1ère partie


Jeudi 17 Août 1893
Grand’mère vient de recevoir une dépêche de Mr Vincent lui disant qu’il lui était impossible de venir dîner ce soir. Cela nous fera peut-être un jour sans personne ; en ce moment c’est assez rare, pourtant papa y sera. Samedi tante Boisseau, Dimanche Papa, Lundi Papa – Bernard – Alexis – Mr Fromental, Mardi Papa – Melle Richer, Mercredi matin Papa, soir Mr Dumont, voilà comment se passent les jours de la semaine.
Mon examen avance commencement d’Octobre. Pourvu que je sois reçue, cela m’est égal de travailler. Grand’mère parle du bord de la mer pour elle et les jumelles, mais je ne crois pas que cela se réalise.

Vendredi 18 Août
Papa est venu dîner hier et il nous a dit que Mrs les Docteurs Charcot et Blanche étaient morts. Tante Maillot a envoyé 3 lettres dans l’espace d’un quart d’heure, la 1ère disant qu’elle arrivait demain, la 2ème annonçant que c’était bien difficile et la 3ème une dépêche annonçant l’arrivée pour Lundi.
Il fait une chaleur étouffante de 40 degrés, voilà trois jours que cela dure mais depuis hier surtout nous mourrons tous et pourtant nous ne bougeons pas de la maison où il fait un petit peu plus frais que dans le jardin.
Bernard va partir à Falaise au mois de Septembre pour y faire ses vingt huit jours ; il faut espérer qu’il n’aura pas ce temps-là car pour les marches, et pour les exercices des soldats ce n’est pas ce qu’il faut souhaiter.
Mon examen me trotte en tête. Si j’étais reçue Papa me laisserait peut-être me reposer mon mois d’Octobre à Boulogne. Je serais bien heureuse alors d’employer mon temps à ma guise. Je ferais du piano, de l’anglais et des petits ouvrages à l’aiguille.
J’ai fait du dessin aujourd’hui, un broc à eau et un vase de fleurs.

Samedi 19 Août
Triste anniversaire de la mort de tante. Voici déjà quatre ans qu’elle nous a quittés, comme le temps passe vite ! Nous sommes allés à la messe de 9 h à son intention. Vers 10 heures et demie, Grand’mère a reçu une lettre des Peuportier lui disant qu’ils viennent tous les trois déjeuner. Mr L’abbé n’est revenu de ses vacances que depuis huit jours, il a suivi les côtes de Bretagne et de toutes les plages qu’il a vues rien n’est comparable pour lui à Pornichet. En effet c’est bien beau toute cette étendue bleu ; il me semble, quand j’en parle, y être encore ; je me vois à la fenêtre de notre gentille petite chambre, en face de moi les évams, à droite les rochers de Ponchâteau, un peu sur la gauche la roche percée et le phare qui se trouve à l’entrée de la Loire. Comme tout cela était grand et beau. Voilà ce qui s’appelle aller à la mer : et nos amies Louise et Thérèse, si gentilles pour nous ; tout cela est bien loin et j’ai tort d’y penser.
Marguerite est l’énergie même, dit grand’mère. Une grosse araignée se trouvait dans sa chambre, aussitôt on lui a fait la chasse, chacun muni de quelque chose pour l’écraser ; grand’mère était armée de sa pantoufle, Marguerite n’avait rien, elle appliqua sa main sur l’araignée qui rendit le dernier soupir. Il faut avouer qu’elle n’est pas trop dégoûtée.

Dimanche 20 Août - Jour des élections
Ils se disputent tous à Boulogne ; ils sont 6 : Barrès, Houdard, Aldabe, Pressensé, Lefoulon. Ils ne valent pas grand-chose tous. Barrès serait le meilleur, dit-on. De Pressensé est un ministre protestant, Lefoulon un athée et les autres légèrement Francs maçons.
Papa est arrivé ce matin pour déjeuner et le R.P. Vincent va venir dîner avec lui.

