres apostoliques. Nous étions les aînées de l’école et, à ce titre, avions droit à quelques égards particuliers.

Nous n’avions plus le droit de bénéficier à des chambres individuelles comme il en avait été pour nos prédécesseurs mais nous avions le privilège d’un petit dortoir. Nous jouissions de plus  de notre propre salle d’étude qui n’était autre que notre salle de classe mais qui n’était pas surveillée et surtout d’une salle de repos et de détente dans laquelle nous avions le droit d’écouter de la musique, de fumer (raisonnablement) et de nous attarder quelque peu le soir. Nous avions aussi le droit de posséder à l’école un vélo avec lequel nous partions, les après-midi du jeudi et dimanches, en excursion dans la quasi-totalité de la presqu’île.

En échange nous assumions aussi quelques responsabilités. Nous avions ainsi en charge et à tour de rôle, chaque dimanche matin, la surveillance de l’étude des « petits ». Nous participions aussi, de jour comme de nuit, à l’Adoration perpétuelle du Très Saint Sacrement. Nous avions aussi et surtout la charge, par groupe de deux, d’une paroisse de la presqu’île dont nous secondions le curé pour la préparation et l’animation des offices religieux et pour le catéchiste. Pour ma part, avec un camarade qui s’appelait Richard, j’assumais la paroisse de Saint Armel, petite paroisse située sur la route Vannes-Sarzeau à environ une dizaine de kilomètres. Le curé de cette paroisse était un jeune prêtre d’une trentaine d’année qui souffrait d’un cancer. Chaque dimanche matin, nous prenions avec lui notre petit-déjeuner ainsi que notre déjeuner lorsqu’il y avait vêpres l’après-midi. Nous passions aussi parfois une partie de l’après-midi en sa compagnie en regardant les courses automobiles sur un petit poste de télévision que lui avait offert l’une de ses sœurs. J’aimais ce rôle et essayais d’assumer mes fonctions du mieux possible.

C’est aussi au cours de cette année que je lançais à Sarzeau la première « patrouille libre » des Scouts de France de la presqu’île. Nous avions établi notre local dans les sous-sols d’un château des environs à l’entrée de Sarzeau et nous nous y réunissions presque tous les jeudi après-midi.

Nous assurions aussi au cours des repas la lecture dans le réfectoire des Pères. Ceci par contre n’était pas un privilège mais une véritable « corvée ». Cette lecture nous prenait environ vingt minute sur notre propre repas. Il nous fallait lire sur un ton totalement « mono-corde » sans une intonation de voix mais en marquent les ponctuations et si, par malheur, il nous arrivait une défaillance, nous étions immédiatement rappelé à l’ordre par le tintement d’une petite clochette que le Supérieur agitait fébrilement… Maudite clochette !!!

Nous avions par contre le privilège, je dis bien le privilège, de servir les vieux Pères dans leur réfectoire et de les desservir ensuite, ce qui nous donnait toujours l’occasion de combler nos estomacs affamés par quelques menus restes de leurs plats.

Cette année fut toute particulière pour moi et pourtant ce fut peut-être ma meilleure année à Sarzeau. Malheureusement j’étais contraint à y vivre dans le mensonge perpétuel, devant e permanence faire semblant encore et toujours afin qu’aucun de mes compagnons ne puisse se douter que je ne serais pas avec eux l’an prochain au Noviciat., La « plaisanterie », cette mauvaise blague, alla jusqu’à me laisser prendre mes mesures par nos couturières pour la confection de ma soutane qui devait être prête pour mon arrivée à Châteaudun au 1er septembre suivant. C’est au cours de la semaine qui précéda notre baccalauréat, un jeudi après-midi, alors que notre professeur principal, le Père Fernand, nous avait emmené passer la journée au Beg-Lan que ce dernier nous demanda à tour de rôle de dévoiler à nos compagnons si l’un ou l’autre d’entre nous ne serait pas au rendez-vous. C’est ainsi que j’appris avec stupéfaction qu’en fait un autre de mes camarades s’était trouvé tout au long de l’année dans la même situation que moi… mais n’avions-nous pas promis et pouvions-nous alors avoir deux Paroles…

Cette année ne m’empêcha pourtant pas de faire, en compagnie de quelques-uns de mes autres compagnons, les deux plus grosses bêtises de ma vie d’apostolique. Je ne sais pas ce qu’elles nous auraient valu mais très certainement pas les « compliments du jury » !

