Vacances Pornic 1895 - suite 2

A 5 heures du matin, Lucie dans son élégant déshabillé, à peine plus convenable que celui que Madame Eve devait revêtir au saut du lit dans le Paradis Terrestre, vint nous tirer par les pieds.

La nuit porte conseil et ces dames, qui couchaient dans la même chambre, avaient décidé notre excursion entre elles, vers 2 ou 3 heures du matin. Nous fûmes bien heureuses de voir notre sommeil troublé deux heures plus tôt que de coutume et nous nous habillâmes un peu tapageusement.

Une bonne odeur de chocolat nous avertit que, de son côté, Eugénie était sous les drapeaux. Nous ne partîmes que par le "Décanville" de 7 heures où nous nous trouvâmes avec plusieurs personnes de Pornichet, notamment avec nos voisins de Ker René et le cher Monsieur de Rivoli, muni d'une nouvelle anglaise aussi plate que la première. Le "Décanville", nommé "Trait d'Union" parce qu'il relie trois plages, est un joli petit chemin de fer dans lequel des cœurs un peu sensibles pourraient bien goûter par avance tous les plaisirs du mal de mer. L'arrangement de ses banquettes rappelle celui des voitures de course ou des chars à bancs que louent les noces des faubourgs. Des rideaux de toile, pouvant se lever ou se baisser à volonté, tiennent lieu de vitres et de portières. Le "Décanville" longe la mer, à quelques mètres, pendant tout son parcours et c'était délicieux de sentir le vent du large vous fouetter fortement le visage. Près du casino, nous vîmes une grosse bouée échouée mais nous ne pûmes guère l'examiner.

A la Baule, arrêt assez long, manœuvres de la locomotive qui y prend de l'eau. La Baule a un aspect incomparablement plus élégant que mon Pornichet et cependant je lui préfère de beaucoup ce dernier dans sa simplicité un peu sauvage. Les villas, très jolies en général, sont mitoyennes ; elles sont situées sur une espèce de terrasse de quai et l'on ne peut sortir de chez soi sans être vu par trois ou quatre personnes au moins. La plage est en cuvette et, comme la mer est forte en cet endroit, les bains doivent être pris avec prudence. La Baule n'est, comme Pornichet, qu'une station balnéaire. La commune est Escoublac à trois kilomètres environ. On y arrive à travers des bois de pins, de sapins, de mélèzes, de thuyas. Les paysages de cette région ne doivent pas changer beaucoup en hiver car presque tous les arbres sont des arbres verts. A terre, on foule une couche épaisse d'aiguilles de pins, toutes desséchées par le soleil et les années.

Le petit "Décanville", sa provision d'eau faite, se remit en marche vers le Pouliguen où nous arrivâmes vers 7 heures et demie. Nous nous empilâmes dans un bac qui, moyennant cinq centimes par tête, transporte toute la journée des passagers d'un côté à l'autre du port.

La mer était très basse et, par moment, le bac frôlait le fond ce qui nous donnait des secousses désagréables. Le port traversé, nous apprîmes que le "Saint-Félix" stationnait en pleine mer, ne pouvant approcher. Nous dûmes aller à pied jusqu'à l'extrême pointe de Pinchâteau en trébuchant à qui mieux mieux sur les rochers couverts de goémons glissants et, à plusieurs reprises, je mis maladroitement le pied dans des flaques d'eau.

Nous aperçûmes enfin les canots qui devaient nous conduire au remorqueur. Ils étaient à une quinzaine de mètres mais, pour les atteindre, il fallait entrer dans l'eau jusqu'à la ceinture, si ce n'est jusqu'à la poitrine.

Nous étions trente personnes perchées sur un petit cap rocheux; le coup d’œil était assez original. Nous ressemblions à une troupe de gros canards sauvages ne sachant  s'ils vont ou non prendre leur vol. On cria aux canots d'avancer ; l'un d'eux essaya mais il fut pris dans les sables. Pendant ce temps, la sirène de "Saint-Félix" gémissait désespérément comme pour nous presser.

« Il n'y a pas de temps à perdre, s'écria le capitaine du port, embarquez immédiatement à dos d'hommes! » Deux marins, sorte d'Hercules, mirent bas leur veste et vinrent offrir leurs épaules. Personne ne se souciait de commencer. Maman plus intrépide, enfourcha son marin et hue bidet!...

Quels éclats de rire! Quelle gaieté! Pour moi, je ne riais pas. Sans avoir toute la pudeur d'une Virginie, il m'était répugnant d'être obligée de monter à cheval sur un homme inconnu. La sirène redoubla ses cris d'appel. Alors le capitaine eut une idée géniale. Il fit signe à des paysans qui ramassaient le varech et ceux-ci arrivèrent avec leurs charrettes. Je fus de la troisième fournée. Malgré des cahots formidables, nous nous amusâmes bien. Il y a cent ans, nous aurions moins ri dans la fatale voiture. Les chevaux avaient de l'eau jusqu'au poitrail, les roues enfonçaient dans le sable et les vagues venaient de temps en temps nous caresser les pieds. Puis on tombait, à chaque instant, les uns sur les autres.

Enfin, nous prîmes place dans une jolie barque à voile, nommée "la Bécassine", qui se mit à filer légèrement vers la pleine mer. Au gouvernail, il y avait un vieux marin à barbe rousse, doué de cette figure particulière aux gens de la mer, mélange de rudesse et de bonté. "La Bécassine" commençait à sauter joliment de vague en vague. Par moments, nous disparaissions complètement dans un trou puis, tout d'un coup, nous nous trouvions au sommet d'une petite colline que nous redescendions aussitôt.

Le marin avait remarqué que l'Abbé était fort grassouillet, aussi ne cessait-il de lui crier: « Monsieur l'Abbé, nous penchons à droite, asseyez-vous à gauche, s'il vous plaît ». Heureusement, que le bon prêtre possédait un heureux caractère. Il nous raconta qu'il sortait tranquillement de l'église où il avait célébré sa messe lorsqu'un de ses amis, dont il fit la rencontre, lui annonça le départ d'un bateau pour Belle-Isle. Sans rentrer à la maison de Monsieur Freppel où il était logé, il se mit à emboîter le pas de notre caravane qu'il avait aperçue sur le port. Et voilà comment l'Abbé de Limoges, arrivé de la veille au Pouliguen, se trouvait parmi nous, très disposé à payer son tribut au mal de mer.

Nous employâmes une vingtaine de minutes avant d'atteindre le "Saint-Félix" et Miss qui ne faisait qu'un rêve : aller en canot sur la mer, le voyait suffisamment accompli; elle commençait à être lasse de l'éternel ballottage. Enfin, nous vînmes toucher les flancs du "Saint-Félix"; on nous lança une petite échelle de corde que nous dûmes gravir, soutenus il est vrai par le capitaine qui, d'en haut, nous tendait la main. Le pied sur le dernier échelon, je me retournai, une vague avait écarté la barque et, au-dessous de mon corps, il y avait un espace de mer bien assez grand pour me recevoir si le vertige m'avait pris. Cette vision me donna un tout petit frisson et je sentis que le capitaine, ayant vu mon mouvement, me serrait un peu plus la main.

Nous eûmes quelques peines à nous caser les uns à côté des autres car le "Saint-Félix" avait plus de deux cents passagers.

On jeta l'ancre; la sirène jeta un grand cri; la sirène laissa passer deux ou trois jets de vapeur et, quelques secondes après, on sentit régulièrement les coups du piston tandis que le navire s'éloignait de la côte, d'abord lentement puis de plus en plus vite.

Pendant une demi-heure à peu près, tout alla bien. Le ciel était d'un bleu profond dans lequel couraient avec frénésie de gros nuages blancs. Le vent soufflait et les vagues nous berçaient un peu rudement.

Mais voilà que l'azur du ciel s'assombrit, que le vent s'élève davantage et que les lames que nous rencontrons sont toujours de plus en plus larges et de plus en plus hautes. Les passagers sentent leur cœur s'obscurcir et bientôt une effroyable panique règne à bord. Vingt deux personnes seulement échappent à l'affreux malaise. Marguerite, selon sa chère habitude, fut l'une des premières atteintes. Pauvre Kiki, au moment où elle se penchait par-dessus le parapet, une vague énorme la couvrit d'eau, ainsi que Maman qui la maintenait. On la fit descendre dans une cabine où on la coucha, à moitié déshabillée, sur une banquette. Elle resta ainsi pendant toute la traversée, sans faire un mouvement, les yeux fermés et un bras replié sous la tête. Son pauvre petit visage, d'un jaune de cire, exprimait la souffrance. Un marin complaisant porta sa robe près de la chaudière pour la faire sécher. Laissons Marguerite avec les plus malades et remontons sur le pont.

Quel spectacle! Tous se tordaient, se jetaient les uns sur les autres et envoyaient, sans nulle discrétion, des souvenirs trop odorants sur tous les vêtements. J'essayai d'abord d'échapper à ces baptêmes mais je fus forcée de m'y résoudre. Je suivis l'exemple de Monsieur l'Abbé qui tendait le dos aux saletés apportées par le vent.

