du Jeudi 1er au Dimanche 4 Octobre

J’interromps l’insertion des dépêches officielles sans intérêt.

Situation

Sans grand changement de l’Oise à la Meuse.

A l’aile droite, nous progressons dans le Sud de la Woëvre jusqu’à Saint-Mihiel et au Rupt de Mad. Il semble qu’il n’y a plus d’Allemands sur la rive gauche de la Meuse.

A l’aile gauche, une concentration de troupes s’est effectuée à Villers-Cotterêts. Cette armée sous Castelnau s’avance au Nord déjà jusqu’à Arras menaçant le flanc de l’aile droite allemande. Von Kluck a tenté sans succès de violentes attaques dans la région Roye Lassigny.

Toute l’attention se porte de plus en plus sur notre aile gauche. Quel est le degré de résistance de l’armée allemande ? Il semble difficile que derrière ses lignes elle puisse constituer des colonnes défensives.

La supériorité numérique des Allemands très grande au début ne doit plus exister. Or, à nombre égal, non seulement notre écrasement par les Boches ne peut être envisagé mais je crois fermement à la victoire de nos soldats qui ont été et demeurent les premiers du monde.

En se bornant à regarder sur la carte la situation respective des deux ennemis, il est certain que la position difficile de l’armée allemande saute aux yeux et il est permis d’espérer qu’elle sera contrainte sous peu à une retraite périlleuse sinon désastreuse. Mais on croit facilement à ce que l’on désire.

- en Russie -

Les Russes ont envahi la Galicie et avancent en grandes masses vers Cracovie. L’armée autrichienne, appuyée de nombreux corps allemands, va livrer bataille derrière la rivière Demajec. Cette bataille, à laquelle deux millions d’hommes vont prendre part, va durer plusieurs jours et il est inutile de souligner son importance. Une victoire ouvrirait aux Russe la rote de Berlin en leur permettant de tourner les deux lignes de défense de la Vistule et de l’Oder.

Sur toute l’étendue de la frontière russe-allemande, les Allemands ont pénétré en Russie mais il semble que maintenant non seulement les Russes les contiennent partout mais commencent à les refouler victorieusement.

Des forces russes ont occupé les cols des Karpathes protégeant ainsi le flanc gauche de l’armée et pénétrant même en Hongrie sur toute la haute Theiss.

Belgique

Les Allemands attaquent les ouvrages d’Anvers leur artillerie de siège avec leur mortier de 420 semble avoir un pouvoir destructeur effrayant. Il faut souhaiter que l’armée belge puisse les empêcher de se mettre en batterie. Les journaux parlent d’Anvers imprenable ; je n’en crois rien et je crains que sans un secours extérieur la place ne succombe.

Angleterre

Les troupes de l’Inde sont arrivées à Marseille, l’armée anglaise du général French doit atteindre 250000 hommes. L’artillerie anglaise est excellente comprenant 82 de campagne, obusiers de 105 et artillerie lourde de 125.

Trois croiseurs cuirassiers (1900 – 12000 tonnes) ont été coulés dans la mer du Nord par un ou des sous-marins allemands. Les croiseurs anglais n’étaient pas accompagnés de contre-torpilleurs ; ils filaient 7 nœuds et ont stoppé pour se porter secours. L’attaque des sous-marins était ainsi facilitée mais sa complète réussite prouve néanmoins la valeur du personnel et du matériel allemand. L’un et l’autre sont de création récente ; on ignore tout de leur valeur. La marine allemande a été tirée du néant depuis vingt cinq ans.

Couville

Nous avons eu le plaisir de voir Couville, retour de campagne. Sa section de mitrailleuses a été attachée au 2ème chasseur étranger, il était à Amiens le 26 et, dès le lendemain, a du battre en retraite. Il semble qu’ils étaient là au plus quelques dizaines de mille hommes devant 300000 Allemands. Ils ont du battre en retraite précipitamment et ont eu quelques émotions, par exemple : étant tapi dans une demi-tranchée voir défiler devant soi 12 batteries allemandes… Ils ont été sans ravitaillement pendant 16 jours, vivant de pillage. Ils ont fait une marche presque ininterrompue de 33 heures.

Ce 2ème chasseur a perdu 4000 hommes sur 5000. Léon nous disait que c’étaient de vrais sauvages, connaissant surtout la baïonnette et coupant la gorge de tous les Allemands tombés, morts oui blessés.

Ils ont ainsi battu en retraite jusqu’à Meaux ; mais avec des zigs zag tels qu’ils ont parcouru au moins trois fois la distance. Après la bataille de la Marne, ils sont remontés jusqu’à Soissons.

Jean

Le 19, Jean a commencé à souffrir de fortes diarrhées suite des nuits froides et pluvieuses. Il a continué à se battre à l’Est puis à l’Ouest de Reims. Dirigé ensuite vers le Nord par la Verberie-Albert il est obligé malade de quitter l’armée et rentre à Granville le 1er Octobre avec vingt ours de convalescence.

du Lundi 5 au Mercredi 7 Octobre

Nous progressons un peu dans l’Argonne et en Woëvre. Nous avons pris, à notre aile gauche, l’offensive et depuis trois jours l’action semble de ce côté de plus en plus violente. Les dépêches sont laconiques et même obscures. Mais il y a un homme, le général Castelnau. Les Allemands jouent là une partie capitale. S’ils la perdent, c’est pour eux une retraite dangereuse et l’évacuation de la France. Cette pensée peut donner l’idée de l’acharnement de la lutte de leur côté et du nôtre.

Les Russes ont remporté une grande victoire sur le front Suwwalki – Augustovo – Lomza.

Poincaré, Viviani et Millerand sont partis pour le front mais de Bordeaux jusqu’au front il y a loin.

Les journaux anglais affirment que les pertes allemandes sont au moins de 400000 hommes sur le seul front Ouest. L’énormité de ce chiffre n’a aucune invraisemblance étant donné les effectifs aux prises, l’acharnement des batailles et leur durée. Le moins que l’on puisse dire est que les armées allemandes ont vu s’évanouir leur rêve d’écrasement de la France. Et, dans leur plan, ce rêve était une certitude qu’ils croyaient tout à fait mathématique. Cela est de toute évidence et peut seul expliquer qu’ils aient tant voulu la guerre croyant l’heure venue du grand empire germanique.

Si nous échouons dans notre offensive à l’aile gauche, il semble certain que cet échec ne leur permettra nullement de reprendre une victoire offensive sur Paris. Notre front à gauche serait ramené en arrière et les deux armées se retrouveront face à face neutralisant leurs efforts. Ce serait alors une véritable guerre d’épuisement ; mais la mobilisation russe est terminée et la grande offensive russe ne peut tarder ; les forces anglaises s’accroissent.

La défaite finale de l’Allemagne ne peut faire l’ombre d’un doute et l’orgueil fou de ces brutes sera écrasé et noyé dans leur sang. Mais à quel prix ? Chaque jour, nous apprenons des morts nouvelles et ce sont les meilleurs qui sont fauchés ; car ce sont les meilleurs, la fleur de notre jeunesse et de nos hommes qui se bat. Tout ce qui a un peu de sang dans les veines se ruent à la défense de nos frontières.

Nos pertes doivent se chiffrer par centaines de mille, comment prévoir, comment penser à ce qu’elles seront à la fin de cette guerre qui ne fait que commencer. Cette guerre est la première où l’on voit se mesurer des peuples armés. L’héroïsme de nos soldats est égal et même supérieur à celui des soldats de Napoléon dans les campagnes d’Italie et de France.

Les grandes batailles ne duraient qu’un jour, deux au plus pendant lesquels les hommes étaient soutenus par l’ivresse du combat. Mais elles étaient presque toujours précédées et suivies de quelques repos quand elles ne décidaient pas du sort de toute une campagne.

L’héroïsme pendant les combats n’est rien à côté de celui qu’il faut chaque jour pour supporter joyeusement des fatigues écrasantes, incessantes ; la privation de sommeil, souvent de nourriture ; l’absence de toute nouvelle, l’angoisse patriotique. La possibilité continuelle d’une mort violente doit vite devenir le moindre souci. Donner son sang en une fois tout d’un coup c’est beau mais le donner tout entier goutte à goutte, voilà le vrai héroïsme. Et c’est actuellement le magnifique exemple que nous donnent presque tous nos soldats. Voilà ce que peut faire l’idée de patrie.

le Mercredi 7 Octobre au soir

Nous recevons les dépêches ci-dessous. Je n’y comprends pas grand chose. Ainsi nous qui voulions déborder, non seulement nous serions tenus en échec mais en plus nous sommes débordés nous-mêmes par des forces considérables.

Télégramme du 6 Octobre

A notre aile gauche, le front prend une extension de plus en plus grande. Des masses de cavalerie allemande très importantes sont signalées aux environs de Lille, précédant des éléments ennemis qui font mouvement dans la région, au Nord de la ligne Tourcoing – Armentières.

Autour d’Arras et sur la rive droite de la Somme, la situation se maintient sensiblement.

Entre la Somme et l’Oise, il y a eu des alternatives d’avance te de recul.

Près de Lassigny, l’ennemi a tenté une attaque importante qui a échoué.

Sur la rive droite de l’Aisne, au Nord de Soissons, nous avons avancé légèrement, avec la coopération très efficace de l’armée britannique.

Nous avons réalisé quelques progrès dans la région de Berry-au-Bac.

Sur le reste du front, rien à signaler.

Télégramme du 7 Octobre

Les caractéristiques de la situation restent les mêmes.

A notre aile gauche, au Nord de l’Oise, action de plus en plus violente.

Au centre, calme relatif.

Un peu de terrain a été gagné dan la partie Nord des Hauts de Meuse.

(coupures de journaux)

Mais les Allemands ont donc en réserve une vraie fabrique d’armées.

Ils avaient réussi à refouler les Russes en Prusse Orientale ; on prétend qu’ils ont douze corps d’armée entre Posen et Cracovie et les voilà qui trouvent le moyen de déborder le front d’une armée qui comprend la totalité des forces françaises renforcée de 250000 Anglais. En plus, ils assiègent Anvers.

ne vit troupeaux de cochons aussi nombreux.

Il est vraisemblable d’admettre qu’à l’abri des fortifications véritables que les Allemands avaient établies, ils ont commencé un vaste mouvement de retraite. La bataille violente qui va se déplaçant toujours plus au Nord couvrirait le flanc droit de cette retraite. Pourvu qu’ils s’en aillent, peu importe en somme le chemin et la méthode.

lettre d'un officier allemand

parue dans un journal suisse et montrant les effets du canon de 75 à l’efficacité duquel nous devons la victoire et tant de sang français épargné :

La scène se passe sur l’un des champs de bataille de la Marne

«  Nous dîmes reculer, car les Anglais essayaient un mouvement tournant que nos aviateurs avaient reconnu. Pendant les deux dernières heures, nous étions continuellement exposés au feu de l’artillerie ennemie car notre artillerie était détruite ou en retraite et avait cessé de tirer.

« Tu peux te représenter ce que nous ressentions. Je saisis mes camarades par la main et nous nous couchâmes à plat ventre aussi étroitement que possible, comme des harengs, et nous attendîmes la mort. Des aviateurs ennemis tournaient au-dessus de nous en décrivant deux cercles, ce qui signifie : Ici, il y a de l’infanterie.

« Alors ce fut le déchaînement. L’artillerie ennemie faucha tout le terrain avec son tir par stries progressives. En une seule minute, je comptai 40 obus ; représente-toi cela ! Les shrapnells faisaient explosion de plus en plus près. Enfin, ils arrivèrent dans nos rangs. Je retournai rapidement ma sacoche sur mon ventre pour le couvrir un peu ; et déjà retentissaient des hurlements de douleur.

« Les larmes me venaient aux yeux à entendre les pauvres diables qui se lamentaient ainsi, tandis que les coups succédaient aux coups. L’air en grondait. La poussière de sable, la fumée de la poudre et la puanteur empêchaient de respirer. C’était de plus en plus terrible. Tous nous poussions des clameurs après notre artillerie, nous ne savions pas qu’elle avait déjà cédé.

« Enfin, après une longue et angoissante attente, le feu s’éloigna plus loin vers les lignes de derrière. Le commandement retentit : «  En finir ! » En nous courbant le plus possible, la sacoche ou le sac retourné, le fusil en main, en avant, marche !

« Nous devions passer sous le feu de l’ennemi. Les hommes recommencèrent à tomber comme des mouches. Dieu soit loué que j’aie pu courir comme je l’ai fait ! J’étais à bout de souffle ; mon cœur menaçait de rompre ! Je voulus me jeter à terre, ne pouvant pas aller plus loin. Alors votre image se représenta à moi, toi et Bolli, cela me poussa encore plus loin en avant.

« Nous arrivons enfin à l’emplacement de nos batteries. Le sol est bouleversé par les projectiles ; trois canons sont en débris et les avant-trains et affûts brûlés. Plus loin, plus loin !

« Nous faisons quelques pas lentement pour reprendre haleine. Voilà de nouveaux cris appelant au secours. Quelqu’un appelle : « Camarade, ne m’abandonnez pas… ma pauvre femme ! »  Arrive à notre rencontre une voiture, elle tourne court. On charge le blessé et avec lui deux hommes qui n’en peuvent plus. On fouette les chevaux ; on les pique à la baïonnette ; il faut en sortir !

« Et toujours ces bruits, un sifflement, Piüh, puis boum-krach : ce sont les obus. L’un d’eux tombe contre la voiture. Que l’on n’en devienne pas fou, c’est un miracle. Enfin, après environ quatre kilomètres, les projectiles ne nous atteignent plus.

« Je commande alors : Au pas, en ordre, par intervalles. Tout d’un coup, tout devient obscur devant mes yeux ; je chancelle ; l’homme placé à côté de moi me soutient. Je prie tout haut – ne riez pas ! vous ne savez pas par quoi nous sommes passés. J’étais sauvé.

« Ensuite commença une terrible marche forcée : nous avons marché 26 heures, avec deux heures de halte seulement. J’ai la plante des pieds en compote. Si vous pensez à tant de nuits sans sommeil, vous pouvez vous représenter les hommes qui, au cours de la marche, tombaient par rangées et s’endormaient. Et moi, je ne faisais que penser tout le temps : Tu vis, va plus loin.

(coupure de journal)

Un moderne d’Assas : « Tirez mes amis, ce sont les Boches ».

Chanté par des blessés dans un train :

« En avant

« Tant pis pour qui tombe

« La mort n’est rien… Vive la tombe

« Si le pays s’en sort vivant

« En avant

Monsieur de Mun meurt d’une crise cardiaque. Grand patriote et grand … Il suivit les directions de Louis XIII et fut un  des grands apôtres du ralliement. En donnant aux catholiques l’ordre d’accepter la république, on espérait que la république accepterait les catholiques. Erreur grossière, dans laquelle persiste un grand nombre de prêtres et de catholiques notoires que l’enragée persécution maçonnique ne décourage pas. Fous qui font ainsi le jeu de leurs persécuteurs.

L’Eloge de M. Albert de Mun au groupe des Députés de la Seine.

Le groupe des Députés de la Seine s’est réuni, hier, au Palais Bourbon, sous la présidence de M. Denys Cochin.

M. Denys Cochin a fait part à ses collègues du décès de M. le comte Albert de Mun, dont il a prononcé l’éloge : « Le Parlement est encore éprouvé par cette mort, qui survient après celle de Jaurès, car ainsi disparaissent deux grands orateurs qui honoraient la tribune française. »

(coupure de journal)

Denys Cochin, l’éternel bourgeois libéral, plat et gaffeur.