Nous décidâmes un jour de nous faire des crêpes au cours d’une de nos prochaines nuits en plein dortoir. Pour ce faire, il nous fallait tout d’abord nous procurer le matériel : réchaud et poêle et les ingrédients : œufs, farine, lait, beurre et confiture (tant qu’à se faire plaisir, faisons-nous plaisir !). Ce fut la fille de notre lingère principale qui nous procura le réchaud ; en échange nous l’invitâmes à venir partager notre repas nocturne mais elle déclina notre invitation… peut-être en fut-il mieux ainsi ! Il s’agissait d’un réchaud à alcool, il nous fallait donc de l’alcool… à défaut de ce combustible que nous ne savions comment nous procurer, nous décidâmes que de l’essence ferait l’affaire et expédition fut menée de nuit pour aller pomper dans la voiture de notre cher Père Supérieur les quelques nombreuse gouttes dont nous aurions besoin. Pour les œufs, ce fut plus aisé grâce à la complicité de la grand’mère de l’un d’entre nous qui tenait une petite ferme à Kerpont dans la presqu’île… elle ne sut jamais d’ailleurs la destination que nous réservions à sa douzaine d’œufs fraîchement pondus. Pour le reste, ce ne fut pas trop compliqué, tandis que les uns s’occupaient de la voiture du R. P. les autres forçaient quelque peu les portes de la réserve de la cuisine et il ne leur restait plus qu’à se servir. Nous fîmes un succulent repas de crêpes auquel participèrent les seize élèves de notre classe de Philosophie mais dûmes dormir toutes fenêtres ouvertes pour chasser les mauvaises odeurs et ni vu, ni connu et qui pas vu – pas pris…

Une autre fois, disons plutôt une autre nuit, c’est un bain de minuit que nous sommes partis prendre sur la plage du Beg-Lan en faisant comme de bien entendu, à quatre, le mur de l’école. Je ne sais pas mais sans doute existe-t-il un Bon Dieu ou peut-être une Providence (le Bon Dieu doit avoir bien d’autres chats à fouetter !) pour des enfants « sages » comme nous qui nous destinions (enfin les autres tout du moins !) à la prêtrise car nous ne fûmes ni pris ni dénoncés. Je n’ose penser au châtiment qui aurait pu alors être le nôtre… pour moi c’était certes l’exclusion… Braves Pères ! Que le Bon Dieu vous le pardonne !

 Malgré un travail assidu, je fus collé à mon bac de philo et à la demande express du Père Florent qui était resté, après le départ des autres élèves en vacances, pour s’occuper de nous et qui venait de m’annoncer, sans trop de ménagements – il paraît que c’était de ma faute – mon échec, je dus quitter Sarzeau dans l’heure sans même pouvoir dire au-revoir à mes compagnons en guise d’adieux…

Ecœuré, je décidais de tout abandonner, de rompre mon sursis et de partir sous les drapeaux… mais à mon grand regret (je suis sincère) la guerre était finie et il valait mieux qu’elle le soit car autrement je sais que j’aurais été volontaire dans tous les coups durs non pas pour en finir avec moi-même mais pour me « purifier » de toutes ces dernières années.

