Mardi 1er Septembre

Si ce soir, nous n’avons pas un état de situation un peu plus net, nous pourrons tout craindre, même quelque Sedan.

Si cela pouvait être vrai ? On nous dit, à 10 heures du matin, qu’hier soir on a affiché à Caen que 80000 Allemands avaient été faits prisonniers. Oh, mon Dieu, faites que cela soit vrai !

Je note, dans la Croix, que le maire de Cambrai a refusé le 15 Août à l’archevêque la sortie de la procession. Je vois ce matin que des atrocités ont été commises à Cambrai par les Allemands.

Midi : un train de blessés turcos (250) a passé ce matin, tous blessés à Guise et depuis Samedi dans le train. Ils disent que le 2ème a donné le 29 en grand à Guise ainsi que le 136ème. Un de ces turcos avait emporté une tête d’Allemand dans un casque, on l’a obligé à moitié route à la jeter. Il l’a fait après avoir gardé les deux oreilles et les moustaches.

2 heures : visite des La Graudière. Ollivier nous dit que le 10ème corps a donné dans la bataille du 22 sur la Sambre. Louis a télégraphié et écrit depuis, il est à l’état-major de la 39ème brigade (25ème et 136ème).

4 heures : maman revient de Granville. Par un lieutenant blessé le 22, ils ont su que le 22 dans la bataille de Charleroi, ils ont débouché, vers les Allemands qui les attendaient, sous une pluie de balles et que tous les officiers de Jean avaient été blessés, lui vu indemne au début. Il a dit que les balles tombaient comme une pluie d’orage. Après deux jours d’angoisse, une dépêche, parvenue de Granville et datée du 27 (Jeudi) disait que Jean allait bien. Mais depuis nous savons que le 2ème a donné à Guise.

7 heures du soir : dépêche d’Yvonne disant que Jean était bien Samedi soir 23 à Guise.

Enfin une dépêche claire et complète. La situation est terrible mais nous luttons sur toute la ligne.

La situation d’ensemble est la suivante :

1 – Vosges et Lorraine

On se rappelle que nos forces, qui avaient pris l’offensive dans les Vosges et en Lorraine dès le début des opérations et repoussé l’ennemi au-delà de nos frontières, ont ensuite subi des échecs sérieux devant Sarrebourg et dans la région de Morhange où elles se sont heurtées à des organisations défensives très solides. Ces forces ont du se replier pour se reconstituer, les unes sur Grand- Couronné de Nancy, les autres dans les Vosges françaises.

Les Allemands ont alors forcé à l’offensive, mais après avoir repoussé les attaques ennemies sur les positions de repli qu’elles avaient organisées, nos troupes ont repris l’attaque depuis deux jours.

Cette attaque n’a cessé de progresser bien que lentement ; c’est une véritable guerre de siège qui se livre dans cette région. Toute position occupée est immédiatement organisée de part et d’autre, c’est ce qui explique la lenteur de notre avance qui n’en est pas moins caractérisée chaque jour par de nouveaux succès locaux.

2 – Région de Nancy et Woëvre Méridionale

Depuis le début de la campagne, cette région comprise entre la place de Metz, côté allemand et les places de Toul et de Verdun, côté français, n’a été le théâtre d’aucune opération importante.

3 – Direction de la Meuse entre Verdun et Mézières

On se rappelle que les forces françaises avaient pris l’offensive dans la direction de Longwy, Neufchâteau et Palizeul.

Les troupes opérant dans la région d’Avricourt et de Longuyon ont fait éprouver un échec à l’ennemi (armée du prince royal)

Dans les régions de Neufchâteau et Palizeul, au contraire, certaines de nos troupes ont subi des échecs partiels qui les ont contraints à se replier sur la Meuse, sans toutefois être entamées dans leur ensemble.

Ce mouvement de recul a obligé les forces opérant dans la région de Spincourt à se replier aussi vers la Meuse.

Au cours de ces dernières journées, l’ennemi a cherché à déboucher de la Meuse avec des forces considérables. Mais, par une vigoureuse contre-offensive, il a été rejeté dans la rivière, après avoir subi de très grosses pertes. Cependant, des forces nouvelles allemandes se sont avancées par la région de Rocroi, marchant dans la direction de Rethel.

Actuellement, une action d’ensemble est engagée dans la région comprise entre la Meuse et Rethel, sans qu’il soit encore possible d’en prévoir l’issue définitive.

4 – Opérations dans le Nord

Les forces franco-anglaises se sont initialement portées jusque dans la direction de Dinant, Charleroi et Mons. Quelques échecs partiels ont été subis.  Le forcement de la Meuse par les Allemands dans la région de Givet, sur notre flanc, a contraint nos troupes à se replier. Les Allemands cherchent toujours à nous déborder par l’Ouest. C’est dans ces conditions que nos alliés anglais, attaqués par un ennemi très supérieur en nombre, dans la région du Cateau et de Cambrai, ont dû se replier vers le Sud, au moment où nos forces opéraient dans la région d’Avesnes et de Chinay.

Le mouvement de recul s’est prolongé dans les journées suivantes. Cependant, une bataille générale a été engagée avant-hier dans la région de Saint-Quentin et de Vervins, en même temps que dans la région de Ham-Péronne. Cette bataille a été marquée pour nous par un succès important sur notre droite, où nous avons rejeté la garde prussienne et le 10ème corps dans l’Oise. Par contre, et toujours en raison des progrès de l’aile droite allemande, où nos adversaires ont réuni leurs meilleurs corps d’armée, nous avons dû marquer un nouveau mouvement de recul.

En résumé, à notre droite, après les échecs partiels, nous avons pris l’offensive et l’ennemi recule devant nous. Au centre, nous avons eu des alternatives d’échecs et de succès, mais la bataille générale est de nouveau engagée. A gauche, par une série de circonstances qui ont tourné en faveur des Allemands et malgré les contre-offensives heureuses, les forces anglo-françaises ont dû céder du terrain.

Nulle part encore, nos armées, malgré quelques échecs incontestables, n’ont été réellement entamées. L’état moral de la troupe reste excellent, malgré les pertes considérables subies ; mais les envois des dépôts ont pu boucher les vides.

(coupure de journal)

Où sont les Allemands à cette heure où j’écris ? Auront-ils pu en moins de quinze jours atteindre Paris.

On ne peut s’illusionner. L’intérêt de la prise de Paris est vital pour l’Empire d’Allemagne. Il est donc certain que, sans chercher l’investissement, ils vont sur un secteur tenter une ruée formidable, un assaut comme il n’en a jamais été vu. Paris doit résister si toutefois sa défense et ses forts n’ont pas été sabotés comme tant de choses militaires.

Il paraît certain que les pertes allemandes sont très considérables ; ils avancent comme des sourds en masses profondes que nous décimons. Le Kaiser dit vrai en ce sens quand il parle de son « Infléchissable Armée ». Oui, mais notre mitraille ne fléchit pas non plus et, si notre armée reste en bon ordre et reste abondamment pourvue de munitions, cette ruée allemande pourrait devenir une ruée à la mort.

11 heures du matin,

 Situation générale:

La situation générale ne s’est modifiée que sur nos ailes.

A notre gauche, les Allemands ont gagné du terrain.

Dans le centre, pas de modifications sensibles : on ne s’est pas battu.

En Lorraine, nous avons emporté de nombreux avantages.

(coupure de journal)

Mercredi 2 Septembre

A notre aile gauche, par suite de la continuation du mouvement enveloppant des Allemands et dans le but de ne pas accepter une action décisive qui aurait pu être engagée dans de mauvaises conditions, nos troupes se sont repliées partie vers le Sud, partie vers le Sud-Ouest.

L’action engagée dans la région de Rethel a permis à nos forces d’arrêter momentanément l’ennemi.

(coupure de journal)

Cette brève dépêche nous parle d’un mouvement enveloppant. Les Allemands envoient-ils des forces sur Reims ?

Jean se battait à Mirialmé le 22 (5 kms de Dinant). Il se battait le 29 à Guise. Il y a cent kilomètres entre ces deux endroits. Avec les marches et contremarches, qu’ont pu faire par jour nos  soldats ! Et depuis ils doivent être bien loin au sud. Les voies ferrées ont-elles aidées ces transports de troupes, c’est bien peu probable. Quel peut-être le degré de fatigue de ces armées, de ces admirables petits soldats que nous avons vu partir avec un tel élan. Le cœur se brise quant on pense à leurs souffrances. Sans doute Dieu donne à ces braves la force du sacrifice et du devoir sacré qu’ils remplissent. Car c’est bien une force surhumaine qu’il leur faut.

A moins d’avoir la Sancta Simplicitas, il leur faut bien voir que le péril est grand ; il est impossible d’admettre que des mouvements ( ?) aussi rapides en arrière puissent se faire sans troubler profondément l’organisme complexe d’une armée. Quand on voit ce que les Allemands ont fait en huit jours, on doit s’armer le cœur d’une triple cuirasse pour ne pas trembler. Voilà trois jours que nous ne savons rien de la Russie quoiqu’elle ait gagné une importante bataille dont le résultat est capital car le salut de la France dépend maintenant des triomphes de la Russie.

Dans la superbe résistance de Castelnau en Lorraine, on verrait se fermer le grand cercle de fer autour de nos armées.

Nous apprenons qu’Hervé de Kermadec a été blessé qu bras doit et que Renan de Kermadec est en Seine et Marne dans la région de Meaux.

6 heures du soir. Chaque jour nous apporte un coup de massue sur le crâne. République immonde voilà ton œuvre. Les démocrates chrétiens ont voulu adorer la Gueuse. La Gueuse va-t-elle égorger notre vieille France ? Dieu va-t-il étendre sa main sur nous ?

Télégramme du 2 Septembre minuit

PROCLAMATION DU GOUVERNEMENT

« Français,

« Depuis plusieurs semaines, des combats acharnés mettent aux prises nos troupe héroïque et l’armée d’ennemis. La vaillance de nos soldats leur a valu sur plusieurs points des avantages marqués, mais au Nord la poussée des forces allemandes nous a contraints à nous replier.

« Cette situation impose au Président de la République et au Gouvernement une décision douloureuse pour veiller au salut national. Les pouvoirs publics ont le devoir de s’éloigner pour l’instant de la ville de Paris. Le commandement d’un chef éminent, une ramée française pleine de courage et d’entrain défendra contre l’envahisseur la capitale et sa patriotique population.

« Mais la guerre doit se poursuivre sur tout le reste du territoire, sans paix ni trêve. Sans arrêt ni défaillance continuera la lutte sacrée pour le Nord de la Nation et pour la réparation du droit violé.

« Aucune de nos armées n’est entamée. Si quelques-unes d’entre elles ont subi des pertes sensibles, les vides ont été immédiatement comblés  par les dépôts et l’appel des recrues nous assure pour demain de nouvelles ressources en hommes et en énergie.

« Durer et combattre ! tel doit être le mot d’ordre des armées alliées : Anglaise, Russe, Belge et Française. Durer et combattre, pendant que sur mer les Anglais nous aident à couper les communications de nos ennemis avec le monde. Durer et combattre, pendant que Les Russes continuent à s’avancer pour porter au cœur de l’empire d’Allemagne le coup décisif. C’est au Gouvernement de la République qu’il appartient de diriger cette résistance opiniâtre.