Les vers suivants ne sont pas l’œuvre d’un griot nyam-nyam ; mais ils soutiendraient avantageusement la comparaison avec n’importe quelle poésie des anthropophages. Ils ont paru le 3 septembre dernier dans le Badische Landeszeitung, le plus important journal du grand-duché de Bade, publié à Carlstuhe.

« O toi, Allemagne ! hais maintenant !

« Avec une âme de fer, égorge des millions d’homme de cette race du diable.

« Et que jusqu’aux nues, plus haut que les montagnes,

« S’entassent la chair fumante et les ossements humains.

« O Allemagne ! maintenant hais !

« Cuirassée d’airain, ne fais pas de prisonniers, et à chaque ennemi un coup de baïonnette dans le cœur !

« Rends chacun aussitôt muet.

« Fais un désert des pays qui, tout autour de nous, te font une ceinture

(coupure de journal)

On ne peut évidemment répondre à de tels vers que par un feu accéléré de 75.

Comme disent les soldats, paraît-il : « Les Boches ont eu 70 mais nous avons le 75. »

du Jeudi 8 au Dimanche 11 Octobre

L’ensemble de la situation ne s’est pas modifié, on s’est battu avec acharnement aux deux ailes. La bataille a été et reste très violente de Compiègne à Lille. Les Allemands ont tenté sans succès de nous enfoncer dans la région de Roye et de déborder notre aile gauche dans la région Armentières Cassel.

Je suis consterné de la nouvelle chute à Anvers. Je la croyais certaine mais pas si proche. Le triomphe de l’artillerie sur les fortifications est complet. Il faut s’en réjouir, je me promets d’indicibles jouissances quand les artilleries françaises et anglaises bombarderont Cologne, Coblentz… Mais, nous n’y sommes pas. La prise d’Anvers est un gros succès allemand. Voilà une armée qui va nous tomber sur le dos. Mais j’ai des raisons de penser que nous pourrons parer avec succès ce danger.

Nous savons très sûrement par Henri Durand que 50000 Anglais ont débarqué à Ostende ; l’armée belge qui a quitté Anvers doit être à Gand ou à Ostende. D’autre part, dans ces huit derniers jours, il est parti de Cherbourg seulement au moins 30000 hommes d’infanterie active et territoriale, cavalerie, artillerie (de 90 ?). Du Havre et probablement de Brest, on a également envoyé des troupes dans le Nord. C’est donc au moins 200000 hommes qui vont se trouver concentré dan la région Dunkerque Ostende.

Pendant les 20 premiers jours de la bataille de l’Aisne, la cavalerie avait eu fort peu affaire. L’infanterie est plus que jamais la reine des batailles. Avec l’armement moderne, il semble que les charges de cavalerie soient devenues impossibles ; mais dans la marche en avant ou la retraite, le rôle de la cavalerie demeure très important. Dans l’éclairage surtout, l’initiative et l’intelligence des officiers peuvent souvent avoir la plus grande importance.

La cavalerie demeure l’arme brillante en ce sens qu’agissant souvent en fractions très réduites elle permet plus facilement les faits d’arme individuels. L’héroïsme de nos officiers d’infanterie n’est certes pas moindre que celui des cavaliers ; mais noyés dans la masse, il a moins de relief. C’est ainsi que jusqu’ici la proportion des distinctions données aux cavaliers est très forte.

L’artillerie est toujours l’arme où il faut science et pratique ; l’utilisation de la notre est très parfaite. Le concours des aéroplanes lui est très précieux.

Paulo

Une dépêche arrivée au Lude, Jeudi 8, donnait à penser qu’il allait peut-être arriver à Cherbourg pour être dirigé sur le Nord par mer.

MT part pour Cherbourg Vendredi 9 à 4 heures. A 9 heures du soir, on nous apporte des lettres que Paulo avaient remises aux chefs de gare de Valognes et de  : il prévient qu’il est en route et demande instamment qu’on lui amène sa famille. MT retrouve lapin Cherbourg, il peut dîner et coucher chez Eauline.

Papa quitte le Lude en auto le samedi matin, il emmène maman, Paule et gros Mi ; ils arrivent bien juste pour voir Paul quelques minutes dans l’arsenal. Il embarque sur le Kiagara et part dans l’après-midi.

Le bon Paul est crâne ; ils vont former des troupes de 2ème ligne ; mais il y a de grandes possibilités pour quel qu’il voit le feu peut-être même assez vite. Le colonel de leur régiment, de l’active, est parfait ; mais il paraît que les autres officiers sont peu brillants ; son capitaine, quand l’ordre de marche est arrivé, leur a dit : « Allez dans les cabarets, buvez, donnez-vous c’est la dernière fois car pas d’illusions : dans huit jours nous serons presque tous morts. »

du Lundi 12 au Vendredi 16 Octobre

La situation ne se modifie guère.

En France. De l’Oise à la Meuse et en Woëvre, nous avons légèrement progressé ; mais Saint Mihiel reste aux Allemands. Dans le Nord, les communiqués sont très confus. Les Allemands ont occupé Lille ; mais des forces anglo-françaises occupent et Des évènements très importants vont certainement intervenir dans cette région.

En Le gouvernement belge s’est transporté au Havre.

En Russie. Les Russes ont légèrement pénétré en Prusse Orientale mais semblent arrêtés. Quant à la marche russe sur Cracovie, elle reste mystérieuse. Ils continuent à assiéger … et … certain que des colonnes russes franchissant les Karpathes s’avancent en Hongrie. Une grande bataille doit certainement être engagée sur la Vestulea et … … ; le silence complet sur cette action me paraît du moins suspect et je crains beaucoup une mauvaise nouvelle de ce côté. Je me laisse d’autant plus aller à cette crainte que je viens de lire un ouvrage du général Maîtro où il est dit que les prétendues masses russes ne comptent réellement que 1700000 hommes de troupes sérieuses.

Jean

Jean est resté au Lude de Lundi à Jeudi. Il nous a parlé du grand épuisement de l’armée et de ses cruelles pertes en officiers qui diminuent beaucoup sa valeur offensive. Dans son régiment, sur 40 officiers, il y a huit tués et 20 blessés ; il reste 6 officiers de valeur.

Il estime que la retraite vers la Marne s’est faite en bon ordre, sans pertes sérieuses de matériel. La Belgique les a reçus admirablement ; il a vu, dans des maisons abandonnées, des inscriptions comme celles-ci : « Si vous êtes Français, cette maison est à vous ».

A noter l’admirable trait suivant. 13 blessés se sauvent d’une ambulance envahie par les Allemands ; ils arrivent devant un château ou stationne une voiture attelée de deux superbes chevaux ; le propriétaire montait en voiture pour s’enfuir ; il descend, arrive à installer les 13 blessés, donne les rênes à un zouave dont un bras est valide ; puis il embrasse ses deux chevaux sur le front et il laisse partir la voiture.

Il a pris part aux batailles dites : de Charleroi, de Guise, de la Marne. Combats confus sur un front immense où il n’a jamais eu d’impressions bien nettes soit de victoire, soit de défaite : tantôt avançant, tantôt reculant sans trop savoir pourquoi. Les pertes des unités, régiments, compagnies, très inégales, étant plus ou moins engagées suivant le hasard des circonstances ou du terrain ; quelque fois aussi décimées par les erreurs d’un chef. Combats tourbillonnants ; souvent on ne sait pas trop où est l’ennemi et, comme on tire sur tout ce qui est on tire parfois sur des amis.

Content de ses hommes ; mais le plus grand nombre a besoin d’être soutenu par l’officier ou le gradé. On ne peut s’en étonner ; il est trop humain de foutre le camp quand il pleut des balles. Jean nous a parlé de la violence de l’explosion des projectiles des obusiers allemands ; tombant dans un terrain mou, le rayon d’efficacité est très faible ; sur un terrain dur ou sur du matériel, ils sont très redoutables. Que peut devenir le moral d’une troupe au milieu de laquelle vient tomber une pluie de ces gros obus.

Chaque compagnie comprend un groupe d’hommes d’élites, de meneurs que plusieurs combats ont vite détachés en relief. C’est dans ces entraîneurs que se recrutent les nouveaux gradés.

D’une façon générale, les pertes par les balles sont de beaucoup les plus lourdes.

Quant à la baïonnette, si les charges sont fréquentes, les corps à corps sont des plus rares ; l’ennemi essaie par un feu intense d’arrêter la charge, mais s’il ne réussit pas il s’enfuit.

Jean nous dit que le soir du Septembre, il recherchait Benoît blessé en l’appelant ; de tous côtés répondaient des appels de blessés demandant du secours ou à boire. Ces appels se répondant s’étendaient fort loin de proche en proche.

Ceux qui ont vu ces choses ont vécu là, en quelques heures, plus que pendant des années.

Notre infériorité au début est venue en partie de notre excès d’élan. L’élan demeure un élément de victoire incomparable mais il ne suffit pas. L’armement moderne est si puissant qu’il peut, en quelques minutes, anéantir des milliers d’hommes. La guerre est devenue scientifique. La liaison des différentes armes est de première importance ; isolées, elles ne peuvent rien ; mais leurs efforts, intelligemment coordonnés, emportent tout. Et alors seulement la bravoure et la force morale donnent leur plein effet.

La prudence de l’officier français ; c’est si peu dans son caractère, c’est cependant nécessaire dans cette guerre atroce. Et souvent il le faut pour mieux servir. Mais l’heure peut sonner ou c’est utile pour l’exemple de se faire tuer. Alors en haut le panache, le plus haut possible.

Récit d'un caporal brancardier

(Cité du temps).

Sous la mitraille

« L’action est maintenant engagée. Le duel de notre « 75 » et de leurs obusiers tapageurs a commencé. Là-bas, en deçà de la ferme qui, vers l’Est, se détache sur le ciel dans une grosse masse de verdure, et de chaque côté deux batteries inondent l’ennemi d’une pluie d’obus qui vraisemblablement fait merveille. Un crépitement lointain indique que l’infanterie, elle aussi, est aux prises. Les mitrailleuses allemandes, dont nous entendons l’exaspérant roulement de moulin à café, pouvant causer du dommage dans les rangs français, il y a lieu, pour le service de santé, d’avancer le plus près possible du centre de l’action afin de secourir ceux qui vont peut-être tomber.

« La mission des médecins, infirmiers et brancardiers régimentaires présente des difficultés de toute nature dont le public et beaucoup de combattants eux-mêmes ne se rendent pas compte. Il est d’opinion courante que le service de santé n’intervient qu’après la cessation du feu, restant en arrière pendant toute la durée de l’action. Ce rôle est celui de divisions spéciales d’infirmiers et brancardiers chargés de l’évacuation des blessés sur les hôpitaux.

« Les médecins régimentaires sont au contraire au milieu même des combattants. Obligés de se découvrir pour relever les blessés qu’ils pansent sous le feu, ils n’ont pas, comme les soldats qui se blottissent dans les tranchées, la faculté de s’abriter, et sont par suite incomparablement exposés. Il y a d’ailleurs lieu de mettre les soldats français à l’abri, en arrière de la ligne de combat, dans des postes de secours, dès qu’une accalmie du tir ennemi le permet.

« La ferme de Quennevières nous avait été signalée comme servant de refuge à de nombreux blessés français et allemands. Mais le tir de l’artillerie en rendait l’approche sinon impossible, du moins extrêmement périlleuse. Sur une longueur de deux kilomètres, le chemin de l’exploitation étendait un blanc ruban déjà marqué par places de tâches noires qui étaient des trous d’obus. La perspective d’une promenade sur ce chemin n’avait vraiment rien de réjouissant.

« Les docteurs A…, de La Flèche, et T…, de Mamers, n’hésitèrent pas un instant. Je suivis mes deux chefs, non sans douter du succès de cette hasardeuse tentative. Nous atteignîmes sans encombre la hauteur des batteries françaises qui, de chaque côté du chemin, faisaient rage sur l’ennemi. Le danger ne commençait, en somme, qu’en cet endroit. A gauche et à droite, la terre, comme une écumoire, était crevée d’obus ; dans un champ, trois vaches étaient couchées côte à côte ; elles semblaient dormir. En nous approchant, nous vîmes que toutes les trois, en enfilade, avaient été traversées par un même obus. Un peu partout, sur la terre féconde, chaude déjà sous le gai soleil, des soldats reposaient dans leur dernier sommeil.

« Nos obus passent maintenant au-dessus de nos têtes. Les détonations, fortes et brèves, se succèdent de près, quatre par quatre, et des sifflements ébranlent les couches d’air. Nous nous regardons en riant : « Ce qu’ils doivent prendre là-bas ! » Mais tout à coup, on cesse de rire ; au loin, un grincement connu, un bruit de roue de charrette mal graissée puis c’est un ronronnement de rouet qui soudain grandit et passe dans un hurlement atroce pour s’arrêter tout à coup ; l’obus à toucher terre, cent mètres en arrière, où il éclate dans une gerbe de pierres et de morceaux d’acier, avec un bruit effroyable.

« L’obus passé, on reprend la conversation ainsi interrompue.

« Cependant nous arrivons à la ferme ; des deux côtés du chemin, les arbres se dressent, aux troncs balafrés, fendus même dans toute leur hauteur, aux branches déchirées et brisées par les balles et les éclats d’obus. Partout devant nous, des excavations profondes, en entonnoir, marquent la place où les obus sont tombés ; le sol est jonché d’éclats d’acier, aux bords déchiquetés et tranchants, et d’un poids souvent inimaginable. Les murs de clôture de l’exploitation, qui semble fort importante, sont abattus sur place. Tout indique que les canons allemands s’acharnent sur cette ferme, qu’ils supposent sans doute servir de rempart à notre artillerie.

« Mais voici que le petit grincement se fait entendre à nouveau, et cette fois avec un son particulier, qui se grave à jamais dans la mémoire de ceux qui l’ont entendu une fois. L’obus vient droit à nous. Un ronflement de moteur, un mugissement furieux… En un clin d’œil, nous sommes à terre, à plat ventre, le nez dans la boue. Heureux qui trouve une rigole, un caniveau ! L’attente est longue, hélas ! Et chacun de nous a le temps de se faire des réflexions fort désagréables : «  Est-ce pour cette fois-ci ? Va-t-il tomber plus loin ou bien va-t-il me clouer ici, dans cette position ridicule ? » Et, de nouveau, le flot des souvenirs monte à la tête – et l’avenir rêvé apparaît, une dernière fois, radieux !

« Pourtant la trombe passe : quatre, cinq, six obus déchirent l’air dans un rugissement ; l’instant est terrible ; nous nous aplatissons sur le sol. Quelques secondes s’écoulent et des milliers de débris s’abattent en rafale sur les murs et les arbres.

« On se relève, tout crotté – on se remet sur ses jambes, tout grognon. Une vague odeur de dynamite emplit l’atmosphère. Tout un pan de muraille a été abattu par l’explosion. Pas de blessé. Tout va bien.

« Nous passons le portail ; la grande cour intérieure, entourée du logis du maître et, de trois côtés, par les bâtiments de service, est calme ; tout est en ordre. Par les portes ouvertes des étables, nous voyons de bonnes vaches paisibles, ruminant, indifférentes. Rien n’indique dans cet intérieur de ferme cossue, la lutte tragique qui se déchaîne à l’alentour.

