Le silence et la mort ont choisi pour séjour Ce lieu qu’ont écrasé les lourdes avalanches Du troupeau ennemi. Préparant les revanches Sur les champs de combat, tu vins prier un jour. Un rosier, échappé des ruines d’alentour, S’étoilait d’une fleur. Tu la pris à ses branches Et, sur l’éclat fané de corolles très blanches, Elle dort dans l’écrin des reliques d’amour. C’est une fleur de sang et de mélancolie ! Sa note est douloureuse en la fraîche harmonie Des beaux rêves d’antan ne croyant qu’au bonheur. Elle n’évoque pas cette douce tendresse Que ses sœurs m’ont chantée aux heures de jeunesse Mais elle est bien, quand même, un lambeau de ton cœur. Madeleine Morize (Souvenirs de Gerbévillers)
Les flocons, loin du ciel sévère,
S’en sont allés, tout en dansant,
Bien pressés d’atteindre la terre
Qui les attiraient doucement.
Menant une ronde joyeuse,
Ils semblent un duvet léger
Echappé d’une aile soyeuse
Et que le vent fait voltiger.
Petits et clairs, dans la tourmente,
Ils ont l’allure de lutins
Qui se frôlent dans la descente
Aussi caressants que mutins.
Mais la glace emprisonne et gèle
Les jolis flocons blancs si fous.
La mort étend sur toute son aile.
……………………………….
Cœurs qui souffrez, endormez-vous !
Et maintenant, dans le mystère,
Sous l’épaisseur du manteau blanc,
C’est le grand travail de la terre !
Elle prépare dans son flanc
Toutes les richesses futures :
Les fleurs si douces du printemps,
De l’été, les vertes ramures,
De l’automne, les tons ardents.
Et pourtant, elle semble morte ;
Les charmes sont ensevelis ;
Chaque neige que le vent porte
Du linceul alourdit alourdis les plis.
Cette blancheur s’immobilise
Sous le ciel gris, en contours flous
Et toute forme est imprécise
……………………………….
Oh ! Cœurs qui dormez, rêvez-vous ?
Mais voici que dans la nature
Viennent à passer des frissons.
Peu à peu s’en vont la froidure,
La neige pâle et les glaçons.
Ecartant son voile superbe,
La terre apparaît et sourit ;
Des rubans d’eau courent dans l’herbe
Qui, sous leurs baisers, reverdit.
Et, là-bas, voilà que s’éveille
La voix profonde des forêts
Et que s’ouvre, pure merveille,
La clochette des blancs muguets.
La vie, en tout, fleurit et chante
Et l’air est infiniment doux.
Il se lève une aube charmante.
……………………………….
Cœurs qu’on croit morts, réveillez-vous.
M. Morize
(Mars 1917)
A.C.B.
Capitaine de territoriale
Vous devez, cher ami, me trouver ennuyeuse
De venir réclamer des lettres si souvent.
Mais, depuis deux longs mois, la bataille est affreuse
Et mon cœur angoissé bat plus nerveusement.
Vous ne pouvez savoir le bien qu’une missive
Qu’un simple mot peut faire à l’esprit tourmenté.
De la « sœur » d’autrefois, de l’Amie attentive
Qui ne rêve pour vous que bonheur et santé.
Elle vous sait hélas ! ainsi que tous ses frères,
Exposé quelque part dans un champ de la Mort,
N’ayant, pour vous sauver, qu’un rempart de prières
Qui fut jusqu’à présent respecté par le sort.
Malgré toute sa foi en la pensée divine,
Sa pensée inquiète, à chaque heure, vous suit
Ne pouvant surmonter la peur qui la domine
(Souci pendant le jour et martyre la nuit)
Elle entend crépiter le feu de la mitraille ;
Dans les sombres couloirs qui mènent à l’au-delà,
Elle voit des blessés, loques de la bataille,
Des morts et d’autres maux à côté de ceux-là.
Après avoir souffert du froid et de la neige
Vous avez maintenant la torride chaleur ;
Le supplice est changé ! Cependant rien n’allège
Votre très lourd fardeau d’épreuve et de malheur.
Il semble qu’à présent toute votre énergie
Devrait avoir sombré dans la guerre sans fin.