Je suis retourné, il y a une dizaine d’années à Sarzeau… je n’ai pratiquement plus rien reconnu. De l’école, la presque quasi totalité des bâtiments (dont j’avais vu construire certains d’entre eux d’ailleurs au cours de ma scolarité) a été rasé. Il ne reste que le bâtiment des "Trinitaires", racheté par la ville et nos anciennes classes aménagées pour la communauté. Malheureusement je n’ai pu y rencontrer aucun de mes anciens « maîtres ». Je savais déjà que, suite à la crise des vocations, cette école avait été ouverte au public dans un premier temps dans les deux années qui avaient suivi mon départ avant d’être totalement fermée au cours des années suivantes. Le Scolasticat avait été transporté dans la ville de Strasbourg pour permettre aux candidats picpuciens les études universitaires, c’est là qu’achevèrent leur scolarité mes anciens camarades de Philosophie qui menèrent alors une presque vie normale d’étudiant. Je les ai visités à deux reprises ; une première fois à Châteaudun, une seconde à Strasbourg. Je n’ai pas eu de nouvelles depuis ces dernières rencontres si ce n’est le jour des obsèques à Paris du Père Vincent.

Mais, aujourd’hui, je ne regrette rien. J’ai une famille merveilleuse, des enfants adorables, des petits-enfants que j’aime du plus profond de mon cœur et c’est bien ainsi…

Mais où en étais-je du récit de ma vie ??? Si mes souvenirs sont bons mais, avec l’âge, ma mémoire s’amenuise (ce qui est bon signe car on dit toujours que, à l’approche de la mort, on revoit souvent tout notre passé défilé ; ce qui tenterait à prouver que ce n’est pas encore mon heure et qu’il te restera quelques temps pour en abuser !!!). J’en ai fini avec ma tendre enfance (la guerre, la maladie, l’exode du Sud vers l’Ouest, mon « Hélène »…), avec mon adolescence (une vie sans trop de problème, vie de famille, vie de pensionnaire aussi beaucoup plus triste et austère, j’avais vraiment ce qu’on appelle « les boules » et ce n’est pas drôle !!!)

Plaçons tout de même ici avant que de m’en aller plus loin le récit de mes premières vacances après mon entrée à Sarzeau car ce furent des vacances merveilleuses qui, peut-être et sans nulle doute, m’ont donné plus que jamais mon désir de montagne et encore plus de cette région que j’adore, le Massif de la Meije.

Séjour dans les Alpes - été 1959

(ce récit a été rédigé par moi-même à Sarzeau le 27 septembre 1959 et je l’ai ici repris tel quel)

Compte-rendu rapide que nous : maman, Marie-France et moi fîmes à Grenoble durant l’été 1959.

« Que la Paix rayonne en ton cœur, comme la lumière rayonne sur le Monde »

Nous avons quitté Kérivoal, Yves, maman, Marie-France, Hervé, Eric et moi le lundi 24 Août 1959 vers 8 h 30 du matin pour un voyage qui, du moins pour trois, aura terminé nos vacances en un élan de joie, de bonheur et aussi de délassement. Après une route excellente et un léger arrêt entre Josselin et Rennes, nous arrivâmes à Laval à 13 heures tapant. Là nous attendaient grand’mère, tante Cécile et ses deux enfants : Hélène et Georges, tante Marie-Thérèse avec Jérôme et Sophie sans oublier Nadine et Odile bien entendu. Le lendemain, oncle Edouard, arrivant tout droit de Belgique, nous rejoignait.

Nous profitâmes de ce court séjour pour nous rendre le 26 Août à Pierres où nous sommes restés dîner. Nous rentrâmes, ce soir-là, très tard, après un après-midi et une soirée splendide.

Mais le principal but de ce voyage n’était pas Laval mais, pour trois d’entre nous : Marie-France, maman et moi, était Grenoble. C’est pourquoi le jeudi soir 27 Août, l’expresse nous emmenait à Paris. Là nous avons dîné chez l’oncle Jacques qui fut tout ce qu’il y a de plus aimable à notre égard et nous avons fait, ainsi, connaissance avec la fiancée d’Henri. Après une petite soirée sympathique, le train nous emportait de nouveau dans une autre direction, mais enfin la bonne : Grenoble où nous arrivâmes à 7 h du matin. Malgré l’heure matinale, Jean nous attendait et avec lui nous prîmes un petit déjeuner au buffet de la gare avant de prendre contact avec notre hôtesse au « Verger »de la Tranche. Maman et Marie-France furent installées dans un chambre claire et spacieuse, tandis que moi j’en occupai une plus petite à côté, ayant une vue splendide sur le sommet nommé « Néron ».