Si l'on pouvait oublier l'aspect du pont et porter les yeux sur la mer, c'était féerique. Cramponnée à une porte, je regardais de toute mon âme ces immenses montagnes d'eau arriver sur nous en s'escaladant les unes les autres. C'était un dédale inouï de crêtes arrondies, de pics frangés d'écume, de trous noirs et profonds, de larges vallées d'un vert d'émeraude. Parfois, il se faisait un si grand vide sous le navire que je ne pouvais m'empêcher de fermer les yeux devant cette horreur sublime. Et le "Saint-Félix" allait, allait toujours, sautant de cime en cime, tantôt renversé complètement sur le côté droit, tantôt sur le côté gauche. Tout à coup, il se relevait en arrière et, après être resté un quart de seconde dans une position presque verticale, l'avant plongeait dans un autre abîme.

C'était beau, beau au-delà de toute expression; il y a un charme qui se dégage d'une mer irritée et des attirances étranges dans les sillons mouvants qui se forment sous les yeux.

Dire que je ne sentais pas la crainte agiter mon cœur un peu plus fort que de coutume, ce serait mentir mais je n'avais pas réellement peur. Lorsqu'une vague plus haute que les autres menaçait d'engloutir le navire, je cherchais des yeux le capitaine et sa physionomie impassible me rassurait promptement.

Je vis, à un moment, la rampe du pont toucher l'eau et nous eûmes cinq minutes critiques. Miss, fort malade et cramponnée à un mat, nous a avoué qu'elle se croyait perdue et qu'elle avait fermé les yeux pour ne plus rien voir. Monsieur de Rivoli, touché de sa détresse et sentant s'éveiller au fond de son coeur son sentiment de sympathie pour les Anglaises, se montra pour elle d'une tendresse plus que paternelle. Il l'avait enveloppée chaudement dans son manteau et la surveillait avec une sollicitude amusante.

A un moment, un vieux pilote vint causer avec moi: « La mer est furieuse, lui dis-je » - « Non, Mademoiselle, me répondit-il, elle est seulement très forte mais il ne faut pas avoir peur, car le "Saint-Félix" est solide. Il sort par tous les temps. Et puis, voyez-vous, la mer est bonne, elle n'est pas traître comme à certains jours. Regardez les vagues, comme elles sont larges, n'est-ce pas? Si elles étaient minces comme quelquefois, c'est alors que nous danserions; d'ailleurs, le passage est très mauvais » - « Mais ces vagues, quelle hauteur ont-elles? » - « Environ une douzaine de mètres, mademoiselle, mais c'est très variable. Tenez la belle grosse qui vient, elle a bien quinze mètres celle-là ».

Il avait à peine fini de parler que la vague passait sous le "Saint-Félix" en lui imprimant une telle secousse que je trébuchai sur le pilote resté droit comme une barre de fer. Il me retint en souriant et, après un court instant de silence: « Ah! C'est au Cap de Bonne Espérance que j'en ai vu de belles, de ces mâtines de vagues. Il y en a qui atteignent trente mètres de hauteur » - « Vous avez donc doublé le cap de bonne espérance? » - « Je crois bien ; au moins dix fois et presque autant le Cap Horn » - « Dites donc, Monsieur, lui demandai-je un instant après, la mer n'est pas profonde à l'endroit où nous sommes ? » - « Non, Mademoiselle. Il y a soixante mètres à peu près, d'ici le fond ». Je ne pus réprimer une grimace qui le fit sourire. Nous flottions au-dessus d'une abominable profondeur dont nous séparaient seulement quelques planches de bois et quelques plaques de cuivre.

Je fus tirée de ma conversation par Geneviève qui, assise sur le toit de la cabine, m'annonçait qu'il y avait une place libre à côté d'elle. Je me rendis à cet endroit où l'on était fort bien pour examiner le désordre de la mer et du pont. En face de nous, un jeune homme très brave, peut-être même trop, se tenait debout tout contre le parapet, se maintenant à peine. Au reste, sauf nos deux malades déjà mentionnés, le reste des Ker-Sabliens se comporta parfaitement.

Le pauvre Abbé de Limoges était fort souffrant. Poussé par la charité, il s'était élancé vers une dame assez âgée, horriblement éprouvée. Cette personne n'ayant aucun ami sur le bateau, le brave prêtre avait poussé le dévouement jusqu'à maintenir le front de la malade pendant qu'elle versait généreusement de la nourriture aux marsouins qui suivaient le "Saint-Félix". On dit que la vertu est toujours récompensée; d'après ce qui se passa, on ne le croirait pas et la face violette et contractée de l'Abbé de Limoges était bien faite pour inspirer, quelques instants après, l'horreur du dévouement, au moins dans ces cas-là.

Enfin, vers 11 heures et demie, un immense cri de soulagement retentit: « Terre, terre!!! »

Je regardai dans la direction indiquée et je vis, tout à l'horizon, une ligne noire comme celle que pourrait faire un nuage. Cela me fit plaisir de revoir la terre que, depuis une heure et demie, nous avions complètement perdue de vue. Nous avions cependant rencontré, dans les eaux sillonnées par notre remorqueur, les îles d'Hédic et d'Oecet mais ce n'est pas de la terre, ce sont deux gros rochers, presque entièrement recouverts par les lames qui viennent s’y briser en les couvrant d'écume.

Bientôt, nous vîmes des formes indécises se détacher du nuage puis ces formes devinrent de plus en plus nettes et représentèrent des arbres, des maisons, des rochers.

« Voilà Belle-Isle! Mon Ki », criai-je du haut de l'escalier à ma malheureuse sœur, toujours plongée dans son engourdissement. Ce nom, ce simple nom, produisit un effet magique sur elle. « Enfin », murmura-t-elle, en ouvrant les yeux et en soulevant un peu la tête. Sa robe n'étant pas encore sèche, elle n'enfila point son corsage mais elle mit sa jaquette qui cachait heureusement ce que son costume avait d'incomplet. En mettant le pied sur la terre, je crus que j'allai tomber; j'étais si bien habituée au roulis et au tangage que la cessation de mouvement m’écœurait. Ma tête était vide et je fus obligée de m'appuyer contre un mur pour ne point me laisser choir.

Monsieur Bitschinie, sachant que nous projetions l'excursion de Belle-Isle, nous avait donné un conseil qu’il nous tourna fort mal. « Au lieu de songer à contenter les désirs de vos estomacs, pensez aux plaisirs de vos yeux, nous avait-il dit. Pendant que tout le monde s'attablera à l'hôtel, courez chez un loueur, faites atteler et partez en toute hâte. En traversant la ville, achetez quelques bouteilles de vin, du pain, de la charcuterie et mangez pendant le trajet. Sinon vous ne pourrez rien voir."

En excursionnistes consciencieux, nous voulûmes suivre ce conseil à la lettre. Malheureusement, toutes les voitures avaient été retenues par l'hôtel et, lorsque nous voulûmes nous y rendre, il n'y avait plus de place. Nous dûmes chercher fortune ailleurs. Après avoir erré dans la ville du Palais, un voiturier nous promit un véhicule. Il nous introduisit dans un appartement vide où il nous dit de déjeuner en attendant que ses chevaux fussent prêts. Etant allé chercher ce qu'il nous fallait, nous nous serrâmes autour d'une assez jolie table en marqueterie.

Monsieur l'Abbé se réjouissait fort: « Quelle chance nous avons d'avoir pu trouver une voiture; il y a tant de pauvres gens qui ne pourront pas se rendre à la côte sauvage, seule curiosité de l'île! ». Henri gémissait. Condamné à ne manger qu'un peu de jambon et de fromage de porc, il protestait énergiquement : « Après une traversée comme celle-là, n'avoir rien à se mettre sous la dent », grognait-il, en se servant copieusement à boire, et Monsieur l'Abbé de lui répondre triomphalement: « Mais mon pauvre ami, il fallait faire cela pour avoir le temps d'aller aux rochers ».

Cependant, le voiturier ne venant pas nous prévenir comme cela avait été convenu, nous nous décidâmes à descendre dans la cour. Lorsque nous eûmes appelé un nombre respectable de fois, un homme de 35 ans environ nous ouvrit une porte et nous demanda ce que nous désirions. C'était le patron. Il ignorait complètement la promesse que son garçon d'écurie nous avait faite. Il ne restait que deux chevaux qui, ayant fait une longue course le matin, ne pouvaient se remettre en route sans avoir pris quelques repos. « D'ailleurs, ajouta-t-il, il nous serait impossible, en partant maintenant, d'être de retour avant le départ du bateau. Tout ce que nous pourrions faire ce serait de vous mener au phare mais cela n'a rien d'intéressant".

Nous dûmes quitter le loueur tête basse et coeur gros. Nous l'entendîmes gronder son garçon d'écurie qui, soit dit en passant, avait la plus belle tête d'idiot que je ne vis jamais de ma vie.

Maman se souvint alors de la table de marqueterie sur laquelle nous avions déjeuné et voulut en devenir propriétaire. La personne qui possédait ce meuble demeurait à quelques distances. Maman se rendit chez elle. Ne nous souciant pas de courir de marchand de bric à brac en marchand de bric à brac, il fut convenu que nous nous réunirions sur le pont du "Saint-Félix" à 4 heures moins quart.

Monsieur l'Abbé et Maman s'enfoncèrent dans la ville, tandis que Miss et les cinq enfants essayèrent d'en sortir pour aller goûter, sous un arbre, les délices d'un peu de repos. Pendant que Miss se procurait un timbre, nous regardâmes le débarquement de malheureux petits gorets. Ces pauvres mignons ne pouvaient se résoudre à sortir de la cale d'un navire et ils poussaient des cris plaintifs à fendre l'âme. C'était très drôle de voir tous ces petits groins en mouvement, toutes ces petites queues roulées   en tire-bouchon et toutes ces grandes oreilles roses. Plusieurs gardeuses attendaient les voyageurs sur le quai et ce ne fut que lorsque le dernier cochon eut disparu au tournant de la route que nous reprîmes notre chemin.