« Partout pour l’indépendance, les Français se lèveront ! Mais pour donner à cette lutte formidable tout son élan et toute son efficacité, il set indispensable que le Gouvernement demeure libre d’agir.

« A la demande de l’autorité militaire, le Gouvernement transporte donc momentanément sa résistance sur un point du territoire d’où il puisse rester en relation constante avec l’ensemble du Pays. Il invite les Membres du Parlement à ne pas se tenir éloignés de lui pour pouvoir former devant l’ennemi, avec le Gouvernement et avec leurs Collègues, le faisceau de l’unité nationale.

« Le Gouvernement ne quitte Paris qu’après avoir assuré la défense de la ville et du camp retranché par tous les moyens en son pouvoir. Il sait qu’il n’a pas besoin de recommander à l’admirable population parisienne le calme, la résolution et le sang-froid. Elle montre tous les jours qu’elle est à la hauteur des plus grands devoirs.

« Français !

« Soyons tous dignes de ces tragiques circonstances ! Nous obtiendrons la victoire finale. Nous l’obtiendrons par la volonté inlassable, par l’endurance et par la ténacité.

« Une Nation qui ne veut pas périr, et qui pour vivre ne recule ni devant la souffrance, ni devant le sacrifice, est sûre de vaincre !

Le Président de la République,

Raymond POINCARE.

Le Président du Conseil des Ministres,

René Viviani.

Le Ministre de la Justice,

Aristide Briand

(coupure de journal)

Delcassé – Malvy – Ribot – Millerand – Augagneur – Sarraut – Sembat – Thomson – Fernand David – Doumergue – Bienvenu Martin – Jules Grusde

Luttez – Luttez. Nous, nous foutons le camp. De cœur avec vous. Nous reviendrons quand il n’y aura plus de danger. Au Revoir et Merci.

2 Septembre, 8 heures du soir

La Situation 

1° A notre aile gauche, dans la journée du 1er Septembre, un corps de cavalerie allemande, dans sa marche vers la forêt de Compiègne, a eu un engagement avec les Anglais qui lui ont pris 10 canons. Un autre corps de cavalerie allemande a poussé jusqu’à la ligne Soissons à Nizy-le-Château. Dans la région de Rethel et de la Meuse, l’ennemi n’a manifesté aucune activité.

2° En Lorraine, nous avons continué à progresser sur la rive droite de Sanon. Au Sud, la situation est inchangée. En Haute Alsace, les Allemands semblent n’avoir laissé devant Belfort qu’un rideau de troupes.

3° Dans la région du Nord, on ne signale pas d’ennemis à Lille, Arras, Douai, Béthune, Lens.

4° On annonce de Belgique que des fractions appartenant à plusieurs corps d’armée allemande sont mises en mouvement vers l’Est et rentrent en Allemagne.

(coupure de journal)

Cette dépêche, en elle-même, serait plutôt bonne. Mais que penser du départ du Gouvernement de Paris.

Vendredi 4 Septembre

Extrait d’une lettre d’Yvonne contenant les récits du Lieutenant Pouzol et du sergent major de la compagnie de mon frère Jean tous deux revenus blessé à Granville le 1er Septembre :

« Que j’aurais voulu que vous entendiez ces deux récits, faits pourtant en paroles hachées et basses par deux hommes qui n’en pouvaient plus… que c’était palpitant… combien j’étais suspendue à leurs lèvres.

« C’est miraculeux que le 22 Jean n’ait rien eu à Morialme, ça a été la jour,née la plus rude pour sa compagnie ; le soir il avait perdu 60 hommes dont 13 morts, un des lieutenant tué dès le début, l’autre blessé, son adjudant blessé, son sergent-major idem… a réussi à se traîner jusqu ‘au 29 au soir, 3 sergents tués, 1 blessé, son caporal fourrier tué.

« Cette compagnie a elle seule a pris et repris par trois fois un village aux Allemands, à la baïonnette et sous une pluie de mitraille. Ils se sont battus comme à Charleroi.

« Jean était paraît-il admirable de sang-froid et de tout et un moment il n’avait plus que sept hommes autour de lui, à la fin il a été victorieux mais il a du donner l’ordre de la retraite car les autres compagnies aux alentours se repliaient.

« Dimanche, Lundi, il se sont encore battus… Mercredi, jeudi, Vendredi, ils se sont repliés par Hirson et Vervins et le 29 ils se sont battus à Guise contre la garde. Ils sont exténués et Jean qui a été tout seul pendant 8 jours pour s’occuper de tout. Il a redemandé Mr … qui n’a pu rien à faire aux mitrailleuses, les 12 chevaux qui les portaient ayant été fauchés d’un seul coup.

« Les Allemands ont bien plus de mitrailleuses que nous. Ils brûlent tous les villages et les blessés. C’est la nuit qui avance. Mr de Poujol a été porté blessé pendant 3 kilomètres… 60 heures de voyage sur la paille.

« Pertes énormes au 10ème corps qui avait l’ordre de tenir jusqu’au 28. A Granville, très nombreux réfugiés belges et français du Nord et de l’Est… »

Vendredi soir, arrive la lettre de Jean ci-contre. Il a utilisé lettre et enveloppe que je lui avais envoyées. Cette bonne carte nous montre quel est l’esprit de nos armées (dont nous ne doutions pas) et surtout quel est l’état d’un Corps d’Armée pourtant harassé et très éprouvé.

 (J’ai essayé de retranscrire ci- dessous ce que j’ai pu de cette courte missive

dont je n’avais qu’une photocopie dans le dossier qui m’a permis de parachever cette œuvre. Que mon oncle Jean et mon grand-père me le pardonne - Philippe Morize -)

« Suis vivant, avait 1 chance sur 4 d’en revenir théoriquement puisque j’ai perdu 60 hommes sur 250. Hommes admirables, pas un n’a lâché, fusillés à 11 heures par des gens invisibles dans les maisons. Resté maître du terrain malgré un nombre très supérieur, avons du évacuer sans … et … Depuis suite de mouvement en avant et en arrière motivés … que d’un régiment de réserve … … … soir d’une victoire … Obligés d’évacuer la Belgique. Sommes tous prêts à recommencer. Nouvelles contradictoires, cherchons plus à comprendre … trouvée … Mes petits Bretons ont tenu tête à la Garde impériale … … …  combats et les … infernales … … … et ruisselant de sang. Tendresses à tous. Jean. Vais bien. Jean »

« Nous ne demandons qu’à recommencer » Ces mots sont écrits aussi simplement qu’ils sont pensés. Alors tous les espoirs sont permis et l’heure de l’Allemagne sonnera. Sa force est plus atteinte que la nôtre.

Le geste de nos gouvernants n’est évidemment pas très Cyrano. Il y a bien loin de leur triste fuite nocturne au panache blanc d’Henri IV. On aurait au moins voulu les voir attendre l’investissement  certain.

Pas de nouvelles : aucune dépêche le 4 Septembre.

Samedi 5 Septembre

Pas de journaux le matin. Nous avons le Petit Journal du 4 au matin. Où sont les Allemands ? Puissent-ils se briser contre Paris ? Comme on ne peut douter que la puissance de nos armées soit presque entière ! Il semble bien que le général Joffre n’a pas voulu risquer le combat décisif recherché à l’évidence par les Allemands.

Le temps nous appartient tandis que pour eux les jours qui passent, c’est les Russes qui les envahissent chaque jour davantage. Notre force est dans nos armées, là seulement l’Allemagne peut réellement nous atteindre.

Mais quand même la prise de Paris serait grave et si cruelle.

« Demain, sur nos tombeaux

« Les blés seront plus beaux

La Liberté publie l’admirable lettre qui suit et qui est venue d’un champ de bataille de Belgique.

« Mes chers parents,

« Si vous recevez cette lettre, c’est que j’aurai été tué. Ne me pleurez pas, puisque mon sort est le plus beau que puisse rêver un Français : mourir pour son pays un soir de victoire. Car nous serons vainqueurs, j’en suis sûr ; nous avons le droit et le confiance de notre côté.

« J’aurai ainsi fait mon devoir jusqu’au bout et j’espère que ma mort aura été utile à mon pays.

« Je ne regrette rien, sinon la peine que vous aurez.

« Mais vous vous consolerez en pensant que, Français, j’ai tout donné à mon pays et que, catholique, je suis mort après m’être réconcilié avec Dieu.

« Ma dernière pensée aura été pour vous.

R… H… brigadier au … dragons.

(coupure de journal)

Nous apprenons Samedi soir que les Allemands sont à la Ferté Sous Jouarre. Ainsi donc le mouvement sur Paris ne serait qu’une feinte et c’est le mouvement enveloppant qui se poursuit. Je suis angoissé en pensant au 10ème corps que son succès du 29 a porté en avant sur Guise. Il a du avoir une terrible retraite à faire et sans doute en combattant sans cesse. Je tremble pour tous ces braves déjà si harassés par les fatigues de la semaine précédente. Comme cela doit être terrible pour ces soldats si allants de reculer toujours et tellement vite.

Je réponds à Jean que nous allions avoir 50 blessés à Saint Sauveur et qu’ils seraient bien soignés et que tous ici avec enthousiasme nous irions lécher leurs pieds meurtris si cela pouvait les guérir. Nous sommes tellement unis de cœur et de pensée à tous ces braves qui se battent.

Dimanche 6 Septembre

Pas de nouvelles… !

De vieux journaux. Ils parlent tous de durer. Quel effondrement depuis 15 jours. Durer. Après le fol optimisme des journaux, n’est-ce pas excès de pessimisme que cet humiliant idéal qu’on nous montre. Durer. Puisque nos armées sont là, pourquoi e pourrions-nous pas espérer encore des victoires. Mais que nous cache-t-on donc ?

La proportion des morts aux blessés serait faible, à peine un conte cinq. C’est la même que dans les guerres balkaniques. Les blessures sont ou très graves ou très légères car tout ce qui ne touche pas un organe essentiel est guéri en huit jours comme une plaie chirurgicale.

Ma pensée ne quitte pas un seul instant nos braves soldats ; nuit et jour, j’ai comme un balancier dans la tête qui me rythme leurs pas précipités et leurs assauts. Je ne souffre pas comme eux, mais je souffre aussi dans ma chair avec eux. Mais pendant que je me consume sur place sans honneur, eux brûlent d’une vie si intense et se couvrent de gloire et d’honneur.

Le général Gallieni et la défense de la capitale

« Armée de Paris

« Habitants de Paris,

« Les membres du Gouvernement de la République ont quitté Paris pour donner une impulsion nouvelle à la Défense Nationale.

« J’ai reçu mandat de défendre Paris contre l’envahisseur.

« Ce mandat je le remplirai jusqu’au bout.

Paris, le 3 septembre 1914.

Le Gouverneur Militaire de Paris

Commandant de l’Armée de Paris,

Signé : GALLIENI

(coupure de journal)

Pour un Gascon, c’est un peu verbeux mais c’est net comme un coup de sabre.

Les généraux allemands et leurs décorations étrangères

On mande de La Haye, 31 août, aux journaux anglais :,

Le général de Moltke, chef de l’état-major général, a décidé de vendre toutes ses décorations anglaises, russe, japonaises et belges, la plupart ornées de pierres précieuses et de verser le montant de la vente à la Société de la Croix-Rouge.

Il a été donné l’ordre à tous les généraux allemands possédant des décorations étrangères d’en disposer de la même façon. 

