Le Turco

C’était un enfant, dix sept ans à peine,
De beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus,
De joie et d’amour sa vie était pleine ;
Il ne connaissait le mal ni la haine ;
Bien aimé de tous et partout heureux.
C’était un enfant, dix sept ans à peine
De beaux cheveux blonds et de grands yeux bleus,

Et l’enfant avait embrassé sa mère ;
Et la mère avait béni son enfant.
L’écolier quittait les héros d’Homère
Car on connaissait la défaite amère,
Et que l’ennemi marchait triomphant
Et l’enfant avait embrassé sa mère ;
Et la mère avait béni son enfant.

Elle prit au front son voile de veuve
Et l’accompagna jusqu’au régiment.
L’enfant rayonnait sous sa veste neuve ;
L’instant de l’adieu fut l’instant de l’épreuve
« Courage, mon fils ! – Courage, maman ! »
Elle prit au front son voile de veuve
Et l’accompagna jusqu’au régiment.

Mais lorsque l’aimée eut gravi la pente :

« Mon Dieu disait-elle, ils ont pris mon cœur
Tant qu’il est parti, mon âme est absente ! »
Et l’enfant pensait : Ma mère est vaillante,
Et je suis son fils, et je n’ai pas peur
Mais lorsque l’aimée eut gravi la pente :

« Mon Dieu disait-elle, ils ont pris moncœur ! »

Le petit turco se battait en brave ;
Mais quand vint l’hiver, il toussait bien fort
Et le médecin voyant son air cave
Lui disait : « Partez, mon enfant, c’est grave ! »
L’enfant répondait : « Non ! non, pas encore ! »
Le petit turco se battait en brave ;
Mais quand vint l’hiver, il toussait bien fort

Non, je ne veux pas quitter notre armée
Tant que les Prussiens sont dans mon pays.
Je veux jusqu’au bout chasser ces bandits ;
Je veux pouvoir dire à ma mère aimée
« Si je reviens, c’est qu’ils sont partis. »
Non, je ne veux pas quitter notre armée
Tant que les Prussiens sont dans mon pays.

Pendant quelques jours le sort nous fit fête,
Et les Allemands fuyaient devant nous ;
Mais ils s’étaient fait un camp de retraite
Devant ces fossés leur fuite s’arrête,
Et tous ces renards rentre t dans leurs trous
Pendant quelques jours le sort nous fit fête,
Et les Allemands fuyaient devant nous ;

Les remparts sont hauts, la plaine est immense
Tout ce qui s’approche est bientôt détruit ;
On fuit, on revient, l’assaut recommence
Et le régiments des turcos s’élance,
Et le régiment des turcos périt….
Les remparts sont hauts, la plaine est immense
Tout ce qui s’approche est bientôt détruit ;

L’enfant est tombé, frappé d’une balle ;

Mais un vieux soldat l’a pris sur son dos ;
Il ne connaît pas la fuite fatale,
La mort a déjà cerné son front pâle,
Les yeux sans regards sont à demi clos.
L’enfant est tombé, frappé d’une balle ;
Mais un vieux soldat l’a pris sur son dos ;

Et le grand Arabe est là qui le garde
Au fond d’une source, au fond d’un ravin ;
Au loin le canon rugit et bombarde ;
Levant doucement sa tête hagarde,
Son regard mourant s’anime soudain
Et le grand Arabe est là qui le garde
Au fond d’une source, au fond d’un ravin.

« Où sont les Prussiens ? Réponds, répondsvite !
Les avons-nous bien vaincus cette fois ?
Sommes-nous en France et sont-ils en fuite ? »
Et l’enfant, voyant que l’Arabe hésite,
reprit doucement de sa douce voix :

« Où sont les Prussiens ? Réponds, répondsvite !
Dis, les avons-nous bien vaincus cette fois ? »

Et le vieux turco se prit à lui dire :
« Oui, petit Français, tu les as vaincus. »

« Alors je m’en vais. Veux-tu me conduire ?
O, ma chère mère !... » Et dans ce sourire
L’enfant s’endormit et ne parla plus.
Et le vieux turco se cessait de dire :
« Oui, petit Français, tu les as vaincus. »

Paul Déroulède
(Chant patriotique)