Nous passâmes sur un joli petit pont et, après avoir gravi une côte assez raide, nous nous trouvâmes dans une grande prairie délicieusement verte, au fond de laquelle se trouve l'arsenal. Pendant que Miss, assise sous un arbre, écrivait à sa sœur une lettre où elle parlait de mer démontée et de grands dangers courus, nous allions aux découvertes.

Henri s'était dirigé vers un endroit très couvert et il avait vu sous les arbres des machines en mouvement. Mon très cher frère, qui raffole de toutes les opérations industrielles, s'était arrêté longuement, les deux mains dans les poches. A son retour, il nous raconta victorieusement qu'il avait vu faire de la corde et que.......... c'était très facile.

Geneviève, Louis et moi, nous avons découvert un petit coin idéal comme paysage mais, pour jouir de la belle vue, il fallait enjamber un talus assez élevé; on se trouvait alors sur une route de plate-forme puis, tout d'un coup, le sol manquait sous les pieds et on apercevait, à une cinquantaine de mètres en dessous de soi, une mare ravissante, entourée de grands arbres et de haies fleuries.

Marguerite, étendue sur l'herbe, avait posé sa robe au soleil et attendait patiemment en jupon, blottie contre Miss que l'eau en soit un peu évaporée.

Nous passâmes ainsi près de deux heures. Pour moi, lasse de courir les aventures, je m'étais poétiquement jetée à plat ventre dans les hautes herbes et là, tout en mâchonnant les queues de quelques marguerites, je laissai ma pensée, vraie enfant de bohème, vagabonder à son gré. Qu'il faisait bon sous ces grands arbres! Une langueur délicieuse alourdissait mes paupières et je ne regrettais plus la promenade en voiture.

Vers 3 heures et quart, Miss se redressa sur ses pieds. Elle désirait redescendre en ville afin d'acheter quelques souvenirs pour ses parents.

Après avoir mis sens dessus dessous deux ou trois boutiques, Miss trouva à peu près ce qu'elle désirait. De mon côté, je me payai une photographie de la pointe des Poulains où il y a réellement des récifs de toute beauté. Mademoiselle prit aussi chez un épicier des pastilles de menthe, notre provision étant épuisée.

En passant sur le pont, un monsieur, qui, le matin, m'avait un peu salie dans une violente attaque de mal de mer, me reconnut et me fit des excuses extrêmement drôles. Je ne pus lui répondre. Nous partîmes d'un fou rire qui le gagna à son tour. Nous étions là à nous tordre tous les quatre en nous regardant lorsque Miss sortit d'une boutique. Son aspect sérieux fit l'impression d'une douche sur notre gaieté absurde. Je fis de la tête un petit salut au monsieur et, suivie de mes acolytes, je rejoignis notre aimable mentor qui aurait trouvé, non sans raison, que notre conduite manquait de dignité.

Nous étions déjà depuis cinq minutes sur le "Saint-Félix", lorsque nous vîmes Maman et Monsieur l'Abbé déboucher d'une rue, suivis par un bonhomme porteur d'une grande caisse. « Qu'est-ce que cela  peut bien être, nous demandâmes-nous entre nous ? » - « Dans tous les cas, ce n'est pas la table, répondit Louis, je viens de la voir dans la cabine ».

Je me précipitai au devant de Maman, assez mécontente de cet accroissement de bagage : « Qu'apportez-vous donc ? » demandai-je aux arrivants, tandis qu'un mousse introduisait la caisse à bord avec des précautions infinies. On se fit tirer l'oreille pour répondre ; enfin nous sûmes qu'il s'agissait d'une très belle pendule empire dont Monsieur Peuportier s'était rendu possesseur pour la somme de six francs.

Nous reconnûmes, sur le pont d'un bateau qui partait pour Quiberon une dizaine de nos passagers qui retournaient à Saint-Nazaire par la voie de terre. De ce côté, ils n'avaient qu'une heure de traversée au lieu de cinq. Il y eut même des personnes qui ne purent se résoudre à quitter l'île. « Je ne sais quand je reviendrai, disait l'une d'elles; c'est affreux mais j'ai été si malade que je ne puis me résoudre à remettre le pied sur un navire ». Peut-être y a-t-il encore à Belle-Isle, à l'heure qu'il est, des passagers du 3 septembre?

Au premier appel de la sirène, ceux qui attendaient sur le quai réintégrèrent le domicile mouvant et, vers 4 heures, le "Saint-Félix" relevait son ancre et se dirigeait vers la haute mer. Belle Isle se voila peu à peu dans les brumes de l'éloignement et, lorsqu'elle ne se montra plus que sous la forme d'une petite tache noire à l'horizon, je quittai l'arrière d'où j'avais suivi des yeux sa disparition et je me portai à l'avant.

Dieu, qu'elle était belle cette mer! Un peu plus calme qu'à l'aller mais encore bien forte. Qu'elle était sauvage! L'harmonie de tous ces flots qui s'entrechoquaient avec fureur ; quel vertige, quel délire de voir se former ces sillons profonds et de voir la proue du navire y tomber brusquement. Les cheveux au vent, je me laissais inonder avec bonheur des paquets de mer qui semblaient venir du ciel.

« Quel malheur que Jules ne soit pas là, il aurait été si heureux de voir la mer ainsi », s'écriait le frère du Téméraire en voyant de belles lames s'avancer vers nous.

Maman et Monsieur l'Abbé, tranquillement assis à l'abri du vent, étaient ravis de leurs achats. « Ma pendule est superbe, disait l'un » - « Et ma table, reprenait l'autre, ne la trouvez-vous pas jolie? ».

Monsieur Peuportier nous raconta que la marchande, une vieille dévote, lui avait recommandé de ne pas donner de pourboire à son employé. « Ce serait une mauvaise action, avait-elle dit, car ce garçon ne pense qu'à faire la noce! » Pauvre jeune homme! Il était juste aussi gras qu'un hareng saur et il était affreusement pâle. Je ne suis pas comme sa maîtresse et je pense, moi, au contraire, qu'il ne doit pas la faire assez souvent "la noce". Il est inutile de dire que Monsieur Peuportier, ne tenant aucun compte de la recommandation, mit quelque sous dans la main du pauvre diable.

J'étais bien occupée à regarder la pointe du "Saint-Félix" fendre les eaux, rapide comme une flèche, lorsqu'un jeune homme s'approcha de moi. Il hésita un peu puis, rassemblant tout son courage, il m'adressa la parole:

« Mademoiselle, voulez-vous avoir la bonté de me permettre une question? N'habitiez-vous pas, il y a trois ans, à Pornichet, un chalet nommé Ker Sablé? » - « Oui, Monsieur, nous y avons passé deux mois mais comment pouvez-vous savoir cela? » - « Ce matin, j'avais cru vous reconnaître pendant la traversée ». Je me mordis les lèvres car j'allais m'écrier: « C'est donc pour cela que vous me regardiez d'un si drôle d'air ». Heureusement que je me souvins à temps qu'une jeune fille bien élevée ne doit jamais s'apercevoir qu'un jeune homme la regarde (ou du moins ne jamais le lui avouer). En voyage, la glace est vite rompue.

Mon interlocuteur était un jeune homme de 27 ou 28 ans; il était grand et assez mince, avait des yeux bleus au regard étrange, des paupières fortes, un nez ordinaire et une belle barbe blonde. Il m'expliqua que ses parents et lui avaient habité "Ker René" et qu'ils avaient été nos voisins. Je m’en souvins alors parfaitement mais sa barbe le rendait méconnaissable. Nous causâmes pendant une heure. Je crois qu'il est officier de marine; dans tous les cas, il a fait de grands voyages sur mer et il a ri de l'étonnement que je laissai paraître lorsqu'il me raconta qu'il avait déjà mangé du marsouin et que cela n'était pas plus mauvais qu'autre chose.

« Vous souvenez-vous, me demanda-t-il, de la traversée de Noirmoutier, c'était un bien beau jour. La mer était plus calme qu'aujourd'hui, n'est-ce pas? » - « Ah! Oui, comment vous y étiez! » - « Certainement j'y étais et je puis même vous dire que vous étiez assise sur une planche de bois jetée en travers de "l'Abeille". » Peste comme il nous observait, pensai-je tout bas, en répondant tout haut: « Quelle mémoire, Monsieur! Comment pouvez-vous vous souvenir de tout cela? » La voix se fit grave pour répondre: « Il y a des choses que l'on n'oublie pas, Mademoiselle ».

Un léger silence régna entre nous. C'était gênant et je lançai la conversation sur le chien de ce monsieur que j'avais beaucoup plus remarqué que son maître il y a trois ans et pour cause.