(coupure de journal)

Quelle vraie guerre de race ! Que de haine dans de telles décisions ! Que sera l’Europe après cette guerre au couteau et ce débordement de haine universelle !

Dépêche officielle

1.- A notre aile gauche, la situation respective des armées allemandes et française n’a subi aucune modification intéressante. La manœuvre débordante de l’ennemi semble définitivement conjurée.

2.- Sur notre centre et à droite (Lorraine et Vosges), situation inchangée.

3.- A Paris, dont l’ennemi reste actuellement éloigné, des travaux de défense se poursuivent avec activité.

4.- A Maubeuge, le bombardement a continué avec une extrême violence. La place résiste, malgré la destruction de trois forts.

Le général de Moltke, chef de l’état-major général, a décidé de vendre toutes ses décorations anglaises, russe, japonaises et belges, la plupart ornées de pierres précieuses et de verser le montant de la vente à la Société de la Croix-Rouge.

(coupure de journal)

Lundi 7 Septembre

Nous apprenons que Jean était à Epernay le 5 en bonne santé.

Une grande victoire russe avec prise de Lemberg, d’une importance capitale pour m’ensemble de la guerre.

Malheureusement il semble certain que les Russes ont subi un échec en Prusse. De quelle importance ???

La situation

Une action générale est engagée sur une ligne passant par Nanteuil-le-Haudouin, Meaux, Sézanne, Vitry le François, et s’étendant jusqu’à Verdun.

Grâce à une action très vigoureuse de nos troupes puissamment aidées par l’armée britannique, les forces allemandes qui s’étaient avancées avant-hier et hier jusque dans la région de Coulommiers, La Ferté Gaucher, ont dû, dans la soirée d’hier, marque un mouvement de recul.

Théâtre d’opérations austro-russes

Douze divisions de l’armée autrichienne de Lemberg ont été complètement détruites.

Une seconde armée autrichienne qui opérait sur le front Krasnosbaw-Opole, région de Lublin, a subi de très grosses pertes ; elle se tient maintenant sur la défensive et a, par endroits, battu en retraite.

(coupures de journaux)

Mardi 8 Septembre

La dépêche de dimanche ci-dessus indique qu’une grande et capitale action est menée.

Si l’on prend à la lettre la dépêche de mon frère, s’il était le 5 à Epernay, si les Allemands s’avancent jusqu’à Sézanne et Vitry le François le 7, les corps d’armées dont mon frère fait partie doivent être très menacés.

Mais il est vrai que la situation de la pointe allemande sur Sézanne semble elle aussi très menacée.

Cette bataille peut donc être ou un désastre allemand, ou une très grave défaite pour nous. Je ne demanderai qu’à avoir confiance mais j’ai bien peur (non certes d’une faiblesse de nos admirables soldats.)

On raconte maintes histoires. Manque d’équipement, de munitions. Percin, commandant le 1er corps à Lille, n’aurait pas suivi les ordres de Joffre, les ayant gardés 48 heures en poche. Joffre lui aurait envoyé un colonel d’Etat-Major avec ordre de lui brûler la cervelle si, ayant reçu ses ordres, il ne les avait pas exécutés. Ce qui fut fait ?

Quant aux atrocités allemandes, il semble qu’elles sont au-dessus de tout ce qu’on peut imaginer. C’est la brute sauvage déchaînée.

Mon pessimisme, il consiste en réalité à porter sur la carte et à constater simplement la situation définie par les dépêches officielles. Elles sont courtes mais un homme possédant une éducation militaire élémentaire et pouvant lier deux idées de bon sens peut facilement lire un peu au-delà. Jusqu’ici ce que l’on pouvait prévoir ainsi n’était pas favorable.

Ce que j’ai écrit hier sur la bataille qui se livre n’est pas terrible, ce sont des réflexions évidentes qui constatent une situation existante et définie et je ne présume en rien le résultat de l’action.

La situation

1° A notre aile gauche, les armées alliées ont progressé sans que l’ennemi s’y soit énergiquement opposé.

2° A notre centre (région de Verdun), alternatives d’avances et de reculs ; situation inchangée.

3° A droite (Vosges), quelques succès partiels.

4° A Paris, les éléments de défense avancée ont livré dans le voisinage de l’Ourcq des combats dont l’issue a été favorable.

5° Le Ministre de la Guerre a adressé au Gouverneur de Maubeuge la dépêche suivante : « Au nom du Gouvernement de la République et du Pays tout entier, j’envoie aux héroïques défenseurs de Maubeuge et à sa vaillante population l’expression de ma profonde admiration. Je sais que vous ne reculez devant rien pour prolonger la résistance jusqu’à l’heure que j’espère prochaine de votre délivrance ». D’autre part, le Commandant en chef a cité à l’ordre des armées, le Gouverneur de Maubeuge pour sa belle défense.

(coupure de journal)

Pour avoir dit un mot atténué de ce que j’ai écrit. Mon père a bondit comme un ressort et m’a dit que c’était stupide de vouloir juger les choses de loin… Heureux vraiment ceux qui ont la foi du charbonnier et qui peuvent ne pas voir et même, de parti pris, veulent ne pas voir et ne pas même regarder une carte… Quant à maman, elle m’a dit que je n’avais pas de cœur… Un comble.

J’affirme encore ici ma conviction dans la victoire finale. La France sortira non diminuée de la guerre. Quant à l’étendue des revers et es épreuves que nous aurons à subir et leur durée, c’est le secret de Dieu.

Nos alliance resserrées

Bordeaux, 5 septembre.- La déclaration, dont voici le texte, a été signée, ce matin, au Foreign Office, à Londres. Les soussignés, dûment autorisés par leurs gouvernements respectifs font la déclaration suivante : « Les gouvernements de Grande Bretagne, de France et de Russie, s’engagent mutuellement à ne pas conclure de paix séparée au cours de la présente guerre. Les trois gouvernements conviennent que, lorsqu’il y aura lieu de discuter les termes de la paix, aucune des puissances alliées ne pourra poser de conditions de paix, sans accord préalable avec chacun des autres alliés. »

Ont signé : Edward Grey, ministre des Affaires étrangères, Paul Cambron, ambassadeur de France, Comte Benkendorf, ambassadeur de Russie.

(coupure de journal)

Anecdotes

D’un colonel. « Nous sortions de la ville, nous hâtant, sous une pluie de feu, quand en passant devant ma petite maison, située à la limite des faubourgs, j’aperçus ma femme, crispée à la grille du jardin. Elle pleurait, me suppliait de m’arrêter, criait à mes hommes : "Sauvez votre colonel !" Je passais sans oser la regarder car elle donnait de tels signes de folie que mon regard l’eut peut-être achevée. Les Prussiens étaient sur nos talons. Ils ont dû occuper ma maison dix minutes après notre passage. Et tous les hommes qu vous voyez – il me les montrait, dormant sur les pelouses – ont aussi perdu leurs femmes, leur maison, leur champ ! »

D’un inconnu. «  J’étais content ; car, voyez-vous, la bataille ce n’est pas terrible ; le sifflement des balles, l’explosion des shrapnells, on s’y habitue, on en prend son parti, comme de rester sous l’averse pendant un gros orage ; mais le pire, à quoi on ne s’habitue pas, c’est le râle des camarades qui vont mourir. »

(coupure de journal)

Quels vrais braves !

Heureux sont ceux-là.

Mais en savent-ils beaucoup plus long certains de ceux qui partent et qui, au fond de leurs landes, n’avaient peut-être jamais entendu parler de l’Autriche et de la Serbie ? En gare de Rennes, un de ces pauvres Bretons de l’intérieur, un réserviste finistérien aux yeux tristes et aux gestes gauches, souriant quand même et faisant bonne contenance sous l’épreuve, répondait à un de nos amis qui lui demandait où on l’envoyait avec son régiment : « J’sais pas bien. A Outrance, qu’on nous a dit. – Outrance ! Dans quel pays places-tu ça ? – J’sais pas. C’est l’capitaine qui nous a dit : Mes enfants va falloir se battre à outrance… Et alors on y va. »

(coupure de journal)

Mercredi 9 Septembre

Il est cinq heures du soir, je ne puis dire l’angoisse avec laquelle j’attends la dépêche. J’ai si peur. L’héroïsme ce nos soldats a –t-il pu compenser les lacunes dues aux fautes de notre ignoble gouvernement.

Le temps a été aujourd’hui gris et pluvieux pour la première fais depuis le début de la guerre. La campagne est toujours aussi verte, enveloppée de calme et de silence ; poignant contraste avec les champs de carnage où le sang si pur de notre héroïque jeunesse française coule à flots.

Les deux ailes de notre armée s’appuyant sur Paris et Verdun, aucun mouvement débordant n’est à redouter.

Voici la dépêche, elle est aussi bonne que possible. Si le centre allemand est en situation favorable, sa fameuse aile droite semble en bien dangereuse posture. Mais les trois armées allemandes, de Charleroi, des Ardennes Belges et du Luxembourg, doivent être réunies et leur intention est assurément de couper nos force en enfonçant notre centre. S’ils échouent ils pourraient bien être f------ mais…

Télégramme du 9 septembre

1° A l’aile gauche, les armées alliées, y compris les éléments de la défense avancée de Paris, sont en progression continue depuis les rives de l’Ourcq jusque dans la région de Montmirail. L’ennemi se replie dans la direction de la Marne, entre Meaux et Sézanne. Les troupes anglo-françaises ont fait e nombreux prisonniers, dont un bataillon d’infanterie, une compagnie de mitrailleuses et de nombreux caissons.

2° A notre centre, de violents combats se sont livrés entre Fère, Champenoise, Vitry le François et la pointe de l’Argonne. Nous n’avons été nulle part refoulés et l’ennemi a perdu du terrain aux abords de Vitry le François, où un mouvement de repli de sa part a été nettement constaté.

3° A notre droite, une division allemande a attaqué sur l’axe : Château-Salins, Nancy mais elle a été repoussée au Nord de la forêt de Champenon. D’autre part, plus à l’Est, nos troupes ont repris la crête de Saint-Mandray et le col des Journaux.

Pas de modification à la situation d’Alsace.

(coupure de journal)

Monstres et voyous

Voici un extrait, textuel, d’une lettre écrite à une amie par la veuve d’un de nos officiers, tué à l’ennemi.

« J’avais suivi Charles jusqu’à Blâmont, je l’étais installé dans un petit hôtel. Je ne voulais pas le quitter. Pendant les premiers jours de la mobilisation, je pouvais le voir environ une heure chaque jour, à l’heure des repas. Puis je ne le vis plus que quelques minutes. Le jour où son régiment partit pour Lorquia, il vînt m’embrasser à l’hôtel. "On se battra aujourd’hui", me dit-il. "Rassure-toi, je reviendrai vivant." Le soir, pas de nouvelle ; le lendemain non plus. Trois jours après, je vois revenir une partie des troupes parties avec le régiment de mon mari. Je retrouve un sous-officier de son bataillon que j’avais connu quand il était adjudant-major. Je le questionne. "Mort !", me répondit-il.

« J’ai demandé où était l’endroit où était enterré mon mari. On m’a indiqué un champ à l’entrée d’un petit bois, à douze kilomètres de Blâmont, sur le territoire annexé. Je suis partie immédiatement. Je voulais au prix de n’importes quels sacrifices retrouver son corps, l’embrasser une dernière fois et le faire ramener pour qu’il repose dans notre tombeau de famille. Ce fut, hélas ! impossible.