Mardi 22 Août
Il est cinq heures, nous sommes dans l’attente car tante maillot doit arriver aujourd’hui avant le dîner. Je profite de quelques moments de libres pour écrire mon journal…………………… ……...……………………………………………………………………………………………

Mercredi 23 Août
J’ai été interrompu hier par l’arrivée de la bonne tante Maillot et de son ange ; je serais restée volontiers à écrire, mais il a fallu lui dire bonjour et conduire Eugénie et ses paquets dans son appartement ; une fois dérangée on se remet difficilement à écrire ; de plus on a dîné de fort bonne heure pour son estomac délicat, on n’a même pas attendu les deux garçons qui étaient à Paris. Henri nous a dit que Monsieur Edouard Muller allait peut-être se battre en duel avec Mr Wilson, son adversaire dans l’Indre et Loire.

Jeudi 24 Août
J’ai été malade toute la nuit. Tante Maillot est là.

Samedi 26
Bernard est arrivé ce soir.

Dimanche 27
Nous sommes allés à la messe de 8 h et nous en sommes revenus avec * dessus de lit au crochet. J’ai 7 ronds de fait. Mardi je n’ai pas écris mon journal et par conséquent je n’ai pas dit que Mes Boisseau et Bardinet étaient venues déjeuner et faire le déménagement d’Amélie.

*Ici j’ai un mystère car les pages sont numérotées et au niveau de cet * on passe bien sur le cahier de la page 6 à la page 7 alors que le texte ne se suit pas et n’a plus de compréhension Il semble donc que, malgré la numérotation des pages, il manque une page complète en cet endroit… ce qui se confirme dans le paragraphe suivant daté du 2 Septembre.

MYSTERE et BOULE DE GOMME !


Lundi 2 Septembre
Monsieur l’abbé Runner est venu nous faire ses adieux ; il part demain soir pour St Gildas. On devait venir vider la fosse mais cela a été remis à demain 5 h du matin.

Dimanche 3 Septembre
Nous nous sommes levés de très bonne heure, vers cinq heures et quart pour voir opérer les vidangeurs. Tante Maillot est allée faire sa sieste, il est deux heures et demie, je suis seule, bien tranquille dans ma chambre. J’ai relu ce que j’ai écris le 28. Je n’aurais pas dû mettre toutes ces bêtises là sur mon journal ; il est probable qu’elles ne sont pas vraies, je les aurai rêvées.
Mercredi dernier, Monsieur Lecomte est venu dîner. Jeudi, l’enterrement de Me Malleval, 1ère classe et catafalque splendide. Vendredi, Melle Richer est venue me donner ma leçon à 3 heures. Elle partirait à St Aubin Dimanche matin.
*Le mystère est ici percé… la page manquante dont je me souciais ci-dessus a sûrement été volontairement enlevée par Madeleine Prat en ce jour du dimanche 3 Septembre et bien enlevée par elle-même qui a numéroté toutes les pages de ce cahier. Reste le mystère de ce qu’elle y avait écrit ou « rêvé » ! Elle ne fait que reprendre brièvement les points essentiels de ces dernières journées.

Lundi 4 Septembre
Vers 4 heures nous avons été chercher les Marin et Adrienne Hainque et nous sommes tous partis avec Melle au parc de Saint-Cloud ; nous n’avons pas été bien loin mais nous nous sommes bien amusés. Quand nous sommes rentrés, Bernard était là à la maison, il a dîné avec nous et nous avons été nous promener dans le jardin. Et faire notre prière du soir dans l’allée des tilleuls ; la nuit était étoilée et splendide.

Mardi 5 Septembre
Bernard est parti à 11 h moins ¼ pour Falaise. Il s’ennuyait bien à la pensée de passer 28 jours là-bas.