A cette époque mademoiselle Popotte, toute jeune, était folle des chiens et son plus grand plaisir aurait été d'aller jouer avec eux. Cela me semblait tout naturel mais je ne sais pourquoi, Maman ne l'entendait pas de cette oreille-là. Lorsque l'on me mettait entre les mains la chaîne de Popotte, c'était une série de recommandations drôlastiques: « Si tu vois un chien s'approcher d'elle, écarte-le avec le fouet ; fais attention qu'elle ne dépasse pas la tête de son collier ; etc… etc… »

Le chien de Ker René avait probablement conçu une très vive affection pour sa charmante voisine. Toujours est-il que, dès que j'étais seule avec Popotte, me promenant de long en large avec un air peu encourageant et armée de mon fouet, je voyais infailliblement ce pauvre animal arriver de toute la vitesse de ses quatre pattes. Quelquefois, je me hasardais à lui donner quelques petits coups mais, quand son maître était là, je n'osais pas et j'étais bien malheureuse en voyant les deux toutous se flairer sous la queue. Souvent Monsieur X, voyant mon ennui, sifflait d'abord son chien qui se gardait bien d'obéir à son appel puis se décidait à venir le prendre par son collier pour l'emmener avec lui. Mais mon malaise et mes terreurs devaient l'amuser car je le vis, une ou deux fois, ouvrir la porte de son chalet et lancer son chien sur moi et sur ma bête puis venir ensuite le chercher d'un air soi-disant très contrarié. Mais j'étais furieuse de ce manège et je m'efforçais de prendre un air digne.

Maman me rappela auprès d'elle sur le "Saint-Félix". Le vent avait singulièrement fraîchi; il était 6 heures et un brouillard assez épais commençait à tomber sur la mer.

Vers 7 heures et demie, on jeta l'ancre. Nous étions arrivés dans la baie, en face du Pouliguen. La mer étant basse, il ne fallait pas songer à entrer dans le port qui devait être comme le matin complètement à sec. On fit des signaux et, peu d'instants après, nous entendîmes un bruit sourd de rames et nous vîmes les canots se détacher de l'ombre épaisse qui nous voilait la terre. Avec la table et la pendule, il nous était impossible d'embarquer mais Maman et Monsieur l'Abbé ne voulurent jamais avouer que leurs bagages étaient notre seul empêchement. « Regardez, disait Monsieur Peuportier, en étendant le doigt vers le premier canot qui, en quittant les flancs du "Saint-Félix", se mettait à sauter, regardez; n'est-ce pas imprudent de se confier dans la nuit à ces coquilles de noix que le vent pourrait bien pousser sur les récifs de la grande côte où elles seraient impitoyablement brisées ».

Le dernier canot nous quitta à son tour; la sirène jeta son cri strident dans le calme de cette belle soirée et nous remontâmes vers la haute mer. Le brouillard avait complètement disparu et, dans le ciel d'une pureté absolue, les astres avaient un éclat inaccoutumé. Les vagues, qui secouaient encore fortement les canots, n'imprimaient plus au "Saint-Félix" qu'un petit bercement monotone et délicieusement engourdissant. La lune d'un jaune orange se reflétait dans la mer à la surface de laquelle elle traçait une belle traînée lumineuse comme un sillon d'or liquide. Un silence profond régnait tout autour de nous ; il n'était troublé que par le clapotis d'une vague plus haute que les autres ou par le léger bruit des coups de piston qui se succédaient régulièrement. Tout le monde semblait ressentir le calme de cette navigation nocturne. Les conversations s'étaient arrêtées; toutes les voix s'étaient tues. Seule celle du commandant s'élevait de temps en temps pour donner un ordre.

Miss Jones, fatiguée et mourant de faim, releva sa jupe sur ses épaules, posa la tête sur un paquet de cordage et, ainsi étendue sur la cabine, essaya de s'endormir. Je crois qu'elle y parvint.

Nous passâmes loin derrière une masse de rochers que l'on nous dit être les "Evains". Tout à coup, le monsieur qui m'avait fait des excuses sur le petit pont à Belle-Isle tira sa montre et poussa un cri. Il était 9 heures et le dernier train pour Paris, où l'appelaient des affaires très urgentes, venait de partir. Son exclamation nous tira de notre nonchalance et Monsieur l'Abbé s'aperçut que, nous aussi, nous n'aurions plus aucun train avant 8 heures du matin. Une bonne dame de Saint-Nazaire eut pitié de notre détresse et proposa à Monsieur Peuportier de la mener, aussitôt après le débarquement, chez un loueur de voitures qu'elle connaissait et qui se chargerait probablement de nous conduire. Un peu tranquillisés par cette promesse, nous reprîmes nos pauses indifférentes. Il n'en fut pas de même du pauvre monsieur de Paris qui arpentait fiévreusement le pont, un peu à la manière d'une bête fauve encagée.

Ce n'était plus les eaux de l'océan que nous sillonnions mais celles de la Loire et les rochers de sa rive formaient un chaos noir où l’œil ne distinguait aucune forme. Enfin, les lumières de Saint-Nazaire apparurent comme des étoiles descendues sur terre. Miss s'étira gracieusement et nous descendîmes dans la cabine prendre nos chapeaux, nos ombrelles et le petit sac de Maman. Pauvre "Saint-Félix", adieu! Peut-être adieu pour toujours. On posa une planche entre le pont et un escalier de pierre et nous la franchîmes tour à tour. Le jeune homme de Ker René me fit un salut charmant mais empreint d'un peu de tristesse. Il pensa sans doute comme moi que nous ne devions jamais nous revoir.

Il était 10 heures moins 18 minutes à la montre d'Henri, lorsque nous mîmes le pied sur le quai. Les mousses montèrent nos bagages sous un grand hangar.

Nous attendîmes, en nous promenant de long en large, le retour de Monsieur l'Abbé. Enfin, comme le dernier coup de 10 heures venait de sonner à l'un des clochers de la ville, nous entendîmes un roulement de voiture qui se rapprocha de plus en plus et deux lanternes vacillantes sortirent de l'obscurité.

Notre véhicule était une grande calèche traînée par un cheval brun foncé. L'arrière de la voiture formait plate-forme ; on y attacha la caisse, le pied de la table et le globe de verre de la pendule. Malheureusement, en chargeant ce dernier, un coup maladroit fut donné et l'on entendit un craquement sinistre.

Nous nous entassâmes comme nous pûmes. Les trois grandes personnes se mirent à l'arrière avec Marguerite sur leurs genoux. Henri, Geneviève et moi, nous étions à l'avant. Quant à Louis, il n'était pas le plus mal logé, ayant grimpé auprès du cocher. Un coup de fouet et en route! Les vieilles roues grincèrent sur le pavé du quai et, après avoir traversé la ville de Saint-Nazaire endormie, nous atteignîmes la pleine campagne.

Je n'oublierai jamais l'impression de calme que je ressentis en parcourant la route adorablement silencieuse au trot paisible du descendant de la célèbre Rossinante. Entre 10 heures et demie et minuit, un paysage change complètement d'aspect. Le feuillage a une attitude plus affaissé, il semble participer au sommeil des hommes. La route, éclairée par la lune, avait une transparence livide; on la voyait serpentant entre les masses noires des buissons. De loin en loin, une chaumière, couverte de chaume, apparaissait à quelques mètres de la route. De grands arbres, dont les branches étaient agitées par une brise tiède, semblaient se dire des mots infiniment doux et mystérieux. Et la vieille guimbarde roulait, roulait toujours, sans aucun bruit que le petit grincement de ses essieux rouillés.

Nous rencontrâmes un grand phare dont la forme se détachait en blanc trop cru sur les demi-teintes aux reflets fantastiques dont nous étions entourés de toutes parts. Nous longeâmes la mer. Les flots montaient lentement avec leur chant monotone et berceur... Je fermai les yeux!... Heureux calme! Divin apaisement de la nature qui parait se recueillir et méditer sous le manteau de la nuit, que je voudrais vous ressentir en mon âme toujours inquiète! Comme c'est bon de s'anéantir quelques instants dans cette sérénité merveilleuse qui plane sur les champs endormis et d'oublier tout... tout...

Les vers luisants se glissaient dans les herbes et, de temps en temps, un battement d'ailes plus doux qu'un baiser se faisait entendre dans les haies. Au-dessus de tout ce paysage, flottaient une lueur indécise et des milliers d'étoiles et, dans le fond, on apercevait des formes grises ou bleuâtres qui semblaient courir les unes après les autres, en sens inverse de notre chemin, et auxquelles notre imagination pouvait donner tous les noms qui lui plaisaient. Le cocher dormait. Louis avait pris les rênes que le conducteur de Rossinante laissait galamment flotter sur le dos de sa jument qui, de son côté, semblait aussi plongée dans ses rêves.

Nous traversâmes le village de Saint-Sébastien où notre passage ne fut remarqué par personne et bientôt nous arrivâmes à Pornichet. Les avenues qui conduisent à la maison sont tellement ensablées que nous dûmes descendre de voiture à une centaine de mètres du domicile. On ne nous attendait plus. Après avoir frappé vigoureusement deux ou trois fois, nous entendîmes des pas descendre le petit escalier de bois et Grand'Mère, en camisole et en jupe noire, vint elle-même nous tirer les verrous. On déchargea la voiture et Lucie et Eugénie descendirent, les yeux gros de sommeil, pour nous servir quelques aliments.

Nous nous mîmes à table à minuit moins le quart. Monsieur l'Abbé se hâta de se réconforter car il ne devait plus rien prendre après le coup de minuit. Nous mangeâmes plus tranquillement, en racontant à Grand'Mère les émotions et les aventures de cette journée si bien remplie. Vers minuit et demie, nous montâmes dans nos chambres et ce fut avec sensualité que je m'enfonçai dans mes draps où je ne tardai pas à m'endormir profondément, bercée en rêve par des vagues d'azur.

……….

Il est tout naturel que, le lendemain d'une telle excursion, on ait un peu les membres brisés et que l'on reste au lit plus tard que de coutume. Pour cette fois, nos parents eurent le bon esprit de comprendre que le repos nous était nécessaire. On nous laissa donc dormir tant que nous voulûmes. Enfin, j'ouvris les yeux et la première chose que je vis, ce fut Bébé qui était debout au pied de mon lit et me regardait dormir. Les garçons lui avaient déjà raconté que nous avions vu des vagues très hautes, hautes comme des maisons et il avait grande envie de me voir éveillée pour savoir si c'était vrai.

