Méharée et bivouac dans le désert

Samedi 28 septembre 2002

15 heures : nous repartons sur Sabria, petit village au neuf dixième ensablé mais toujours habité.

Là, par une piste toute faite de sable et dans laquelle parfois, souvent, nos « 4X4 » patinent, nous allons rejoindre notre caravane qui, à l’abri d’une grande dune, se repose en nous attendant. Là, en effet, de nouvelles montures nous attendent… elles sont toutes faites de chair et d’os, sont surmontées d’une seule bosse, on les appelle des dromadaires. Pour l’instant, couchées sur le sable, nous regardant d’un œil malicieux, elles se reposent dans ce profond silence qu’un instant le bruit de nos moteurs est venu rompre mais qui, désormais, nous entoure tout entier.

Ce n’est pas sans une certaine émotion mais aussi, il faut le dire et savoir se l’avouer à soi-même, une certaine appréhension qu’après avoir salué tour à tour nos chameliers nous allons prendre place sur nos bêtes, nous asseyant à l’arrière de la bosse. Une couverture grossièrement tissée nous sert de selle et, alors que notre monture se lève, il faut se cramponner pour ne pas basculer dans le vide... alors, tout devient féerique et, tandis que vous commencez à contempler cette immensité devant vous, la caravane se met lentement en route.

Ainsi nous allons nous laisser guider, de dune en dune, parfois la grimpant pour la redescendre au risque de se casser le coup, parfois en la contournant tout simplement. Je suis sur une jeune femelle dont le petit nous accompagne. Mon chamelier, pied nus, avance devant l’animal. Tous vont, on ne sait où, se guidant à leur bonne étoile nous semble-t-il mais nous menant sans appréhension à travers ce nouveau désert où il n’y a plus l’ombre d’une piste motorisée, juste des traces d’animaux et d’humains sur le sable chaud.

Je me laisse bercer au rythme lent de ma monture. Encapuchonné et protégé par mon foulard-turban, nous irons ainsi durant une bonne partie de l’après-midi au cours de laquelle nous ne ferons qu’une petite halte pour laisser reposer nos bêtes et nos chameliers...

Et soudain, du haut de cette dune, notre campement nous apparaît, bien caché et à l’abri de tous regards indiscrets.

Les tentes sont montées dans de petits enclos entourés de petites haies. Un puits a été creusé là pour les passants. Il y a les tentes pour le sommeil, de grandes et spacieuses tentes avec lits de camp et tapis au sol,

mais aussi la tente pour la cuisine, celle pour le repas, celle pour la toilette et celle pour la douche…

Nous sommes accueillis par le chef du campement, un jeune berbère d’une petite trentaine d’année, un très bel homme, bien typé qui nous sert le thé à la menthe de bienvenue. Nous allons ensuite prendre possession de nos tentes et préparer nos lits et nos affaires pour la nuit. Certains même en profiteront pour se faire un brin de toilette… pour ma part, j’attendrai plus tard… on est « touareg » ou on ne l’est pas… ce soir, je veux l’être…

La soirée sera merveilleuse : le coucher de soleil sur les dunes,

le dîner sous la grande tente,

la soirée feu de camp, où brûlent des branches de palme, avec ces mélodies romanesques et nostalgiques chantées par nos hôtes, au son de leur flûte et rythmées de leur tambourin dont la peau a été tendue à la chaleur des braises, et ces danses berbères qui nous emmèneront longtemps en farandole, autour d’un feu crépitant et sous un ciel miraculeusement étoilé ; je n’ai jamais vu autant d’étoiles et de constellations en même temps, elles sont toutes là : la Grande et la Petite Ourse bien sûr mais aussi toutes les autres : Capricorne, Orion, le Cancer, la Vierge, le Bélier, la Voie lactée et là, juste à ce carrefour de cette si belle voie, les Pléiades (mes Pléiades… oui, bien sûr qu’elles sont là et toutes ces paires d’yeux aussi qui les partagent avec moi !) et toutes les autres même celles qui se sont déjà éteintes mais dont la clarté est encore visible à nos yeux…

Malheureusement la fatigue se fait sentir, il se fait déjà fort tard et, alors que les dernières lueurs du feu nous éclairent, nous regagnons nos tentes. Il semble cependant que l’énervement soit dans l’air et longtemps nous entendrons les appels et les réponds qui vont, dans cette claire nuit, d’une tente à l’autre. Et enfin le silence vient et le sommeil aussi, troublé seulement de temps à autre par un cri comme le cri d’une hyène dans les parages.

Dimanche 29 septembre 2002

5 heures 30, pour une fois ce n’est pas le téléphone qui me réveille ce matin mais la clarté du jour pénétrant dans ma tente. Je n’ai pas envie de traîner… aussi je me lève aussitôt, enfile rapidement mes habits, installe mon chèche (foulard-turban) et quitte mon abri. Je sors du campement et grimpe sur une dune.

Ce matin, la clarté a quelque chose d’étrange, d’étonnant surtout sur ce désert où, à perte de vue, s’étendent dunes et sable mélangés. Je ne saurai la définir… il faut la vivre… l’humer… la sentir… Les étoiles ont disparu, le ciel est d’un bleu pâle mais déjà, là, devant moi, entre ces deux grandes dunes qui ferment mon horizon, il s’illumine d’une lueur céleste. Et le voilà, cet astre merveilleux qui, peu à peu, sort du sable et s’élève tout doucement au-dessus des dunes, éclaboussant de ses rayons tout mon univers et venant déposer à mes pieds l’un d’entre eux comme un cadeau majestueux, un don en bon présage pour cette journée qui ne vient que de naître.

Pas loin de moi, sur deux autres dunes, je découvre alors seulement les silhouettes de deux de mes compagnes qui, tout comme moi, ont voulu saluer le soleil levant. Nous nous rejoignons et, dans un respectueux silence, regagnons notre campement qui déjà s’anime.

Petit déjeuner au cours duquel chacun se remémore cette soirée autour du feu qui restera, j’en ai l’impression, comme l’événement le plus marquant dans le cœur de tous et de chacun.