« Seul un chien, abominablement maigre, semble inquiet ; il jappe tristement en tournant autour de quelque chose ; c’est une grande tâche rouge sur le sol, une mare de sang, du sang déjà caillé. La pauvre bête aboie sans trêve, lamentable appel à son maître qui est tombé là.

« Nous entrons ; la cuisine et trois chambres, au rez-de-chaussée, sont pleines de blessés, uniformes français et allemands pêle-mêle ; quelques officiers. Six soldats allemands, valides, dont trois porteurs d’un brancard de la Croix-Rouge, soignent les uns et les autres – nous devons dire à leur honneur – avec une égale sollicitude. Nous retrouvons avec plaisir un médecin et des infirmiers français dont le concours nous sera précieux.

« Beaucoup de ces malheureux, étendus sur la paille sanglante, avaient des blessures horribles ; il en venait toujours, un peu de partout. La ferme leur apparaissait comme un refuge suprême et ils se traînaient comme ils pouvaient vers cette retraite qui pour plusieurs d’entre eux allait être un tombeau.

« Au bout d’une heure, il y en a dans tous les coins, jusque sur les marches de l’escalier. Les plus gravement atteints sont étendus sur des lits et des matelas. Un soldat demande à boire ; et quand il se soulève, tendant la main verre le verre qu’on lui présente, une balle, au travers du volet, vient le frapper en plein cœur. Le malheureux s’affaisse sans une plainte. Les témoins  ne font pas un geste, ne prononcent pas un mot. A quoi bon parler ? Leur tour va peut-être venir dans un instant. A quoi bon se plaindre ? Ils en ont déjà tellement vu ! Le cœur est mort pour la souffrance. Et tout à l’entour les balles et les obus font rage, sapant les arbres, éventrant les murs.

« Pourtant une accalmie permet aux brancardiers d’évacuer la plupart des blessés. Les docteurs A… et T… restent seuls avec les derniers blessés et avec les Allemands, qui apportent un courage réel à les aider. Il est 3 heures de l’après-midi. Le tir, après s’être apaisé un instant, a repris, plus violent qu‘auparavant. Les obus sifflent sans discontinuer.

« Un adjudant qui a une blessure effroyable nous supplie : « Mes bons amis, je vous en conjure, par pitié, mettez-moi dans la voiture ! » Etre dans la voiture qui, dans la cour, attend une seconde accalmie du tir pour emmener de nouveaux blessés, c’est, aux yeux du malheureux, la garantie de son évacuation. Nous nous rendons à son désir. A peine repose-t-il dans la voiture qu’un shrapnell éclate, l’étendant mort dans la carriole qu’il considérait comme son salut.

« Le tir soudain se fait plus précis. Je vois les médecins, indifférents au danger toujours plus menaçant, se prodiguer aux blessés. Les obus tombent en des points toujours plus rapprochés de la partie de l’habitation que nous occupons. Déjà la plupart des bâtiments de service se sont effondrés. Dans l’étable, les vaches beuglent, épouvantées.

« Dans la cuisine, un blessé m’appelle. Le malheureux, atteint d’une balle en pleine poitrine, halète. Il se soutient sur un bras, qui glisse toujours sur la paille ensanglantée. De l’autre main, il cherche sur sa poitrine, dans sa capote raidie, empesée par le sang figé, une lettre qu’il me tend les yeux pleins de larmes : « C’est pour tout à l’heure, n’est-ce pas ? dit-il. Nous y passerons sans doute tous les deux. Mais si tu en réchappes, tiens, voilà une lettre. »

« Il s’interrompit. Un obus passait, pour s’abattre vingt mètres plus loin sur le chemin. Le pauvre garçon me regardait, en souriant tristement à travers ses larmes. Je pris la lettre qu’il me présentait : « Ma fiancée ! » murmura-t-il. Et je vis, dans ses doigts rouges de sang, une petite mèche de cheveux noirs, qu’il pressa sur ses lèvres dans un baiser d’une tendresse infinie.

« Je m’assieds près du blessé ; l’oreille aux aguets, dans une tension de tous les nerfs et de tous les muscles. Nous attendons la mort avec impatience maintenant. Après avoir employé toutes nos énergies à lutter contre elle, notre devoir accompli, nous la désirons presque, cette grande libératrice de toutes les angoisses et de toutes les souffrances. Et comme si elle répondait à notre appel, la voici tout à coup. En levant les yeux vers le plafond, je vois le plâtre se fendre en une étoile gigantesque et paraître, par une crevasse béante, la partie antérieure d’un obus monstrueux.

« Le plafond s’affaisse en entonnoir ; en même temps retentit le craquement sinistre des poutres et l’effrayante détonation de l’obus. En un instant, la nuit se fait dans mon cerveau ; je n’entends même pas les éclats frapper les murs. Puis je reviens à moi, à demi asphyxié par la poussière et les gaz de la dynamite brûlée.

« Je me dégage non sans peine. J’étais pris entre la poutre maîtresse, dont une extrémité était appuyée contre la muraille et dont l’autre reposait sur le sol, et la chaise, maintenant brisée, sur laquelle j’étais assis au moment de l’explosion ; renversé en arrière sur le parquet, j’avais la t^te enfouie sous des briques, plâtras et débris de toutes sortes.

« L’air, irrespirable d’abord, se renouvelle maintenant. La maison s’est abîmée du haut en bas et le ciel bleu et serein nous apparaît par le toit effondré. Les hommes les moins éprouvés dégagent leurs camarades. Un Allemand affolé gesticule : « Zum Keller ! Zum Keller ! » (A la cave !) braille-t-il. Et sa mimique et son cri jettent une note comique dans cette scène terrible. Presque tous sont en sang. Le pauvre fiancé est mort, broyé ; la plupart des blessés ont été atteints à nouveau par l’explosion.

« La situation est atroce. Les obus ont abattu la maison des deux côtés. Dans la partie restée debout, un sergent, mortellement frappé, regarde, l’œil indifférent, le plafond s’incliner dans un craquement, prêt à s’écrouler sur lui.

« Nous descendons les blessé dans la cave. La voûte, épaisse et massive, semble solide ; mais pourra-t-elle résister longtemps aux énormes obus allemands ? Oh ! cette cave pleine en un instant de l’odeur fade du sang, d’une fumée âcre – et où retentit sans cesse la plainte monotone des blessés ! Je vois encore un jeune médecin-major qui, ayant pu atteindre la ferme au moment de l’explosion, a été étourdi par la commotion. Il cherche à panser un blessé ; mais ses efforts sont vains et je dois prendre sa place. Je n’oublierai jamais le regard de reconnaissance que me jette ce vaillant médecin qui, vaincu par la souffrance, voit avec désespoir, qu’il ne peut plus remplir sa mission sacrée.

« Cependant, je m’entretiens avec les Allemands. Forts surpris de la courtoise française, ils s’épanchent avec moi, donnant libre cours à leur exaspération. Ils n’ont pas mangé de pain depuis trois jours. Une tasse de café, voilà tout ce qu’on leur a donné. Les troupes sont à bout de force et surtout à bout de patience. Aussi bien, pourquoi cette guerre, ces souffrances, ces massacres ? On les mène à la bataille à coups de fouet. Pourquoi continuer la guerre, briser tant d’existences, puisque la défaite est inévitable ? Ils l’attendent, cette défaite, la désirant, plus que la victoire, comme la délivrance nationale.

« Ma pauvre femme ! Mes pauvres enfants ! » disait l’un d’eux, frappé d’un éclat d’obus dans le ventre. Et un autre ajoutait : « Ma femme, à moi, est Française et j’ai vu, dans un groupe de prisonnier, mon beau-frère ! »

« A ce moment, dans un angle obscur, nous entendons un long sanglot. Une voix de femme d’une tristesse navrante s’élève dans l’ombre : « Tous mes enfants à moi sont morts, et mon mari a été tué là-haut dans la cour ! »

« C’est la propriétaire de la ferme. Elle a assisté, impuissante, à l’œuvre de destruction. Enfants, mari, fortune, elle a tout perdu. Elle vient d’entendre la plainte des Allemands, que je traduisais à haute voix, et elle pleure, elle aussi, son bonheur écroulé. Et là-haut je revois le chien maigre, hurlant dans la cour devant le sang figé de son maître ! …

« La situation était toujours fort grave. Il fallait à tout prix emmener les blessés hors de cette cave, où les obus pouvaient les ensevelir d’un instant à l’autre. A l’asphyxie, sous cette voûte qui d’ailleurs pouvait s’effondrer, la mort par les balles sur la plaine était encore préférable. Tenter de ramener tout de suite les blessés à Tracy-le-Mont, c’était pour eux la seule chance de salut.

« Ceux-ci sont rapidement chargés sur la voiture et le docteur T… les emmène au galop. Nous regardons avec admiration le jeune médecin auxiliaire doit le dévouement doit sauver la vie à tous ces malheureux. Je demeure dans la ferme avec le docteur A… afin de secourir deux blessés dont l’état fort grave ne permet pas le transport et tous ceux qui peuvent encore chercher un refuge à la ferme. L’heure de la délivrance n’a pas sonné pour nous.

« C’est de nouveau l’attente angoissante avec une femme et deux hommes à l’agonie. Quatre heures terribles, pendant lesquelles nous ne cessons pas d’entendre les obus s’abattre sur la maison. Nous étouffons dans cet espace étroit, éclairé d’une lumière fumeuse dont les reflets sinistres projettent autour de nous des ombres grimaçantes. L’air n’arrive dans notre refuge qu’à travers une crevasse, creusée par l’explosion d’un obus. Les soins que nous donnons aux blessés trompent notre anxiété.

« A 7 heures, la ferme entière était effondrée mais la mitraille tombait toujours aussi drue. Dans un de ces silences, mornes et pesants, qui séparait les rafales d’obus, un grand cri s’éleva : « Le feu ! » Faut-il tenter un effort suprême ? En aurons-nous la force ? En nous entr’aidant, nous combattons l’incendie sous la pluie des obus. Quelques seaux d’eau judicieusement employés ont provisoirement raison des flammes.

« Ce devait être notre dernière épreuve. A 9 heures, le bombardement avait pris fin. Nous abandonnions les ruines fumantes encore de la ferme, emportant nos blessés sur une petite voiture à bras. Quelques lumières tremblaient dans le lointain ; ça et là, des ombres entrevues s’épanouissaient dans la nuit, ombres fugitives et sinistres de bandits pillant les morts. Un cheval avait été à demi enfoui dans la route, écrasé par un obus ; un autre, éventré, s’était traîné sur le chemin.

« Nous marchions silencieux, pénétrés de piété pour tous ces héros. Le ciel s’illuminait par instant de rapides clartés : les projecteurs français fouillaient les nuages. Derrière nous, un reflet d’incendie : la ferme flambait maintenant et, lugubres, les flammes dansaient à l’horizon profond.

« Nous atteignîmes Tracy-le –Mont. Le docteur T…, échappant à des dangers toujours renaissants, avait eu le bonheur d’y conduire tous ses blessés. Pendant que le docteur A… confiait les nôtres aux soins diligents des Sœurs de l’hôpital, je me sentais pénétré de respect et d’admiration pour ces deux jeunes médecins qui, au prix d’un sacrifice cinquante fois renouvelé, avaient conservé à la France cinquante de ses enfants. »

Pierre de Lorraine

(coupure de journal)

du Samedi 17 au Mardi 20 Octobre

A notre aile gauche, la bataille semble très violente surtout de la mer au Nord de la Somme sur une ligne Nieuport – Ypres – Armentières – la Bassée – Arras – Albert.

L’armée belge est entre Ypres et la mer ; d’importantes forces anglaises semblent avoir quitté Soissons et sont au Nord entre Ypres et la Bassée.

Les attaques allemandes sont spécialement violentes dan la région d’Arras. Mais nous tenons partout et progressons légèrement.

La mort n'existe pas

Il y  a très longtemps… des siècles et des siècles… un piquet de quelconques soldats sortait de Paris, qui s’appelait alors Lutèce.

Ils coupèrent au travers des champs, poussant devant eux trois pauvres condamnés à mort ; ils gravirent une colline et, arrivés à mi-côte, s’arrêtèrent.

Là, les trois hommes se mirent à genoux, prièrent quelques instants ; puis les soldats brandirent leurs épées, firent tomber les têtes, essuyèrent le sang sur l’herbe de la butte, et, le travail fini, redescendirent, quelconques, comme ils étaient montés.

C’est à peine si, le soir, en buvant des rasades dans les tavernes basses qui s’adossaient aux bains de Julien, ils firent allusion aux condamnés du matin. Trois têtes de plus ou de moins… et des têtes de chrétiens…Quel infime détail pour un soldat romain !

*

Or ce détail comptait tellement qu’aussitôt la colline changea de nom et devint « le mont des Martyrs. »

Il comptait tellement que tous les siècles y vinrent en pèlerinage… qu’une basilique splendide s’éleva dans les environs, et, qu’aux heures des grandes angoisses, les rois de France venaient à Saint-Denis faire la suprême prière et chercher l’oriflamme.

Cette semaine, comme tous les ans, la basilique est pleine de fidèles ; dans tous les diocèses, d’innombrables messes sont dites, et des prédicateurs chantent aux foules la gloire de ces trois condamnés, dont les soldats romains ne surent même pas les noms.

*

C’est que rien n’est fécond comme le sang répandu pour une cause sainte.

Mères, épouses, sœurs de soldats tués sur un lointain champ de bataille… au reçu de la dépêche, vous vous êtes tordu les mains, en criant : « C’est fini ! »

Non… cela commence !

En quelque lieu qu’il soit tombé, votre bien-aimé, soyez sûres –Dieu a des anges pour cela – que des mains pieuses l’ont cherché après la bataille ; elles l’ont enseveli, placé une croix de bois sur son pauvre corps meurtri de balles.

Et, devant cette croix, les passants s’arrêteront ; ils y mettront des fleurs, ils y verseront des larmes et des prières ; puis, ils voudront savoir…

Alors, un paysan grave, appuyé sur sa bêche, ou bien une petite fille des champs, son tricot à la main, leur dira la simple histoire qui, de génération en génération, fait battre le cœur plus vite, et transmet, toute vivante, la tradition héroïque de la race :

« C’était en 1914, un soir, on s’est battu ici… les Prussiens se cachaient dans le bois… Ce soldat fut tué là, où est la croix… »

Et le passant s’en ira, rêveur.

*

Un prince visitait un jour le Colisée.

« Oh ! Très Saint Père, s’écria-t-il, vous me donnerez une relique d’un de ces martyrs… »

Alors Saint Calixte se baissa, prit une poignée de cette terre inondée de tant de sang :

« Je vous en donne de tous !… »

On peut répéter ce geste presque partout sur notre frontière du Nord-Est. Cet automne a vu une véritable floraison de petites croix… Il s’en est levé de tous côtés, au coin des routes, derrière les meules, devant les maisons.

Tous ceux qui sont de là-bas savent l’impression intense qu’on éprouve à certains crépuscules : les champs sont peuplés… des voix appellent du fond des forêts… d’invisibles soldats circulent dans l’ombre, et on se retourne parfois brusquement, comme si un galop de cavaliers se percevait au loin sur le chemin…

C’est qu’ils sont tombés là, les meilleurs d’entre nous…

C’est que si l’on grattait la terre, on retrouverait, sous le Lebel brisé, le chassepot de 70 et le fusil à baguette de 1814…

Et là, où sont les corps des martyrs, les âmes doivent aimer à se rassembler.

*

Aussi, femmes, redressez-vous !…

Non, vos bien-aimés ne sont pas anéantis.

Jamais ils ne furent aussi vivants.