Je rectifiai les paroles de mes frères: « Oui, Bébé, nous avons vu des vagues hautes comme des petites maisons », mais il hocha la tête et, après m'avoir embrassée, sortit de notre chambre avec un air assez incrédule. Il alla jouer sur la plage avec Marcel qui lui expliqua qu'il y avait des maisons plus ou moins grandes et que j'avais peut-être voulu parler de cabanes à lapins!

Geneviève et Marguerite ne tardèrent pas, elles aussi, à sortir du lit. Comme la matinée était déjà très avancée, on ne se mit pas au travail. Pendant que Miss et les jumelles cherchaient obstinément leurs petits coquillages, je regardais Marcel et Emmanuel lancer leur bateau. Ils étaient désolés en voyant leur pauvre navire rejeté brusquement sur le sable à chaque vague. J'avais beau leur dire qu'il en serait toujours ainsi, ils se montraient entêtés et, chaque fois, le bateau revenait en plus piteux état. Les voiles étaient mouillées et les cordages tout embrouillés.

« Dis donc Marcel, toi qui disais qu'il irait jusqu'en Amérique si on le laissait aller, il n'irait pas même jusqu'à Belle Isle », disait Emmanuel et le pauvre Marcel de répondre: « Une fois parti, il irait très bien mais il ne veut pas se mettre en route ».

Les petits ont beaucoup plus de persévérance qu'on ne le croit généralement; ils lançaient leur bateau peut-être pour la cinquantième fois, lorsque les jumelles vinrent me chercher pour le bain. Je pris mon petit frère par la main et nous revînmes en courant vers les cabines. Emmanuel se barricada dans l'une d'elles et, lorsque Irma vint pour le déshabiller, elle trouva la porte soigneusement close. Je riais tout bas en écoutant le dialogue qui se tenait entre les planches : Mon canard, laissez-moi entrer pour vous mettre votre costume de bain » - « Non, Irma, c'est pas convenable, je suis tout nu et je ne veux pas d'une jeune veuve dans ma cabine ».

Nous prenions nos ébats dans la plus vaste des baignoires lorsque nous vîmes Monsieur Peuportier et Monsieur Blois, campés devant nos vêtements de laine et peu disposer à s'en aller. Peu à peu, tout le monde était sorti de l'eau ; les jumelles et moi, nous restions les dernières. Déjà Grand'Mère avait agité par trois fois son mouchoir à la fenêtre du kiosque sans que nous puissions nous décider à sortir. Nous nous adressâmes, toutes en même temps, la même demande: « Pourquoi ne rentres-tu pas? » Nous étions retenues par le même motif et ce motif, le voici:

Lorsqu'on n'a sur soi qu'un costume de bain et qu'il est tout mouillé, les formes du corps sont admirablement dessinées. Or, ces messieurs étaient debout devant nos peignoirs. Pour aller les prendre, nous étions forcées de nous montrer à eux dans un costume plus qu'incomplet et voilà ce qui nous retenait. Marguerite dit cependant : « les prêtres ne sont pas comme les autres hommes, ils ne nous regarderaient peut-être pas... » - « TA, ta, ta, répondis-je, je n'en sais pas trop rien et comme ils n'ont pas besoin de faire des études d'histoire naturelle, le mieux est de ne pas passer auprès d'eux » - « Mais nos manteaux? » - « Nous les enverrons chercher après. Partons en courant. Une! Deux! Trois! » Et voilà nos six jambes qui se mettent à dévorer l'espace. Nos vêtements rendus très lourds par l'eau faisaient « flic, flac, floc » mais nous allions toujours, sautant les trous creusés par les enfants comme si nous avions le diable à nos trousses.

La sainte conversation ecclésiastique  s'était interrompue. Monsieur Peuportier brandissait le peignoir gris et rouge. « Arrêtez donc, vous allez avoir froid! ». Arrêter, je l'en souhaite!... Sa voix nous donnait des ailes!

Comme la mer était très basse, nous arrivâmes fort essoufflées dans nos cabines.

Le déjeuner fut très bon; pensez donc, deux prêtres d'un seul coup! c'était plus qu'il n'en fallait pour mettre les petits plats dans les grands. Mais on ne fait pas que manger, on cause et ces messieurs abordèrent un sujet dont je raffole : la diablerie. J'aime toutes les histoires terrifiantes que l'on écoute un sourire incrédule sur les lèvres et un bon petit frisson dans le dos. Malheureusement, Henri, peu intéressé par la conversation, la fit tomber sur les ânes. Mon frère aîné a toujours eu une prédilection pour ces charmants animaux. Il demanda à Monsieur Blois s'il ne connaissait pas, dans le pays, un joli petit âne, doux comme un agneau et point têtu; il y mettrait jusqu'à soixante francs plus quarante sous de pourboire pour l'Abbé s'il se chargeait de la négociation.

Après le déjeuner, nous allâmes nous asseoir dans le kiosque. Il y a, dans ce kiosque, un charmant mobilier en vannerie, pas trop solide. A notre entrée, nous avions trouvé un fauteuil ne possédant plus que trois pieds en bon état et un quatrième fort malade. La première chose à faire dans ces cas là, c'est de mettre le siège avarié dans un coin et de ne pas s'en servir. Monsieur Blois, qui n'était pas au courant de la situation, alla précisément chercher le malade sans songer à en vérifier les quatre pattes. Il se jeta dans le fauteuil comme un homme harassé et patatras, voilà le tout qui tombe à la renverse. Le pauvre abbé était si drôle, couché sur le dos, les jambes en l'air, la soutane un peu relevée, que nous ne pûmes de suite l'aider à se remettre sur ses jambes. Monsieur Peuportier, retrouvant le premier son sang-froid, tendit les deux mains à son confrère qui s'y cramponna avec énergie. Monsieur Blois se mit alors à rire de sa mésaventure mais ce n'était pas de bien bon coeur.

Vers 1 heure et demie, Miss conduisit mes pauvres sœurs dans sa chambre, Henri alla flirter avec Thérèse qui travaillait à un ouvrage d'agrément, assise sur le sable, dans l'ombre projetée par une cabine. Il faisait si chaud que l'ouvrage de Thérèse avançait fort lentement ; de plus, il lui arrivait souvent de faire des fautes et, comme elle se décourageait facilement, elle abandonnait son étamine. Alors, Henri ramassait le pauvre ouvrage dédaigné, cherchait patiemment l'erreur et, lorsqu'il l'avait trouvée, le rendait à Thérèse qui s'y remettait avec ardeur... pendant quelques minutes.

Louis s'était mis à l’œuvre. Il peignait un coucher de soleil. Tous les soirs, il allait sur la plage contempler la disparition de l'astre ; c'était une féerie, un luxe inconcevable de couleurs vives ou tendres, mais cette féerie ne se reproduisait pas et, le lendemain, tout était changé, encore plus beau que la veille. « Ah! Si je pouvais peindre pendant la nuit! » disait le malheureux Louis, en voyant sa peinture si différente du spectacle grandiose qu'il avait sous les yeux. Le lendemain, il reprenait ses pinceaux et, après avoir recouvert incomplètement sa toile, il attendait le soir. Toujours, tout était à recommencer. Thérèse et Louis demandaient tous les matins où en était le fameux coucher de soleil et Louis de répondre invariablement: « Mon tableau est presque fini; il n'y a rien à changer sinon le ciel et la mer, c'est à dire tout ».

Cet après-midi, il travaillait, me demandant des conseils de temps à autre, mais, lorsqu'il vit des visiteurs s'avancer vers nous, il empoigna brusquement tout son matériel et disparut je ne sais où.

Les personnes, qui venaient troubler notre intimité, étaient deux dames en deuil, véritable type de la race des dévotes. Madame de St M. est une petite personne assez mince, à figure anguleuse et sèche. Elle peut avoir 60 ans et passe l'hiver à Orléans, ville très religieuse, parait-il. Elle possède un chalet à Pornichet et gémit la moitié du temps sur l'absence de prêtre. Elle a fait des démarches insensées pour obtenir l'établissement d'une cure, s'adressant même à Monseigneur  à Nantes qui l'a envoyée promener très respectueusement et avec tous les égards dus à une femme.

La personne qui accompagnait Madame de St M. était une vieille fille. Jaune et déjà ridée, Mademoiselle X, qui avait une quarantaine d'années, parlait avec prétention. Sa bouche était armée d'une magnifique rangée de dents, dépassant un peu les lèvres, ce qui ne lui donnait pas une physionomie aimable. En un mot, c'était le type de la sœur ou de la cousine du curé de province.

On offrit des sièges à ces dames qui s'excusèrent de venir nous déranger ; elles se jetèrent presque dans les bras de Monsieur Blois, en l'accablant de protestations d'amitié. Nous sûmes bientôt que la quête était le but de leur visite; elles voulaient faire bâtir une tribune dans la chapelle.

Ma pauvre église des dunes; ces dévotes veulent donc abîmer ta simplicité naïve. J'aime tant tes murs de plâtre sans ornements, ton plafond sillonné de toiles d'araignées, tes fenêtres dans les coins desquelles nichent de nombreux oiseaux, ta cloche dont le son, grêle mais argentin, se fait entendre au loin dans les dunes solitaires. Et l'on veut transformer tout cela, embellir, faire "un temple digne du Dieu d'amour", disait avec emphase la vieille fille, en tournant ses gros yeux blancs vers le ciel.