« Arrivée sur les lignes allemandes, je demandai à parler à un officier. On me conduisit à un major, un gros homme roux portant des lorgnons d’or. Quand j’entrai dans la salle d’auberge où il se trouvait, il ne daigna même pas me saluer. Résolument, je lui expliquai le but de ma visite : chercher et reprendre me corps de mon mari, tué à quelques centaines de mètres de là. Le major me laissa parler jusqu’au bout sans sourciller. Quand j’eus terminé, il me dit an allemand : "Les cadavres des Français doivent être mangés par les oiseaux de proie, va-t-en !"

« Et il me chassa. Des soldats qui avaient entendu les paroles du major me poussèrent dehors. Avec la pointe de leurs baïonnettes, ils se mirent à me piquer le cou que j’avais découvert. Pendant trois cent mètres, je fus ainsi reconduite vers Blâmont par deux soldats. Quand je rentrai à l’hôtel, le sang qui jaillissait des piqûres faites à mon cou me coulait dans le dos ; j’ai dû m’aliter et faire venir un médecin ; il a compté vingt-deux piqûres. »

(coupure de journal)

Atrocités

A Quiévrain, un évadé, caché dans une cave, vit les Allemands entrer dans ce village. Des habitants, ayant crié « Vive la France ! », treize furent saisis, vieillards, femmes et garçonnets. On les contraignit à creuser leurs treize fosses dans une cour et tous furent fusillés.

(coupure de journal)

Des réfugiés belges ont dit au chef de gare de Montebourg qu’ils ont vu jeter leurs cinq enfants dans un puits et d’autres clouer leurs enfants sur les portes.

Ils tirent sur leurs propres blessés

Il y a, à Chalon-sur-Saône, dans un hôpital temporaire, un blessé français auquel il est arrivé une bien étrange aventure.

Blessé à la prise de Sarrebourg, il fut conduit dans un hôpital de cette ville et installé dans un lit. Sa blessure, grave, n’était pas apparente : il avait été projeté contre un arbre par un éclat d’obus et souffrait de douleurs internes. Quand les Allemands réoccupèrent Sarrebourg, on le retira de son lit et on le laissa dans un coin, sur de la paille. Un blessé allemand prit sa place.

Puis, de nouveau, nous reprîmes Sarrebourg. Alors notre blessé fut témoin du massacre à coups de fusil de tous les blessé allemands, exécutés par leurs compatriotes avant de se retirer. Ils étaient quatre Français attendant leur tour sur la paille : les Allemands ne leur firent aucun mal.

Ce fait est à rapprocher de celui auquel assistèrent les officiers anglais à la bataille d’Héligoland, où ils virent les officiers de marine tirer sur leurs propres matelots tombés à la mer, que les Anglais cherchaient à sauver.

Ces traits de barbarie demeurent inexplicables mais indiquent une mentalité de sauvages.

(coupure de journal)

Jeudi 10 Septembre

Nous apprenons que Lille s’est déclarée ville ouverte. C’est lamentable. C’était soit disant un grand camp retranché. Que faut-il penser de ces camps soit disant retranchés de la Fère, Laon, Reims…

Lord Kitchener a dit à la Chambre des Communes qu’il ne faisait pas entrer en ligne de compte un facteur qui étonnerait le monde. Or on affirme ( ?) que ce facteur serait l’arrivée de troupes russes que l’Angleterre amènerait par le Cap-Nord. Il semble qu’il n’y ait pas d’impossibilité matérielle.

La dépêche du 10 est aussi bonne que possible. Après leur long recul, nos troupes en faisant à leur tour reculer les masses allemandes, font preuve d’une valeur et d’un héroïsme splendides.

Extraits de la lettre de Paule à Marie du 10

« J’ai été bien heureuse d’avoir ta lettre. Oui, en ce moment, on aimerait à se rapprocher de ses amis et plus que jamais je déplore la distance qui sépare Le Lude de Kerdaoulas.

« Comme toi, nous vivons penchés sur la carte, traçant à l’encre rouge la marche des armées. Hélas ! c’est la carte de France qu’il nous faut regarder ; que ce sera bon le jour où nous pourrons passer à celle de l’Allemagne. Nous n’y sommes pas ! Depuis deux jours cependant, les nouvelles sont bien meilleures et c’est un tel soulagement.

« Mon beau-frère Jean est en pleine mêlée depuis le début. Il s’est battu près de Dinan où 60 hommes de sa compagnie sont restés sur le carreau après 3 charges à la baïonnette. Il s’est battu ensuite à Guise et depuis c’est sans interruption ! Après Guise, il nous a écrit une carte pleine d’entrain, nous racontant, en quelques mots, la bataille ; il met entr’autre : Mes petits Bretons ont tenu t^te à la garde impériale. Mon âme bretonne étant toujours bien vivante, j’étais toute fière de ces lignes !

« Je pense sans cesse à ton frère Henri, dans la bataille évidemment ! Je le nomme dans mes prières mêlant son nom à ceux de nos parents partis. Les Boisanger, tu sais pour moi, c’est la famille.

« J’oubliais au milieu de tant de tristesse de te parler de la jeune Hélène. Oui, c’est en l’honneur de sa sainte tante que je l’ai appelée ainsi. Je l’appelle déjà ma petite missionnaire mais en plaisantant car elle est si mignonne et sage que je n’ai pas du tout envie de l’expédier en Chine. Jacques grandit et prend de l’importance, il est très facile et a un ordre étonnant pour son âge…

« … De tout cœur et très affectueusement. Paule »

Télégramme du 10 septembre

A l’aile gauche, toutes les tentatives allemandes pour rompre celles de nos troupes qui se trouvent sur la rive droite de l’Ourcq ont échoué. Nous avons pris deux drapeaux.

L’armée anglaise a franchi la Marne ; l’ennemi a reculé d’environ 40 kilomètres.

Au centre et à l’aile droite, aucun changement notable.

(coupure de journal)

Les Taube (de Daudet)

Leur erreur apparaît nettement dans ces épouvantails naïfs que sont les lâchers de leurs « Taubes », croquemitaines de l’air déjà usés et qui font rire les petits enfants. Quelle drôle de conception ces hommes lourds, accoutumés aux lourdes hypothèses et aux amplifications illégitimes, se font-ils donc du tempérament français ? Ils s’imaginaient que quarante quatre ans de paix avaient énervé notre fibre nationale au point de la rendre incapable de résistance ! Ils ont déjà du s’apercevoir, au chiffre de leurs morts et hors combat, que cette présomption était aventureuse. Mais cette surprise n’est rien à côté de celle que leur ménage Paris.

Les scribes de Berlin, sur la foi de leurs commis voyageurs, s’imaginaient que les Parisiens seraient saisis d’épouvante à l’approche des armées du Kaiser, que les crottes explosives, tombées de leur « taube », jetteraient la consternation dans la grand’ville. Elle en a vu d’autres, la grand’ville. Elle n’en est pas à un vandale, ni à un ostrogoth près. En dépit de rodomontades germaniques elle a duré et durera. C’est le cas de dire qu’elle les enterrera tous.

(coupure de journal)

Vendredi 11 Septembre

Gros temps de Sud-Ouest.

Nos députés à Bordeaux.

Le théâtre des Folies Bourbon a un local approprié ou nos misérables députés vont pouvoir s’occuper du retour à la loi de deux ans.

Télégramme du 11 septembre

1° A l’aile gauche, les troupes anglo-françaises, ont franchi la Marne entre la Ferté sous Jouarre, Charly et Château-Thierry. Au cours de sa progression, l’armée britannique a fait de nombreux prisonniers et pris des mitrailleuses.

2° Entre Château-Thierry et Vitry le François, la garde prussienne a été rejetée au Nord des marais de Saint-Cloud. L’action continue avec une grande violence dans la région comprise entre le camp de Mailly et Vitry le François

3° Au centre et à l’aile droite, situation stationnaire sur l’Ornain et en Argonne où les deux adversaires maintiennent leurs positions.

4° Du côté de Nancy, l’ennemi a légèrement progressé sur la route de Château-Salins ; par contre, nous avons gagné du terrain dans la forêt de Champenoux. Les pertes sont considérables de part et d’autre. L’état moral et sanitaire de nos troupes reste excellent.

(coupure de journal)

Samedi 12 Septembre

La dépêche d’hier soir est toujours aussi bonne que possible. Nous faisons mieux que tenir bon. Il semble que l’aile droite allemande est vivement pressée par nos armées, ils devront, pour faire face de ce côté, diminuer la violence de leur attaque sur notre centre vers Mailly et Vitry le François.

Mais quels combats ! jamais le monde n’a vu rien de semblable. Quelles forces immenses en ce moment cabrées l’une contre l’autre ! Dans cette lutte, front contre front, qui cèdera ?

Il fait gros temps du Sud. Puissent ces rafales de pluies, chassées vers le Nord, aveugler ces barbares et aider notre mitraille à les refouler et à les balayer.

Les réformés repasseront, jusqu’aux classes territoriales, devant les conseils de révision en même temps que la classe 1915 à la fin du mois.

Assurément sur ce point la France mérite un châtiment ; mais elle l’a déjà. Que de parents qui n’ont eu qu’un fils unique vont voir s’éteindre leur famille.

C’est le cas de se remémorer les paroles violentes par lesquelles s’achève le manuel scolaire que notre ennemi met entre les mains de ses écoliers : « L’heure sonnera, disant ce manuel, où les quatre fils de l’Allemagne viendront occuper, au nom d’une moi divine et humaine, les territoires que détient indûment le fils unique du Français. »

(coupure de journal)

Télégramme du 12 Septembre

15 heures

L’autorité militaire française s’est attachée à ne donner que des nouvelles exactes. Ainsi que nous l’avons annoncé, une bataille sanglante est engagée depuis le 6 septembre sur le front s’étendant d’une façon générale de Paris à Verdun.

Dès le début de l’action, l’aile droite allemande, qui avait atteint le 6 la région au nord de Provins (armée commandée par le général von Kluck), se voyait obligée de se replier devant la menace d’enveloppement dont elle était l’objet.

Par une série de mouvements habiles et rapides, cette armée parvenait à échapper à l’étreinte dont elle était menacée et se jetait, avec la majeure partie de ses forces, contre notre aile droite enveloppante au nord de la Marne et à l’ouest de l’Ourcq. Mais les troupes françaises qui opéraient dans cette région, puissamment aidées par la bravoure de nos alliés anglais, infligèrent à l’ennemi des pertes considérables et ont tenu bon le temps nécessaire pour permettre à notre offensive de progresser par ailleurs.

Actuellement, et de ce côté, l’ennemi est en retraite vers l’Aisne et l’Oise. Il a donc reculé de 60 à 75 kilomètres depuis quatre jours.

Entre temps, les forces franco-anglaises qui opéraient au sud de la Marne n’ont pas cessé de poursuivre leur offensive. Parties, les une de la région du sud de la forêt de Crécy, les autres de la région au nord de Provins et au sud d’Esternay, elles ont débouché de la Marne au nord de Château-Thierry. De violents combats ont été engagés, dès le début, dans la région de Ferté Gaucher, d’Esternay et de Montmirail.

