Larmistice

à travers des coupures de journaux

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

4ème partie : année 1918

A l'Assemblée Nationale

La grande journée de la guerre ! la journée de gloire et d’apothéose. Ceux qui l’ont vu en garderont dans le cœur comme dans les yeux le souvenir ineffaçable. L’allégresse de Paris déferlait en vagues d’enthousiasme aux abords du Palais-Bourbon, envahi comme les grands boulevards et la place de la Concorde par une foule dont la fièvre et la joie patriotiques éclataient en manifestations et en cris

«  Vive la France ! Vive Clemenceau ! »

Dans les couloirs, assiégés dès midi , par des centaines et des centaines de curieux avides d’assister à la séance historique où la Victoire de la France allait être célébrée si magnifiquement, dans les couloirs, dans la salle des séances, dans les tribunes et les galeries bondées de spectateurs, le même élan emportait toutes les âmes,  la même joie rayonnait sur tous les visages, dans toutes les bouches ces mots : « Quelles heures nous vivons. » Ah ! certes, il n’y avait plus là que des Français vibrant à l’unisson. L’attitude rebelle à toute émotion patriotique des Longuet, ni les discours de M. Renaudel ne sauraient gâter cette journée si belle. Ils ont voulu pour la satisfaction de leurs petites rancunes de parti contre M. Clemenceau, faire, à la fin de la séance, un retour à la politique. Ils n’ont desservi qu’eux-mêmes et leur geste regrettable ne sera même pas une ombre au tableau.

C’est à quatre heures seulement que devait être lu le texte de l’armistice. Pendant deux heures, le public a patiemment attendu l’instant solennel, tandis que du dehors venait le bruit des salves d’artillerie, l’écho des clameurs enthousiastes de la foule sans cesse accrue :

«  Vive la France ! Vive Clemenceau ! »

Un seul incident : Mme la maréchale Foch, à son entrée dans la tribune du président de la République, est saluée d’une ovation par les personnes déjà placées là.

Dans la loge diplomatique, Lord Derby, ambassadeur d’Angleterre ; le comte Bonin Longare, ambassadeur d’Italie ; M. Sharp, ambassadeur des Etats-Unis, et plusieurs autres diplomates. Et, de ci de là, au hasard du placement de la dernière minute, nombre des personnalités connues du monde parisien.

Enfin un grand brouhaha aux portes qui donnent accès dans la salle des séances. Les députés rentrent en masse précipitamment. Puis voici M. Clemenceau qui, d’un pas rapide, gagne le banc des ministres. D’un seul élan, toute l’assemblée, debout, éclate en applaudissements et en vivats auxquels se joignent ceux du public. J’ai bientôt trente années de Parlement, je n’ai jamais vu manifestation semblable. On peut dire vraiment que le cœur de la France battait là à cette minute d’apothéose. Et de longs instants l’ovation se prolonge. Très ému, les larmes aux yeux, le président du Conseil voit de tous côtés accourir des députés désireux de le féliciter et de lui serrer la main. L’abbé Lemire est un des premiers. Lorsque ses deux mains tendues étreignent celles de M. Clemenceau, de chaleureux applaudissements s’élèvent de tous côtés.

Puis le président du Conseil monte à la tribune. L’ovation reprend unanime et quand le silence revient, le président du Conseil redit les belles et si sages paroles qu’il avait prononcées l’autre jour :

« Il n’y a qu’une manière de reconnaître de tels hommages venant d’une Assemblée parlementaire, si exagérés qu’ils puissent être, c’est de nous faire, les uns aux autres, à cette heure, la promesse de toujours travailler de toutes les forces de notre cœur au bien public » (Vives acclamations)

Puis – et la voix raffermie sonne haut, nette et tranchante, articulant, détachant les mots aux passages essentiels que souligne le geste – le président du Conseil donne lecture de l’armistice signé hier matin à cinq heures.