Invisibles, surhumains, ils montent aujourd’hui la garde immortelle, et personne ne peut plus rien contre eux.

Ils sont là, attentifs, dans l’Argonne verte et dans les Vosges bleues… soufflant aux jeunes bataillons les mâles résolutions.

Ce coin de terre qui bombe… c’est eux !

Ce granit rouge où sont gravés tant de noms… c’est eux !

Ce poteau frontière renversé… c’est eux !

Ce petit enfant, qui étudie le français dans un livre tout neuf… c’est eux !

Ce vieil Alsacien, qui marche maintenant les épaules comme redressées… c’est eux encore !… eux toujours !…

On ne peut plus faire un pas sans les rencontrer… On ne peut plus parler sans qu’ils accourent dans la conversation.

*

Que dis-je !… Femme, lève ton lourd voile de crêpe… Au fond de tes yeux rougis de larmes, de tes yeux fous, où tout le malheur a passé, j’aperçois une flamme de fierté… C’est lui qui éclaire ton regard !…

Dans la rue, on te salue très bas… C’est lui !… lui qu’on salue en toi.

Et quand, la tête dans les deux mains, tu t’abîmes au fond de la prière… pour qui pries-tu… ? de qui parles-tu à Celui qui est la Vie… ?

Alors tu le vois bien, la mort n’existe pas…

Ton bien-aimé, il est seulement au delà de la frontière… En étendant tes mains, tu peux presque frôler les siennes. Et tu seras dans ses deux bras un jour qui ne doit pas finir…

Mais que Dieu, qui a permis l’épreuve terrible, t’aide, ô pauvre créature humaine, à ne pas en être brisée !…

Pierre l’Ermite

(coupure de journal)

 L’Empire allemand, dans une extase nationale, s’est levé tout entier. Tout entière la nation frémit d’une fièvre de patriotisme. Ce chœur de cinquante-deux millions de voix éclate du matin au soir en une même tempête d’exaltation :

L’Allemagne, l’Allemagne, au-dessus de tout,

Au-dessus de tout au monde !

Tant que pour la défense et l’attaque

Fraternellement elle restera unie

De la Meuse au Niémen,

De l’Adige au Belt,

L’Allemagne, l’Allemagne, au-dessus de tout,

Au-dessus de tout au monde.

C’est l’Autriche, sans doute, qui, par un coup de tête a voulu humilier la Serbie. Mais c’est l’Allemagne qui a voulu la guerre. Par son activité, par son ardeur, par ses vertus civiques, la nation a, depuis 1870, amassé une telle abondance de force qu’elle a fini par en être gênée comme d’un fardeau. Les muscles se gonflaient, le Cyclope n’y tenait plus : il frappe.

Maximilien Harden le déclare ouvertement dans le dernier numéro de Die Zukunft :

« De quel côté est le droit ? Oui, s’il ne s’agissait pas d’autre chose, on pourrait se contenter de suivre le conseil des sots et de traîner les grandes controverses internationales devant un tribunal qui de sa hauteur laisserait couler à travers l’Europe, comme de l’eau de source, une sentence aux articles méticuleusement pesés. La raison dans le cas présent, n’est que démence. Demandez au hêtre qui lui a donné le droit d’élever sa cime plus haut que le pin et le sapin, le bouleau et le palmier. Citez-le devant l’aréopage que président les mâchoires édentées et pendantes. Dans le feuillage du hêtre retentira comme une tempête : « Mon droit, c’est ma force ! » Le droit, qu’à son baptême chaque peuple a reçu de vivre, de se développer, de pousser vers le ciel, ne relève d’aucun juge.

« De quel côté est le droit ? Du côté où se trouve la force. Droit ou non  nous tiendrons ferme ou nous tomberons pour notre patrie. Nous voulons vaincre. Il faut que nous vainquions ! Inutile de broder, inutile de démontrer, diplomates en redingote et en lunettes, que nous sommes d’honnêtes gens à l’humeur pacifique. Cécil Rhodes – un grand homme ! un géant en souliers vernis et au poumon tuberculeux ! – l’a rugi à la face ratatinée des pédants : « Cette guerre est juste, parce qu’elle sert à mon peuple, parce qu’elle accroît la puissance de mon pays ». Enfonçons cette maxime à coups de marteau dans tous les cœurs. Elle l’emporte sur des centaines de Livres Blancs. Affichons-la sur tous les murs, sur les hôtels de Ville, au coin des rues – de grandes affiches rouge sang ! Ecrivons au-dessous : « Les hordes nous en veulent à mort. Un bâtard se rengorge dans la folle illusion qu’il pourra écraser le petit-fils du grand vainqueur. Sabre au clair ! L’impudent ennemi outrage du pied notre sol. Tuons-le ! L’histoire ne nous demandera pas nos raisons.

C’est ainsi que parle, en ce moment, toute l’Allemagne. Dans les cœurs se déchaîne un sentiment, longtemps contenu, de confiance en soi, d’admiration pour l’armée, de dévouement à l’Empereur et à l’Empire. L’enthousiasme patriotique déborde et roule comme un raz-de-marée sur les villes et les campagnes, irrésistibles, soulevant et entraînant tout et tous sur ses vagues.

(coupure de journal)

L’Allemagne

L’article ci-dessus, traduit d’un grand journal de Copenhague, me paraît absolument typique.

A quoi bon ergoter sur les prétextes de la guerre actuelle. Sous un prétexte ou sous un autre la guerre était fatale. Ses causes profondes sont dans la trop grande expansion de l’Allemagne, extrêmement prospère et qui, de toute façon, éclate dans sa peau, ayant une surabondance de population et de produits de toute sorte.

Les Allemands estiment que leurs voisins exploitent très mal les terrains qu’ils occupent ; ils pensent qu’entre leurs mains ils seraient beaucoup mieux utilisés. Et ils concluent que pour le bon ordre et même la justice, c’est eux qui doivent les occuper. Tous les Allemands ont été nourris de ces théories depuis leur âge le plus tendre et ainsi s’est créé un véritable peuple de proie.

Ils n’ont d’ailleurs jamais dissimulé leurs projets et, pour les réaliser, ils ont au grand jour préparé et armé la plus formidable armée que le monde ait jamais vue et ils lui ont prodigué les outils de destruction les plus puissants. Il n’y a rien de nouveau sous le soleil et à des dizaines de siècles de distance les mêmes causes produisent les mêmes effets et l’invasion des barbares que nous subissons a les mêmes causes que les anciennes invasions. C’est la conséquence d’une loi quasi mathématique d’expansion.

Les lois qui gouvernent les mondes sont immuables. Les principes qui étaient faux il y a dix mille ans le sont autant aujourd’hui. C’est ainsi par exemple que les théories démocratiques actuelles qui prétendent faire sortir l’autorité du peuple ont toujours conduit à la débâcle les peuples qui les ont admises. L’autorité ne peut venir d’en bas. Prétendre que la société est changée par la création de la grande industrie… Bêtises.

La société peut subir de légères modifications, des déplacements, mais pour changer il faudrait que l’homme change, ce qui ne sera jamais. L’éducation du peuple, le développement de la conscience individuelle, ce sont des mots très jolis, très séduisants. Mais on aura beau faire, la masse restera toujours stupide et incapable de disposer de son bulletin de vote avec intelligence, liberté et discernement. Donc tout pouvoir uniquement basé sur la souveraineté du peuple amènera fatalement le triomphe du mensonge et des politicards sans scrupules. Toute autorité reposant sur l’élection est boiteuse car l’élu dépend de son électeur. Il n’y a plus alors dans un pays que des intérêts d’individus et des intérêts électoraux. Personne ne s’occupe plus des intérêts supérieurs du pays. Et ainsi l’unité de la patrie s’effrite petit à petit et le jour de la catastrophe elle peut disparaître.

Nous avons été les témoins en France de cet affreux travail destructeur, mais Dieu merci, la véritable âme de la France était de si bonne trempe qu’elle a pu se ressaisir.

Une autre loi qui sera toujours vraie est celle-ci. La force prime le droit. Les pacifistes seront toujours des rêveurs. Il ne s’agit jamais de savoir comment les choses devraient être, mais bien comment elles sont. Et il est certain que derrière les plus brillantes apparences de civilisation il y aura toujours à l’état latent la possibilité de la guerre et de ses horreurs comme ultime ratio.

La perfection et l’intensité de la préparation de l’Allemagne à la guerre dépassent de beaucoup ce que l’on pensait. Tout ce que la science humaine a pu prévoir d’engins destructeurs, ils l’ont en quantités énormes. Le service de tous ces engins est spécialisé de façon à en obtenir l’effet maximum. Leurs actions sont liées, coordonnées. Tout ce que l’on peut humainement prévoir a été prévu, étudié longuement pendant des années. Ils ont prodigué les milliards. Tous ces préparatifs ont été faits par des chefs sélectionnés et compétents, surveillés eux-mêmes par un chef unique inamovible dont la volonté a sans cesse été tendue vers ce but. Créer une armée invincible qui au jour choisi établira le grand empire d’Allemagne de la Vistule à l’océan et le dotera de magnifiques colonies.

Leur matériel est donc splendide et parfaitement utilisé ; quant à leurs hommes, on ne peut méconnaître leur courage, soutenus par leurs officiers ils se sacrifient en masses avec un complet mépris de la mort, mais là où il faut et quand il le faut ; ils ne connaissent que la bravoure utile.

Sur cette parfaite et minutieuse préparation les Allemands croyant à leur invincibilité ont cru établir avec certitude qu’ils écraseraient la France et la Russie. Il est terrible  d’avouer que sans la résistance belge et le concours de l’Angleterre, ils auraient sans nul doute réalisé leur plan.

La force de notre défense est en premier lieu constituée par le soldat français qui présente un ensemble de qualités qui en font le premier au monde. Il faut y ajouter au point de vue matériel notre canon de 75 qui constitue une arme hors de pair et utilisée à la perfection. Comme artillerie lourde, nous avons quelques batteries de 105 et des canons 155 Rimailho excellents mais en quantités très insuffisantes.

Au point de vue artillerie lourde nous sommes d’une infériorité complète en face des Allemands.

Les Allemands ont d’innombrables mitrailleuses parfaitement groupées et servies. Nous en avons beaucoup moins qu’eux et à part les corps d’armée de l’Est qui avaient des sections de mitrailleuses organisées, les autres corps n’en avaient jamais vu quand la guerre a éclaté.

On comprend alors que les Allemands aient pu occuper entièrement la Belgique et d’importants territoires en Russie et en France en gardant leur sol presque intact.

Mais cette écrasante supériorité de l’Allemagne (préparation) a pesé de tout son poids dans le premier choc. Elle comptait que nous ne pourrions le supporter et que nous serions écrasés.

carte postale militaire humoristique envoyée par son frère

(Ici il me manque deux pages complètes sur l’exemplaire du cahier en ma possession m’obligeant malheureusement à en faire l’impasse !!! les pages 139 et 140 ne pourront donc pour l’instant être retranscrites ici.)

On s’est bien gardé de nommer ministre un monarchiste ou un catholique ou même un modéré. A quoi bon ? Ah ! les misérables, ils savent bien qu’ils n’ont rien à redouter de ce côté  car monarchistes, catholiques, modérés… se sont rués à la frontière d’un seul élan, à la défense de la France. On peut compter sur eux, donc se permettre contre eux toutes les persécutions, insinuer toutes les ignominies.

Je souhaite que les catholiques comprennent cette fois la leçon. Pour être respecté, il faut être craint et, pour être craint, il faut autre chose que des pétitions, des actes. Mais ce qui serait préférable c’est que les catholiques comprennent enfin que la république en France les persécutera toujours.

Artillerie

Nos 75 tireraient par jour environ 60000 coups, chiffre inférieur à notre production journalière qui atteindrait 80000 cartouches.

La production actuelle serait de 4000 Lebel par jour, mais on ne pourrait faire par jour que 7 canons de 75. L’artillerie de Cherbourg prépare chaque jour 2500 cartouches.

Quand et comment finira cette guerre ? Elle tend de plus en plus à devenir une guerre d’usure et d’épuisement. Sur une énorme étendue au front, les armes sont quasi enterrées en face l’une de l’autre. Des deux côtés on a presque renoncé à des attaques impossibles.

J’entendais cette nuit une violente tempête de sud-ouest qui secouait nos fenêtres. Je pensais à ces millions d’hommes de tout âge, de toutes conditions sociales qui, pour « l’idée de patrie » sont en ce moment debout dans toute l’Europe.

La nuit était bien sombre et les rafales de pluies chassées du sud-ouest devaient aveugler les Allemands ; je pensais qu’à cette heure même, nos soldats rampaient peut-être vers les lignes allemandes pour tenter une de ces attaques de nuit si fréquentes.

Les pertes

Il y a en ce moment en Europe au moins 15 millions d’hommes dont la pensée fixe et dominante est de tuer le plus grand nombre possible de leurs ennemis. D’après des chiffres assez vraisemblables, on peut admettre que nous avons eu depuis le début de la guerre au moins 500 000 blessés dont 100 000 morts – ces chiffres étant plutôt faibles – Les pertes allemandes en France doivent être au moins égales.

Il paraît difficile d’admettre que les combats puissent continuer bien des mois avec cette intensité. D’autant plus que l’hiver arrive, les jours sont déjà courts et si les armées doivent conserver leurs positions actuelles les maladies décimeront les troupes. Jamais il n’a été plus impossible de faire des prévisions quelconques sur l’issue de cette guerre….. aucun précédent n’existe dans l’histoire.

Jean

Jean repart pour le front le Vendredi, son régiment occupe des tranchées près d’Arras au sud.

Paul

Il était le 18 à Provens près d’Ypres. Le 20, il va toujours bien, il a entendu le canon, il n’a pas encore été engagé ; ils sont en seconde ligne. Il est clair qu’ils donneront si les combats dans le Nord persistent.

du Vendredi 23 au Dimanche 25 Octobre

La bataille continue, acharnée entre La Bassée et la mer. La dépêche du 25 nous apprend que les forces allemandes ont réussi à passer l’Yser ; mauvaise nouvelle qui peut leur ouvrir la route de Dunkerque et obliger nos forces à reculer dans la région d’Ypres.

Les Allemands sentent l’importance de cette bataille des Flandres ; si nous réussissons à les refouler le long de la mer, leurs lignes de communications seraient menacées de telle sorte que leur retraite générale de notre territoire s’imposerait. On comprend leur acharnement et les sacrifices d’hommes qu’ils font. Leurs armées comprennent des hommes de 16 ans et de 50 ans.

Une flottille anglo-française flanque notre extrême gauche. Son tir est très efficace.

La déclaration ci-dessous d’un officier allemand est curieuse à enregistrer. Assurément, ce sera une tâche très dure de réduire le bloc austro-allemand. Mais si elles le veulent, les puissances alliées peuvent avec le temps en venir à bout. Elles ont pour cela des ressources illimitées et efficaces. Il me semble que dans le courant de l’été 1915 ce bloc austro-hongrois peut être contraint d’accepter les conditions que la Triple Entente voudra lui imposer.