Un temple digne de Dieu? Croyez-vous donc que ce Dieu attache tant d'importance aux splendeurs! Il me semble, pour moi, qu'il aimerait mieux quelques âmes de plus dans son église que du papier aux murailles et des dorures à son autel. Cette pauvre église des dunes n'est pas un de ces monuments en ruines dont les murs noircis par les siècles évoquent tout mon passé mais c'est quelque chose de simple et de doux. J'aimais m'y rendre à la tombée de la nuit, lorsqu'un crépuscule plein de mystère s'étendait sur la mer et sur la campagne; j'aimais m'y agenouiller sur les dalles, le front appuyé contre le dossier d'une chaise et rester là longtemps, bien longtemps. Quelquefois, je pleurais sans trop savoir pourquoi mais je me relevais toujours avec un peu plus de foi et d'amour.

Je me souviens qu'il y a trois ans j'avais déjà cette prédilection pour Notre Dame des Dunes ; cependant j'y venais moins souvent ; peut-être que, ne me sentant pas assez troublée, je n'éprouvais pas le même besoin d'épanchements silencieux.

Grand'Mère remit son offrande aux quêteuses et on aborda le sujet qui tenait au coeur de toutes les saintes personnes présentes: « Ce qui me fait hésiter à acheter un chalet à Pornichet, disait Grand'Mère qui pensait à "Aubépine", c'est l'absence de prêtre. On peut, pour une raison ou pour une autre, être obligé de passer un hiver au bord de la mer. Or, dans les conditions actuelles, il faudrait renoncer à la messe, le dimanche, ou faire une lieue et demi par n'importe quel temps pour se rendre à Escoublac".

Et j'entrevoyais notre caravane, chaussée de gros sabots et emmitouflée dans de grands manteaux, piétinant dans la neige sous les sapins couverts de givre ; un des garçons marche en avant, tenant, au bout d'un bâton, une lanterne dont la lumière, passant à travers un verre rouge, donne des reflets sanglants à la neige.

Pendant que je rêvassais de la sorte, la conversation avait continué un petit bonhomme de chemin et les dames quêteuses exprimaient à Monsieur Blois tous leurs regrets de n'avoir point vu leur demande accueillie favorablement. Il était si bien l'homme qu'il fallait : intelligent, dévoué, travailleur et si bon prêtre! L'Abbé Blois souriait modestement et les bonnes dames laissaient aller leurs lèvres mielleuses.

Elles nous quittèrent enfin et elles n'avaient pas encore refermé la porte sur elles que déjà Monsieur Blois nous disait: « Ah! Je les connais celles-là ! Vous croyez qu'elles m'aiment ? Eh bien! je sais qu'elles m'ont desservi tant qu'elles ont pu auprès de mon curé et de Monseigneur! »

Je trouve cette façon d'agir écœurante! Faire un tas de caresses aux gens et, derrière eux, chercher à leur faire du mal, cela dénote une grande bassesse d'âme.

Ces messieurs discutèrent longtemps sur la messe de 9 heures que personne ne voulait dire le dimanche suivant. Cela m'importait peu que ce soit Pierre ou Paul qui la célèbre puisque, Moi, je l'entendrai à la Madeleine. Monsieur Peuportier ne refusait pas  à cause de l'heure mais des roucoulements qu'une dame, à l'harmonieux gosier, fait entendre derrière le petit autel pendant cette messe élégante.

A 5 heures, Monsieur Blois nous quitta et, Miss Jones et moi, nous sortîmes pour aller porter des lettres à la gare. En passant devant Stern, le pâtissier, je sentis s'éveiller en moi un ancien goût pour les petits sablés. J'avais heureusement mon porte-monnaie ce qui me permit de contenter mon désir et d'en faire goûter un à Mademoiselle. Nous allâmes aussi chez mon ami, Accablant, pour acheter deux sous de vaseline boriquée que Lucie m'avait demandée de lui rapporter.

Nous prîmes aussi deux journaux "l'Autorité" et "le Phare de la Loire".

Ce dernier journal est impayable car on y met les plus petits incidents. Ce jour-là, il y avait particulièrement un drame émouvant : un pauvre petit chien avait passé sous une lourde voiture, ses cris plaintifs avaient déchiré bien des âmes sensibles et, finalement, le pauvre écrasé s'était relevé de lui-même et avait continué son chemin à cloche patte. On parlait aussi d'un jeune pêcheur que l'on avait retrouvé étouffé par une sole qui s'était introduite dans son gosier d'où elle ne pouvait pas démarrer. Puis il était question d'un cheval emballé, d'un brancard cassé et de bien d'autres choses tout aussi intéressantes dont je ne me souviens plus.

Comme une oasis dans le désert, il existe, au milieu de ces sables arides recouverts d'herbes maigres et d'arbres résineux, un petit coin charmant de fraîcheur. C'est une forêt vierge en miniature. De grands chênes, des sycomores séculaires et des bouleaux à l'écorce blanche entremêlent leurs feuillages. Des lianes flexibles vont d'un tronc à l'autre, les enlaçant dans leurs amoureux replis et formant un réseau inextricable. Des parfums troublants montent des herbes que l'on foule, on écrase des menthes et des thyms. La lumière doit percer un dôme épais de verdure pour venir baigner les fleurs du sol. Aussi, point de ces éblouissantes couleurs de la région mais des nuances douces, indécises, comme honteuses d'elles-mêmes.

Un calme rêveur s'étend sur toutes les choses de ce coin, depuis le vieux petit pont jeté sur un ruisseau tari depuis longtemps jusqu'à la barrière en bois vermoulu qui sépare en deux parties ce lieu mort. Tout semble figé, abandonné depuis de longues années, c'est à peine si les oiseaux y font entendre de temps en temps un petit appel timide. Mais il y a cependant des notes infinies dans ce silence, des sons idéals dans leur petitesse. Les clochettes des fleurs, agitées par un souffle presque insensible, entrechoquent leurs frêles pétales; une libellule effleure, de son aile de nacre moirée, les hautes herbes auxquelles elle imprime un long frémissement.

C'est dans cette forêt vierge, grande comme un jardin, que nous vînmes nous asseoir le jeudi vers 8 heures et demie du matin ; Louis, dans ses tournées à bicyclette, avait fait cette découverte et, séduit par l'air inculte et sauvage de cet endroit, il s'était promis d'y transporter sa palette.

Je nous vois encore d'ici ; Louis, assis sur le pont, essaie de fixer les teintes insaisissables de toute cette verdure; Miss festonne un jupon; les jumelles et moi, nous tenons des crochets mais nous ne travaillons guère. Cédant à ma vieille habitude de flâneuse, je resserre complètement mon ouvrage et je vais m'asseoir à côté de Louis. La planche crie sous mon poids ajouté au sien mais nous n'y prenons garde ni l'un ni l'autre. Je fais des observations, il rectifie patiemment ; d'abord c'est une feuille de couleurs puis tout s'arrange : les troncs se dessinent, les feuilles se détachent, cela me semble bien. Je quitte un instant des yeux la pochade de Louis et, lorsque, après avoir bien regardé le modèle, j'examine la copie, ce n'est plus cela. Le quelque chose de mystérieux qui flotte tout autour de nous n'est pas rendu sur la toile; c'est probablement parce qu'il résulte de l'harmonie merveilleuse des couleurs, des sons et des parfums.

Ah! Si j'étais peintre, que je me découragerais facilement! Je voudrais toujours atteindre l'exquise perfection de la nature et que de déceptions j'aurais. Louis, habitué déjà sans doute à ces déceptions, ferma sa boîte en souriant et en disant: « Eh bien! Ce n'est pas cela du tout! »

Il nous fallut quitter le Mas d'assez bonne heure car nous désirions prendre notre bain avant le déjeuner. Il y a encore à Pornichet un très joli endroit que l'on nomme le Paradis mais, si le véritable ciel n'était pas plus grand, on pourrait gémir encore plus sur le petit nombre des élus.

Dans l'après-midi, j'appris sérieusement quelques leçons puis je fis du crochet et je rangeai mes effets. Le triste moment du départ approchait. Vers 4 heures, nous partîmes à pied à la Baule pour montrer à Grand'Mère un chalet sur le modèle duquel on pourrait rebâtir Aubépine.

Lorsque nous revînmes, il faisait complètement nuit. Les parents marchaient en avant sans se soucier des jumelles et de moi qui nous étions attardées à ramasser des grains de café, apportés ce soir en grande quantité. La longue plage de sable, qui s'étend entre Pornichet et la Baule et qui a cinq ou six kilomètres d'étendue, présentait un aspect désolé. Les silhouettes de Maman, de Grand'Mère et de Monsieur l'Abbé se détachaient en noir sur la demi obscurité qui nous entourait. La mer baissait et, en se retirant, elle laissait quelques flaques d'eau dans lesquelles se reflétaient les dernières clartés d'un coucher de soleil féerique comme le sont généralement ceux de là-bas.

Après le dîner, il y eut une grande partie de colin-maillard sur la plage. Monsieur Georges Dalisson se mit du jeu, ce qui contribua beaucoup à son animation. Cependant, Miss Jones et moi, nous préférâmes nous promener bras dessus, bras dessous, en causant de choses et d'autres.

……….