Voilà, bientôt trois ans que dure l’agonie
Et c’en est vraiment trop pour un courage humain.
Dans vos lettres se lit un peu de lassitude
Mais vous êtes quand même un bon, un vrai soldat.
Pendant que la jeunesse, abandonnant l’étude,
Se ruait follement à l’appel du combat,
Vous vous êtes senti, pauvre ami, l’âme noire,
En écoutant, très grave, une sévère voix
En qui ne clamait pas une chanson de gloire
Mais qui parlait tout bas d’une pesante croix
A traîner bien longtemps sur les chemins de France
Depuis le Nord à l’Est, sous un ciel inclément.
N’ayant au fond du cœur qu’une vague espérance
Vous êtes donc parti, en marchant d’un pas lent,
Et, retournant parfois la tête vers l’arrière
Pour un dernier sourire et un dernier regard
Au doux foyer quitté, à la chère lumière
De deux yeux pleins d’amour en l’adieu du départ.
Vous n’avez point dans l’âme un rêve de conquête,
D’ardente chevauchée à travers l’univers.
Mais vous avez marché au sein de la tempête
Sans vous laisser courber par les plus durs revers
Vous avez supporté, chaque jour, la souffrance
Qui vous était donnée et fait votre devoir
Avec tout votre cœur, toute votre science,
Peut-être bien sans goût, mais sans jamais déchoir.
Les moissons de lauriers ne vous font point envie
Aucun travail sanglant sûrement ne vous sied.
Mais vous êtes de ceux qui donneraient leur vie
Pour le coin de terrain où se pose leur pied.
Tandis que les clairons qui vous sonnaient la charge
Qui partaient à l’assaut, très fiers, au premier rang
Se sont tus, étouffés par le grand vent du large
Et se sont enlisés dans la boue et le sang,
Vous êtes demeuré la vivante frontière
Sur laquelle se brise un flot d’envahisseurs
Et c’est à votre abri que notre France entière
Peut sentir palpiter tranquillement son cœur.
Elle attend donc ainsi la suprême victoire,
Très sûre de vos bras car vous êtes vraiment
Ce qui ne peut jamais lui donner de déboires,
Ce qu’elle a de plus fort ! Le sol qui se défend !
Madeleine Morize
(Juin 1917)
Le travail est fini, la plaine qui s’endort
Paraît immense et nue ; une faux diligente
A couché sur le sol sa chevelure ardente
Qui commence à pâlir au souffle de la mort.
Les « andins » alignés par un pénible effort
Semblent les flots figés d’une mer nonchalante
Qui, dans l’ombre du soir, retient sa voix puissante
Et dont monte un parfum, pénétrant, doux et fort.
C’est l’âme de la terre, ivre encore de lumière
Qui s’exalte à cette heure en vaporeux mystère
Dans une brume mauve abritant son sommeil.
L’avant-dernier baiser de l’astre qui s’incline
Tombe sur les genêts au flanc de la colline
Et toutes leurs voix d’or hurlent l’hymne du soleil.
Madeleine Morize
(Juin 1917)
Malgré l’étrange mal dont mon cœur est étreint
Au petit livre d’or de mes beaux jours d’amante
J’ai relu ce matin la date triomphante
D’un bonheur très pur que nulle ombre n’atteint.
Comme un subtil encens qui s’élève au lieu saint
Il monte un souvenir dans l’heure grise et lente
Et je crois respirer la douce âme tremblante
D’un oranger mourant, d’un cierge qui s’éteint.
Le cher passé d’amour du crépuscule rose
Projette sa clarté sur le présent morose
Tel un mirage ardent suit la mort du soleil,
Laissant derrière lui, un sillage éphémère.
Le vol éblouissant de l’ancienne chimère
Inscrit un nom très cher sur le couchant vermeil.
Madeleine Morize
(2 Juillet 1917)
Pour vous remercier de vos œillets blancs
Je voudrais avoir, au bout de ma plume,
Des mots très légers, doux, presque tremblants
Comme ceux qu’on dit dans un clair de lune.
Des mots évoquant les soirs de jadis,
Faisant refleurir dans notre mémoire
Les roses d’antan et les pales lys
Dont seul, avec moi, vous savez l’histoire.