Ce fut vraiment quelque chose d’inoubliable. Dans le silence de ces centaines d’auditeurs, les phrases tombent, rebondissent aux applaudissements répétés qui les accueillent. Dix fois, vingt fois, a salle entière, les députés, le public, debout, acclame le président du Conseil ; dix fois, vingt fois, les conditions imposées à l’ennemi vaincu  provoquent des manifestations d’approbation sans réserves.

Et, pendant cette lecture, comme pour l’accompagner, retentit le son assourdit et lointain du canon. Les vers évocateurs d’Hugo viennent à la mémoire et il semble bien que l’on entend…

Dôme des Invalides…

Les canons monstrueux à ta porte accroupis.

Bondir et hurler d’aise

La fin de la lecture, achevée au milieu, le compte-rendu officiel le dit,  d’acclamations enthousiastes, le président du Conseil ajoute :

« Je vous dirai seulement que dans un document allemand dont, par conséquent, je n’ai pas à donner lecture à cette tribune, et qui contient une protestation contre les rigueurs de l’armistice, les plénipotentiaires de l’Allemagne reconnaissent que la discussion a été conduite dans un grand respect de conciliation » (Mouvements – Applaudissements)

Puis, avec dans la voix une émotion qui gagne, dès les premiers mots, tout l’auditoire, emporté par ces accents de si noble et si haute éloquence, avec un geste solennel des deux bras levés et étendus, le président du Conseil s’écrie, et jamais la tribune française n’a retenti de plus belles et de plus admirables paroles :

« Un mot seulement. Au nom du peuple français, au nom du gouvernement de la République française, le salut de la France, une et indivisible, à l’Alsace-Lorraine et à la Lorraine retrouvées. (MM. Les députés se lèvent – Applaudissements enthousiasmes)

« Et puis honneur à nos grands morts qui nous fait cette victoire (Longs applaudissements unanimes)

« Nous pouvons dire qu’avant tout armistice, la France a été libérée par la puissance de ses armes (Applaudissements prolongés). Et quand nos vivants, de retour sur nos boulevards, passeront devant nous, en marche vers l’Arc de Triomphe, nous les acclamerons.

« Qu’ils soient salués d’avance pour la grande œuvre de reconstruction sociale (Vifs applaudissements)

« Grâce à eux, le France hier soldat de Dieu, aujourd’hui soldat de l’Humanité, sera toujours le soldat de l’idéal. » (Applaudissements enthousiasmes)

L’émotion est à son comble. Toute la salle, debout, vibre, frémit, acclame sans fin l’orateur magnifique qui vient de dire tant de choses en si peu de mots. Quand il regagne le banc des ministres, une véritable foule se précipite, l’entoure, applaudit, pleure, toutes les mains se tendent pour presser les siennes. Ce fut certes l’une des minutes les plus émouvantes de cette séance. On crie – et toutes les voix étaient, en cet instant, à l’unisson, excepté le chœur du silence, que dirige M. Longuet. – On crie :

«  Vive la France ! Vive Clemenceau ! »

Discours de M. Deschanel

Peu à peu, l’émotion s’apaise, le silence revient. M. Deschanel, alors, prononce une brève te très éloquente allocution que voici, au milieu des applaudissements chaleureux et répétés de la Chambre.

« Là voilà enfin l’heure bénie pour laquelle nous vivions depuis quarante-sept ans ! quarante-sept ans pendant lesquels n’a cessé  de retentir en notre âme le cri de douleur et de révolte de Gambetta, de Jules Grosjean et des députés d’Alsace-Lorraine, celui de Victor-Hugo, d’Edgar Guinet et de Georges Clemenceau (Applaudissements prolongés), quarante-sept ans pendant lesquels l’Alsace-Lorraine bâillonnée n’a cessé de crier vers la France ! Un demi-siècle. Et demain nous serons à Strasbourg et à Metz ! Nulle parole humaine ne peut égaler ce bonheur ! (vifs applaudissements)