La gauche de l’armée du général von Kluck, ainsi que l’armée du général von Barlow se replient devant nos troupes. C’est dans la région comprise entre les plateaux au nord de Sézanne et Vitry le François que se sont livrés les combats les plus acharnés. Là opéraient, outre la gauche de l’armée de Barlow, l’armée saxonne et une partie de l’armée commandée par le prince de Wurtemberg.

Par de violentes attaques répétées, les Allemands ont tenté de rompre notre centre sans y parvenir. Nos succès sur les plateaux au nord de Sézanne nous ont permis, à notre tour, de passer à l’offensive, et, au cours de la nuit dernière, l’ennemi a rompu le combat sur le front compris entre les marais de Saint-Goard et la région de Sommesous pour se replier dans la région immédiatement à l’ouest de Vitry le François.

Sur l’Ornain, de même qu’entre l’Argonne et la Meuse, où opèrent les armées du prince de Wurtemberg et du Kronprinz, le combat dure encore avec des alternatives d’avance te de recul, mais sans grand changement dans la situation d’ensemble.

Ainsi la première phase de la bataille de la Marne se dessine en faveur des armées alliées, puisque l’aile droite allemande et le centre sont actuellement en retraite.

A notre droite, la situation reste sans changement notable dans les Vosges et devant Nancy, que quelques pièces allemandes à longue portée ont essayé de bombarder.

La situation générale s’est donc complètement transformée depuis quelques jours, tant au point de vue stratégique qu’au point de vue technique. Non seulement nos troupes ont arrêté la marche des Allemands que ceux-ci croyaient victorieuse, mais l’ennemi recule devant nous sur presque tous les points.

22 heures

A notre aile gauche, les Allemands ont entamé un mouvement de retraite générale entre l’Oise et la Marne.

Hier leur front était jalonné par Soissons, Raine, Fismes et la montagne de Reims.

Leur cavalerie semble épuisée.

Les forces anglo-française qui les ont poursuivis n’ont trouvé devant elles, dans la journée du 11, que de faibles résistances.

Au centre et à notre aile droite, les Allemands ont évacué Vitry le François où ils s’étaient fortifiés et le cours de Saulx.

Attaqués à Sermaize et Revigny, ils ont abandonné un nombreux matériel.

Les forces allemandes occupant l’Argonne ont commencé à céder. Elles battent en retraite vers le Nord par la forêt de Belloue.

En Lorraine nous avons légèrement progressé. Nous occupons la lisière Est de la forêt de Champenoux, Rehainviller et Gerbéviller. Les Allemands ont évacué Saint-Dié.

23 heures

1° A l’aile gauche, notre succès s’accentue. Nos progrès ont continué au nord de la Marne et dans la direction de Soissons et Compiègne. Les Allemands nous ont abandonné de nombreuses munitions, du matériel, des blessés et des prisonniers. Nous avons pris un nouveau drapeau.

L’armée britannique s’est emparée de 11 canons et d’un matériel important et a fait 1200 à 1500 prisonniers.

2° Au centre, l’ennemi a cédé sur tout le front entre Sézanne et Revigny. Dans l’Argonne, les Allemands n’ont as encore reculé.

Malgré les efforts fournis par les troupes au cours de ces cinq journées de bataille, elles trouvent encore l’énergie de poursuivre l’ennemi.

3° A l’aile droite (Lorraine et Vosges), rien de nouveau.

(coupures de journaux)

Dimanche 13 Septembre

Télégramme du 13 Septembre

9 heures

La Bataille de la Marne

1° A notre aile gauche, le mouvement général de retraite des Allemands continue devant les troupes anglo-françaises qui ont atteint le cours inférieur de l’Aisne.

2° De même au centre, les armées allemandes poursuivent le mouvement de retraite. Nous avons franchi la Marne entre Epernay et Vitry le François

3° A notre aile droite, l’ennemi a également entamé aujourd’hui son mouvement de recul, abandonnant la région autour de Nancy. Nous avons réoccupé Lunéville.

Poursuite de l’ennemi après la bataille.

Malgré les fatigues occasionnées par cinq jours de combats incessants, nos troupes poursuivent vigoureusement l’ennemi dans sa retraite générale. Cette retraite paraît être plus rapide que ne l’avait été le mouvement de progression ; elle a été si précipitée sur certains points que nos troupes ont ramassé dans les quartiers généraux, à Montmirail notamment, les cartes, documents, papiers personnels abandonnés par l’ennemi, ainsi que des paquets de lettres reçues ou à expédier.

Partout et entr’autres dans la région de Fromentières, l’ennemi a abandonné des batteries d’obusiers et de nombreux caissons.

(coupure de journal)

La dépêche est excellente. Les Allemands se sont heurtés à une force supérieure qui les contraint à reculer. L’énoncé de ce fait a une portée sans limites puisque la seule chance de l’Allemagne était notre rapide écrasement. Ce qui se passe à notre extrême droite, entre Vitry le François et Verdun, demeure un peu obscur. Mais le recul de leur ligne à droite et au centre va probablement les obliger aussi à reculer de ce côté.

Le raid du général allemand (Von Klück), parti du nord de Mons et arrivant près de Provins le 3 Septembre avec 5 corps d’armée, demeurera un exploit inouï. La distance à vol d’oiseau est de 240 kilomètres. En réalité, ils ont dû parcourir au moins 25 kilomètres par jour et en combattant. Cette marche insensée s’explique par l’orgueil exaspéré d’hommes que se croient invincibles. C’est cet orgueil fou qu’incarne le Kronprinz qui causera la ruine de l’Allemagne.

On nous raconte qu’un turco blessé se trouvant à Cherbourg a rapporté 7 oreilles qu’il s’occupe de faire sécher. A un autre, on offrait 200f d’un casque allemand. « Si vous en voulez, allez en chercher un » a-t-il répondu.

Les prisonniers faits donnent une impression marquée de dénuement et de découragement ; les chevaux sont particulièrement harassés.

Après la victoire de la Marne de la Marne, le 6 septembre, le commandant en chef des armées françaises, adressait l’ordre du jour suivant à ses troupes :

« Au moment où s’engage une bataille dont dépend le salut du pays, il importe de rappeler à tous que le moment n’est plus de regarder en arrière. Tous les efforts doivent être employés à attaquer et refouler l’ennemi. Une troupe qui ne peut plus avancer devra coûte que coûte garder le terrain conquis et se faire tuer sur place plutôt que de reculer. Dans les circonstances actuelles, aucune défaillance ne peut être tolérée. »

On sait comment ces instructions ont été suivies et le brillant résultat obtenu.

Or, à l’entrée de nos troupes victorieuse à Vitry le François, on a trouvé dans le local où s’était installé l’état-major du 8ème corps d’armée, l’ordre suivant signé du général-lieutenant Tulff von Tschèpe und Weidenbach :

« Vitry le François, le 7 septembre à 10 heures 30,

« Le but poursuivi par nos marches longues et pénibles est atteint ; les principales forces françaises ont du accepter le combat après s’être continuellement repliées. La grande décision est incontestablement proche ; demain donc la totalité des forces de l’armée devront être engagées sur toute la ligne allant de Paris à Verdun pour sauver le bien-être et l’honneur de l’Allemagne.

« J’attends de chaque officier ou soldat, malgré les combats durs et héroïques de ces derniers jours, qu’il accomplisse son devoir entièrement et jusqu’à son dernier souffle. Tout dépend du résultat de la journée de demain. »

Les rapprochements étaient intéressants à faire ; ils démontrent que les Allemands n’attachaient pas moins d’importance que notre Généralissime à l’issue de la bataille de la Marne.

(coupure de journal)

La dépêche du 13 est aussi bonne que possible. Les Allemands reculent partout. Trop d’éléments nous manquent pour juger l’ampleur de notre Victoire. Mais la rapidité du recul allemand et surtout la simple inspection de la carte me donne tous les espoirs. Ils seraient encore beaucoup plus grands si jamais la certitude que la Fère, Laon et Reims sont à nous. Un fragment d’article de Barrès (qu’on lira plus loin) montre à quel point la défense de nos places fortes était sabotée.

L’abbé Watterlé nous a dit que c’était le peuple allemand tout entier qui avait voulu la guerre et que l’empereur avait toujours joué le rôle de modérateur. Les nombreuses manifestations belliqueuses du Kaiser et ses discours orgueilleux sont des faits de l’histoire ; aussi je goûte avec délices au divin plaisir de la vengeance en évoquant le désespoir et la rage impuissante qui doivent en ce moment bouleverser cette figure orgueilleuse.

La suprême réparation qui devrait être donné à la Belgique serait l’entrée triomphale du roi Albert à Bruxelles, tenant attaché à son étrier le Kaiser. L’immense force orgueilleuse abaissée devant la faiblesse héroïque, quelle revanche du droit sur la force.

Mais nous n’en sommes pas encore là, le cochon est blessé mais il est bien loin d’avoir reçu le coup mortel qui le saignera définitivement.

Un élément qui pourrait changer la retraite allemande en déroute est précisément l’orgueil insensé de ces armées. Tous ces officiers, tous ces hommes ont été élevés dans la pensée, dans la certitude de la supériorité de leur race. Par tous les moyens y compris les plus odieux mensonges on a exalté l’orgueil chez eux. Leur entrée rapide en France avait du confirmer en eux cette idée de leur force. On peut se figurer de quelle hauteur, ils sont maintenant précipités et leur moral tiendra-t-il devant la vision de l’abîme si soudainement ouvert sous leurs pieds.

Nous lisons que Briand et Sembat accompagnés par Gallieni ont inspecté les défenses de Paris. Ce serait à se rouler dans du verre pilé si ce n’était pas si triste.

« On peut bien le dire aujourd’hui, il y eut un moment où la ville n’avait guère pour rempart que les poitrines de ses fils. Maintenant grâce à Gallieni, les canons sont servis, les bétons sont séchés. C’est justice que la force de la guerre favorise ceux qui ne bronchèrent pas, ceux qui, en apprenant l’approche des Prussiens, ne firent pas un pas en arrière, mais deux pas en avant, pour crier aux chefs : Qu’on nous donne des armes ! »

Maurice Barrès

(coupure de journal)

Télégramme du 13 Septembre

La poursuite

  A notre aile gauche, l’ennemi continue son mouvement de retraite ; il a évacué Amiens se repliant vers l’Est.

Entre Soissons et Reims, les Allemands se sont retirés au Nord de la Vesle ; ils n’ont pas défendu la Marne au Sud-Est de Reims.

2° A centre, l’ennemi, qui a perdu Revigny et Brabant le Roi, tient encore dans le Sud de l’Argonne.

A notre aile gauche, les forces adverses, qui étaient sur la Meurthe, battent en retraite.

Outre Saint-Dié et Lunéville, nous avons réoccupé Raon-l’étape, Baccarat, Nomeny, Pont-à-Mousson.

Belgique

L’armée belge a poussé une offensive vigoureuse au Sud de Lierre.

Russie

La bataille engagée en Galicie depuis six à sept jours s’est terminée par une grande victoire des armées russes. Les Autrichiens sont en retraite sur out le front, laissant aux mains des Russes un grand nombre de prisonniers et un matériel important.

Un télégramme

M. Millerand, ministre de la guerre, a donné connaissance au Conseil du télégramme suivant qu’il a reçu ce matin :

« Général Joffre, commandant en chef à Ministre Guerre, Bordeaux

« Notre victoire s’affirme de plus en plus complète. Partout l’ennemi est en retraite, partout les Allemands abandonnent prisonniers, blessés, matériel.