Ma pensée est triste et mon cœur est las ;
J’ignore à présent les tendres paroles ;
Mais, soyez-en sûr, je n’oublierais pas
Tout ce dont vos fleurs me sont les symboles.
Et j’ai revécu dans ce morne jour
Quinze souvenirs ardents de ma vie
Depuis le premier, une aube d’amour,
Jusqu’à l’autre hélas ! qui fut l’agonie.
………………………………………..
Mais laissons dormir le passé trop cher
Dans le grand caveau qui prend toute chose
Et soyez béni pour votre œillet clair
Qui met un rayon sur la tombe close.
Madeleine Morize
(2 Juillet 1917)
Vous passez à côté des secrètes douleurs
Et des plaisirs violents sans que leurs étincelles
Atteignent votre cœur et vos claires prunelles
N’ont pas l’éclat du rire ou le voile des pleurs.
Votre être fait songer à ces mystérieuses fleurs
Qui ne peuvent s’ouvrir qu’en l’ombre de chapelles
Sous les pieds d’une vierge aussi sereine qu’elles
A qui sont réservées les secrets de leur cœur.
Ah ! Rosa Mystica, petite âme très douce
Que le mal vous épargne et jamais n’éclabousse
Votre feuillage frais et vos pétales blancs.
Mais vous restez parmi nous, céleste messagère
Pour remettre en notre vie, humainement légère,
Une flamme de cierge, un parfum pur d’encens.
Madeleine Morize
(22 Juillet 1917)
Au pays de votre âme, un jardin singulier
J’aurais voulu m’ouvrir ainsi qu’une anémone
Pâle et sensible fleur que le grand jour étonne
Et dont les yeux pensifs ont l’air de supplier.
Mais la plainte d’un cœur qui ne peut oublier
Vous a mieux rappelé la chanson monotone
Que murmure le vent par une nuit d’automne
Sur le bord du chemin dans un grand peuplier.
Car, en cherchant un jour la sœur qui lui ressemble
Vos l’avez définie : « Une feuille de tremble »
Cette âme qui frissonne à tous les vents du ciel.
Après avoir vibré dans l’amoureuse brise
Elle attend maintenant qu’un dernier sanglot brise
Le fil qui la retient dans un froid trop cruel.
Madeleine Morize
(29 Juillet 1917)
Lettres d’amour … Feuilles mortes
L’heure était indécise et tendre …
Le jour mourrait avec lenteur,
Lorsque j’ai voulu ré entendre
La chanson du passé charmeur.
Quand j’eus réveillé ce dormeur,
Bien qu’ayant clos volets et portes,
J’ai senti passer sur mon cœur
Un tourbillon de feuilles mortes.
De choses couvertes de cendre
Vos lettres ont pris la pâleur,
Et moi … je ne sais plus comprendre,
Les mots fous de la jeune ardeur.
L’automne est là ! … Adieu fraîcheur
Du printemps aux sèves si fortes !
Il n’y a dans le vent rôdeur
Que tourbillons de feuilles mortes.
Le soir, à présent, va descendre,
Eteignant sous son épaisseur
Les rayons qu’auront pu répandre
Les visions d’anciens bonheurs.
Le temps frappe de sa froideur
Les souvenirs de toutes sortes
Changeant les pétales de fleurs
En tourbillons de feuilles mortes.
Envoi
Sagesse sereine et douceur
De nos hivers, soyez escortes
Et nous verrons passer sans peur
Les tourbillons de feuilles mortes.
Madeleine Morize
Ecoutez au creux du vallon
Ce bruit léger comme un murmure.
C’est un clair ruisseau, l’Anzion,
Qui se glisse sous la verdure.
Il s’amuse avec les cailloux
Qu’il roule sur la roche dure
Et qui lui semblent des joujoux
Donnés par la riche nature.
Il porte sur ses flots d’argent
Un arc-en-ciel aux mille teintes
Dans sa voix très pure, on entend
Des chansons, parfois des complaintes.
Par les chemins il s’est blessé
En courant à perdre haleine
Depuis le dur sommet glacé
Jusqu’au lit si doux de la plaine.
Il se fait l’écho d’un moulin
Dont l’eau rebondit sur la pierre
Ou celui du battoir lointain
De quelque fée lavandière.