Mercredi 6 Septembre
Nous sommes allés au parc de St Cloud où nous avions rendez-vous avec Louis et Mr Vincent. Nous y avons bu 3 bouteilles de limonade et mangé des madeleines puis Mr Vincent a loué un ballon et nous nous sommes amusés des fous. Mr l’abbé et Melle Jones étaient les boute-en-train. Marguerite Marin aussi courait volontiers. Monsieur Vincent a perché le ballon dans un arbre et impossible de le reprendre. Heureusement deux bonshommes qui passaient par là ont lancé des pierres dans l’arbre et l’ont déniché. Mr l’abbé leur a payé deux bocks de bière.
Papa et Henri sont venus dîner et sont partis aussitôt après avec Melle Jones qui nous avait fait le plaisir de rester. Tante Maillot est toujours à la maison ; elle y a transporté ses pénates (c'est-à-dire toutes ses fioles et clystères.) Elle s’y est installée aussi confortablement que possible et ne paraît pas disposer à vider les lieux.

Jeudi 7 Septembre
Nous ne sommes pas sortis.

Vendredi 8 Septembre
Adrienne Hainque est arrivée vers 4 h ½ jouer avec nous. Mr Dumont est venue en visite mais il n’a pas dîné. Mo couvre-pied au crochet avance, il y a maintenant 17 ronds mais comme il en faut 575 grands et autant de petits j’ai de l’ouvrage sur la planche.

Samedi 9 Septembre
Mon examen avance joliment vite, jamais je ne pourrai le passer car je ne serai pas prête. Mon extrait de naissance m’a été donné il y a déjà près de 8 jours et il faudra me faire inscrire avant le 23. J’essayerai quand même et si Dieu le veut, je réussirai.
Nous ne sommes pas sortis parce que Mademoiselle Jones avait à aller chez Monsieur Legret pour ses dents ; de plus Louis était parti à Versailles avec Mr Jean-Baptiste (je ne sais pas son grand nom). C’est un neveu du Père Lefèvre qui est venu à Paris passer quelques temps et qui ne connaissait ni Boulogne, ni Versailles, ni Saint Cloud ; il est 6 h, ils doivent rentrer à 7 pour le dîner ; nous attendons aussi Henri, il ne tardera probablement à arriver.
Geneviève a fait du piano très longtemps aujourd’hui, elle m’en a fait faire aussi un peu. J’ai recopié des théories d’arithmétique et j’en ai mal à la tête, c’est une chose si aride que je n’y comprends rien du tout.
Tante Maillot n’est pas revenue de Paris, elle a seulement envoyé Eugénie chercher quelques petites choses et dire à grand’mère qu’elle était souffrante. Elle reviendra néanmoins soit demain, soit Lundi passer quelques jours auprès de nous. Tante Maillot m’a donné son joli petit verre de vin de Bravais, il est charmant et je le désirais depuis longtemps déjà.

Dimanche 16 Septembre
C’est probablement la dernière fois que j’écris mon journal avant mon examen mais après je me dédommagerai de ces 19 jours passés sans écrire. Je ne demande plus qu’une chose : être reçue mais j’ai une peur épouvantable du contraire. Je ne peux plus dormir tranquillement maintenant.

Dimanche 23
Maman a été à l’hôtel de ville hier pour me faire inscrire. J’ai le numéro 960 et je passe le 19 Octobre. C’est l’anniversaire de la mort de tante Amélie, un 19, et j’espère qu’elle ne m’oubliera pas là-haut. Papa nous a dit Mercredi qu’Henri Morize était refusé à la Marine, c’est bien triste pour lui qui avait choisi cette carrière entre toutes mais sa pauvre mère doit être heureuse, elle qui redoutait tant cet examen. Il se dirigera peut-être du côté de St Cyr étant dans les 150 premiers et par conséquent ayant un petit avantage ; mais il ne sera jamais marin.
Mon examen me tourmente beaucoup ; cette nuit je n’ai fait qu’y penser ; je voyais mes examinateurs, ils m’interrogeaient et je leur répondais. Ma dictée avait 1 faute, mon problème était bon mais ma théorie n’avait que 5, l’écriture 12 ; je ne me souviens plus de la jote de la composition française mais elle n’était pas en dessous de 10.