« Après les efforts héroïques dépensés par nos troupes pendant cette lutte formidable qui a  duré du 5 au 12 septembre, toutes nos armées, surexcitées par le succès, exécutent une poursuite sans exemple.

« A notre gauche, nous avons franchi l’Aisne, en aval de Soissons, gagnant ainsi plus de 100 kilomètres en six jours de lutte. Nos armées, au centre, sont déjà au Nord de la Marne. Nos troupes comme celles de nos alliés, sont admirables de moral, d’endurance et d’ardeur.

« La poursuite sera continuée avec toute notre énergie.

« Le Gouvernement de la République peut être fier de l’armée qu’il a préparée. »

(coupure de journal)

Le Gouvernement de la République peut être fier de l’armée qu’il a préparée. Tous ceux qui sont en France capables de penser et de réfléchir accueilleront avec un formidable éclat de rire la fin de la dépêche de Joffre.

Mais le peuple est tellement bête que nombreux seront les imbéciles qui croiront que la République nous a sauvés.

Lundi 14 Septembre

Télégramme du 14 septembre

Aucune communication n’est arrivée hier soir du grand quartier général.

Les communiqués d’hier et de cet après-midi ont montré la vigueur avec laquelle nos troupes poursuivent les Allemands en retraite.

Il est naturel que, dans ces conditions, le grand quartier général ne puise deux fois par jour envoyer des détails sur les incidents de cette poursuite.

Tout ce que nous savons c’est que la marche en avant des armées alliées se continue sur tout le front et que le contact avec l’ennemi est maintenu.

A notre aile gauche, nous avons franchi l’Aisne.

(coupure de journal)

Une Victoire Incontestable

(Ordre du général en chef des armées)

« La bataille qui se livre depuis cinq jours s ‘achève en une victoire incontestable ; la retraite des 1ère, 2ème et 3ème armées allemandes s’accentuent devant notre gauche et notre centre. A son tour, la 4ème armée ennemie commence à se replier au nord de Vitry et de Sermaize. Partout l’ennemi laisse sur place de nombreux blessés et des quantités de munitions. Partout on fait des prisonniers ; en gagnant du terrain, nos troupes constatent les traces de l’intensité de la lutte et de l’importance des moyens mis en œuvre par les Allemands pour essayer de résister à notre élan. La reprise vigoureuse de l’offensive a déterminé le succès.

« Tous, officiers, sous-officiers et soldats, avez répondu à mon appel. Tous avez bien mérité de la Patrie. »

Joffre

Le général Gallieni félicite l’Armée de Paris

(Ordre du gouverneur militaire de Paris)

« Le Gouverneur militaire de Paris est heureux de porter ce télégramme à la connaissance des troupes sous ses ordres.

« Il y ajoute ses propres félicitations pour l’armée de Paris, en raison de la participation qu’elle a prise aux opérations.

« Il félicite aussi les troupes du camp retranché de l’effort qu’elles ont donné pendant cette période, effort qui doit continuer sans relâche. »

Gallieni

(coupures de journaux)

Comment un soldat sait cravacher des mufles

Depuis le commencement de la guerre, le général commandant la 12ème région est inondé d’un flot de lettres anonymes, inspirées neuf fois sur dix par des rancunes personnelles et par la plus basse jalousie, déplorable monument de la lâcheté et de la bêtise humaines.

Au milieu de ses multiples occupations, le général serait bien aise d’être débarrassé de ce courrier encombrant et malpropre. C’est dans cet espoir qu’il fait connaître à tous par la voie de l’affichage officiel et de la presse que :

1° Quel qu’en soit le sujet, aucune lettre, aucune lettre anonyme n’est lue dans son entier ; elle est immédiatement déchirée, jetée au panier et il n’y est jamais donné aucune suite ;

2° Bien que ces ordures ne soient pas signées, le général connaît fort bien les noms de ceux qui les ont produites : Ils s’appellent « Jean Foutre »

Fait au quartier général, à Limoges

Le général commandant la 12ème région de corps d’armée en état de siège

Signé : Général A Pélecier

(coupure de journal)

Inutiles aveux de de Mur

« Il y a dix jours, le gouvernement quittait Paris. La capitale de la France était menacée d’une attaque de vive force. Les coureurs ennemis se montraient dans a banlieue. Les avions allemands osaient insulter la tour Eiffel. Nous arrivions ici le cœur serré, l’âme angoissée. De quoi demain serait-il fait ? Tous les jours j’ai dit ici ce que je pensais. Pas une heure la confiance ne m’a fait défaut. Mais chacun, j’en suis sur, a lu, dans mes appels au courage de tous, l’inquiétude dévorante encore accrue par la nécessaire obscurité des faits.

« Vous vous rappelez cette journée, mortelle entre toutes, où, voyant tout à coup s’infléchir à gauche la tête du serpent germanique, nous avons dû croire qu’il réussissait à enfermer dans ses replis une de nos armées. »

de Mur

(coupure de journal)

Le pathos ci dessous du « Petit Journal » n’exagère rien. Toutes les branches de la science humaine ont été mises à contribution pour rendre parfait l’art de se tuer.

« C’était, contre les Allemands, comme un immense mur en marche, s’avançant ainsi que la forêt d’un drame de Shakespeare ; un mur fait de milliers et de milliers de poitrine humaines, de poitrails de chevaux, de gueules de canons ; hérissé de lances, de sabres, de baïonnettes et crachant la mort avec des torrents de mitraille, par des milliers de tonnerres. »

(coupure de journal)

Lettre de Paul à Henri (de Toussus le Noble, 14 septembre 1914)

« Mon cher Henri

« Eh oui ! nous gardons toujours le fameux bocal de cornichon et cette faction qui n’a rien de folichon est par contre fort calme depuis quelques jours. Je ne sais pour combien de temps nous y sommes encore ; les bruits les plus bizarres circulent depuis quelques jours.

« Il y a une semaine, on nous racontait que nous allions être envoyés à Angoulême ; aujourd’hui, on nous dit que nous devons partir jeudi pour Laon. Ces rapports de cuisiniers ne nous émeuvent guère et je les mentionne uniquement pour mémoire. Si le second tuyau paraissait vraisemblable, j’enverrais une dépêche à Marie-Thérèse pour lui dire que nous quittons Toussus et une lettre l’aviserait de notre destination. Mais, encore une fois, je ne pense pas qu’on dégarnisse encore le camp retranché et on attendra au moins que les Boches aient définitivement passé la frontière.

« Ensuite, si nous envahissons l’Allemagne, on nous enverra peut-être occuper des places conquises, ce qui serait fort intéressant.

« Les victoires françaises de ces jours derniers nous remplissent de joie et nous retrouvons toute notre confiance dans le succès de nos armes. Il faut avouer que la marche rapide des Allemands sur Paris était de nature à déconcerter les plus optimistes et il s’est passé deux jours où nous n’étions guère rassurés. On disait que les Allemands marchaient sur St Germain en Laye. S’ils étaient arrivés à passer la Seine à Poissy ou à Conflans, leur marche sur notre secteur était certaine d’autant plus qu’il est reconnu comme le point le plus vulnérable du camp retranché.

« Les vieux qui avaient vu 1870 croyaient déjà apercevoir les Hulans déboucher comme jadis par la vallée de la Chevreuse et donc c’est nous qui devions écoper les premiers, puisque notre Cie est celle qui fournit les avants postes de notre régiment. Enfin ces menaces semblent déjà lointaines et nous voyons le péril s’évanouir.

« Quand tu auras le temps, tu me feras plaisir de me parler un peu de toi, de Paule, de tes enfants, des miens, de votre vie au Lude.

« Est-ce que Eugène ne va pas passer le Conseil de révisions prescrit pour tous les ajournés. Ce serait bien désagréable pour vous si par hasard il était pris. Et il ferait un fameux nez !

« J’ai hâte de connaître aussi des détails sur les ambulances de St Sauveur et sur les blessés qu’on y soignera.

« Comment va ta famille ? Essaye un peu de marcher

« Je t’embrasse bien fort ainsi que Paule et tes enfants.

Paul

Deux Hirondelles

Deux hirondelles ne font pas le printemps. C’est entendu. Mais elles l’annoncent. MM. Briand et Sembat viennent de faire un tour sur le ciel de Paris ? Ca nous change des Taubes. Ils sont venus « en inspection ». J’espère qu’ils sont satisfaits de la grande ville et qu’ils le diront là-bas. Nos Bordelais peuvent revenir. Le communiqué du jour est parfait. Paris les attend avec le sourire.

Ils peuvent revenir ? Attention ! Pas de manœuvre trop précipitée. Je m’en fie à Briand et Sembat. Ces deux hommes d’esprit sont venus humer l’air, tâter le terrain, préparer les choses. C’est un peu délicat, les sorties, les rentrées, au théâtre. Et les hommes publics, qu’ils s’en rendent bien compte, sont toujours des acteurs en scène. Ils vivent sous le verre grossissant des lorgnettes. Pas de gestes gauches, pas de fausses manœuvres.

On approuve tout à fait que certains ministères aient quitté Paris. Ils sont à la nation ce qu’est le dépôt par rapport au régiment. Leur place est sur l’arrière. Peut-être a-t-on exagéré et passé la mesure. Je ne me ferai pas l’écho du sentiment public là-dessus. Mais je le dis quand il est encore temps : « Réfléchissez avant de quitter votre abri bordelais. Les Prussiens ne sont pas encore très loin. Il serait fâcheux de nous revenir pour nous quitter une nouvelle fois.

(coupure de journal)

Le commencement de cet article de Barrès est exquis.

Mardi 15 Septembre

Ce matin, à 10 heures, arrive une dépêche d’Yvonne disant : « Jean bien le 10 ».

La Victoire

Joffre a lâché le mot. Le mot que nous attendions tous depuis quarante quatre ans. Nul commentaire, nul adjectif. La France a retrouvé la victoire. Chacun s’incline pieusement devant les soldats morts au champ d’honneur et salue les drapeaux.

La France a le dessus contre la Bête. Le dessus dans un corps à corps. Sans doute le résultat final n’a jamais été douteux. Même battus, nous n’aurions pas été vaincus. Supposez notre écrasement, l’Angleterre, la Russie inabordables, tout invincibles par leur situation géographique, imposaient à la longue leur loi à notre adversaire et nous rétablissaient dans Metz et Strasbourg, parce qu’elles ont besoin, pour respirer à l’aise, de rompre l’étreinte pangermanique et de briser l’Empire. Oui, c’est ainsi, mais qu’il est heureux que nous ayons pu faire nous-mêmes le principal de notre délivrance !

Grâce au génie tenace de notre généralissime et à l’héroïsme de nos soldats, c’est la France elle-même, assistée des Belges et des Anglais, qui, sur sa terre, sous les murs de sa capitale, de ses deux mains a saisi la Bête et qui jette à l’univers son cri de victoire.

« Les Allemands ont projeté la destruction de la nation française », avait dit, dans son message à son peuple, le noble roi d’Angleterre. Et le monde s’est soulevé pour empêcher ce crime contre la civilisation. Mais c’est notre jeunesse, comme il convenait, qui au premier rang a prodigué victorieusement les flots de notre sang.