Il raconte à l’agneau tremblant
Qu’au sein de la forêt profonde
Un loup est venu, tout sanglant,
Se désaltérer dans son onde
Cruel, il taquine les fleurs,
Prétendant qu’en d’autres prairies
Il a rencontré de leurs sœurs
Qui semblaient plus qu’elles jolies.
Et, très bas, retenant sa voix,
Il dit à l’oreille attentive
…………………………….
Madeleine Morize
J’ai rencontré ma détresse
A la brise du printemps …
Mais elle garde sa caresse
Pour les beaux fronts de vingt ans.
Je l’ai dit à l’hirondelle …
Et, à mon triste récit,
Elle a fuit à tire d’aile
Pour aller bâtir son nid.
J’ai pleuré dans le calice
D’une rose qui s’ouvrait …
Ce lui fut un maléfice ;
Le soir même elle mourait.
Oh ! pour y verser ma peine
Veux-tu me rendre ton cœur
Car d’amour mon âme est pleine
Et l’amour est ma douleur.
Madeleine Morize
Pour vous remercier de votre bon conseil
Il me faut, à mon tour, vous faire la morale
Car, pour effaroucher la pauvre provinciale,
Vous cherchez à vous peindre en démon sas pareil.
Ce n’est pas la vertu, dites-vous, qui retient
Au bord du gouffre affreux votre âme chancelante
Mais le manque absolu de l’occasion qui tente,
Qui rôde près du camp et jamais n’y parvient.
Qu’elle y entre un beau soir, vous serez libertin.
Vous me feriez croire, Ami, que le gendarme
Qui demeure insensible à la plus douce larme
Et qui, sans pitié, fait rebrousser chemin,
Dans les gares de l’Est, à quelque belle enfant
D’une allure équivoque et d’humeur trop guerrière,
Que le gendarme, dis-je, est, sur notre frontière,
Le seul ange gardien d’un jeune commandant.
Mais cela ne prend pas. Des principes sérieux,
Une religion forte et de l’intelligence,
D’excellents sentiments, contre la défaillance
De l’âme et de la chair, vous défendent bien mieux
Que le pandore casqué qu’on érige en berger.
Mais pourquoi donc alors vous calomnier vous-même
Vous vous imaginez, peut-être bien, que j’aime
Le type qui, pour nous, incarne le danger
Du serpent sous les fleurs, l’immortel Don Juan
Qui trouble et qui séduit par sa beauté maligne
Au nom damné duquel la dévote se signe,
Comme s’il s’agissait de messire Satan.
Je crois plus simplement que c’est pour rire un peu
Voir si la vielle sœur peut dire un mot sévère
Sans se mettre à pousser des cris de belle-mère.
Mais je suis bonne fille et je fais votre jeu
Par l’envoi complaisant d’un morceau de sermon.
Allons, Monsieur mon frère, il faut être très sage
Quand vous retournerez aux Capoues de passage,
Dans ces lieux fréquentés par la femme-démon.
Vous pourrez, en chemin, respirer bien des fleurs.
Si l’imagination jamais ne dénature
Du chevalier errant la gentille aventure
On sourit au guerrier, même à travers des pleurs.
La rigide matrone a pour le soldat
De la coquetterie et la très jeune fille
Sent poindre, dans son cœur, la mère de famille
En armant l’inconnu qui part pour le combat.
Et quand il est blessé, les femmes sont des sœurs
Qui l’entourent de soins, de tendresses charmantes.
La religieuse en voile est une chaste amante
Dont la vierge caresse a d’infinies douceurs.
Ce sont ces roses-là que vous pouvez cueillir
Pour vous faire un herbier des belles fleurs de France.
De leur cœur écrasé, sort un chant d’espérance.
Leur parfum planera sur votre souvenir.
Quant à vous, dans la lutte et dans le dur exil,
Demeurez donc toujours, pour l’orgueil de vos proches
Le chevalier sans peur, mais aussi sans reproche,
Qu’on admire et qu’on aime.
Amen !
Ainsi soit-il !
Madeleine Morize
- I -
La terre qui s’éveille a, pour le clair matin,
Son plus joli regard où tremblent quelques larmes.
Elle a mis son opale et revêtu ses charmes
D’une robe d’or vert, de nacre et de satin.
