Un liseron, Madame, aimait une fauvette
Vous pardonnerez bien cette idée au poète
Qu’une plante puisse être éprise d’un oiseau.
Un liseron des bois, éclos près d’un ruisseau,
Au fond du parc, au bout du vieux mur plein de brèches,
Et qui, triste, rampait parmi les feuilles sèches,
Ecoutant cette voix d’oiseau dans un tilleul,
Etait au désespoir de fleurir pour lui seul.
Il voulut essayer, s’il en avait la force,
D’enlacer ce grand arbre à la rude écorce,
Et de grimper, là-haut, près de ce nid.
Il croyait, l’innocent, que quelque chose unit
Ce qui pousse et fleurit à ce qui vole et chante.
Moi, son ambition me semble assez touchante.
Madame, vous savez que les amants sont fous
Et ce qu’ils tenteraient pour être auprès de vous.
Comme le chasseur grec pour surprendre Diane,
Suivait le son lointain du cor, l’humble liane
De ses clochetons bleus semant le chapelet,
Monta donc vers l’oiseau que son chant décelait ;
Atteindre la fauvette et la charmer, quel rêve !
Hélas ! c’était trop beau, car la goutte de sève
Que la terre donnait à ce frêle serment
S’épuisait. Il montait toujours plus lentement ;
Chaque matin, sa fleur devenait plus débile ;
Puis, bien que liseron, il était malhabile,
Lui, né dans l’herbe courte où naissent les fourmis
A gravir ces sommets aux écureuils permis.
Là, le vent est trop rude et l’ombre est trop épaisse ;
Mais tous les amoureux sont de la même espèce,
Madame, et vers le nid d’où venait cette voix
Montait, montait toujours le liseron des bois.
Enfin, comme il touchait au but de son voyage,
Il ne put supporter la fraîcheur du feuillage
Et mourut, en donnant le jour de son trépas
Une dernière fleur que l’oiseau ne vit pas.
Comment ? vous soupirez et vous baissez la tête,
Madame.

François Coppée
Un liseron adore une fauvette)