Ils s’en retournent les Barbares comme s’en retournèrent jadis le duc de Brunswick et Attila. Et nous, d’avoir par nous-mêmes, une fois de plus, assuré notre salut et préparé le salut du monde, quelle grandeur ! Toutes les âmes françaises en reçoivent de la lumière et une indéfectible énergie. C’est une fermentation immense dans tout notre pays. Tout un peuple cet après-midi battait les murs de Notre-Dame. Chacun de nous cherche où porter ses remerciements aux autels de la patrie.

« Comme on voit bien à présent que l’invisible mène le monde et que ceux-là sauront tenir, seuls, qui s’appuieront à Celui qui est. » Qui me parle ainsi ? Un moine chassé de France, revenu en hâte pour prendre les armes contre les Barbares. Et dans cette minute, dont la plénitude sûrement se répandra sur tous les jours qui nous restent à vivre, nul doute que ce religieux ne s’accorde avec ses adversaires ses adversaires les plus acharnés de la veille.

Une même pensée, que chacun traduit selon a formation spirituelle, nous anime, tous, à cette heure : «  Quels êtres hideux que ces figures d’assassins qui s’éloignent ! L’âme française leur est supérieure. Et, quoi qu’il ait pu paraître dans ces derniers temps, nous demeurons chargés d’une haute tâche que nous reprendrons , après ces heures tragiques de sacrifices et de sang, et nous maintiendrons plus que jamais dans le monde le culte de l’honneur, de la vérité et de la beauté. »

Ah ! que tous les langages les plus hauts et les plus vrais de chez nous négligent leurs divergences, qu’ils s’unissent et composent une harmonie à mille voix pour exprimer le grand amour qui soulève nos cœurs, pour célébrer la défaite du Mal, de la Barbarie, de la Bête qui s’affirme si odieuse au sein des hordes germaniques.

Jamais mieux qu’à cette minute où la Germanie se vantait de vouloir « rompre les os » de notre nation, nous n’avons senti que la France est chargée dans le monde d’un message particulier, qu’elle a une mission à remplir. Mais qu’aurait valu cette mission, désormais, si la France avait faibli sur les champs de bataille ? Les idées d’une nation ne valent qu’autant que celle-ci sait tenir l’épée.

Quel cas faire d’un peuple qui voudrait nous donner son âme comme modèle, bien plus, comme nourriture, si l’événement nous montre que son âme est dans un état d’infériorité et ne peut plus le mettre à même de remplir ses devoirs dans le combat pour l’existence ?

Comment croire qu’une nation a suivi le bon chemin et peut nous y guider, si nous la voyons humiliée, réduite à l’esclavage ? Comment attendre qu’un pays trouve en lui la vérité et la communique aux autres, s’il en est arrivé à ne pouvoir de lui-même se garder libre et à repousser la loi du vainqueur ?

Les pensées de la rance, déjà bien diminuées par 1870, auraient achevé de perdre leur crédit dans le monde, se seraient vraiment dépouillées de valeur réelle, si notre force militaire avait été reconnue impuissante, si notre force vive, si notre jeunesse était apparue inerte, lente à porter la main sur l’épée.

La phrase prononcée par le général Joffre, le 6 septembre, et acceptée religieusement par nos armées, rétablit dans le monde notre rang spirituel. Minute sublime ! Qu’a dit le généralissime ? « Il s’agit du salut du pays… il faudra se faire tuer sur place plutôt que de reculer… Aucune défaillance aujourd’hui ne peut être tolérée… »

Que nos armées aient obéi à cet ordre, qu’elles se soient laissées emporter par cette parole vers les régions les plus hautes du sacrifice, c’est la preuve que notre nation est toujours capable de sentir profondément, de se conformer à ce qu’elle reconnaît vrai et beau, et qu’elle demeure digne de guider l’humanité.

Ces paroles du général Joffre nous les inscrirons sur le bronze de la victoire et sur les monuments que, par toute la France, nous allons ériger à nos morts et à nos sauveurs.

Vive l’armée ! vive la jeune nation, toutes classes sociales mêlées, qui vient de réhabiliter la France entre les peuples ! A travers les siècles, désormais, les générations successives vont glorieusement honorer les soldats de 1914.

Maurice Barrès

(coupure de journal)

Rien à ajouter à cet admirable article qui dit si bien toutes nos joies et fiertés. Certes le corps expéditionnaire anglais nous a apporté un précieux concours ; mais c’est bien l’armée française qui a pris la Bête à la gorge et l’a fait reculer. Vive notre vieille France. Le cœur de nos admirables soldats a vaincu l’étreinte de la Bête.

Télégramme du 15 Septembre

15 heures

1° A notre aile gauche, l’ennemi avait préparé au Nord de l’Aisne, entre Compiègne et Soissons, une ligne de défense qu’il a dû abandonner. Des détachements qu’il avait à Amiens se sont retirés sur Péronne et Saint-Quentin.

2° Au centre, les Allemands avaient également organisé, en arrière de Reims, une position défensive sur laquelle ils n’ont pu tenir.

Dans l’Argonne, ils se sont repliés vers le Nord, au-delà de la forêt de Belnoue et de Triaucourt.

A l’aile droite, le mouvement de retraire des Allemands est général de Nancy aux Vosges. A la fin de la journée d’hier, le territoire français était de ce côté totalement évacué.

23 heures

1° A notre aile gauche, nous avons rejoint les arrière-gardes et même les gros de l’ennemi. Nos troupes sont rentrées à Amiens, abandonné par les forces allemandes.

L’ennemi semble faire tête sur le front jalonné par l’Aisne.

2° Au centre, il semble également vouloir résister sur les hauteurs au nord-ouest et au nord de Reims. Entre l’Argonne et la Meuse, il a continué à se replier.

3° A notre aile droite, en Woëvre, nous avons réussi à dégager le fort de Troyon, violemment attaqué à plusieurs reprises ces jours derniers.

En Lorraine, nos détachements de poursuite gardent, comme partout ailleurs, le contact avec les Allemands.

La situation morale et sanitaire de nos armées demeure excellente.

(coupures de journaux)

De l’intransigeant :

M. Gabriel Hanoteaux écrit dans la Petite Gironde : « … Nous sommes venus à Bordeaux organiser la victoire, la victoire nous paye de retour… Bordeaux reste notre citadelle. »

On ne peut répondre qu’un mot au nouveau rédacteur de cette grande feuille de province, ainsi qu’à ses voisins de Citadelle : « N’exagérons pas ! »

(coupure de journal)

Télégramme du 15 Septembre

Suite de bataille

1° A notre aile gauche, dans la journée d’hier, les Allemands ont résisté au Nord de l’Aisne, sur une ligne jalonnée par la forêt de l’Aigle et Craonne.

2° Au centre, leur ligne de résistance passait hier au Nord de Reims et du camp de Chalons, pour atteindre Vienne la ville, au pied occidental de l’Argonne. Les forces ennemies, qui occupaient le Sud de l’Argonne, ont accentué leur mouvement de retraite en s’écoulant entre l’Argonne et la Meuse. Elles tenaient hier en fin de journée le front Varennes et Consensus.

3° A notre aile droite, les Allemands se replient sur Etain, Metz, Senne et Château-Salins.

Dans les Vosges et en Alsace, situation inchangée.

(coupure de journal)

du Mercredi 16 au Jeudi 17 Septembre

Télégramme du 16 Septembre

1° A notre aile gauche, nos armées sont entrées en contact étroit avec l’ennemi sur tout le front jalonné par les hauteurs au Nord de l’Aisne, à l’Ouest et au Nord de Reims.

2° Au centre, notre marche en avant entre l’Argonne et la Meuse continue.

3° A notre aile droite, rien à signaler.

(coupure de journal)

Communiqué officiel

Dans les journées des 14 et 15 septembre, les arrière-gardes ennemies, atteintes par nos éléments de poursuite, ont dû faire tête et ont été renforcées par le gros des armées allemandes.

L’ennemi livre une bataille défensive sur tout le front dont certaines parties ont été fortement organisées par lui.

Ce front est jalonné par la région de Noyon, les plateaux au nord de Vic-sur-Aisne et de Soissons, le massif de Laon, les hauteurs au nord et à l’ouest de Reims et une ligne qui vient aboutir au nord de Ville sur Tourbe (à l’ouest de l’Argonne), prolongée au-delà de l’Argonne, par une autre qui passe au nord de Varennes (ce dernier point abandonné par l’ennemi) et atteint la Meuse vers le bois de Forges (au nord de Verdun)

Au cours de la poursuite que nous avons exécutée, après la bataille de la Marne, les Allemands nous ont abandonné de nombreux prisonniers auxquels viennent s’ajouter une foule de traînards cachés dans les bois.

Le décompte de ces prisonniers et du matériel capturé n’a pu encore être fait exactement. C’est pourquoi le ministère de la Guerre, ne voulant pas produire de chiffres fantaisistes, s’abstient de donner des précisions.

Ce soir, le grand quartier général, n’a communiqué aucun détail nouveau sur l’action engagée sur notre front.

Ainsi que la remarque en a été faite précédemment, rien n’est moins surprenant, au cours d’une bataille qui dure plusieurs jours et il n’y a à en inférer aucune conclusion dans aucun sens.

Nous savons, toutefois, qu’à 6 heures du soir nous n’avions fléchi sur aucun point.

(coupure de journal)

Situation

Les dépêches sont rares et concises. L’aile gauche allemande recule. Le centre et l’aile droite font tête dans des positions très fortes. Mais il y a maintenant quelque chose de complètement changé. Après l’invasion foudroyante des Allemands, on était oppressé comme en présence d’une supériorité indiscutable ; mais ce prestige est évanoui ; nous avons battu les Allemands sur toute la ligne. Or nos moyens ne peuvent qu’augmenter et les leurs diminuer. La victoire est certaine et l’évacuation de la France très proche.

Mais nos soldats ; comme je voudrais crier mon admiration pour eux.  L’exaltation de leur victoire doit décupler leurs forces ; mais ce qui restera leur plus héroïque fait d’armes est d’avoir pu, sans déroute, battre en retraite pendant deux cents kilomètres pour reprendre ensuite une victorieuse offensive. Les deuils se multiplient partout. Il ne faut pas plaindre ceux qui tombent magnifiquement au champ d’honneur, dans l’ivresse du combat et du devoir accompli. Je suis sur que cette mort est belle et paisible.

Mais les balles qui les tuent vont frapper dans tous les coins de France des femmes, des mères, des enfants. Et cela est horrible. Car la gloire de ceux qui ne sont plus les rend encore plus chers et exaspère les regrets de ceux qui restent. Séparation atroce, absolue, sans même la suprême consolation de la tombe où l’on peut aller prier.

Le mérite de nos soldats est d’autant plus grand qu’ils doivent remplacer par leurs poitrines les camps retranchés que notre criminelle et ignoble République a négligé de moderniser et d’armer.

Après Lille, nous apprenons avec stupeur que les Allemands ont occupé Reims. Mais le comble, c’est d’apprendre que les Allemands se servent actuellement des forts de Reims pour se défendre contre nous.

Laon a du être occupé et probablement aussi la Fère. Maubeuge a résisté quinze jours.

Un joli mot d’un officier anglais en débarquant en France : « Si Jeanne d’Arc nous voit aujourd’hui du haut du Ciel, elle doit nous pardonner notre crime passé. »

On conspue quelque fois un train de prisonniers allemands en gare. On voit la tête d’un sous-officier : « Comme c’est bon d’être engueulé en français ! » C’est un alsacien.