Vendredi 29 Septembre
Que j’ai de choses à écrire. Samedi dernier 23, Grand’mère était toute prête pour partir à Saint Gildas, elle est même allée jusqu’au tramway mais elle n’est pas partie. Elle a peut-être bien fait car le Dimanche et surtout le Lundi elle ne pouvait pas marcher ayant des douleurs dans les jambes.
Monsieur Fromental est venu hier déjeuner avec sa mère. Après le déjeuner, j’ai un peu posé car il voulait faire un petit buste fantaisie avec moi mais l’ouvrage n’a pas beaucoup marché car la terre de Louis était toute sèche et Monsieur Milien pas très en veine ; il me regardait tout le temps et lorsque je me mettais à rire il me disait : « Surtout, ne riez pas » mais je ne pouvais m’en empêcher car il a une manière de vous regarder à part.
Nous sommes ensuite allés à Saint Cloud, à la fête et dans les bois. Il faisait déjà un peu sombre et dans le parc c’était bien beau, nous avons traversé l’avenue rocheuse ; Monsieur Fromental avait l’air de me trouver insensible devant la beauté de la nature ; au contraire je suis très enthousiaste mais je sais me taire et n’en laisser rien paraître. J’affecte même parfois un petit air moqueur vis-à-vis des personnes qui laissent paraître leur émotion et cela sert à déguiser parfaitement la mienne. Je suis très impressionnable, tout me frappe fortement mais la mobilité de mon esprit ne garde pas longtemps les impressions vives ; au bout de quelques temps il ne m’en reste qu’un souvenir agréable ou pénible.

Samedi 30 Septembre
Dernier jour du mois, 30 jours de paix et de bonheur écoulés ! Mon examen approche, demain commencera pour nous le terrible mois d’Octobre si redouté. Pourvu que le dénouement soit heureux et que la fon de ce mois trouve Henri bachelier et moi en possession de mon brevet. J’ai reçu une lettre de ma chère amie. Elles s’amusent bien à Fontenay et jouent la comédie avec Tonton, Mr Bernard et Monsieur Stroïbel. Heureuses insouciantes ! La vie est pour elles, douce et facile, habituées à voir leur moindre désir satisfait, elles ignorent ce que c’est de passer un examen, n’ayant jamais eu la volonté d’en passer. Plus mon examen approche, plus j’ai peur ; je vois tout en noir, moi qui n’ait pourtant pas l’habitude de penser aux choses qui m’inquiètent et qui m’attristent.


Jeudi 4 Octobre
Nous avons reçu Mrs Brunner et Peuportier de l’ordre du Saint Empire et nous avons bien ri. Bernard a été reçu hier au soir et je n’ai jamais vu une réception comme la sienne. Tante Boisseau est revenu ce matin de Maurecourt pour l’hiver, Me Raimbeau était venue pour la voir, elle est entrée un instant à la maison.

Lundi 16 Octobre
Mon examen qui devait avoir lieu le 19 est remis au 23. D’aujourd’hui en 8, je serai sur la sellette. Hier j’ai pris une bonne leçon de dessin avec Bernard et dans l’après-midi nous avons été jouer aux cartes chez tante Gabrielle. Les Bardinet n’y étaient pas, ils ne sont arrivés que pour dîner. MLe Tingry est venue dîner à la maison.
Il y aura des fêtes russes splendides cette semaine à Paris et c’est ce qui a été la cause du retard de mon examen. Quant à Henri il passe le 20, Vendredi, pour le baccalauréat sciences anciennes et Mercredi 25 pour celui des sciences modernes. Que Dieu nous protège tous les deux.
Jamais je ne pourrai arriver jusqu’au bout. Si je ne suis pas refusée à l’écrit, comme j’ai trois examens je le serai soit à l’écrit, soit au dessin, soit à l’oral. Pourtant j’ai confiance et je voudrais bien, que ma confiance me sauve. Je pars à paris aujourd’hui pour prendre a leçon, c’est pourquoi je quitte mon journal qui est horriblement écrit.

Mardi 17 Octobre
Les jumelles ont commencé un journal comme le mien, il sera probablement très drôle car elles y mettent out ce qui leur passe par la tête. Me Labruyère est revenue, j’ai été attendre la voiture dans la rue et j’ai aperçu Bernard qui revenait de Paris et Mr Runner qui arrivait dîner à la maison.