« Provinces encore plus tendrement aimées parce que vous fûtes plus misérables, chacune de notre chair, grâce, force et honneur de notre Patrie, un barbare ennemi voulait faire de vous le signe de sa conquête ; non, vous êtes le gage sacré de notre unité nationale et de notre unité morale car toute notre histoire resplendit en vous ! C’est toute la France, la France de tous les temps, notre ancienne France comme celle de la Révolution et de la République triomphante, qui, respectueuse de vos traditions,  de vos coutumes, de vos libertés, de vos croyances (Applaudissements prolongés – MM. Les députés se lèvent), vous rapporte toute sa gloire !

« Et maintenant Français inclinons-nous copieusement devant les arts sans magnifique du grand œuvre de justice, ceux de 1870 et ceux de 1914. Ceux de 1870 sauvèrent - notre honneur, certes, l’honneur était sauf, j’en atteste les mânes des héros de Reichshoffen, de Gravelotte, de Saint-Privat, de Deaumont-Beaumont, où les fils des compagnons de La Fayette viennent de venger Sedan (Vifs applaudissements) – mais ils sauvèrent l’avenir. Leur résistance a préparé nos victoires.

« Et vous combattants sublimes de la Grande Guerre, votre courage surhumain a fait de l’Alsace-Lorraine, aux yeux de l’univers, la personnification même du droit (Applaudissements prolongés – MM. les députés se lèvent) : le retour de nos frères exilés n’est pas seulement la revanche nationale, c’est l’apaisement de la conscience humaine et le présage d’un ordre plus haut ! » (Applaudissements unanimes et prolongés)

Les députés alsaciens

« La Marseillaise »

M. Albert Thomas eut alors cette pensée heureuse : « Nous attendions que des députés d’Alsace-Lorraine, qui sont présents dans cette salle, aient les honneurs de la séance » (Vifs applaudissements sur tous les bancs)

En effet dans une des tribunes avaient pris place l’abbé Weterlé et M. Weill, ce dernier en uniforme militaire. Les députés, le public, tournés vers eux, les acclament. Debout ils saluent et les acclamations redoublent.

Il restait pour clore cette admirable journée à voter la proposition d’hommage national que le sénat a adopté déjà. Ce vote aurait pu, aurait dû être spontané et unanime. Les Socialistes ne l’ont pas voulu. M. Renaudel, en leur nom, renvoi le renvoi à aujourd’hui. Vives protestations de tous côtés et la Chambre décide qu’on tiendra une seconde séance dans quelques minutes.

Alors – et la fâcheuse manifestation du groupe Longuet fut ainsi tout de suite effacée – quelques députés entonnent la Marseillaise. En une minute, toute la salle, debout, chantait l’hymne national. Les tribunes, les galeries joignent leurs voix au chœur. La strophe enflammée montait, jaillie de mille poitrines, comme le hosanna suprême de cette journée d’apothéose.

Nous devions, hélas ! retomber, quelques instants plus tard, de ces hauteurs dans la politique, la triste, la basse et détestable politique, que certains socialistes de plus en plus étrangers au sentiment national, ont fait intervenir contre le projet d’hommage national.

Aux drapeaux

Dès que la nouvelle de la signature de l’armistice a été connue, le ministre de l’Intérieur a fait téléphoner à tous les préfets, pour les prier d’avertir la population, de faire pavoiser et sonner les clochers.

Voici le texte même de ses instructions :

« Pavoisez immédiatement. Faites illuminer ce soir les édifices publics, faites sonner de suite les cloches à pleine volée et prenez toute disposition avec les autorités militaires pour que des salves soient tirées afin de porter à la connaissance des populations la signature de l’armistice. »

Paris exulte

C’est fini, la France entière exulte de joie, puissante et légitime, de fierté. L’heureuse nouvelle est arrivée : l’armistice est signé.