Aux aguets depuis l’aube, un bleu martin-pêcheur
Balance ses saphirs à la tige d’un saule.
La grenouille le nargue avec son sourire drôle,
Et, dans l’épais fourré, siffle un merle moqueur.
L’insecte bourdonnant danse dans la lumière
Et le poisson joyeux fait des ronds sur l’eau claire.
Tout s’amuse et sourit dans les rayons charmants
Qui sèment sur l’étang des pétales de roses,
Et qui, s’insinuant au cœur profond des choses,
En font s’évaporer des parfums et des chants.
- II -
Il pèse sur le parc une lourde torpeur.
L’étang semble dormir sous le voile de branches.
Dans l’herbe de ses bords, les craintives pervenches
Osent ouvrir très grand leur calice rêveur.
Le calme est merveilleux ; pas un cri, pas un chant
Ne viennent, de ce coin, troubler la paix profonde
Et les saules courbés s’inclinent jusqu’à l’onde
Qui reçoit leur baiser sans un frémissement.
Il ne passe dans l’air aucune aile frôleuse,
Aucun souffle vivant. Dans l’ombre paresseuse,
Le cœur de l’étang luit comme un miroir d’argent.
C’est un joyau cerclé par la rive violette
Et sa limpidité très doucement reflète
L’azur morne et serein d’un pale firmament.
- III -
Sur le jour alangui, comme un royal manteau,
Descend un soir de pourpre. Atteignant la colline
Qui ferme l’horizon, le grand soleil décline
Et meurt embrasant son immense tombeau.
Alors, du ciel en feu, jaillit un rayon d’or
Qui tombe au sein de l’eau virginale et dormante
Et change sa pâleur en une teinte ardente.
L’étang semble un brasier et resplendit encore
D’un éclat plus sanglant que la voûte infinie.
Avant c’était la mort, maintenant c’est la vie
Avec tous ses reflets, douloureux ou très doux.
Sous le souffle d’en haut, dans la brume de flamme
A cette heure, vraiment l’étang possède une âme
Et jette un cri d’amour qui monte jusqu’à nous.
- IV -
Le suprême rayon s’est éteint mollement ;
L’oiseau du crépuscule a quitté sa demeure
Pour chasser une proie et son vol lent effleure
Le cèdre aux bras tendus caressés par le vent.
Car la brise du soir a ridé le lac pur
Et donné des frissons à la plaine odorante.
Dans les humides prés, là-bas, un crapaud chante
Deux notes de cristal qui font vibre l’azur.
Et puis, de temps en temps, un écho vague arrive
Du mensonge argenté que raconte la rive
Un flot plus caressant du bel étang trompeur.
L’onde roule à nos pieds une lointaine étoile
Et, dans le doux secret de la nuit au long voile,
Murmure le refrain qui berce notre cœur.
Madeleine Morize
Dans les sombres forêts du pays tropical,
Très haut, presque au sommet de quelques cimes altières,
Cherchant, pour y plonger un rayon de lumière,
Une étonnante fleur luit sur l’azur brutal.
Au tronc qu’elle épousa son baiser est fatal,
Car l’étrange orchidée, au cœur lourd de mystère,
Qui fleurit dans le ciel en dédaignant la terre
N’est, malgré sa beauté, qu’un pauvre être anormal.
Que sa corolle s’ouvre en un éclat splendide,
Ou bien qu’elle revête une nuance languide,
D’une sève étrangère, elle n’a qu’un remous !
Pareille à l’orchidée, Ame trop amoureuse,
Dans l’abandon total, misérable charmeuse,
Vous n’êtes plus vous-même, un Autre vit en vous !
Madeleine Morize
Vous m’avez fait de si beaux mensonges
Que tendrement je vous en absous.
Mon cœur brisé leur doit ses doux songes,
Il fut resté bien vide sans vous.
Je vous bénis pour cette allégresse
De mon matin, pour le bercement
Et la chanson de fausse tendresse
Dont se réjouissait mon âme d’enfant.
Je vous bénis pour vos chers sourires,
Pour vos regards qui trompaient si bien,
Pour vos baisers et vos feints délires
Pour vos serments d’amour sans fin.
Mais c’est assez ! Comme rien ne dure
J’ai vu mourir mon rêve joli.