Mercredi 18 Octobre
On a commencé des robes anglaises pour les jumelles, elles leur vont très bien mais grand’mère les trouve trop excentriques. Me Labruyère est venue à 4 h nous faire une visite, elle nous a dit qu’il était bien ennuyeux que l’on ait construit une grande cheminée en face de nous car cela allait noircir ses beaux cheveux blancs. Elle était très aimable hier et une personne qui ne la connaissait pas n’aurait jamais cru qu’elle était folle à part quelques phrases un peu drôles.

Jeudi 19 Octobre – Mort Mac Mahon et Gounod
Mademoiselle Jones est venue à 7 h 10 pour nous donner notre leçon, puis nous sommes allés à l’église à 9 h pour la messe du Saint Esprit des enfants de Boulogne. Mr Runner la disait à l’intention d’Henri et à la mienne. Les jours d’épreuves commencent demain pour le malheureux Henri et Lundi pour moi. Venite.
Le maréchal de Mac Mahon est mort Mardi soir et Monsieur Charles Gounod, le grand compositeur, est mort à St Cloud. Son enterrement sera probablement après demain ou le jour suivant.

Vendredi 20
Nous sommes allés à Paris avec Maman et Miss Jones. Nous avons vu la rue de la Paix très joliment pavoisée et le cercle militaire où un russe était à son balcon.
Henri a été remis au 4 Novembre.

Samedi 21
Grande retraite aux flambeaux. En rentrant le soir il y avait une lettre pour moi à la maison ; elle venait de la préfecture de la Seine et remettait mon examen au Mercredi 25. de cette façon Henri et moi nous passerons le même jour.

Dimanche 22 – Enterrement Mac Mahon
Enterrement du maréchal Mac Mahon, duc de Magenta. Catafalque splendide à la Madeleine, transport de la Madeleine aux Invalides où il a été déposé non loin de Napoléon. Tous les souverains de l’Europe avaient envoyé des représentants et des fleurs. Les Russes assistant officiellement à la cérémonie attiraient un grand nombre de personnes. Les chemins étaient noirs de monde.
Papa et Henri sont venus déjeuner et sont repartis aussitôt. Maman, Grand’mère, Louis et les jumelles sont allés à la 1ère grand’messe de Mr Domain, célébrée à Boulogne (lieu de sa naissance.) C’est un jeune homme qui vient d’être ordonné prêtre, il partira comme missionnaire au mois de Décembre dans le nord du Japon. Marguerite qui avait mis sa robe écossaise a quêté et Mr Lemerle a été enchanté du produit de la quête. Duroie qui guidait Margot avait une seconde bourse dans laquelle il vidait celle de Marguerite quand elle était pleine. Bernard est venu dans la journée.

Lundi 23 Octobre – l’amiral Avellan
Louis est allé déjeuner chez les Marin tandis que je partais à Paris prendre une dernière leçon avec Melle Richer. Nous sommes revenus par le Point du Jour pour voir les fêtes sur la Seine. L’amiral Avellan était monté sur un petit yacht appelé l’Almée et appartenant à Mr Henri Menier. Les officiers étaient sur d’autres bâtiments, et il y avait sur l’eau un nombre énorme de périssoires et d’embarcations de tous genres. Les rives de la seine étaient noires de monde, 4 ou 500000 personnes étaient là pour applaudir les marins russes. Décidément l’enthousiasme touche à la folie.
Il y a quelques jours, lorsque l’amiral Avellan et ses compagnons ont visité les magasins du Louvre, on avait fait un choix des plus beaux articles de Paris, on les avait rangés sur une table de haut prix et l’on a offert le tout à l’amiral. Les plus baux bijoux étaient mêlés aux trousses de voyages, aux cafetières et aux plats d’argent, aux écharpes de soie, etc. Partout où les Russes paraissent, ils sont acclamés par le cri de : « Vive la Russie » auquel ils répondent par celui de : « Vive la France ». Ils jettent des fleurs, les femmes françaises s’élancent vers leurs voitures pour avoir l’insigne honneur d’être embrassée par un des officiers russes. Enfin Paris tout entier est en fête, en délire et de là à la folie, il n’y a malheureusement qu’un pas.
Me Labruyère est venue nous faire une petite visite après son déjeuner, elle n’allait pas très bien aujourd’hui mais elle n’en a pas moins été charmante avec nous.
Je passe après-demain, Henri aussi. Que Dieu, la Vierge et tous les Saints veillent sur nous, nous guident et nous protègent tous les deux.
J’ai oublié de dire qu’hier au soir nous sommes allés chez tante Gabrielle jusqu’à 9 h ½ pour écouter leurs nouveaux morceaux de musique. Leur trio, le Roi des Aulnes, est un très beau morceau de piano, violoncelle et violon. Tante joue un très joli morceau de piano seule intitulé Danse féerique, c’est très gracieux. Nous nous somems couchés aussitôt en rentrant ; notre prière et notre Rosaire ayant été récité après dîner.