Sur les boulevards une foule énorme s’entasse peu à peu, envahit les trottoirs, grimpe sur les bancs, déborde sur la chaussée, grouille partout. Les voitures circulent avec peine.

Les autobus Madeleine-Bastille et Saint Lazare-Gare de Lyon sont détournés par la rue de Provence et les voies latérales. Des cortèges s’organisent spontanément. Des chants s’élèvent. La Marseillaise frémit, clamée par des milliers de bouches. Des vivats s’entrecroisent :

« Vive la France !

« Vive Clemenceau !

« Vive Foch !

« Vive l’armée !

Car on ne l’oublie pas la grande Muette qui a tant saigné pour nous donner ce jour de gloire :

« Ah, les soldats sont choyés ! On les embrasse, on les félicite. Ils l’ont si bien gagné !…

Et devant de grouillement formidable d’êtres humains on pense instinctivement aux premiers jours de la mobilisation.

L’évocation est fidèle.

La joie immense

Paris, cœur du pays et son visage aussi, palpite et vibre.

Inoubliable matinée !

La foule devenait nerveuse. On sentait bien qu’on touchait au but… à la fin du cauchemar qui dure depuis 1500 jours !…

Puis tout à coup, comme les horloges sonnaient onze coups, le ciel fut ébranlé : le premier coup de canon venait de tomber ! tandis que la Savoyarde se mettait à sonner du haut du Sacré-Cœur ! Tout Paris alors savait. Alors ! Oh, alors !… Ce fut une transfiguration. Une stupeur immense puis une joie profonde, infinie. Les coups se succédaient dans le brouillard léger. Mille coups de canon et de mille cloches, tintant ensemble.

On crie, on chante, on pleure aussi.

Les drapeaux

Et les drapeaux !

Les fenêtres, à partir de 11 heures, se sont transformées en bouquets d’étendards. Il y en avait partout. Qui donc disait qu’il n’y avait pas de drapeaux ?

Du haut en bas des immeubles publics ou privés, c’est la même cascade de couleurs joyeusement claquées par le vent.

Les taxis, les fiacres, les voitures diverses sont décorés de petits étendards. Les camions militaires anglais et américains dévalent à toute vitesse découverts d’un immense drapeau qui fait une bâche multicolore, et leurs capots sont drapés d’étoiles d’or sur fond bleu.

Des tommies et des sammies, juchés bras nus, sur leurs camions, poussent des hourras frénétiques et retentissants.

Des gens s’abordent avec joie et effusion. On ses erre les mains plus longtemps, comme si on se retrouvait après une longue absence… ou après un danger couru.

Partout la fièvre joyeuse a gagné la population. Dans les ateliers, les midinettes et les employées ont déserté et sont descendues dans la rue où elles ont manifesté leur enthousiasme.

Dans les usines, dans les bureaux, ce fut une indescriptible émotion.

Aux Halles, les pavillons furent désertés à l’annonce de la nouvelle par un de nos rédacteurs.

Ici une femme pleure. Là des gens s’embrassent. Le mousseux pétille dans les verres. On applaudit, on chante.

Et les musiques ont fait entendre leurs flons-flons joyeux, accompagnant les chants entraînants.

Clémenceau et Foch acclamés

Vers 10 heures et demi une manifestation émouvante eut lieu devant le ministère de la Guerre. Des centaines et des centaines d’étudiants se groupèrent, boulevard Saint-Germain, et acclamèrent le président du Conseil qui les reçut dans la cour du ministère. Lorsqu’il parut, un cri immense fit trembler d’émotion le libérateur du territoire.

Il devint tout pâle, prononça quelques mots de remerciements et pleura sans honte, car l’émotion qu’il ressentait était de celles qu’on ne cache pas.

Dans la matinée, le maréchal Foch, qui habite rie de Breteuil, rentrait chez lui en auto après avoir porté le texte signé de l’armistice à Clemenceau.