Après un court brin de toilette, nous sortîmes faire un tour sur un chemin dominant Grenoble ; malheureusement il y avait pas mal de brume et peu de vue. Enfin cette petite promenade nous mis en contact avec le bon air pur de nos montagnes.

Jean ayant fait sa cure, l’après-midi, nous allâmes visiter les grottes de Sassenage, aux alentours de Grenoble. Un guide montagnard nous conduit au travers de ce dédale de couloirs souterrains où, à chaque instant, il faut baisser la tête pour ne pas se cogner à la paroi rocheuse. Déjà nous pûmes faire connaissance avec la grande paroi rocheuse mais bientôt nous aurons une montagne encore plus splendide.

Le lendemain, après une nuit avec les moustiques, sacs et provisions en main, nous prenions le car de 8 h pour Chamrousse où nous fûmes déposés vers 10 h 30. Nous prîmes sans attendre un petit chemin forestier et la tentation de goûter aux framboises nous fait cheminer lentement à travers bois. Enfin, ayant débouché dans la verte vallée et voulant gravir le flanc à pied, nous obliquâmes vers la gauche pour la contourner et attaquer plus facilement. Après une heure de marche, nous nous retrouvâmes parmi les rocs et les éboulis de pierres, mais la brume s’est levée et nous avons du mal à nous repérer. Nous continuons la marche cependant et, retrouvant les fils du téléphérique, nous reprenons courage et marchons parallèlement à eux. Enfin  fatigués mais heureux, nous atteignons le sommet et aussitôt nous nous installons pour le déjeuner sur une planche. Parfois les nuages s’élèvent et alors nous découvrons des panoramas splendides.

Nos estomacs contentés, nous descendons vers les lacs Roberts où nous passons l’après-midi entendant le cri morbide des « choucas » et le sifflement des marmottes qui résonne dans le lointain. Les nuages ne cessent de monter et descendre et nous n’avons qu’une très minime vue. Jean et moi poussons plus loin et nous découvrons un petit troupeau de moutons. Mais l’heure a avancé et il faut remonter vers la station de Chamrousse d’où nous regagnons la vallée par le téléférique. Cinq minutes suffirent pour parcourir en sens inverse les heures de route du matin et cette fois-ci la direction est sûre. En attendant le départ, nous faisons les cent pas sur la route après avoir écrit une carte à papa.

Le lendemain étant un dimanche, nous assistons à la messe de 9 h à la Tranche avec Jean. Petite église dans un site merveilleux que présente ce cadre des montagnes. Ensuite je descends seul à Grenoble chez Jacques Roux qui est d’ailleurs absent ; je poste quelques lettres, prends des horaires avant de rejoindre les autres juste à l’heure du déjeuner.

L’après-midi, nous descendons pour visiter le musée, si réputé. Là, à travers d’immenses salles, nous passons plusieurs siècles en revue sur la peinture ; nous arrivons enfin à l’art moderne où les tableaux sont si troublants. Ensuite nous allons frapper à la porte de tante Renée qui est partie. Nous lui laissons juste un petit mot et, après la visite d’une église, nous remontons à pied au « Verger » où un superbe melon et un kilo de raisins firent l’objet de notre goûter.

Le lundi 31, ayant fait nous-même notre petit déjeuner, nous rejoignons Jean à l’arrêt de trolleybus qui nous conduira à la gare. De là, à 7 h 50, nous partons en direction de La Grave. Après les Sables en Oisans, le car nous entraîne dans la Haute Montagne et nous montons sérieusement ayant une muraille sur notre droite et un précipice sur notre gauche. Inutile de préciser qu’un tournant de 90° donnait une légère émotion aux passagers placés à gauche. Les tunnels, creusés à même le roc, sont très nombreux et la principale caractéristique de cette route escarpée. Enfin voici le lac du Chambon où un arrêt du car nous permet de descendre nous dégourdir les jambes sur le barrage gigantesque. Le car reparti, nous sommes les seuls passagers. Nous longeons un long moment le lac avant d’arriver à La Grave.

