Le rosier

Il a vécu sur un tombeau
Le rosier fleuri que j’arrose ;
Le mystère du froid caveau
S’épanouit dans chaque rose !

Sur le tombeau d’un pauvre enfant,
D’un pauvre enfant qui fut mon frère
Il avait ses fleurs à tout vent
Et ses racines dans la bière.

Un simple marbre a tout couvert,
Le buis n’y vient plus en bordure ;
Le thuya, l’arbre toujours vert
N’ombrage plus la sépulture.

Le deuil a parfois son dédain ;
On a proscrit tout ce qui tombe,
Et j’ai ,planté dans mon jardin
L’humble rosier, fils de la tombe.

Parmi les autres confondu
Nul regard ne peut le connaître ;
Dans la corbeille il est perdu ;
Seul, je le vois de ma fenêtre.

Et, j’hésite en le comparant :
Mêmes parfums, même tige

Sur sa corolle, indifférent
Le papillon plane et voltige.

Son feuillage est aussi léger,
Sa fleur n’est pas plus tôt flétrie ;
Rien ne trahit pour l’étranger
La première et sombre patrie !

Mais souvent au déclin du jour
Quand la foi rêve, ou bien le doute,
Seul, je m’approche avec amour
Je l’interroge et je l’écoute.

Alors je le vois frissonner

Au souvenir que je réveille ;
Chaque rameau semble incliner
Vers ma lèvre sa fleur vermeille.

Il me parle du cher blondin

Endormi dans la paix profonde
Et fait passer dans mon jardin
Comme un souffle de l’autre Monde.

Eugène Manuel