Ne parlez plus ; laissez donc l’oubli
Jeter sur tout sa nuit lente et sûre.
Madeleine Morize
Hop ! Ha ! Mousse et Cacet, mes bœufs, mes grands bœufs roux
Dans la rude montée ou sur la raide pente
Vous marchez d’une allure à la fois sure et lente
Obéissant, passifs, à l’aiguillon de houx.
Sans révolte ni rêve au fond de vos yeux doux,
Vous courbez sous le joug votre tête puissante
Et quand la terre est dure ou la charge pesante
L’effort, à chaque pas, tend vos flancs pesants et vos cous.
Sans vous hâter le soir, vous rentrez à l’étable
N’ayant d’autre souci dans votre âme immuable
Qu’étancher votre soif, apaiser votre faim.
Et vous vous étendez sur la bonne litière
Heureux d’avoir fini la tâche journalière
Ignorants du labeur à reprendre demain.
Madeleine Morize
Pour submerger nos maux si grands
Il faut l’azur du ciel immense
Et les clameurs des goélands
Pour couvrir nos cris de souffrance.
Il faut pour contenir nos pleurs
La coupe sans fond des abîmes
Comme pour bercer nos douleurs
Le lit mouvant des flots sublimes.
Il nous faut écouter la mer
Dire ses chansons éternelles
Son flux seul est assez amer
Pour s’unir aux larmes ruelles.
Le vent du large est assez fort
Pour arracher de nos deux âmes
Le regret du beau rêve mort
Et pour souffler toutes nos flammes.
Le sable d’or est assez lourd
Pour enterrer l’amour qui tombe
Et l’horizon muet et sourd
De nos secrets sera la tombe.
En regardant les grands rochers
Caressés par les vagues molles
Nous oublierons tous nos baisers
Nos serments, nos étreintes folles.
Quand nous respirerons les fleurs
Qui poussent au repli des dunes
La paix rentrera dans nos cœurs.
Un parfum chasse les rancunes.
Madeleine Morize
Si jamais sur la route, errant autour du monde,
Nous remet, côte à côte, une raison profonde,
Tous deux marchant
Et, si, las d’aller solitaire,
Vous voulez reprendre ma main
Pour le dernier bout de chemin
Qui vous reste à faire,
Certes mes lèvres seront closes
Sur le grand, l’horrible secret.
Mais le regard dit trop de choses …
Le mien sans doute trahirait,
Et vous verriez passer encore,
Au fond de son ardent miroir,
L’allégresse de notre aurore,
La désolation de mon soir.
Vous ne reverrez plus mes yeux,
Ni les joyeux,
Ni ceux qui pleurent,
Ni les tendres, ni les sérieux
Car, dans leurs prunelles, demeurent
Tous les reflets des anciens feux.
Beaucoup mieux que dans certains cœurs,
Jamais extase ni douleurs
Ne pourront en être effacées …
Et j’irai près de vous les paupières baissées.
Madeleine Morize
Vous êtes, mon amie, une aube de printemps
Vos très souples cheveux ont la teinte divine
Des premiers rayons d’or dépassant la colline
Pour venir caresser les épis de nos champs.
Vous semblez une fleur aux charmes éclatants
Et l’on dirait vraiment, quand votre front s’incline
Qu’un buisson tout chargé d’une branche d’aubépine
Se penche et se relève aux caprices du vent.
Le regard est très doux dans vos prunelles mauves
Sur lesquelles vos cils jettent leurs ombres fauves,
Votre âme à la fraîcheur des feuillages nouveaux.
J’entends dans votre voix un murmure de source
Luttant contre l’iris, frêle entrave à sa course,
Et vos mains sont deux nids, remplis de chants d‘oiseaux.
Madeleine Morize
Quand passe sur nos fronts l’ange de la douleur
Dont le sombre baiser brûle mais purifie
Nous inclinons vers vous notre tête meurtrie
Vos mains savent penser avec tant de douceur.
Oh ! femme, fille d’Eve, ange consolateur,
Etre tout fait d’amour, de tendresse infinie,
Vous êtes la Beauté, vous êtes l’Harmonie,
Vos mots et vos regards descendent jusqu’au cœur.