« En faisant la guerre, nous avons admis deux issues possibles : ou bien la victoire allemande, éclatante et décisive, ou bien la guerre sans décision aboutissant à l’égal éreintement des deux partis et à une paix basée sur le statu quo ou à peu près. Jamais nous n’avons admis l’hypothèse d’une défaite allemande. Le cas le plus défavorable pour nos armes semble se produire. Nous nous tiendrons sur la défensive, arrêtant et limitant l’invasion du territoire allemand. Quand, de guerre lasse, vous nous proposerez la paix, les destructions opérées en Belgique et en France seront inscrites aux profits et pertes et on ne pourra pas nous forcer dans nos derniers retranchements, nous qui aurons encore une armée redoutable, plusieurs millions d’hommes. Il est impossible d’anéantir le groupe austro-hongrois qui, fort de 115 millions d’habitants, n’acceptera pas la déchéance. »

(coupure de journal)

Article de Bourget

Bourget montre les forces régénératrices de la guerre, le miracle du sacrifice qui rapproche l’homme de Dieu, le transporte sur des cimes. L’héroïsme et la beauté morale brillent à profusion sur les champs de bataille.

Du fléau de la guerre peut donc sortir toutes les régénérations. J’écrivais ces jours derniers que les atrocités de l’invasion seraient la plus féconde des épreuves pour bien des départements du Midi. Hélas, je n’aurais pas pu écrire que ce serait le seul moyen d’ouvrir les yeux de ces aveugles nés. On comprend que Dieu ait non seulement permis les guerres, mais qu’Il les veule. Puisse cette guerre régénérer la France et ouvrir les yeux des aveugles.

« Je disais que la guerre, à travers tant d’épreuves, et de si affreuses, réserve du moins du moins ce bienfait aux peuples et aux individus qui acceptent virilement sa tragique nécessité : l’éducation par la résistance, en sorte que ce formidable élément de destruction peut devenir un élément fécond de reconstruction.

« La guerre procure aux gens de cœur un autre bienfait : celui de l’exemple à donner et à recevoir, en sorte encore que cette sanglante ouvrière de discorde l’est aussi d’union. Elle resserre d’un lien plus étroitement noué le faisceau social à l’heure même où l’on croit qu’elle va le briser. L’exemple, quand il est celui du devoir sur-le-champ de bataille, rallie d’un tel élan les volontés autour du drapeau ! C’est le Supérieur modelant sur lui l’Inférieur, le courage redressant la défaillance, la force servant de règle à la faiblesse, l’énergie devenue une prédication vivante. Il montre en lui ce que peut l’homme quant il veut, ce que vous pourrez, vous, son camarade, si vous voulez. Et vous voulez !

« Braver le danger, souffrir, mourir, - ces mots n’avaient pour vous, héritier comblé d’une société heureuse, qu’une signification si lointaine : La guerre en a fait en quelques jours une réalité terrifiante. Aurez-vous la force de l’affronter ? Vous en doutez. Et voici qu’un autre, là, devant vous, déploie cette force, froidement, tranquillement. Une contagion émane de son attitude. Ce qu’il a pu faire, vous le ferez. Et vous marchez au danger, vous voulez souffrir, vous savez mourir. C’est le miracle du sacrifice, qu’il se multiplie dans tous ses témoins. Ce miracle, nous y assistons chaque jour, chaque heure, depuis ces dix semaines. Nous-mêmes, il nous gagne, nous que l’âge et une santé précaire retiennent loin du front.

« Un immense besoin de dévouer nos dernières forces, de servir, nous tourmente qui nous vient de là-bas. Cette propagation de la flamme sacrée, c’est vraiment la course de la torche dont parle Lucrèce : Et quasi cursores virtutis lampada tradunt, dirais-je en osant substituer au vitae du texte ce mot de virtus que les Romains, ces soldats-nés, chargeaient d’un tel sens !

« Parmi ces porteurs de l’héroïque flambeau, aucune figure ne m’émeut autant que celle du Prince pour qui la France n’aura jamais une reconnaissance assez frémissante. Je veux parler de ce roi Albert.

« Le 3 août, le gouvernement allemand lui remet une note demandant le livre passage pour ses armées sur son territoire, moyennant quoi l’Allemagne s’engage à maintenir l’intégrité du royaume et de ses possessions. Sinon la Belgique sera traitée en ennemie. Le roi Albert a douze heures pour répondre. Devant cet ultimatum, il n’hésite pas. Il sait que l’armée allemande est une force terrible. Il connaît l’empereur. Il sait que l’orgueilleux, après une telle démarche ne reculera plus. Son trône est en jeu, plus que son trône : les sept millions d’âmes, -quelle éloquence prennent les vulgaires termes de statistique dans certaines circonstances ! – qui lui sont confiées : il voit en esprit ce beau pays indépendant ; ces charbonnages, ces carrières, ces usines, ces filatures, ces ports, cette florissante industrie épanouie dans ces plaines ouvertes qu’il ne pourra pas préserver. Mais il s’agit d’un traité où il y a sa signature. Répondre oui à l’Allemagne, c’est trahir un des co-signataires, le Français. C’est manquer à l’engagement pris, se déshonorer, soi et son peuple, et le roi dit non. Le reste est connu.

« Cet héroïsme de la probité, c’est celui du Regulus antique retournant à Carthage et au supplice pour tenir la parole donnée. Mais c’est aussi celui du commerçant qui ne veut pas être banqueroutier et qui vend tout, maison, meubles, linge, argenterie pour faire face à ses engagements. C’est celui du fils qui se ruine pour payer les dettes de son père. « A quel prix ce pacte aura-t-il été tenu. Y avez-vous pensé ? «  demandait M. de Bethmann-Hollweg à sir Edward Goshen : Ce n’est pas mon affaire. Il y a là un chiffon de papier, comme vous dites. Mon nom est dessus. Cela suffit ». Turenne aussi, comme on lui reprochait un jour de remplir une promesse faite à des voleurs. « Je tiens parole à M. de Turenne » répliqua-t-il.

« Cette fidélité du roi belge et de son peuple avec lui au « chiffon de papier », qu’elle est simple et qu’elle va loin ! Il ne s’agit plus là d’une idéologie contestable, comme de savoir si la Démocratie est supérieure à la Féodalité, ou le Socialisme au Capitalisme, vaines billevesées à piper le naïf Démos. Il s’agit d’un contrat, et à son propos de tous les contrats, d’un acte signé, donc de tous les actes signés et, comme la propriété repose, par définition, sur un contrat, il s’agit de toutes les propriétés, donc de tous les rapports possibles entre les hommes et du fondement même de la société.

« Oui, c’est l’ordre social tout entier que le roi Albert a défendu quand il a prononcé son non possumus.  C’est l’ordre social tout entier que M. de Bethmann a renié, quand il a craché sur le « chiffon de papier ». C’est l’ordre social tout entier que l’empereur allemand a piétiné, quand il a franchi la frontière belge. C’est l’ordre social tout entier que nous avons salué au Havre dans les personnes des ministres du roi Albert.

« On raconte que cet admirable Prince avait toujours sur sa table, dans son cabinet de Bruxelles, un volume de notre Le Play. Combien ce Maître de la Réforme qui a si fortement insisté sur le rôle essentiel des autorités sociales eut été fier d’avoir un pareil disciple ! Combien ému de voir ce chef entraîner son peuple, et ce peuple le suivre, avec une si généreuse unanimité dans la défense du principe qui est la pierre angulaire de la civilisation !

« Il l’a fait ce geste, si simplement ! Depuis ces dix semaines qu’il a vu ses villes bombardées, ses banques rançonnées, ses sujets massacrés, ses ministres obligés de demander un asile à la France, pas une fois il n’a proféré une plainte, et correspondance sublime du cœur des sujets au cœur du Prince, pas une parole de regret n’a été entendue qui trahisse une défaillance du peuple envahi. Une volonté invincible au service d’une pensée juste, connaissez-vous un spectacle qui éveille dans l’âme un plus mâle sursaut de respect et, s’il est possible, d’émulation ? Michelet disait de Kléber qu’il avait une figure si militaire que l’on devenait brave en le regardant. Du roi Albert, on pourrait dire que l’on devient plus honnête homme, rien qu’en pensant à lui.

Paul BOURGET

(coupure de journal)

du Lundi 26 au Jeudi 29 Octobre

D’Arras à la mer, bataille toujours aussi acharnée ; les troupes ennemies n’ont pu déboucher après avoir passé l’Yser. Partout nous tenons sauf devant La Bassée où nous avons reculé légèrement.

Le temps est très mauvais, vent et pluie.

Jean doit se trouver de nouveau sur la ligne de feu, quant à Paul, nous avons eu des nouvelles de lui. Il était le 13 à Mt des Cats, le 17 et le 18 à Proven. Il paraît bien probable qu’il se bat.

du Vendredi 30 Octobre au Mardi 3 Novembre

Les attaques acharnées des Allemands en Flandre ont diminué de violence. Entre Nieuport et Dixmude, ils ont subi des pertes terribles. Ces derniers jours ils ont attaqué presque partout notamment entre Noyon et Reims et dans l’Argonne. Actuellement leur effort principal se fait de Dixmude à Arras ; entre Dixmude et la Lys l’action est très violente.

Amédée

Vendredi à 3 h 15, Amédée télégraphiait de Cherbourg qu’il était blessé et passerait à St Sauveur vers trois heures. Une heure après, l’auto le ramenait au Lude.

La vie est pleine de surprises ; nous croyions tous rêver Vendredi soir en voyant Amédée assis auprès du feu nous racontant sa courte campagne. Un bon rêve celui-là (chose rare en cette fin de 1914).

Débarqué le 11 à Dunkerque, après avoir cantonné à Malo ils arrivaient par chemin de fer le 13 au Mt des Cats. De là, à pied jusqu’à Proven où ils sont les 17 et 18. Ensuite ils vont au feu occupant des tranchées de 2ème ligne, d’abord derrière les Anglais puis derrière les Français près de St Julien au nord-est d’Ypres. Là, ils sont à 400 mètres de la ligne de feu et entendent siffler les balles. Ils sont copieusement bombardés avec les obus de 77 et entendent passer au-dessus de leur tête les grosses marmites de 105 et 150.

Mardi soir 27, Amédée était assis sur le talus de la tranchée face à l’ennemi, Paul et son cousin Armand étaient en face de lui ; il commençait son chapelet quand une balle de shrapnel l’a atteint au bras droit le traversant au-dessus du biceps. Pansé aussitôt la balle extraite, il passe la nuit à Ypres et est évacué sur Dunkerque et Cherbourg.

Le médecin l’a autorisé à descendre à St Sauveur, il va rester au Lude ce qui est tout à fait irrégulier. Il est théoriquement à Valognes où papa le conduit tous les 3 jours pour se faire panser.

Fête des morts

Dimanche soir jusqu’à onze heures et demi les cloches ont sonné pour les morts ; le glas a sonné encore toute la matinée de Lundi.

Quelle tristesse que ce jour des Morts 1914.

Je ne plains pas ceux qui sont tombés car ils ont la plus belle des morts. Mais ma pensée va aux femmes qui, dans leurs foyers déserts, écoutent ce glas en pensant à leurs maris à jamais disparus. Que Dieu leur donne la force.

Citation à l’ordre du jour de Jean  (Officiel du 30 Octobre)

Le Capitaine Le Marois du 2ème a entraîné le 22 Août huit fois sa compagnie à l’assaut du village de Guy dont il a fini par s’emparer.

Bruxelles

« A peine les Boches étaient-ils entrés que tout gamin bruxellois, à quelque classe de la société qu’il appartint, perça un trou dans son chapeau ou sa casquette et y fit apparaître une carotte. Depuis un mois et demi, des cohortes de gamins défilent ainsi devant les Prussiens ahuris, singeant leur casque à pointe à la joie folle des passants. »

(coupure de journal)

Les mêmes gamins au nombre de 500 ont récemment marqué le pas sur l’Hôtel de Ville ; ils appellent cela jouer à la marche sur Paris.

Belle réponse

Un soldat français agonisait dans une ambulance allemande. Ses souffrances étaient si cruelles qu’un colonel allemand lui dit avec pitié : «  Tu souffres bien mon ami… » - « Non je ne souffre pas, puisque je meurs pour mon pays. »

Mort d’un rabbin

Un rabbin connu, M. Block, surveillait l’évacuation d’une ambulance sous le feu de l’ennemi. Un blessé le prenant pour un prêtre catholique lui demande un crucifix. Il court s’en procurer un, le présente au blessé et à ce moment même tombe blessé mortellement.

La Turquie

Depuis les premiers jours d’Août, l’influence allemande a dominé à Constantinople. Le 2 Novembre, ils bombardent des ports russes. Les relations diplomatiques sont rompues.

Véritable coup de folie de la Turquie. Le conflit va donc s’étendre encore et peut d’un moment à l’autre s’étendre aux états balkaniques. C’est la grande liquidation de toutes les questions qui, depuis si longtemps, menaçaient sans cesse la paix européenne.

Tsing Tao est pris.

- en Angleterre -

L’escadre de l’Amiral Cradock a été défaite par les Allemands.

Extrait d’une lettre d’Augustin de Boisanger

« Moral excellent… J’espère que nous tiendrons, mais je ne trouverai jamais des hommes à faire ce qu’a fait avant hier une compagnie ennemie. Ils ont chargé dans la nuit nos tranchées ; j’ai cru avoir repoussé, mais tôt après, à 6 m de nous, ils ont paru de nouveau ; j’ai pris mon revolver, ai tiré sur eux à bout portant. Les 3 morts que j’ai relevés étaient des jeunes de 18 à 20 ans, l’un, engagé du 8 Octobre avait son chapelet au cou… »

Théories allemandes

(dernier cri de la civilisation et de la Kultur)
La force
  • Se justifie par la réussite qu’elle soit ou non au service du droit.
  • On ne fait pas la guerre avec du sentiment.
  • La guerre est la guerre ; tout moyen qui permet de faire du mal à l’adversaire est bon.
Quelques exemples
  • Hisser le drapeau blanc comme pour se rendre. Puis démasquer mitrailleuses et fusils.
  • Dépouiller les morts et faire usage de leurs uniformes.
  • User de toutes manières un pavillon de Genève pour couvrir ses dépôts de munitions ou installer des mitrailleuses…
  • S’avancer la nuit en criant « Kamarades – Anglais… »
  • Lever les bras comme pour se rendre et tirer à bout portant.
  • Usage de nos sonneries de clairon – cesser le feu – la retraite…
  • Faire marcher devant soi femmes, enfants, prisonniers.
  • Sur mer, faire le signal de détresse SOS pour attirer les navires et les détruire.

La Paix Allemande

L’Allemagne a dépêché aux Etats-Unis un ambassadeur dont la vraie vocation serait plutôt de commander le plus sauvage des régiments de pillards et d’assassins que Guillaume II ait lâchés chez nous. C’est le comte Berntorff. Comme un de ses interlocuteurs lui demandait récemment quelles seraient les conditions de paix que l’Allemagne imposerait à la France si celle-ci était vaincue, le soudard diplomate répondit tout de suite, sans hésitation, sans embarras, en homme qui savait  avec merveille les instincts de son peuple et les intentions de son gouvernement. Il énuméra les conditions allemandes en comptant sur ses doigts, pour être plus sûr de ne pas les oublier. Il y en avait dix et les voici :

  1. Toutes les colonies françaises sans exception, même le Maroc complet, et l’Algérie et aussi la Tunisie ;
  2. Tout le pays compris depuis Saint Valéry, en ligne droite jusqu’à Lyon, soit plus d’un quart de la France, plus de quinze millions d’habitants ;
  3. Une indemnité de dix milliards ;
  4. Un traité de commerce permettant aux marchandises allemandes d’entrer en France sans payer aucun droit pendant vingt-cinq ans, sans réciprocité, après quoi la continuation du traité de Francfort ;
  5. Promesse de la suppression en France du recrutement pendant vingt-cinq ans ;
  6. Démolition de toutes les forteresses françaises ;
  7. Remise par la France de trois millions de fusils, trois mille canons, quarante mille chevaux ;
  8. Droits de patente et brevets allemands sans réciprocité pendant vingt-cinq ans ;
  9. Abandon par la France de la Russie et de l’Angleterre ;
  10. Traité d’alliance de vingt-cinq ans avec l’Allemagne.