Lundi 30 Octobre
Que je suis heureuse mais il y a de ces joies que l’on doit renoncer à peindre car il est impossible d’en donner une idée. Prenons mon journal en suivant l’ordre des jours.
Mardi, je suis partie avec Maman vers 4 h pour Paris. Nous y avons trouvé Henri et papa bien inquiets étant à la veille de notre examen à tous les deux.
Mercredi je me suis levé à 5 h et Henri est parti à 6 h ¼ pour la Sorbonne avec Papa tandis que Maman et moi nous nous dirigions vers l’hôtel de ville. Notre première séance n’a commencé qu’à 9 h moins ¼ eu lieu de 8 h ¼, ce qui nous a fait finir très tard. La dictée par laquelle on a commencé n’était pas très commode, elle était intitulé l’Océan ; la composition française était basée sur les nuances à établir entre les mots : Probité – équité – loyauté et délicatesse. L’arithmétique à la séance du soir était dérisoirement facile ; je crois l’avoir bien fait et dans tous les cas mon problème était bon. Mon écriture n’a pas trop bien marché, ma main tremblant beaucoup.
En sortant à 6 h nous avons rencontré Mr Vincent sur le quai ; nous nous sommes promenées quelques instants avec lui puis nous sommes rentrées à l’hôtel de ville en attendant le résultat que l’on a affiché que deux heures après. Maman m’a dit que je faisais pitié au pied du poteau où l’on devit venir afficher les noms des élus. Le bon Dieu m’a réellement bien protégé car mon nom était parmi ceux des bienheureuses qui de 38 étaient réduites à 13.
Le lendemain Jeudi, j’ai encore été secourue par N.D. des Victoires. Etant très peu forte en dessin, je redoutais beaucoup cette 2ème épreuve. Nous n’avons eu qu’un faisceau à dessiner ; il était impossible de rien trouver de plus facile et j’ai encore été reçue. Henri a passé son oral, il a été admis avec une mention. Notre joie à tous était bien vive quoiqu’il me restât encore une épreuve à subir. Maman ne la craignait pas beaucoup mais elle a pu voir par elle-même que mon brevet a été chèrement conquis sur 2 examinateurs désagréables et aussi méchants que possible. J’étais totalement perdue après la 2ème épreuve. Heureusement que les 2 derniers professeurs ont été charmants ; en histoire j’ai eu 19 sur 20 ; c’était très beau et cela m’a complètement sauvée. Le professeur de physique, chimie, histoire naturelle a du aussi me mettre une bien bonne note car il a été très aimable avec moi. Enfin j’ai été reçue et c’est tout ce que je leur demandais. Henri et moi nous sommes partis vers 3 h pour retourner à Boulogne.
Dimanche nous sommes tous allés à la messe du côté de Meudon à N.D. de toutes grâces pour la remercier des faveurs qu’elle nous avait obtenues. Mr Vincent est venu déjeuner avec nous aujourd’hui.

Mardi 31 Octobre
J’ai commencé une étole en tapisserie mais je crois qu’elle ne sera jamais finie avant le 6 décembre car sans être compliquée elle est très longue à faire.

1893 (suite)