Il fut reconnu par les marchands et les femmes du marché de l’avenue de Breteuil et longuement et chaleureusement acclamé.

Autre article d'un journal

Grosclaude rapporte une parole qui sonne avec l’accent de l’héroïsme :

On prête à l’amiral sir Rosslyn Wemyss, chargé de notifier aux parlementaires allemands les conditions navales de l’armistice, un mot qui clarifie nettement cette situation respective des deux flottes : « Est-il admissible, protestait le négociateur allemand, que notre flotte soit livrée sans avoir été battue ? » Alors l’amiral Wemyss, assujettissant son monocle pour mieux fixer l’adversaire : « « Elle n’avait qu’à sortir ! »

Ah ! non. Elle était matée par plus fort qu’elle. Elle n’a pas bougée, hypnotisée dit Grosclaude, sous un regard d’acier, dans une sorte de catalepsie.

L'enthousiasme déborde à Londres

Londres, 11 novembre. Les rues de Londres n’ont certainement jamais vu se dérouler des scènes d’enthousiasme comparables à celles d’aujourd’hui. On peut dire sans exagération que la joie touche au délire.

Le tableau de cette foule qui emploie pour manifester sa joie, les moyens les plus primitifs : cris, gestes, applaudissements, restera comme un souvenir inoubliable pour ceux qui en auront été les témoins.

Des cortèges improvisés se formaient dans les rues avec toutes sortes de véhicules, taxis, omnibus, camions, portant à leur partie supérieure des groupes de jeunes gens et de jeunes filles, agitant leurs chapeaux et des drapeaux et poussant des acclamations de joie.

Les voitures particulières n’étaient pas à l’abri de ces manifestations de joie où l’on pouvait voir mainte limousine, conduisant peut-être un officier ou un haut fonctionnaire, dont le capot et les marchepieds étaient envahis par des gamins bariolés de drapeaux.

Devant le palais de Buckingham, la chaussée, les trottoirs et jusqu’au socle du monument de la reine Victoria, disparaît sous une foule bigarrée de civils et de soldats.

A midi, comme on relevait la garde du palais, huit gardes qui venaient d’en sortir baïonnette au canon, furent empoignés par les manifestants et portés en triomphale manifestation, unique dans l’histoire de la garde.

Lorsque le roi et la reine parurent enfin au balcon, ce fut une acclamation formidable, insensée telle  que de mémoire d’Anglais, on n’entendit jamais la pareille. Ce fut puis encore quand se mirent à flotter le pavillon de l’Union et les drapeaux des Alliés déployés soudain autour de la famille royale. La reine, elle-même, ajoutait un drapeau. Le roi, en uniforme d’amiral, fit le salut militaire et la foule, devançant la musique de la garde, entonna le « God Save The King. »

Puis la musique joua les airs nationaux y compris « Tipperary », dont le rythme évoquant les premiers jours de la guerre, fit tour à tour rire et pleurer. La fanfare fit entendre ensuite l’Hymne américain et la « Brabanconne », longuement acclamés, mais quand retentit la « Marseillaise », des cris enthousiastes de « Vive la France ! » s’élevèrent de toutes parts et la foule entière reprit en chœur le refrain.

Enfin le roi prononça quelques mots, coupés d’applaudissement et sur un air religieux la foule se dispersa.

Devant l’ambassade de France, magnifiquement pavoisée, la foule poussa d’énergiques hourras lorsque parurent au balcon M. Cambon, l’attaché militaire et tout le personnel de l’ambassade.

Scènes du front

Paris, 12 novembre. La nouvelle de la signature de l’armistice a été connue au front vers 9 heures. Transmise par les quartiers généraux d’armée, elle y provoqua, bien qu’elle fut attendue, une explosion de joie.

Dans certains secteurs la bataille faisait alors rage, et là, bien entendu, nos poilus connurent la capitulation de l’Allemagne au moment précis où les hostilités cessèrent sur l’ordre du commandement.