(coupure de journal)

Blessés

Depuis quelques jours il arrive de nombreux blessés venant du nord, par Dunkerque. Sur la seule ligne de Cherbourg à Coutances, il passe chaque jour 3 à 4 trains de blessés, 1500 environ. D’autres sont conduits vers Caen. En comptant ceux qui débarquent au Havre on arriverait sans doute facilement au chiffre de 4 ou 5000 par jour.

Pertes effrayantes sur un front relativement peu étendu. Il faudrait ajouter nos tués et les pertes anglaises…

du Mercredi 7 au Dimanche 8 Novembre

A la bataille sanglante de l’Yser en succède une autre entre Ypres et Arras. Les Anglais entre Ypres et Armentières et La Bassée ont subi de furieux assauts. Les combats dégénèrent souvent en vraies tueries corps à corps.

Les Allemands s’avancent souvent en masses profondes avec un incroyable mépris de la mort. « En avant sur Calais – il faut que nous gagnions. Il faut que nous avancions » tel est le mot d’ordre.

C’est dans la région d’Ypres qu’ils dirigent leur plus violent effort. Rien de changé dans les lignes, sauf un léger recul à Messines (pris par les Allemands) et à 12 km à l’ouest de La Bassée vers Béthune.

- En Russie -

Les nouvelles sont excellentes, les Allemands ont reculé jusqu’à la Warta. Les Autrichiens ont du évacuer  Kiela et Sandomierz. Après une Bataille de trois semaines ils reculent sur tout le front du Son. L’avance des Russes est donc générale et rapide sur un front de 700 kilomètres.

du Lundi 9 au Mercredi 11 Novembre

Dans la région d’Ypres à Armentières, la bataille est plus violente que jamais. Elle s’étend d’ailleurs jusqu’au nord d’Arras sans que l’on sache où l’ennemi fait porter son effort maximum, au sud d’Ypres ou sur La Bassée.

Le Times : les Allemands ont concentré pour cette attaque 16 corps d’armée. Nous tenons partout.

Lord Kitchener, dans un discours, annonce qu’il y a en ce moment dans les camps anglais 1 250 000 exercés prêts à partir. Sans tenir compte des contingents fournis par les colonies.

- en Russie -

Les Allemands ont évacué entièrement la Pologne, les Autrichiens ont abandonné les lignes du Son. Mercredi soir, tempête de sud-ouest.

du Jeudi 12 au Vendredi 13 Novembre

La bataille continue très violente entre La Bassée et la mer. Les Allemands réussissent à prendre Dixmude. Ils s’avancent jusqu’à Ypres dans la nuit du 11 au 12 mais sont refoulés par une contre attaque et ne peuvent déboucher de Dixmude.

du Samedi 14 au Dimanche 15 Novembre

Dans le Nord, accalmie relative. Le temps continue à être détestable. La tempête de pluie et de vent ne cessa pas depuis cinq jours.

- en Russie -

Les Allemands ont reculé jusqu’à la Warta (au moins). Les Autrichiens battent en retraite sur Cracovie, le blocus de Premsyl est rétabli.

Jean et Paul

Nouvelles du 8 Novembre. Jean est toujours à Agny à 3 kilomètres au sud d’Arras, sa compagnie était en réserve et habitait sous terre dans des tranchées couvertes. Lui, installé dans un ex café sans portes ni fenêtres mais, à part cela, ne manquant de rien.

Paul est nommé caporal de ravitaillement, poste fatiguant mais moins périlleux que la tranchée.

La tempête de vent a emporté les dernières feuilles d’automne. C’est l’hiver. Il me surprend, on ne pense plus aux saisons. La guerre, voilà l’unique pensée. Les semaines se succèdent sans apporter de changements à la situation.

L’angoisse du moment présent devient moindre que l’angoisse des moments à venir. L’énormité de l’hécatombe humaine dépasse toutes les prévisions. L’organisation et la préparation militaire des Allemands sont si puissantes, leur mépris de la mort semble si complet, qu’il faut s’attendre à les voir faire tête jusqu’au dernier homme. Jusqu’ici, ils ont conduit la lutte avec une barbarie inouïe ; ils ne peuvent se faire d’illusion sur ce qui les attend quand nous pénétrerons en Allemagne. Ils ont déchaîné une haine qui ne s’apaisera que lorsque nous leur aurons rendu œil pour œil, dent pour dent. Et les alliés ont tout à leur rendre !!

Mais la Bête  est encore terrible et pleine de force, elle ne se rendra qu’épuisée à bout de sang, et que de sang il nous faudra nous-même verser pour la réduire. Car il semble que cette guerre tourne à la guerre d’épuisement. Dans quelle mesure le blocus naval pourra-t-il aider à réduire l’Allemagne, c’est ce que nous apprendra l’avenir. Souhaitons que cette aide soit considérable.

Je reste toujours inébranlablement convaincu que nous écraserons l’Allemagne, mais nous n’en sommes même pas encore à pouvoir nettement empêcher la progression allemande. Le front de la bataille s’infléchit encore un peu vers nous. Mais nos forces en hommes et en matériel croissent chaque jour.

Industrie nationale

En Allemagne, depuis 40 ans, la préparation de la guerre était une industrie nationale. Au 1er Août, il nous manquait bien des choses et tout manquait à l’Angleterre. Depuis ce moment, l’Angleterre brûle les étapes et la France travaille. Avec un minimum d’armement, nous avons brisé la formidable puissance offensive allemande. Notre offensive viendra à son heure.

Guillaume est malade (consultation) 

- Docteur, je re Metz entre vos mains mon auguste Per(s)onne. Je re…Sens Toul les Meaux. J’ai mal dans l’Aisne et ma Vistule me fait souffrir. Je suis Arras..sé, Mézières en Guise de Bouillon j’ai pris du Champagne et cela me Reims les boyaux.

- Sire, quand on m’a appelé j’ai dit Givet de Spa. Quelle La Fère, votre majesté était Seine quand elle vivait dans l’Oise(iveté), elle marchait les Rhin Cambrai.

- Oui, c’est l’Anvers de la médaille, je ne Craonne plus maintenant, j’ai La Ferté bien abattue.

- Je trouve votre pouls un peu Laon, il faudrait prendre de l’élixir de Longwy

du Lundi 16 au Jeudi 19 Novembre

Amédée part le 16 pour Brignac. Les Allemands continuent leurs attaques dans la région d’Ypres, mais sans aucun succès. On signale quelques actions dans la région de Vailly, dans l’Argonne à St Michiel mais sauf dans le Nord il semble que le calme s’établit de plus en plus sur tout le reste du front où les tranchées élevées des deux côtés deviennent de plus en plus imprenables.

- en Russie -

En Prusse, les Russes avancent sur toute l’étendue de la frontière du Soldat à Stalluponen.

En Pologne russe, pendant leur retraite les Allemands ont détruit complètement les voies ferrées, routes, ponts, rendant la poursuite difficile. Après avoir reculé jusqu’à la frontière, les Allemands faisant usage de leur excellent réseau ferré ont concentré devant Thorn des forces importantes qui ont prononcé une vive offensive vers Plozk. Une importante bataille se livre sur le front Rypin, Plozk. Plus au sud, les Russes attaquent les défenses avancées de Cracovie. Przemysl est investi.

- en Turquie -

Contre les Turcs, les Russes ont pris une offensive victorieuse jusqu’ici.

- en Angleterre -

Les  Chambres ont voté les crédits pour une deuxième armée d’un million d’hommes. L’Angleterre aura dans quelques mois près de trois millions d’hommes armés.

Pertes

De tous les côtés, c’est une hécatombe, la vie d’un homme est en ce moment la plus infime chose.

Le froid

La tempête de sud-ouest s’apaise le 18 et un froid assez vif s’établit.

du Vendredi 20 au Dimanche 22 Novembre

 Il y a eu de violentes canonnades dans le Nord, mais pas d’action d’infanterie. Le temps a été très dur, pluie, vent glacé, neige en Flandre. Est-ce la fin de la bataille ?

En somme, l’échec des Allemands est absolu. Mais on ne sait pas de façon sûre quel parti a pris le premier l’initiative du mouvement débordant dans le Nord. L’Histoire nous le dira. Les forces se sont neutralisées et sans doute là comme partout les fronts vont se couvrir de retranchements.

La guerre prend une physionomie de plus en plus imprévue. Les Allemands sont des adversaires formidables ; nous avons devant nous deux millions d’hommes résolus méprisant la mort, ayant en abondance les engins de guerre les plus perfectionnés. Ces hommes avec une activité de fourmis remuent la terre, couvrent de fortifications et d’artillerie les terrains conquis, les semant de retranchements minés, de réseaux de fil de fer, de grilles…

Guerre monstrueuse

De plus, ils font une guerre monstrueuse ; les plus abjectes trahisons ; les actes les plus vils, les plus contraires à l’honneur ; toutes les horreurs deviennent des actes admirables si seulement ils nuisent à l’ennemi. En particulier, égorgements de femmes et d’enfants, viols, incendies, les pires atrocités sont tolérées sinon recommandées car elles sèment la terreur et inculquent l’idée de la puissance allemande.

Vraiment les Allemands font honte à l’humanité, la folie de l’orgueil a déformé leurs cerveaux ; ils sont ivres.

Civilisation européenne au 20ème siècle

Il est certain que l’étendue des destructions qu’ils ont causées est déjà telle qu’elle dépasse de beaucoup ce qui n’a jamais été vu dans l’histoire du monde. Et tout cela a été fait et continuera dans notre intérêt ; la civilisation et la « Kultur » allemande sont en effet tellement supérieures que c’est en somme nous rendre service de vouloir nous l’imposer par tous les moyens. Ce but magnifique excuse tout à leurs yeux.

Que sera la guerre en face de ces brutes ivres ? Une chose me paraît certaine, c’est que leur offensive est absolument brisée et qu’ils sont incapables désormais de remporter sur nous un succès décisif.

Or il me semble qu’un ennemi dont on peut dire cela est voué à une défaite certaine. Mais la lutte doit être longue, épuisante et il faudra prodiguer les hommes et les milliards.

Mais, vanité des prévisions humaines, il semble que cela devrait être ainsi ; mais cela sera sans doute tout autrement. Il est certain qu’au printemps prochain les forces de la Triple Entente seront organisées et vraiment formidables. L’Allemagne bloquée et affaiblie pourra-t-elle faire front, peut-être. Mais le pourra-t-elle longtemps, cela semble impossible. Oh alors, quel torrent de haine coulera sur l’Allemagne ; heure du châtiment qui devra être effrayant et ce sera simple justice et de bon exemple. Nécessaire, car si on épargnait ce peuple de proie, il ne manquerait pas de dire que l’on a peur de lui.

Monsieur Vonclu = Von Kluck (Madame Guyon)

(Reçu le 22 Novembre)

Jean n’est plus à Agny mais au nord d’Arras, très près je pense.

Artillerie allemande

  • Canon de campagne 77
  • Canon long de 100 : portée 10 km, projectile de 18 kg, explosif en shrapnell 700 balles – très bonne pièce – poids 2800 kilos.
  • Canon long de 130 :  portée 14 km, projectile de 40 kg, 2 kg d’explosifs ou 1200 balles - pièce puissante mais peu maniable - poids 5800 kilos.
  • Obusier de 105 : médiocre portée : 6500 mètres.
  • Obusier de 150 : relativement léger, 2800 kilos, tir rapide, obus de 40 kilos dit « marmite » - très efficace quand il éclate, tir difficile à régler, portée 7,5 km - très destructeur contre constructions.
  • Mortier de 210 m/m : poids 5500 kilos, lance à 8 km en projectile de 119 kilos avec 18 kilos d’explosif - possède des ceintures de roue et se déplace à peu près sur tous les terrains.
  • Mortier allemand de 280 et autrichien de 305 : le premier assez maniable se démontant en 2 parties pesant chacune 2800 kilos, portée 10 km – ont pris Liège et Namur.
  • Mortier de 420 : ne se déplace que sur rails, sur 6 boggies, poids 120 tonnes, portée 14 km, flèche (1000 m) – obus de 1m50 pesant 600 à 800 kilos.

du Lundi 23 au Jeudi 26 Novembre

Calme complet dans le Nord. Tous les journaux annoncent que derrière ce calme se prépare une dernière ruée allemande vers Calais ? Qu’en savent-ils ? Combats dans l’Argonne.

- en Russie -

En Prusse orientale il semble que les Russes continuent leur lente progression.

Dans la région de Soldau, pas de nouvelles.

L’offensive hardie des Allemands entre la Vistule et la Wartha est arrêtée sur le front Ploz-Lodz. Les forces allemandes engagées doivent être d’au moins 300 000 hommes. Les Russes, d’abord refoulés, semblent avoir pris nettement le dessus.

L’offensive austro-allemande partie de la ligne Chenstovo-Cracovie a été également arrêtée après des combats acharnés.

Les Russes ont commencé l’attaque des défenses Nord de Cracovie.

En Galicie, l’avance russe a atteint la rivière Dunajec jusqu’à son cours supérieur.

Dans l’ensemble, principalement en Pologne, les Russes ont remporté d’importants succès. Il est possible qu’avant peu nous apprenions une grande victoire russe. Les opérations russes semblent conduites d’une façon très remarquable. Ils ont à lutter dans des conditions difficiles contre un ennemi formidable et partout ils font face offensivement.

Prévisions impossibles

Etant donné l’invasion imminente à leur frontière occidentale, il semble bien étonnant que les Allemands se préparent à une attaque en masse contre nous. Plus que jamais, nous ne savons rien et ne pouvons rien prévoir. Mais si les Russes sont nettement victorieux en Pologne, il est évident que l’Allemagne devra opter entre l’envahissement de la Silésie ou le retrait partiel de ses forces engagées contre nous.

Les écrivains militaires allemands ont toujours admis l’absolue nécessité où leur armée se trouvait d’écraser la France avant la pleine action des forces russes.

du Vendredi 27 au Samedi 28 Novembre

Calme complet sur tout le front. Canonnades  sur Soissons et Reims.

On ignore l’importante du succès russe en Pologne.

Passivité

Sur notre front il semble que nous sommes absolument passifs. Cependant les Allemands ne nous lâcheront que chassés par la force. Il nous faudra bien prendre l’offensive.

Tactique et impuissance momentanée

Les Allemands auront pu à loisir préparer leur défensive… Mais nos opérations sont évidemment concertées avec celles des Russes ; nous attaquerons à l’heure choisie.

du Dimanche 29 Novembre au Mercredi 2 Décembre

En France, quelques attaques au Nord d’Arras. Calme relatif sur tout le front.

En Russie, les Russes ont arrêté l’offensive allemande entre la Vistule et la Wartha. Il semble que le front passe un peu à l’ouest de Plock et de Lodz ; les Allemands y sont sur la défensive et résistent aux attaques russes. Plus au sud entre Chenstevo et Cracovie et au sud de Cracovie l’offensive russe est nettement victorieuse.

On n’a cessé de nous répéter que notre défensive était loin d’être passive, mais au contraire très active. On ajoutait même que l’initiative des manœuvres nous appartenait.