Ce fut avec un véritable serrement de coeur que je vis poindre l'aube du vendredi. C'était bien le dernier jour qui se levait, le dernier jour de bonheur et de réunion dont les heures allaient si vite  s'écouler pour ne jamais revenir. Je voulus faire ma journée aussi longue que possible et, contrairement à mon habitude, je ne me fis pas prier pour sortir du lit.

De bonne heure, j'étais sur la plage, sans me soucier de la température toujours fraîche à cette heure matinale. Mes pauvres yeux s'enivraient d'espace et mes poumons se dilataient dans ma poitrine. J'avais le coeur gonflé de tristesse en voyant les petites barques s'éloigner pour la pêche. Elles ne rentreront qu'à la brume, pensai-je, et, demain, lorsqu'elles quitteront les côtes, je ne serai plus là pour voir leurs voiles blanches disparaître à l'horizon.

Il me semblait que la nature était ce matin-là plus souriante, plus joyeuse que de coutume. Jamais les vagues n'avaient apporté plus de jolies coquilles roses, jamais le ciel n'avait été aussi bleu ni la mer aussi transparente.

Je repoussai bien loin mon livre de résumé... Comment aurais-je eu le courage de m'abrutir sur l'histoire de France, devant cette étendue infinie d'azur qui allait bientôt disparaître.

J'écoutais d'une oreille distraite les projets que mes frères, mes sœurs et mes amies faisaient pour les jours suivants. Je faisais semblant d'être absorbée dans la recherche des grains de café et je baissais la tête bien basse afin que mes larmes ne puissent me trahir. Souvent un gros pleur tombait de mes yeux sur le beau sable d'or mais les autres, tout entier à leurs idées, n'y faisaient pas attention. Mon Dieu, je ne leur en veux pas de leur indifférence, je ne leur en veux certainement pas. Combien de fois ai-je passé, légère et joyeuse, à côté de douleurs bien autrement terribles que les enfantillages. La vie est faite ainsi, le rire côtoie les larmes, l'insouciance la plus folle marche à côté du découragement le plus amer... et cela est bien, cela est juste...

Que le nom du Seigneur soit béni et que sa Sainte Volonté soit faite! Mais nous avons beau faire, nous ne pouvons nous dépouiller complètement de l'égoïsme qui fait partie de la nature humaine comme sa chair et son sang. Ah! mes sœurs! Mes pauvres sœurs! Loin d'être heureuse, comme j'aurais dû l'être de votre gaieté, j'en étais mortellement triste,  vos éclats de rire résonnaient douloureusement dans mon cœur.

Généralement les pensées tristes qui viennent souvent assombrir mon âme sont de courte durée. Elles s'envolent comme une troupe de noirs et lourds corbeaux que le moindre bruit vient effaroucher et chasser de leur solitude mais, ce jour là, ma tristesse avait un fond véritable et j'errai, comme une âme en peine, une partie de la matinée. Enfin, je me décidai à entrer dans le kiosque et à occuper un peu mes mains. Dire que je travaillai avec ardeur, ce serait mentir assurément mais je fis quelque chose et cela était beaucoup dans mon état d'esprit nerveux et chagrin.

Je montai ensuite laver mes coquillages et en faire des petits paquets par espèce puis je redescendis me préparer pour le bain, mon dernier. Nous barbotâmes longtemps avant de nous mettre à l'eau car la mer montante apportait d'innombrables crevettes. Il y en avait tellement que nous nous mîmes à genoux dans l'eau et que nous nous amusâmes, grands et petits, à en pêcher avec nos mains. La sensation que l'on ressent, lorsque ces petits crustacés s'agitent sous la paume de la main et filent entre les doigts, est assez originale... C'est un chatouillement qui me plaisait mais que beaucoup de personnes auraient trouvé fort désagréable. Nous amassâmes ainsi une cinquantaine de crevettes et, si nous avions eu des filets et des traînes, quelle belle pêche nous aurions faite; avec les mains, on ne pouvait pas attraper plus de deux crevettes par vague et par personne. Maman était la plus acharnée et nous fûmes obligés de la presser pour prendre le bain. Elle ne voyait pas les signes désespérés que nous faisait Grand'Mère qui redoutait d'être obligée de servir un déjeuner trop cuit à l'honorable Jean Eugène Peuportier, chanoine et secrétaire de Monseigneur Richard, archevêque de Paris.

Je m'amusai  follement pour mon dernier bain. La mer était d'un calme extraordinaire; de plus j'avais pris un peu d'assurance et je me lançai complètement seule à la nage. Par exemple, je n'allais jamais bien loin car la plage de Pornichet, quoique très bonne, est presque, comme toutes les plages de l'Océan, bordée par des courants assez forts.

Ce que j'aimais par-dessus tout, c'était faire la planche. Je ne connais rien de plus délicieux que de flotter comme un morceau de bois, en laissant son corps suivre toutes les ondulations des flots. Comme je suis paresseuse, se soutenir au-dessus de l'eau sans le plus léger effort, cela était pour moi le comble du bien être. Je fermais les yeux car le bleu du ciel était éblouissant et, de temps en temps, Emmanuel, pour me faire une farce, se glissait sans bruit auprès de moi et me chatouillait sous la plante des pieds. Je me mettais alors à crier et, en voulant reprendre pied, je buvais un bon coup, ce qui avait le privilège de faire rire jusqu'aux larmes mon affreux monstre de frère. L'émotion passée, je reprenais ma pause horizontale en surveillant du coin de l'oeil le petit farceur qui prenait l'air le plus innocent du monde et retournait auprès de Maman. Lorsque je commençais à ne plus exercer une bien grande surveillance, crac! nouveau chatouillement et nouveau plongeon!

Malgré la douceur du bain, il faut en sortir. Les autres le firent gaiement mais, moi, je ne pouvais m'y résoudre et je me décidai à regagner la terre que la dernière de tous.

Pendant le déjeuner, des discussions religieuses s'élevèrent autour de la table. Monsieur Peuportier nous fit observer que ce n'était pas un lieu convenable pour débattre de questions aussi graves. Il déclara qu'après le repas il nous retiendrait une heure dans sa chambre pour nous prouver clairement, en cinq ou six points, que nous étions des imbéciles. Je m'attirai une semonce, bien méritée il est vrai, de Miss Jones car j'avais formulé, devant tout le monde, un doute absurde sur une vérité religieuse.

Quoiqu'il en soit il fallut, après le déjeuner, s'asseoir devant Monsieur l'Abbé. Encore s'il n'y avait eu que lui mais Grand'Mère s'était installée, avec son ouvrage, dans un coin de la pièce et elle nous regardait avec des yeux furibonds lorsque l'un de nous, ressentant des impatiences dans les jambes, faisait mine de se lever pour aller les calmer sur la plage.

J'avouerai, à ma honte, que je suis d'une grande ignorance dans tout ce qui concerne la religion mais, habituée dès mon enfance à faire suivre d'un acte de foi les trois mystères fondamentaux, j'y crois fermement, à une condition cependant : c'est de ne jamais permettre à mon imagination d'effleurer ce sujet. Etant plus jeune, j'étais moins sage et j'essayais de comprendre le grand problème qu'un Saint Augustin n'avait pu résoudre, malgré toute sa science.

Toutefois le doute, cet affreux mal du siècle présent, n'a pas été sans peser lourdement sur mon esprit. A l'exaltation religieuse des trois ou quatre années qui suivirent ma première communion, succéda une période de troubles. A l'âge où l'enfant se transforme et devient femme, une foule d'interrogations surgit dans mon âme. Au lieu de les repousser, comme je l'aurais du, et de chercher à rester jeune le plus longtemps possible, j'essayai de tout comprendre. Cette grande curiosité m'a fait beaucoup de mal car, de choses de peu d'importance, elle s'est portée sur celles devant lesquelles la raison vient échouer.

L'âme qui s'éveille devrait trouver dans la vie une sœur aînée qui, ayant acquis de l'expérience, lui signalerait les écueils à éviter mais, moi, j'ai bien souffert, sans jamais oser ouvrir mon âme à personne.

Mes plus gros doutes ont reposé sur les sacrements et, parmi eux, sur ceux qui sont la plus belle et la plus touchante preuve de l'amour et de la miséricorde de Dieu: l'Eucharistie et la Confession. D'où vient-il, me demandai-je, que, devant son créateur, mon âme reste aussi froide lorsqu'elle devrait se fondre en tendresse. Dieu n'est pas là car, s'il y était, ne saurait-il pas trouver les mots qui parlent à mon coeur. Et cependant, si Dieu ne réside pas dans l'hostie devant laquelle je ne me sens point troublée, quelle raison pour que mon Jésus y ait été un jour, celui de ma première communion...............

Ah! Ne me dites pas que je me suis trompée, que Jésus n'était pas en moi ; ne m'enlevez pas le plus délicieux souvenir de ma  vie ; ce serait cruel, ce serait m'appauvrir à jamais!... Et, lorsque je me souviens des quelques minutes d'extase enivrante, des larmes de bonheur que je répandis, à genoux pour ainsi dire, sur le seuil du Paradis, je sens que tout est vide, triste et sombre sur la terre, excepté cette union intime avec le Sauveur.

Si je ne comprends point le langage mystérieux et divin dont Jésus réjouit le coeur de ses amis, c'est que je ne suis point digne de l'entendre. Je dois m'incliner et, remplaçant la ferveur par une ferme volonté de bien faire, forcer mes lèvres à prononcer les paroles d'une prière qui n'est pas un jet spontané du coeur. Je le sens bien, je ne suis pas vraiment religieuse, c'est une religiosité vague qui remplit mon âme avide d'idéal. J'ai des attirances vers le ciel mais au lieu de suivre docilement le chemin tracé par l'église, je veux me faire une route à moi alors que les nuages m'entourent de toutes parts et me voilent la face de mon Dieu!