A 10 h 15, départ de La Grave en direction des glaciers de la Meije dont la brume nous cache la vue pour l’instant. Tandis que maman et Marie-France suivent le chemin, Jean et moi coupons à travers la montagne mais le résultat est le même et nous n’avons qu’une très faible avance sur nos deux compagnes qui marchent tranquillement à quelques mètres en-dessous de nous. Soudain, à un détour, une splendeur nous éblouit les yeux, un grand sommet recouvert d’un immense glacier. La brume a disparu pour toute la journée. Derrière nous La Grave paraît écrasée pat tant de majesté. Un son de cloche nous tire de notre rêve et nous reprenons la route.

Au bout d’une heure de marche, nous faisons une courte halte de 15 minutes. Juste le temps de manger le hors d’œuvre te d’entamer le plat de résistance : la faim est une grande ennemie de l’effort. Nous étant rafraîchis à l’onde d’un torrent, nous reprenons notre marche qui devient plus dure au milieu des éboulis où quelques chèvres recherchent une herbe rare mais appétissante pour l’animal. Un grondement sourd se fait entendre dans le lointain : serait-ce le tonnerre ? « Oh ! Regardez une avalanche » nous crie Jean qui marche en tête. En effet c’en est bien une, une petite ; nous la distinguons fort bien et en voilà une autre qui se déclenche un peu plus sur la gauche, puis tout cesse et le calme majestueux de la montagne renaît.

A midi, à peine sommes-nous sur le glacier que tout notre repas y disparaît ; ainsi, tout à l’heure, ce sera un déjeuner vraiment froid et glacé qui nous sera servi. Avant d’être au dessert, Jean est déjà sur le glacier et il marche lentement avant de disparaître de l’autre côté. Je le suis aussitôt et le découvre beaucoup plus haut à une centaine de mètres d’où se déclenchaient les avalanches. Je le rejoins et examinons ensemble le bord d’une crevasse dont nous mesurons le fond en y jetant des cailloux : « Diable, je n’aimerais pas y tomber ! » Ayant aperçu les autres grimpant à notre rencontre, en trois glissades nous sommes près d’eux. En bas, un homme te une femme se tiennent auprès de nos affaires, regardant tantôt le glacier, tantôt nos vêtements et provisions qui gisent à leurs pieds. En trois temps quatre mouvements, nous sommes près d’eux et les rassurent par notre vue sur notre sort. Il nous reste cinquante minutes environ, le temps d’aller tirer quelques photos sur le glacier ou plutôt à la « langue », partie d’évacuation d’où s’échappe le torrent jaillissant du dessous du glacier. L’heure ayant passé nous regagnons rapidement le village d’où nous envoyons une carte aux Péronno. Le soir, après un brin de causette avec Jean, nous regagnons chacun notre chambre d’où la lumière ne tarde pas à s’éteindre.

Le lendemain matin, un camarade de Rennes étant venu rendre visite à Jean, nous passons la matinée dans le jardin du « Verger ». L’après-midi nous descendons chez les Fourchy (sauf Marie-France qui est restée jouer avec des enfants) mais cette fois-ci encore il n’y a personne. Après nous être rafraîchis dans un hôtel nous regagnons le « Verger » avec un melon qui fera notre délice au goûter.

Le Mercredi matin est consacré à la préparation des bagages et au rangement de nos chambres. L’après-midi nous allons faire quelques achats-souvenirs. Après maintes discussions, chez un marchand, sur trois objets, nous nous décidons à les prendre tous les trois (une clochette pour papa, un cendrier pour Yves et un coupe-papier pour Henri), Michel et Odile auront une insigne et Armelle un rouleau de serviette. Puis nous remontons bien vite. Dernier goûter, dernier melon, dernière réunion dans le jardin, dernier repas où Jean a été notre compagnon. Puis il faut prendre le chemin de la gare. Jean doit bien vite nous quitter pour avoir un trolleybus et tandis qu’il s’est réinstallé à « Belledonne », le train nous emporte vers la fin des vacances.