Or, depuis 15 jours que les attaques allemandes ont cessé, nous ne paraissons pas avoir rien tenté ; ce qui aurait paru indiqué vu les difficultés allemandes sur le front oriental. Il est certain que d’une façon générale, le manque à attaquer est un signe évident d’impuissance car la défensive passive est vouée à la défaite.

Mais nous savons si peu de choses. Les moindres choses favorables tant en France qu’en Europe nous sont claironnées à grands fracas. Tout ce qui est le moins du monde défavorable nous est soigneusement caché. Nous vivons dans un nuage que l’on nous fait aussi doré que possible.

La carte est notre seul moyen de renseignement sérieux. Or, elle nous apprend que l’Allemagne occupe la Belgique et d’importants territoires en France et même en Russie. Et sur notre front les Allemands ont organisé la défense des terrains conquis d’une façon formidable, ayant même amené des coupoles blindées dans les forts de Reims (ironie). J’ai toujours la conviction que si la Triple Entente sait vouloir, l’Allemagne finira par être brisée. Mais pas avant la mise en action de toutes nos forces. Ce ne sera qu’au printemps que nous aurons toute l’artillerie nécessaire et le plein concours anglais.

Egypte

En Egypte, il semble que les Anglais ont du envoyer des forces importantes. Les Turcs, avec une forte armée, marchent sur le canal de Suez. Cette menace que la presse mentionne à peine me paraît très sérieuse.

Cette carte des chemins de fer de Pologne montre l’extrême difficulté de la tâche russe. Les Allemands peuvent rapidement concentrer une force importante en un point donné. Ils s’appuient sur des places fortes nombreuses. Les voies russes sont ruinées en Pologne. Pour réussir les Russes doivent opposer partout des forces considérables.

N’étouffons pas la gloire

du Jeudi 3 au Mardi 8 Décembre

- en France -

Rien de nouveau. Il semble que les Allemands se tiennent strictement sur la défensive sur tout le front Ouest.

- en Russie -

Ils ont transporté d’importants renforts sur le front Est et une bataille acharnée se poursuit contre les Russes sur la ligne Plock – Lodz – Pietrokov. Il semble que les Allemands sont nettement arrêtés mais ils ne sont pas refoulés.

En Prusse orientale les Allemands ont arrêté également l’avance russe.

En Galicie et dans les Carpates, rien de nouveau.

Lettres de Jean et Paul

 Les lettres qu’ils nous écrivent reflètent un magnifique optimisme qui réconforte. Assurément le moral de nos armées est parfait ; ils ont la confiance absolue qui décuple les forces. Je doute que l’armée allemande possède au même degré cette force morale.

Mais si cette confiance est justifiée, je la crois bien exagérée. Jean a l’air de croire que la situation des Allemands en France et Belgique devient chaque jour plus intenable et qu’avant peu ils vont d’eux-mêmes marquer un recul important jusqu’à la Meuse… Dieu le veuille, mais je n’en crois rien.

Il faut auparavant que les Russes prennent Premsyl, Cracovie et Posen. Ce qui suppose d’abord une victoire décisive contre le maréchal Von Hindenburg. Je pense que quelques mois seront nécessaires pour obtenir ces résultats. Mais c’est si bon de boire à la coupe de l’illusion. Tout le monde savait que l’Allemagne était redoutable, mais on ne soupçonnait pas à quel point.

Personne au monde ne pouvait prévoir la façon allemande de conduire la guerre. Nous avions tous appris dans notre histoire les destructions fameuses des Vandales ; jamais nous n’aurions pensé que l’Europe soit disant civilisée verrait Louvain, Dinant, Reims, Arras…

du Mercredi 9 au Samedi 12 Décembre

- en France -

De part et d’autre l’activité reprend un peu. Nous repoussons des attaques allemandes dans la région d’Ypres. Nous progressons un peu dans cette région et dans l’Argonne. Ces progrès s’évaluant en centaines de mètres.

- en Russie -

Satisfaisant, tout va bien. Néanmoins les Russes ont reculé en Pologne ; ils ont du évacuer Lodz et plus au sud, la ligne du front doit passer très peu à l’ouest de Petrokov, de là elle gagne Chentovo.

Les Allemands, tout en attaquant le centre russe vers Lodz semblent vouloir tenter le débordement par les deux ailes de l’immense front russe. A cet effet, au nord, ils attaquent de Mlava sur la route de Varsovie. Au sud, ils aident des Autrichiens dans une attaque vers Novo Sandec ; de ce côté les Russes paraissent avoir le dessus.

Mais la résistance indéfinie de Premsyl fait un peu douter de son investissement parfait. Quant au siège de Cracovie, il ne peut évidemment pas être sérieusement tenté pour le moment.

Ensemble

Les nouvelles de ces derniers jours sont médiocres. Si l’offensive allemande est absolument arrêtée en France, elle ne l’est pas aussi nettement en Pologne. Or, pour chasser les Boches de notre pays, je ne vois que deux méthodes :

1°) attendre l’invasion russe en Allemagne qui obligerait sans doute les Boches à se retourner vers l’est.

2°) la méthode forte – offensive acharnée avec lourdes pertes et résultat incertain.

Il est encore possible qu’on se borne au mode de combat actuel. Ce serait alors une guerre d’usure et d’épuisement qui peut durer un temps indéfini.

Serbes

Ecrasés par le nombre, les Serbes avaient reculé et occupé de fortes positions à l’intérieur. Ils viennent d’en sortir et ont infligé une écrasante défaite à l’aile droite autrichienne lui faisant 20000 prisonniers.

Victoire navale

Les Anglais sous les ordres de l’amiral Sturdee ont coulé 4 croiseurs allemands sur 5 près des îles Falkano.

Bain de maman

Depuis trois semaines les tempêtes du Sud Ouest se sont succédées avec pluies torrentielles. Le Jeudi 10, l’eau monte et couvre la chaussée de Néhou de 0,50 m. En revenant de la Grimonière avec M. de Couville, maman voulant retourner devant l’inondation recule et verse dans un fossé plein d’eau. Ces dames, moins le bain, n’ont aucun mal.

- en Italie -

Un fort mouvement se dessine en Italie en faveur d’une intervention.

du Dimanche 13 au Vendredi 18 Décembre

- en France -

Des combats dans la région d’Ypres, il semble que nous avons gagné un peu de terrain dans cette région ainsi qu’à Nieuport.

Toujours une certaine activité en Argonne et en Alsace.

Jean

Le communiqué du 17 (soir) indique un combat le long de la Scarpe au Nord Est d’Arras ; c’est le point précis où Jean doit se trouver. Nous allons attendre avec anxiété des nouvelles.

- en Russie -

Sur la rive droite de la Vistule les Allemands ont été repoussés sur Mlava. Sur la rive Gauche les Allemands font un grand effort avec de gros renforts vers Varsovie ; les Russes annoncent un léger repli.

Au sud de Cracovie, d’importantes forces austro-allemandes cherchent à déboucher des cols des Carpates dans la haute Dunajie et à Dukla. Les Russes font face victorieusement à cette menaçante attaque de flanc.

La victoire serbe est éclatante. Les Autrichiens sont complètement expulsés de Serbie.

Un sous-marin anglais a réussi à pénétrer dans les Dardanelles et a coulé le Messoudiek, vieux cuirassé turc.

Une escadre allemande a paru le 16 au matin devant la côte anglaise et a bombardé les villes ouvertes de Scarborough, Hartlepool, Whitby. Poursuivie par une escadre anglaise, elle a pu échapper et refuser le combat.

Artillerie

En juin dernier, répondant à un discours de Charles Humbert, le ministre Messimy avait promis que nous aurions fin 1915 deux cents pièces de 105 long et fin 1917 deux cents pièces de 120 court. Mais depuis le début de la guerre on s’est efforcé de rattraper le temps perdu. Actuellement, s’il faut en croire Henri Durand, le Creusot à lui seul fabrique chaque semaine deux batteries lourdes et une batterie de 75. Ruelle, Bourges… travaillent aussi pour la guerre. (Nous avons dès maintenant de nouvelles batteries de 120 long)

Toutes les usines métallurgiques travaillent pour la guerre et font des obus ou d’autre matériel. Les modèles de toutes ces pièces – 105 – 120 – étaient depuis longtemps parfaitement étudiés et au point. Seul le refus de crédits arrêtait leur construction. L’absence de cette artillerie lourde nous aura coûté bien des milliers et des milliers de vies humaines ; sans doute c’est elle qui retarde notre offensive.

Le livre jaune

Il a paru et prouve d’une façon saisissante la préméditation allemande. Depuis plus d’un an notre ambassadeur à Berlin, M. Cambon, ne cessait d’envoyer au gouvernement français les plus graves avertissements ; pendant ce temps que faisaient nos parlementaires ? S’occupant avant tout de préparer leur future réélection, ils se « foutaient » de la France. Ces grands français, nos rois.

« Quelle tristesse en revanche et quelle humiliation lorsque, en regard des dates mentionnées sur ce Livre Jaune et de ces dépêches dénonciatrices du péril imminent, nous évoquons les dates parallèles de notre politique intérieure ! Dans ce mois de novembre 1913 où M. Jules Cambon diagnostiquait chez l’empereur Guillaume cet état d’esprit, gros de tragiques menaces, à quoi s’occupaient nos parlementaires ?

« On croit rêver ! A la défense laïque en premier lieu. C’est-à-dire qu’à la veille de demander au pays un de ces efforts collectifs dont l’unité des âmes est la condition nécessaire, ils s’acharnaient à exaspérer la guerre religieuse ! Ils s’occupaient non moins activement à l’impôt sur le revenu. C’est-à-dire qu’à la veille d’une épreuve où la nation allait avoir besoin de toutes ses ressources financières, ils méditaient de la lancer, à l’aveugle, dans une expérience qui risquait d’ébranler à jamais son crédit !

« D’autres poursuivaient à travers des changements ministériels un changement présidentiel. D’autres, s’enivrant d’une chimère pacifiste dont on frémit à distance, attaquaient la loi de trois ans, préconisaient la substitution à l’armée de métier d’une immense garde nationale et fraternisaient de leur mieux avec ceux que Guillaume II avait trop raison d’appeler « mes socialistes ».

« Je ne parle pas des luttes au couteau qui s’engageaient dans la coulisse entre celui-ci et celui-là. Barrès les a définies d’un mot qui restera, lorsqu’il a intitulé son compte-rendu d’une certaine enquête ; « Dans le cloaque ».

« Et cependant la patrie était en danger ! Notre ambassadeur le répétait et nos officiers y pensaient sans cesse avec la plus frémissante ardeur. Les parlementaires, eux, ou bien ne le savaient pas ou bien ne s’en souciaient pas !

« S’ils ne le savaient pas, et si les conditions de la vie internationale sont telles que des documents d’une vitale importance doivent demeurer secrets, que penser d’un régime qui fait reposer le pouvoir sur des hommes nécessairement mal informés, que penser d’un régime où les dirigeants se recrutent parmi des gens qui n’ont pas le salut national comme règle unique de leurs actes.

« La Némésis qui veut que tout caractère ( ?) excessif aboutisse à l’orgueil et tout orgueil au désastre a fait que nos ennemis ont commis fautes sur fautes.

« L’inique et stupide violation du territoire belge, en provoquant la résistance du roi Albert et l’intervention des Anglais, nous a permis de nous reprendre et une sublime réaction de la race a redressé, comme par miracle, l’erreur de la politique.

« La France s’est ressaisie, en dépit d’une préparation que les euphémismes officieux sont obligés de qualifier « d’inégale ». Ne récriminons pas sur un passé très récent et pourtant si lointain ! Mais tirons de documents aussi topiques et aussi graves que ce Livre Jaune cette conclusion : il sera urgent, cette guerre finie, de donner au pays les moyens de recevoir et d’utiliser l’avertissement du mortel danger dans l’avenir. Il arrive qu’après avoir trop peu écouté les Stoeffel et les Ducrot ou les Cambon, on ait devant soi non pas un Guillaume II mais un Bismarck. Dans ce cas-là, les fautes de politique intérieure se paient trop cher.

                                                                                    Paul BOURGET

(coupure de journal)

Navrant

Dans les pays neutres, particulièrement en Espagne, en Amérique du Sud et en Italie, les partis de droite croient que le triomphe de la France serait le triomphe des idées démocratiques et de la persécution religieuse. Hélas, ils ont des raisons de le croire. La France n’est-elle pas depuis 20 ans un foyer d’irréligion et de jacobinisme. Demoscratos = abaissement, nivellement, anarchie, ruine du supérieur.

Chambres

Les Chambres vont se réunir demain. Evènement néfaste. Pourvu qu’aucun de ces bavards imbéciles ne veuille parler ! En temps de guerre, un parlementaire n’est supportable qu’à condition de se taire : ce ne sont pas ces oies là qui sauveront le Capitole.

Ce qui ne veut pas dire qu’en temps de paix, je les trouve moins nuisibles. A mon avis, être élu par le suffrage universel constitue une tare indélébile. Bien peu de caractères résistent à cette tare.

Barrès dit justement qu’en ce moment les députés doivent faire Hara-Kiri et s’ouvrir le ventre sous l’écharpe.

du Samedi 19 au Dimanche 20 Décembre

En France, est-ce le prélude d’importants évènements ? il semble que nous avons pris l’offensive de la Lys à l’Oise, nous avons enlevé des tranchées allemandes à Auchy la Bassée, à Notre Dame de Consolation, à St Laurent et Blangy [Jean] à Carency, à Maricourt…

Les Anglais ont également attaqué dans la région d’Armentières.

Les Allemands sont arrêtés en Pologne. En Galicie, se livrent d’importants combats pour empêcher les Autrichiens de déboucher des cols des Carpates. Les Russes ont un peu reculé, cédant Neu Sandec.

Turcs et Fezs

Ils ne sont pas pressés d’aller en Egypte ; ils craignent de se faire mordre les « fezs » par les crocodiles.

du Lundi 21 au Vendredi 25 Décembre

(Noël)

- en France -

C’est bien de notre part une offensive générale qui offre ceci de particulier qu’elle se produit sur un front immense et surtout :

  1. de la mer à l’Oise surtout à Nieuport ; dans la région d’Ypres ; entre la Bassée et Arras. A Lihons, combats violents, au sud de Noyon.
  2. entre Reims et la Meuse à Souain ; Perthes ; les Hurlus ; dans l’Argonne.

Nous avons dans de nombreux endroits enlevé des tranchées de première ligne que nous avons presque toujours conservées. Cela prouve notre supériorité si toutefois ces gains n’ont pas été payés trop cher. Mais par eux-mêmes, ces gains obtenus par huit jours de combats me paraissent avoir une bien minime importance. Le gain de la seule tranchée de première ligne ne constitue pas un succès bien concluant.

Mais le Commandant en Chef connaît seul le degré d’intensité de cette offensive et les points où elle sera poussée à fond si elle doit l’être.

- en Russie -

Les Russes ont reculé sur toute la ligne ; c’est paraît-il une retraite stratégique. Les mauvais et rares chemins de fer permettent difficilement les envois de réserve nécessaires ainsi que les ravitaillements en munitions et vivres. D’où la nécessité d’un recul sur de fortes positions défensives. De là, les troupes russes partiront, souhaitons le, pour une nouvelle offensive.

Le front russe est actuellement jalonné par la basse Bzoura et son affluent la Rawka, la Pilitza, la Nida et la basse Dunajio. Le siège de Cracovie est abandonné, les Austro-Allemands sont maîtres de la Hte Dunajio et ils ne doivent pas être bien loin de Premzyl. Toutefois il semble qu’en Mazurie, vers Mlava ainsi qu’en Galicie les Russes font tête.