Qu'importe! Je veux arriver. Il n'est pas trop tard pour reconnaître mes erreurs et pour retourner sur mes pas. Je veux m'instruire des choses que, jusqu'ici, j'ai jugées sans les connaître et, peut-être alors, serai-je heureuse? Jésus n'a-t-il pas dit, par la bouche de ses amis: « Paix aux hommes de bonne volonté! »

Monsieur l'Abbé avait choisi comme texte cette parole: "Hors de l'Eglise, point de salut". Il est inutile de rapporter ici toutes les observations faites par les garçons et particulièrement par Louis qui est fanatique de Mahomet. Monsieur Peuportier n'aimait pas beaucoup, il faut le dire, nous parler de la religion musulmane. Je ne demandais pas grand chose, attendu que mon catéchisme est oublié de longue date, et les jumelles interrogeaient encore moins que moi. Seuls, Henri et Louis posaient question sur question, espérant embarrasser leur interlocuteur, le coller, comme ils disaient.

Enfin, on nous rendit notre liberté et je montai dans ma chambre. Je trouvai Maman, occupée à emballer avec Irma le globe de la fameuse  pendule de Belle-Isle. A la vue d'un premier paquet préparé, je sentis mon coeur se serrer et un flot de larmes se presser sous mes paupières. Néanmoins, je ne voulus point que l'on devinât mon chagrin et je pris le parti que beaucoup de gens prennent dans ces conditions-là : je me mis en colère. Je criai très haut que jamais je n'emporterai cet affreux globe, que j'achèverai de le briser et que je le jetterai par la fenêtre du wagon. Je reprochai à Maman de ne pas m'aimer et de vouloir me faire mourir en me chargeant comme un baudet.

Maman me rappela à l'ordre ; je quittai la pièce où elle était, en frappant la porte de toutes mes forces et j'allai m'enfermer à double tour dans ma chambre.

Sans me soucier de Monsieur l'Abbé qui était au-dessous de moi, pieusement plongé dans la lecture de son bréviaire, je me laissai aller jusqu'à frapper du pied. Enfin, je ne pus retenir mes larmes. Je me jetai à genoux, aux pieds de mon lit, et sanglotai longuement. Ces pleurs me soulagèrent et je me relevai plus calme. Je plongeai ma tête dans de l'eau fraîche, je peignis mes cheveux ébouriffés qui me donnaient une certaine ressemblance avec les Furies de la Mythologie puis je me mis à entasser stoïquement mes effets et mes bibelots dans ma valise.

Henri vint gratter à ma porte mais, avant de lui ouvrir, je me précipitai vers la glace pour voir si mon visage avait encore des traces de larmes. J'étais dans un état présentable et je tirai mon verrou. Henri venait m'apporter tous ses grains de café au nombre de cent trente trois, disant qu'il aurait bien le temps d'en chercher d'autres. Sachant combien cette recherche est fatigante et ennuyeuse, je fis quelques façons avant d'accepter mais, comme il insistait, je finis par joindre ses coquillages aux miens.

Ma valise étant faite tant bien que mal, je descendis dans le kiosque où Grand'Mère travaillait toute seule. Je pris un crochet et je m'installai auprès de son fauteuil. Nous causâmes pendant une heure à peu près; Grand'Mère était très attendrie à cause de mon départ; elle me plaignait fort de passer mon examen et je pensais, comme elle, que cela n'était pas bien utile. Monsieur Peuportier vint rompre notre grave tête-à-tête. Comme le soir était déjà proche, j'eus envie de faire une dernière promenade dans les dunes. Je jetai mon chapeau sur ma tête et me voila partie sur la plage que je longeai presque jusqu'au village.

Je montai sur une dune, la plus haute, je m'étendis sur l'herbe ; un buisson d'orangine se trouvait là par hasard, j'y enfouis ma tête et, tout en regardant entre ses branches le soleil mourir derrière les rochers de Pinchâteau, je fis... quoi?... des vers, oui des vers de douze syllabes encore qui prirent leur vol dans mon esprit et que j'écrivis tant bien que mal sur un vieux petit bout de papier trouvé dans mon porte-cartes. Oui, des vers mais insensés, boiteux à faire frémir et cependant pensés et vécus. Je les écris ici, sans chercher à en diminuer les fautes, tels qu'ils sont nés sur la dune solitaire en présence de l'immense océan.

ADIEU

Puisque tout est fini, recevez mes adieux,

Flots berceurs, dont le chant monotone et sauvage,        

Plainte douce ou blasphème, s'élève vers les cieux         

Comme des mots d'amour ou bien des cris de rage.       

Recevez mes adieux, ô mes rochers pleins d'ombres

Où la vague affolée pénètre en gémissant,

Toute blanche d'écume, dans les cavernes sombres

Aux reflets mystérieux et doux que j'aimais tant.

Pour un dernier salut à la nature entière,

Je suis venue ce soir, les yeux mouillés de pleurs

Sur le plus haut sommet, dans la douce lumière

Des rayons du soleil se mourant sur les fleurs.

Car j'ai voulu revoir les dunes silencieuses

Que si souvent hélas! je gravis en rêvant

Et qui, pendant les heures des nuits mystérieuses,

S'éparpillent sans bruit, sous les baisers du vent.

Je pars! L'herbe brûlée et les beaux sables roux

Ne pourront pas longtemps conserver mon empreinte.

Les bleuets, les fleurs d'or, les oeillets et les houx

A l'aurore, pour moi, n'auront pas une plainte.

Oh, Nature. Oh! Nature, pourquoi es-tu si calme

Devant notre douleur. Nous ne sommes donc rien

Et nous ne valons pas la plus petite larme

Qui tomberait de tes yeux sur tout le genre humain.

Voilà qu'il se fait tard et déjà les étoiles

Montent dans ce beau ciel, insensible à mon sort.

On voit, à l'horizon, glisser de blanches voiles

Et, plus près, scintiller tous les phares du port.

Laissez moi vous bénir profondeurs lumineuses

Qui, pour trop peu d'instants, brillent devant mes yeux

Car, qui sait si je dois, solitudes heureuses

Vous fouler de nouveau après tous ces adieux.

Je rentrai pour le dîner et l'on me proposa encore une fois de partir le soir même pour éviter la chaleur excessive d'un voyage de jour. Je déclarai résolument que, Papa me laissant libre de ne partir que le lendemain matin, je profitai de ma permission jusqu'à la dernière minute.

Après le repas, au lieu d'aller me coucher de bonne heure comme Grand'Mère me le conseillait, je passai une longue soirée entre mes parents et mes amis. Il fallut enfin dire adieux aux Bitschinie, un adieu avec un revoir lointain, peut-être encore plus lointain que je ne le pense... La dernière fois que je vis les chers visages de Louise et de Thérèse, c'est lorsqu'elles se retournèrent avant de franchir le seuil du Korrigan pour m'envoyer un dernier adieu. La lune les éclairait et mettait de poétiques rayons dans leurs cheveux flottants. Et je les revois encore, dans cette douce lumière bleuâtre qui les faisaient ressembler à des apparitions ; j'entendis cet « Au revoir », échappé de leurs lèvres et je ne puis m'empêcher de me demander s'il existera un jour de réunion pour nous et si elles sauront garder notre souvenir pendant longtemps

……….

Mes vacances sont finies... Pourquoi même écrire ce qui suit?...

C'est l'histoire affreusement triste dans sa banalité de tous les départs : le réveil à 4 heures, le demi-sommeil dans lequel on poursuit encore l'heureux songe, le premier sentiment de la réalité qui se dresse inflexible devant vous, la toilette faite à la hâte, le dernier repas dans lequel on se force à avaler quelques aliments puis les recommandations de toutes sortes auxquelles on ne répond que par un petit signe de tête car la voix est brisée par les sanglots, le chemin de la gare fait entre ceux qu'on aime et qui doivent rester, le train qui s'avance avec un roulement sourd, les derniers baisers, le mouchoir que l'on agite longtemps à la portière puis le tournant brusque qui nous dérobe la partie de votre âme, restée là-bas....

Voilà mon histoire, histoire banale, n'est-ce pas? Mais déchirante tout de même !

Lorsque je ne vis plus rien, je me jetai à l'intérieur du compartiment et, sans me soucier d'Irma ni du vieux monsieur, notre seul compagnon de voyage, je fermai les yeux et mes lèvres laissèrent passer malgré moi ces mots: « Maman! Oh, Maman! »

Ce fut un des jours les plus chauds de l'année et j'arrivai à Paris, où Papa m'attendait à la gare, absolument fatiguée.

Ici s'arrête mon journal. J'ai été sincère, trop sincère même car, en y écrivant mes pensées journalières, j'en ai rendu la lecture impossible. Si ces pages venaient à tomber entre les mains de quelqu'un, on ne pourrait, à certains passages, s'empêcher de croire que je suis folle... Après tout, on aurait peut-être raison...

Cependant, je ne veux pas dire que jamais d'autres yeux que les miens ne parcourent ces lignes. Diogène cherchait un homme, Moi je cherche un ami et, lorsque j'aurai trouvé cette âme que je rêve et espère, je m'empresserai de lui ouvrir mon coeur. Je n'aurai rien de caché pour elle mais il est probable que le pauvre cahier que je termine aura été dévoré par les flammes avant ce jour.