La guerre à travers des coupures de journaux

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

3ème partie : année 1918

Terrifiants massacres en Crimée

Stockholm, 27 Mars. Les journaux de Moscou, qui sont arrivés ici par oie diplomatique, racontent que de terrifiants massacres ont eu lieu en Crimée. Un grand nombre de bourgeois ont été condamnés et exécutés collectivement par des matelots comme constituant des éléments inutiles. 350 personnes ont été tuées pendant des rondes effectuées dans le courant de la nuit à Sébastopol et leurs corps ont été jetés à la mer. Une cinquantaine de cadavres, odieusement mutilés, ont été relevés dans les rues de cette ville. Des membres des Soviets locaux ont été arrêtés et menacés de mitrailleuses.

Les autorités sont impuissantes à maîtriser l’émeute. On signale qu’à Simféropol des soldats ont tué jusqu’à 70 lycéens. La ville de Théodosie est envahie par 63000 soldats démobilisés qui mettent tout en pillage. Les habitants dorment tout habillés de longues nuits pour être prêts à tout événement, et on signale parmi la population de nombreux cas de folie.

Le Japon n'interviendra pas

Une voie autorisée nous informe de Tokyo que le Japon, décidément, n’interviendra pas en Sibérie. Si le danger de pénétration allemande  menace Vladivostok et son Hinterland, il sera toujours temps pour l’empire du Soleil Levant de rétablir la situation. La mobilisation d’une armée coûte cher : le gouvernement japonais recule devant cette énorme dépense.

Le Japon n’a pas modifié les directions de sa politique depuis l’époque où sollicité de participer à la guerre aux côtés de l’Entente, il répondait par l’organe de son ambassadeur à Paris que l’armée japonaise n’est pas destinée à une guerre continentale et que tout le programme japonais vise l’Orient. C’était au mois de septembre 1914. L’ambassadeur ajoutait : « Nous aussi nous avons une opinion publique ; il faudrait la préparer, l’entraîner, la décider, la convaincre. »

Article

« L’heure est si grave, si solennelle, et les destins qui vont s’y décider sont, pour la France et pour l’univers,  d’une telle importance, qu’au moment d’écrire, la plume hésite, toute tremblante.

« Que sont nos pauvres phrases auprès de ce drame sans précédent ? Et que pèsent nos pensées, nos impressions, nos raisonnements hasardeux, quand chaque minute qui s’écoule fait changer d’aspect cette formidable bataille. Il n’est plus en un tel moment, d’autre parole qui vaille que celle des évènements. Là-bas, aux rives de l’Oise et de la Somme, l’une des plus grandes pages de l’histoire du monde, la plus grande, peut-être, de l’histoire française, vient s’ajouter à toutes celles qui, au cours des siècles, ont marqué d’un trait sanglant les étapes décisives de la caravane humaine. Seul le silence semble convenir à ce spectacle tragique.

« Et cependant au début du huitième jour de la lutte, et alors que les derniers communiqués raniment dans nos âmes angoissées la flamme d’un immense espoir, comment pourrions-nous ne pas crier à nos magnifiques soldats et à leurs intrépides frères d’armes d’Angleterre, l’enthousiasme de notre reconnaissance et de notre admiration ?

« L’assaut de l’ennemi a été d’une puissance et d’une violence telles qu’il ne semble pas qu’en aucune autre circonstance, et pas même devant Verdun, l’on ait vu semblable effort. On l’a qualifié d’un mot : l’offensive du désespoir. Et ce mot n’a pas seulement un sens politique, car le désespoir qu’on nous montre comme la cause principale de cette attaque enragée où l’Allemagne joue son va-tout, on l’a vu se manifester également dans les procédés de l’attaque elle-même. Vous avez lu l’impressionnante description dans les télégrammes des correspondants de guerre. Ah ! le commandement allemand ne ménage pas ses hommes.

"Il est probable qu’aucune autre puissance civilisée, écrit un journaliste anglais, ne serait d’avis qu’un résultat, si important fut-il, puisse justifier le coût terrible d’une telle méthode !"

« On ne s’étonne pas que sous l’écrasante supériorité du nombre, nos alliés, malgré leur bravoure, aient commencé par fléchir. Du moins fallait-il maintenir la liaison des armées et empêcher que la ligne de bataille fut rompue par l’avalanche. Une habile et rapide manœuvre du commandement français a su conjurer le péril. De quelle gloire nouvelle nos drapeaux se sont illustrés en cette heure critique !…

« Tergnier, Ham, Nesle et Noyon : ces noms brilleront, dans les annales militaires, d’un immortel éclat. Au nord du champ de bataille, l’armée britannique, renforcée des troupes que libérait notre intervention, oppose maintenant à la poussée allemande une résistance qui ne peut manque de s’accroître. Et, enfin, pour la première fois depuis le début de ces atroces combats, notre grand quartier général signale la fatigue et l’affaiblissement de l’ennemi.

« Restons calmes et confiants. La lutte est toujours ardente, et elle peut s’étendre. Les Allemands se sont engagés à fond et il faut donc s’attendre de leur part à de nouveaux assauts, rudement conduits. Nous allons vivre encore des heures d’intense émotion ; mais l’on peut penser que les plus pénibles sont déjà vécues. Nous sommes, je le répète, au huitième jour de la bataille et notre front de combat tient toujours. Qu’il tienne encore 48 heures ! Qu’il tienne jusqu’aux cloches de Pâques, et tout permet d’espérer que nous serons alors en état de maîtriser définitivement l’ennemi.

« Nous avons dans l’héroïsme de nos soldats une foi sans limites. Défendue par de tels hommes, la France ne peut pas périr. Ceux qui l’ont sauvé sur la Marne, sur l’Yser et devant Verdun, vont la sauver de nouveau sur l’Oise et sur la Somme. Nous leur adressons, en cet instant pathétique, l’hommage passionné de notre respecte t de notre tendresse. »

 Emmanuel Desgrées du Lou