Après une bonne nuit, nous sommes à Paris à 7 h et aussitôt nous gagnons la rue Las Cases où le cher oncle Albert nous attend. Yves n’étant pas là, nous le réveillons chez les Prat par un coup de téléphone et il nous donne rendez-vous à 89 h 15 rue Henri Duchêne. Michèle nous ayant offert un petit- déjeuner nous conduit avec sa voiture jusqu’au lieu de rendez-vous où tout le monde nous fait un chaleureux accueil. Yves ayant eu des embêtements de pneus la veille, doit parcourir tout Paris avec sa voiture et celle de Michèle pour trouver un pneu. Enfin, après un déjeuner fort sympathique, offert par tante Elisabeth, nous décidons de reprendre la route, celle du retour. Départ à 15 h de Paris. Le voyage se passe très bien et à 7 h 30 nous embarquons papa à Rennes puis nous arrivons à Kérivoal à 22 h 30. Là, tout le monde nous attendait, même Françoise.

Vous voici donc en très gros plan ce que fut notre voyage à Grenoble. Vous aurez pu constater en lisant ce récit comme il fut heureux, gai et plein d’agréments et vous pouvez comprendre combien, après un voyage si bon, il est facile de reprendre le travail, l’esprit totalement détendu.

Que la « lumière de la Montagne » éclaire toujours notre esprit et notre âme aux beautés et aux biens que nous devons faire autour de nous par notre exemple.

Fini à Sarzeau, le 27 Septembre 1959

Philippe Morize

Réflexions sur ce séjour dans les Alpes – janvier 2003

Bien que je sois originaire des « Alpes Maritimes », en étant né à Dignes et que j’ai vécu les trois premières années de ma vie à Sisteron, je n’ai pas ou alors que fort peu, et je crois l’avoir déjà dit au début de ce récit, de souvenirs concrets de cette époque de ma vie.

Alors, pour moi, il n’y a nul doute que c’est ce voyage en montagne qui m’a donné le goût de l’aventure alpine, cette passion montagnarde que j’ai faite totalement mienne au point désormais de la nommer « ma » montagne, ce massif de la Meije où tant de fois je suis retourné en osmose avec ma maman. Un « Merci » éternel à elle de m’avoir donné ce goût pour cette si belle région de France à travers la découverte de ce si grandiose massif.

« Merci » aussi à vous, Amies-alliées, Alpinistes de renom que j’ai toujours admirées et qu’un bienheureux hasard a placé un jour sur mon chemin, mais dont je vous tairai les noms ici même, je l’ai promis et, même si, toi particulièrement, tu as emporté ce secret en Himalaya, je n’ai, pour Vous, qu’une Parole et qu’un immense Respect. Oui « Merci » à toutes deux pour ces cordées amicales à travers les glaciers de « La Girose » et du « Trébuchet »… « Merci » à vous de m’avoir mené sur cette crête du « Râteau » et ce sommet du « Bec de l’Aigle »… « Merci » pour cette chaleureuse ambiance de montagnards au creux douillet des refuges du « Promontoire » et de « l’Aigle ». Je ne vous oublierai pas…

Et vous, chacune ou chacun de vous, auxquels, parce que vous étiez mes amis,  j’ai fait partager ce coin de montagne « ma montagne à moi » et qui avez partagé avec moi la beauté incommensurable de ces paysage… vous qui avez accepté de me suivre toujours un peu plus haut même parfois en soufflant et même en tremblant de temps à autre quelque peu, un grand « Merci » pour ce partage.

A toi enfin avec qui j’ai, pour la première fois, découvert ce nouveau versant en partant de « La Bérarde » et qui t’es reposée sur cet immense rocher en bordure du torrent tandis que je t’abandonnais pour gravir quelques pentes… « Merci » aussi pour ce coin qui restera toujours « notre » petit bout de montagne à nous deux.

« Que la montagne est belle… on peut s’imaginer… »