Vous pouvez apaiser le plus cruel martyre,
Et les phalènes noirs, devant votre sourire,
Retournent à la nuit dans un vol éperdu.
Mais parfois vos yeux clairs se voilent de tristesse
Et paraissent avoir, en secrète détresse,
Pleuré très lourdement un Paradis perdu.
Madeleine Morize, ép. Morize
Il flotte dans les bois des fils longs et tenus
Unissant d’un lien qui frissonne et se penche
L’Ame d’un liseron au cœur d’une pervenche
Et semblant d’astres clairs, les rayons distendus.
On dirait à les voir, en groupes suspendus
Quelques cheveux de nymphe accrochés à la branche
Ou du lin échappé de la quenouille blanche
De la Vierge en veillant son Jésus.
Un papillon léger les brise de son aile
Ils sont bien votre image, être charmant et frêle,
Sylphe blanc qui dansez en voiles vaporeux.
Et soit que vous passiez sur l’azur sans nuage
Ou le fond tourmenté d’un triste ciel d’orage,
Votre grâce séduit l’âme ainsi que les yeux.
Madeleine Morize, ép. Morize
Oh toi qui t’endormais si frêle et si petite
Entre mes bras aimants bien mieux qu’en ton berceau
Mon doux bébé d’hier que tu grandis donc vite
Tandis que je me courbe hélas ! vers le tombeau.
Une main nous entraîne à qui rien ne résiste
Je pars, laissant en toi mon rêve le plus beau
Je sais que dans ta chair, mon être à moi persiste
Et que c’est bien mon sang qui vient rosir ta peau.
Mon regard qui s’éteint dans tes grands yeux s’allume
Mais je verse avant tout le secret qui parfume
Et console mon cœur dans ton cœur étonné.
Reçois tout son amour, pénètre son mystère
Et quand ton tour viendra, ma fille, d’être mère
Rends à d’autres petits ce que je t’ai donné.
Madeleine Morize
Votre regard sans fond, vos traits carbures et beaux
Font bien de vous vraiment la princesse lointaine
Qu’en rêve on voit passer, très grave et très sereine
En brocards tissés d’or avec lourds joyaux.
Vous êtes comme un lis au milieu des tombeaux
Et vous nous rappelez par votre grâce hautaine
Les grands sphinx accroupis au bord d’une fontaine
Qui mirent leurs yeux morts au cristal bleu des eaux.
Un cœur de chair bat-il dans la belle statue
Et l’amour pourra-t-il prosterner vaincue
En mettant dans son marbre un divin tremblement.
Ou bien gardera-t-elle en traversant le monde
L’impassibilité souveraine et profonde
Qui la rend une énigme, un mystère troublant.
Madeleine Morize
Lorsque tes yeux aimés s’éteindront lentement
Et qu’ils se fermeront aux clartés de la terre
Avant d’abandonner ton corps à la poussière
Qu’on exauce mon vœu et que très doucement.
On enlace tes doigts à cette croix d’argent
Le Rédempteur y met sa vivante lumière
Sous laquelle humblement s’enroule un sombre lierre
Symbole d’un amour très fidèle et fervent.
Et quand tu dormiras le lourd sommeil sans rêve
Dans la nuit où jamais un soleil ne se lève
Mon immortel baiser brillera sur ton cœur.
Que ce joyau divin soit pour ta chair flétrie
L’ultime souvenir des choses de la vie
Sa suprême caresse et sa dernière fleur.
Madeleine Morize
Ma plume hésite et tremble en frôlant ce velin
Sur lequel il me faut – tâche bien malaisée –
Fixer ce feu follet qu’on nomme une pensée.
Comment le voulez-vous ? Mon cœur en est si plein.
Est-ce un papillon bleu qui voltige au matin
Buvant l’âme des lis en gouttes de rosée
Où le phalène lourd, qui d’une aile lassée
Glisse entre les cyprès dans un jour incertain ?
Quelque chose qui sait une chanson d’aurore
Ou qu’en l’hiver lointain vous relirez encore
Quand tout sera : « passé » et plus rien « avenir ».
Mais la pensée est fleur ! Choisissez donc laquelle
Au cœur de votre album j’écrase en souvenir
Près d’un pétale rose une sombre immortelle.
M. M.