Les scènes qui se déroulèrent alors sur  l’immense front de la frontière hollandaise à la frontière suisse dépassent l’imagination.

Officiers et soldats, avec une spontanéité touchante, se félicitèrent, s’étreignirent fraternellement, tandis que les avions, ronronnant au-dessus des anciennes lignes, venaient, en signe d’allégresse, jeter des milliers de petits drapeaux en papier aux couleurs alliées.

Durant toute la journée l’enthousiasme ne fit que croître. De nombreuses corvées de pinard allèrent, dans les villages voisins du front, chercher les approvisionnements nécessaires à la célébration d’une pareille fête. Dans beaucoup d’endroits, les commandants d’unité payèrent de leur poche des suppléments à leurs hommes. Spontanément, la population des agglomérations proches fit des collectes en faveur des poilus. Dans les plus petits villages, même les plus dévastés, des drapeaux apparurent aux fenêtres, sur les pignons à demi écroulés.

Dans la soirée des concerts improvisés furent organisés. Les musiques des régiments en ligne jouèrent la Marseillaises et les hymnes de nos alliés aux applaudissements enthousiastes des soldats rassemblés. Des artistes prêtèrent leur concours à la fête.

C’était la première fois, depuis quatre ans, que le front, sans arrière-pensée, vibrait de joie te d’enthousiasme. Partout, jusqu’à une heure avancée de la nuit, poilus, tommies, amex, arditi, et les courageux petits pilotes des Flandres, fraternisaient de façon touchante, recueillant enfin la récompense si longtemps attendue de tant d’héroïques efforts. Leurs derniers exploits furent dignes d’envie : la prise de Mons, Rocroi, et l’entrée dans Gand libérée de l’inondation.

Ce que fut le dernier quart d'heure de la guerre

Front britannique, 11 novembre. – Ce que fut le dernier quart d’heure de la guerre au front, ce fameux dernier quart d’heure dont parlait feu le  maréchal Nogi et que le monde entier attendait depuis plus de quatre ans, je voudrais le fixer tel que nous l’avons vécu. A onze heures moins le quart, sur la route de Tournai à Ath, près de Leuze, un gros bourg belge le long de la petite Deudre, affluent de la grande Deudre. Le ciel est gris et bas, couleur de neige.

La nouvelle de l’armistice a été téléphonée dès les premières lueurs du jour à toutes les batteries, puis des batteries aux Q.G. et bataillons. L’ordre donnée à toutes les unités est conçu ainsi :

« Les hostilités cesseront le 11 novembre à 11 heures. Les troupes s’établiront sur la ligne atteinte à cette heure, ligne qui sera portée à la connaissance du Quartier Général du corps ; les précautions défensives seront maintenues, il ne devra y avoir aucune communication d’aucune sorte avec l’ennemi. »

Dès que la nouvelle de l’armistice a été connue, le feu a pratiquement cessé. Quelques-unes venaient faire un dernier carton, mais l’ensemble, tout en conservant l’arme au pied et la poudre sèche, estime que l’effusion de sang est devenue inutile. Le dernier quart d’heure s’écoule dans le silence morne d’un côté et dans le recueillement joyeux de l’autre.

Des centaines et des centaines de milliers d’hommes, en ces minutes précises, évoquent leurs pires misères ; ils revoient la boue des tranchées, les assauts échevelés, revivent dans un instant les amertumes de la retraite et les triomphes de l’avance victorieuse. Pourtant les coups de canon, les nôtres, se font plus rares, les mitrailleuses se sont tues, on n’entend plus de place en place que des coups de fusil menus.

Plus que trois minutes avant 11 heures. Soudain un cri, un cri suivi de mille autres sur le front du bataillon : Hourrah ! Les montres chronométrées des commandants d’unité marquent 11 heures, c’est l’armistice. Voici la première minute depuis quatre années et quatre mois qu’un homme ne sera pas tombé au champ d’honneur.