En Pologne, il semble que Hindenburg a réussi à forcer en quelques endroits le passage de la Rawka et de la Pilitza.

Les neutres

Il n’y a de part et d’autre aucun succès décisif ; c’est à une guerre longue et féroce qu’il faut s’attendre, à moins que l’intervention italienne ou roumaine ne vienne accabler l’Autriche, nous permettant de diriger toutes les forces alliées contre l’Allemagne.

Réunion des Chambres

Très belle séance. Nos parlementaires ont compris que le silence était d’or et aucun cri d’oison n’est venu troubler la séance.

La déclaration de Viviani est superbe de netteté, de calme et en même temps d’inflexible énergie. Ce socialiste unifié qui a tant fait pour affaiblir la France a proclamé lui-même l’absurdité et la fausseté de toutes ses conceptions antérieures. Les erreurs de son parti nous coûtent l’invasion partielle ; cette impossibilité où notre état-major s’est trouvé d’obtenir l’artillerie lourde indispensable nous a coûté la vie d’innombrables soldats, nous a empêchés de poursuivre efficacement les Allemands après la victoire de la Marne.

DECLARATION

Lue à la Chambre par M. Viviani, Président du Conseil

Et au Sénat par M. Briand, garde des Sceaux

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« il n’y a pour l’heure qu’une politique, le combat sans merci jusqu’à la libération définitive de l’Europe, gagée par une paix pleinement victorieuse. »

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« Puisque, malgré leur attachement à la paix, la France et ses alliés ont dû subir la guerre, ils la feront jusqu’au bout. »

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 « Messieurs,

« Cette communication n’est pas la déclaration coutumière dans laquelle un gouvernement qui se présente pour la première fois devant le Parlement précise sa politique. Il n’y a, pour l’heure, qu’une politique : le combat sans merci jusqu’à la libération définitive de l’Europe, gagée par une paix pleinement victorieuse.

« C’est le cri qui s’est échappé de toutes les poitrines lorsque, dans la séance du 4 août, s’est levée, comme l’a si bien dit M. le Président de la République, l’union sacrée qui, à travers l’histoire, sera l’honneur du pays.

« C’est le cri que répètent tous les Français, après avoir fait disparaître les désaccords où se sont trop souvent acharnés nos esprits et qu’un ennemi aveugle avait pris pour des divisions irrémédiables.

« C’est le cri qui s’élève des tranchées glorieuses où la France a jeté toute sa jeunesse et toute sa virilité.

La responsabilité allemande dans la crise européenne

« Devant ce surgissement, inattendu pour elle, du sentiment national, l’Allemagne a été troublée dans l’ivresse de son rêve de victoire.

« Au premier jour du conflit, elle niait le droit, elle appelait la force, elle méprisait l’histoire et, pour violer la neutralité de la Belgique et envahir la France, elle invoquait l’unique loi de l’intérêt. Depuis, son gouvernement a compris qu’il lui fallait compter avec l’opinion du monde et il a récemment tenté une réhabilitation de son attitude en essayant de rejeter sur les alliés la responsabilité de la guerre.

« Mais, au-dessus de tous les pesants mensonges qui n’abusent même plus les crédulités complaisantes, la vérité est apparue. Tous les documents publiés par les nations intéressées et, hier encore, à Rome, le sensationnel discours d’un des plus illustres représentants de la noble Italie, témoignent de la volonté depuis longtemps arrêtée par nos ennemis de tenter un coup de force. Si besoin était, un seul de ces documents suffirait à éclairer le monde : lorsque, à la suggestion du gouvernement anglais, toutes les nations en présence furent sollicitées de suspendre leurs préparatifs militaires et d’instituer une négociation à Londres, le 31 Juillet 1914, la France et la Russie adhérèrent à ce projet.

« Ainsi ont pu apparaître, dans cette guerre impie, toutes les vertus de notre race, et celles qu’on nous accordait : l’initiative, l’élan, la bravoure, la témérité et celles qu’on nous déniait : l’endurance, la patience, le stoïcisme. Saluons, Messieurs, tous ces héros ! Gloire à ceux qui sont tombés dans le sillon avant la victoire et à ceux qui, par elle, les vengeront demain ! Une nation qui suscite de tels enthousiasmes est impérissable.

Le fonctionnement de la vie nationale

« A l’abri de cet héroïsme, la nation a vécu, travaillé, acceptant toutes les conséquences de la guerre, et la paix civile n’a jamais été troublée. Avant de quitter Paris, à la demande expresse de l’autorité militaire, à l’heure et dans les conditions fixées par elle et après avoir organisé, d’accord avec le général en chef des armées, la défense de la capitale, le gouvernement avait commencé à prendre toutes les mesures nécessaires à l’existence de la nation.

« Il a usé du droit que lui avait remis le Parlement de régler toutes matières. Dans cette œuvre complexe et délicate, à la fois ample et minutieuse, dont, d’ailleurs, partie est soumise à votre ratification, il a, en gardant la mesure, pu assurer le fonctionnement des services publics, suscité partout les initiatives collectives et individuelles, noué les relations économiques, en vue du ravitaillement, entre différentes régions, surveillé et aidé l’effort continu pour arriver à l’égalité des charges militaires.

« Il ne fut certes pas exempt d’erreurs et il a profité quelquefois des suggestions et des critiques qui lui sont advenues, comme il convient dans une démocratie où chaque citoyen, et le plus humble, est le collaborateur des pouvoirs publics.

La vigueur financière du pays

Par l’organe de M. le ministre des Finances, qui vous en a fait un exposé magistral, la situation financière vous a été révélée. Les ressources qui nous sont venues de l’émission des bons du Trésor et des avances de la Banque de France nous ont permis de supporter les dépenses imposées par la guerre et nous n’avons pas eu besoin de recourir à un emprunt.

« La Banque de France est en état, grâce à son excellente situation, de fournir des ressources au Trésor et d’aider à … (il manque une ligne sur la photocopie) … dans le conflit le savent, et c’est en vain qu’une campagne effrénée de fausses nouvelles a essayé de surprendre en elles une sympathie qui nous est acquise.

« Si l’Allemagne, au début, a feint d’en douter, elle ne doute plus. Qu’elle constate, une fois de plus, qu’en ce jour le Parlement français, après plus de quatre mois de guerre, a renouvelé devant le monde le spectacle qu’il a offert le jour où, au nom de la nation, il a relevé le défi.

« Le Parlement a toute autorité pour accomplir à nouveau cette œuvre. Il est depuis quarante-quatre ans à la fois l’expression et la garantie de nos libertés, il sait que le gouvernement accepte avec déférence son contrôle nécessaire, que sa confiance lui est indispensable et que, demain comme hier, sa souveraineté sera obéie. C’est cette souveraineté même qui accroît la puissance de la démonstration dont il a déjà donné l’exemple. Pour vaincre, il ne suffit pas de l’héroïsme à la frontière, il faut l’union au dedans. Continuons à préserver de toute atteinte cette union sacrée.

« Aujourd’hui, comme hier, comme demain, n’ayons qu’un cri : la Victoire ; qu’une vision : la Patrie ; qu’un idéal : le Droit. C’est pour lui que nous luttons, que lutte encore la Belgique, qui a donné à cet idéal tout le sang de ses veines, l’inébranlable Angleterre, la Russie fidèle, l’intrépide Serbie, l’audacieuse marine japonaise.

« Si cette guerre est la plus gigantesque que l’histoire ait enregistrée, ce n’est pas parce que des peuples se heurtent pour conquérir des territoires, des débouchés, un agrandissement de la vie matérielle, des avantages politiques et économiques ; c’est parce qu’ils se heurtent pour régler le sort du monde.

« Rien de plus grand n’est jamais apparu au regard des hommes : contre la barbarie et le despotisme, contre le système de provocations et de menaces méthodiques que l’Allemagne appelait la paix, contre le système de meurtres et de pillages collectifs que l’Allemagne appelle la guerre, contre l’hégémonie insolente d’une caste militaire qui a déchaîné le fléau, avec ses alliés, la France émancipatrice et vengeresse, d’un seul élan, s’est dressée.

« Voilà l’enjeu. Il dépasse notre vie. Continuons donc à n’avoir qu’une seule âme, et demain, dans la paix de la victoire, restitués à la liberté aujourd’hui volontairement enchaînée de nos opinions, nous nous rappellerons avec fierté ces jours tragiques – car ils nous auront fait plus vaillants et meilleurs.


(coupure de journal)

Nous avons maintenant cinq mois après la guerre l’artillerie nécessaire, mais les Allemands en ont largement profité pour organiser leur défensive chez nous.

Que d’épouvantables souffrances, que de sang, que d’or auront coûté à la France les chimères imbéciles de M. Viviani ; de cet internationaliste qui vient par la force des évènements de proclamer solennellement la nécessité d’écraser cette Allemagne monstrueuse dont, aveugle volontaire, il niait la menace si évidente.

Les Forces alliées

Il semble que nous n’avons créé aucun nouveau corps d’armée. Nous nous bornons au moyen de nos dépôts à maintenir à effectif complet nos 21 corps d’armée. Je ne sais même pas si la réserve est organisée en corps ou simplement en divisions de réserve. Nous avons quelques divisions de territoriale qui sont au feu en Belgique, notamment la 87 et la 89. (Paul).

Les Anglais doivent avoir en France d’après leurs communiqués officiels 4 corps d’armée, plus le corps indien et 3 ou 4 divisions d’artillerie. En tout 250 000 hommes au plus.

Les communiqués officiels nous apprennent que l’armée belge est organisée à 6 divisions, soit 120 000 hommes environ.

Jean : combats et Arras

D’après les lettres de Jean sur les combats du nord d’Arras, on peut je crois conclure que là comme sur tout le front notre offensive que je disais générale est assez peu poussée. Les effectifs engagés sont peu considérables et sur des fronts peu étendus ; ont-ils même atteints l’effectif d’une division, je ne le pense pas.

Voici ce que Jean écrit à Yvonne sur les combats de Blangy. (lettre du 19)

« L’attaque préparée par l’artillerie a été splendide comme entrain, mais si vous aviez vu faucher les pauvres gars. Cela était aussi terrible que Charleville et Sézanne. Les pertes sont d’environ 7 à 800 hommes. Comme officiers c’est terrible et je vous charge de missions douloureuses…

C’est affreux, la plaine est couverte de capotes bleues. Il y a eu des dévouements et des courages splendides ; finalement nous sommes maîtres de 15 ou 20 maisons en bordure de la route et c’est tout. La situation n’est pas drôle car nous sommes à 15 mètres des Allemands dans des maisons obscures crénelées… On s’envoie des grenades à main. Le pauvre commandant est mort en brave, insouciant, là où il n’avait pas à être, il s’est avancé imprudemment à découvert, il était souffrant le matin et m’a dit  - si je suis tué qu’on prévienne ma femme tout de suite – Je l’ai vu, on l’a ramassé, tué net d’une balle au cœur. C’est trop horrible à voir, on pleure à chaudes larmes. Et les Allemands tirent sur les blessés, je l’ai vu ».

Actuellement sur 43 officiers du 2ème, partis au début de la guerre, il y a 18 tués, 22 blessés et trois indemnes.

Il y a 6 semaines, mon frère nous écrivait que le 10ème corps avait perdu 3 800 hommes, à peu près son effectif.

Lettre de Balley

Il écrit à son père que le terrible assaut a duré sept minutes, spectacle terrifiant. Ils étaient (les brancardiers) autour de l’aumônier, l’abbé Hulin, qui leur a dit « Prions les bras en croix pour ceux qui meurent » et tous, les bras en croix, ont répété ses invocations.

L’attaque avait été préparée par un tir concentré d’artillerie de 8 h du matin à 2 h. c’est à ce moment qu’ils ont fait l’attaque.

Le terrain gagné a été bien peu de choses et ils l’ont depuis reperdu, perdant beaucoup de monde dans ces maisons de Blangy que les Allemands avaient minées et aussi par les minenwerfer - canons silencieux - sorte de mortier de tranchées qui lance à peu de distance un projectile de 84 kilos à parois minces contenant par suite une charge énorme d’explosif (ce sont de vraies mines).

Lettre d’Edouard

Du côté de  Suippes, il écrit que le 21 plus de cent pièces ont tiré de 8 h à 3 heures ; là, nos troupes auraient avancé de 7 kilomètres ? ceci est très intéressant. Edouard dit que nous avons perdu du monde, mais que notre canonnade avait fait subir des pertes terribles aux Allemands et que dans leurs tranchées prises par nous, nos soldats avaient du sang jusqu’à la cheville.

Blessés

Le chiffre officiel de nos blessés du 15 Septembre au 30 Novembre est de 489000. Pus de 50 % sont retournés sur le front et 20 % sont en convalescence et se battent encore… 2,5 % de décès.

On admet que les Austro-Allemands ont perdu 3500000 hommes dont 2 millions pour l’Allemagne (morts, blessés et disparus).

Les Russes disent avoir 370000 prisonniers dont 150000 Allemands.

du Samedi 26 au Jeudi 31 Décembre

- en France -

Le temps continue à être épouvantable ; un peu partout mais surtout en Flandre les tranchées sont pleines d’eau. De Nieuport à Dixmude les hommes souffrent beaucoup. Il y a de nombreux malades, des pieds gelés… nous écrivent de Kermadec et des Ormeaux. Dans ces trois dernières semaines la brigade de fusiliers marins a perdu 14 000 (?) hommes entre les tués, blessés, disparus et malades.

Le mauvais temps a gêné les opérations. Néanmoins, au-delà de Nieuport nous avons occupé le village de St Georges. Sur le reste de la ligne jusqu’à Reims nous avons maintenu le terrain gagné. Dans la région de Perthes et en Argonne notre offensive a continué avec succès surtout à Perthes où nous avons occupé des tranchées de 2ème ligne. En Alsace, nous occupons partiellement Steinbach.

- en Russie -

Bonnes nouvelles. En Pologne l’offensive allemande paraît brisée. Le front russe a été fermement maintenu sur une ligne marquée par la Bzoura et son affluent la Rawka – la Pilitza et la Nida. En Galicie, les Autrichiens sont en recul général.

Angleterre

Sept hydroplanes convoyés par deux croiseurs rapides ont pu s’enlever près d’Heligoland et bombarder Cuxhaven. Trois ont été recueillis par les croiseurs, trois par des sous-marins, un seul s’est perdu.

Communiqué officiel (28 Décembre – 23 heures )

Pendant toute la journée, une tempête violente a empêché les opérations sur la plus grande partie du front.

On signale cependant que nous avons réalisé quelques progrès en Argonne.

Communiqué officiel (29 Décembre  – 15 heures)

En Belgique, le village de Saint-Georges a été enlevé par nos troupes qui s’y sont établies.

De la Lys à la Somme : l’ennemi a bombardé assez violemment nos positions dans la région Echelle-Saint-Aurin, le Quesnoy, Bouchoir (nord-ouest de Roye).

Calme sur le front entre la Somme et l’Argonne. Nous avons gagné un peu de terrain en Argonne dans le bois de la …

(il me manque une ligne pour terminer la retranscription de ce communiqué)

(coupure de journal)

Fin d'année

1914 s’achève tristement. Les Allemands tiennent sous leur botte cinq de nos plus riches départements.

Les terribles journées du début de Septembre 1914 ne s’effaceront jamais de ma mémoire.