Combien je partage l’opinion de la Croix-Rouge : « Mais puisque l’homme est si bête, que pense-t-il donc la Croix de la République, de la Souveraineté du peuple, du suffrage universel, toutes choses qui supposent l’autorité venant d’en bas, des pieds, de ces hommes du peuple justement qualifiés si bêtes ! »

Télégramme du 17 Septembre

1° A notre aile gauche, la résistance de l’ennemi, sur les hauteurs au Nord de l’Aisne, a continué bien qu’elle ait légèrement fléchi sur certains points.

2° Au centre, entre Berry-au-Bac (sur l’Aisne et l’Argonne), situation sans changement. L’ennemi continue à se fortifier sur la ligne précédemment indiquée.

Entre l’Argonne et la Meuse, ils se sont retranchés à la hauteur de Montfaucon.

Dans la Woëvre, nous avons pris le contact de plusieurs détachements entre Etain et Thiancourt.

3° A notre aile droite (Lorraine et Vosges), aucune modification.

En résumé, la bataille se poursuit sur tout le front entre l’Oise et la Meuse. Les Allemands occupant des positions organisées définitivement et armées d’artillerie lourde, notre progression ne peut être que lente, mais l’esprit d’offensive anime nos troupes qui font preuve de vigueur et d’entrain. Elles ont repoussé avec succès les contre-attaques que l’ennemi a tentées de jour et de nuit. Leur état moral est excellent.

Théâtre d’opérations austro-russes

Les armées autrichiennes évacuant la Galicie sont en pleine déroute. On évalue à plusieurs centaines de mille hommes leurs pertes en tués, blessés et prisonniers. Les corps allemands venant à leur secours battent en retraite.

(coupure de journal)

Blessé mortellement par un éclat d’obus, le brigadier Voituret de la 2ème armée a fait preuve d’un courage admirable criant : « Vive la France ! Je meurs pour elle, je suis content » et a expiré en essayant de hanter la Marseillaise.

Extraits de la lettre d’Yvonne à Paule

« Ma chère Paule.

« Aujourd’hui, c’est à vous que j’écris, d’abord pour vous remercier de m’avoir ainsi copié la lettre (combien précieuse pour moi) de Jean et puis ma lettre.

« Madame Benoît sort d’ici ; elle vient de recevoir 2 grandes lettres de son mari ; il est blessé. L’os du genou et celui de la cheville sont brisés ; on va lui mettre la jambe dans du plâtre, il en a pour 5 jours.

« C’est à Jean qu’il doit la vie, écrit-il ; blessé le dimanche matin, fait prisonnier par les Allemands, dépouillés par eux. Puis oublié dans leur retraite précipitée, il gisait encore dans un coin (où sans doute il serait mort). Le lundi soir, lorsqu’il entendit son nom jeté à tous les échos… C’était Jean qui le cherchait… il put répondre… Quelle émotion pour eux de se retrouver ainsi… Quelle joie…

« Monsieur Benoît avait reçu 11 balles dans sa tunique et son képi… De sa Cie il ne restait plus que 38 hommes sur 304… Détail horrible ! depuis 3 jours lui et ses hommes souffraient tellement de la soif qu’ils buvaient leur urine… Il n’a pu être sauvé que le Vendredi à Limoges.

« Monsieur Pallières est dans sa chambre, il vient d’être administré, il a une péritonite et il est mourant. Monsieur Benoît écrit que, dans la clinique où on le soigne, on lui prend 4 francs 50 par jour, c’est dégoûtant ! … Clinique Chénieux… Marie-Thérèse connaît-elle ?

« Et Paul ? Sont-ils sortis de Paris ?

« Je reviens de l’hôpital où on a fait 3 opérations de précisions pour aller chercher des balles et des éclats d’obus. C’est bien impressionnant… Enfin, je ne me suis pas trouvé mal comme un infirmier qui a dû être évacué.

« Blessé depuis ce matin, 2 bras et ne peut se servir de ses mains alors je le fais manger, boire, etc. comme un petit bébé. Il est du 35ème d’infanterie de Belfort. Il a commencé à se battre vers le 2 août à Mulhouse, où nous avons pris 24 pièces de canon aux Allemands et puis ils ont pris le tarin à Belfort jusqu’à … … à la rencontre des Allemands été pour finir … … … et poursuivent jusqu’à Vic sur Aisne où il a été blessé le dimanche 13 par des éclats d’obus de leur grosse artillerie qui porte, m’a-t-il dit, jusqu’à 15 kilomètres !

« En vous embrassant ma petite Paule bien affectueusement, vous chargeant d’en faire autant à Jean (lisez-lui ma lettre) et à tous je vous transmets ma pensée la plus grande. »

Yvonne

Lettre d’Yvonne très intéressante. Y a-t-il quelque chose de plus émouvant que cette recherche sur le champ de bataille d’un ami blessé. Quelle minute inoubliable pour mon frère que celle où il aura entendu répondre à son appel.

Frère d’armes. Ce n’est pas qu’un mot.

Vendredi 18 Septembre

Télégramme du 18 Septembre

La bataille

La bataille a continué sur tout le front de l’Oise à la Woëvre, pendant la journée du 17, sans modification importante de la situation sur aucun point.

A notre aile gauche, sur les hauteurs au Nord de l’Aisne, nous avons légèrement progressé sur certains points.

Trois retours offensifs tentés par les Allemands contre l’armée anglaise ont échoué.

De Craonne à Reims, nous avons nous-mêmes repoussé de très violentes contre-attaques exécutées la nuit.

L’ennemi a en vain essayé de prendre l’offensive contre Reims. Du centre de Reims à l’Argonne, l’ennemi se renforce par des travaux de fortification importants et adopte une attaque purement défensive.

A l’Est de l’Argonne et dans la Woëvre, l’ennemi occupe des positions organisées défensivement dans le voisinage de la frontière.

(coupure de journal)

Samedi 19 Septembre

Télégramme du 19 Septembre

La situation

Aucun changement dans la situation d’ensemble sinon que nous continuons à progresser à notre aile gauche et qu’on constate une légère accalmie dans la bataille.

Sur le front

1° A notre aile gauche, sur la rive droite de l’Oise et dans la direction de Noyon, nous avons progressé. Nous tenons toutes les hauteurs sur la rive droite de l’Aisne, en face d’un ennemi qui paraît se renforcer par l’apport de troupes venues de Lorraine.

2° A notre centre, les Allemands n’ont pas débouché des profondes tranchées qu’ils ont construites.

3° A notre aile droite, l’armée de Kronprinz continue son mouvement de retraite.

Notre avance en Lorraine est régulière.

Dans l’ensemble, les deux partis, fortement retranchés, se livrent à des attaques partielles sur tout le front, sans qu’on ait à signaler ni d’un côté ni de l’autre de résultat décisif.

(coupure de journal)

Je continue à avoir le meilleur espoir et à assurer fermement que la fin de Septembre au plus tard verra notre territoire. Complètement évacué.

Dans tous les combats qui se poursuivent, nous continuons à affirmer la supériorité que la bataille de la Marne a établie. Dans cette bataille, les Allemands avaient toutes leurs forces et une force morale qu’ils ne peuvent plus avoir. Quant à nous, notre situation de toute façon doit être meilleure qu’avant cette bataille. Il me semble que : ceci posé, nous devons activer la défaite des Allemands et les flanquer de l’autre côté du Rhin.

L’excellente sœur Marie-Anna nous quitte.

Dimanche 20 Septembre

Tournedos à la bordelaise est un petit nom que l’on applique à nos ministres.

Le temps continue à être mauvais. Très incertain avec de forts grains du Sud-Est. Se rafraîchit beaucoup

Télégramme du 20 Septembre

1° A notre aile gauche, nous avons pris un drapeau au Sud de Noyon, à la suite d’une affaire sérieuse sur le plateau de Craonne. Nous avons fait de nombreux prisonniers aux 12ème et 15ème corps et à la garde.

Les Allemands qui, malgré les attaques d’une violence extrême, n’ont pu gagner le moindre terrain devant Reims, ont bombardé toute la journée la cathédrale.

Situation inchangée dans l’ensemble.

2° Au  centre nous avons progressé sur le revers occidental de l’Argonne.,

3° A l’aile droite, rien de nouveau.

La situation générale reste favorable

(coupure de journal)

Cathédrale de Reims

Commencée au XIIème siècle, sa construction dura près de deux siècles. Merveille gothique admirée du monde entier, objet d’art splendide dont la conservation intéressait non seulement les Français mais tout homme digne du nom d’homme. Détruite par la Bête allemande le 19 septembre 1914.

Télégramme du 20 Septembre

7 heures soir

Intérieur à Préfets, Sous-Préfets, etc.

La bataille continue

1° A notre aile gauche, nous avons encore réalisé sur la rive droite de l’Oise de légers progrès.

L’honneur de la prise d’un nouveau drapeau revient à une division d’Algérie.

Toutes les tentatives faites par les Allemands, appuyés d’une nombreuse artillerie, pour rompre notre front entre Craonne et Reims, ont été repoussées.

Autour de Reims, la hauteur de Brimon, dont nous avions conquis une partie, a été reprise par l’ennemi ; en revanche, nous nous sommes emparés du massif de la Pompelle.

Les Allemands se sont acharnés sans raison militaire à tirer sur la cathédrale de Reims qui est en flammes.

2° Au centre, entre Reims et l’Argonne, nous avons enlevé le village de Souain et fait un millier de prisonniers. Sur le revers occidental, nos progrès sont confirmés.

En Woëvre, rien à signaler.

3° A l’aile droite, en Lorraine, l’ennemi s’est replié au-delà de notre frontière, évacuant en particulier la région d’Avricourt.

Dans les Vosges, il a tenté de prendre l’offensive aux abords de Saint-Dié, mais sans succès.

Nos attaques progressent lentement de ce côté, en raison des difficultés du terrain, des organisations défensives qu’elles rencontrent et du mauvais temps.

(coupure de journal)

du Lundi 21 au Mercredi 23 Septembre

Les soins donnés aux blessés ne sont pas ce qu’ils devraient être.

La correspondance entre les combattants et les familles demeure par trop défectueuse.

Ce sont là deux questions importantes et, la première, tragique.

(coupure de journal)

Jamais, jamais, ceux qui ne se battent pas, n’en feront assez pour ceux qui se battent (Evident)

Télégramme du 21 Septembre

A notre aile gauche, au Nord de l’Aisne et en aval de Soissons, nos troupes, vaillamment contre-attaquées par des forces supérieures, ont cédé quelques terrains qu’elles ont presque immédiatement reconquis.

En outre, sur la rive droite de l’Oise, nous avons continué à progresser.

De même au Nord de Reims, nous avons repoussé toutes les attaques ennemies bien qu’elles fussent très vigoureusement menées.

Au centre, à l’Est de Reims, nos propres attaques ont fait de nouveaux progrès.

Dans l’Argonne, la situation est sans changement.

En Woëvre, les dernières pluies ont détrempé le terrain au point de rendre tout mouvement important de troupes très difficile.

(coupure de journal)

Respect constipant

Le lieutenant de la garde, comte Hohental von Bergen, a été traversé par une balle française qui a effleuré l’épine dorsale. Ramassé sur le champ de bataille, il est actuellement très bien soigné à l’hôpital de la marine de Saint-Mandrier, près de Toulon, et paraît goûter fort l’hospitalité qui lui est offerte.

Dans la même chambre que lui, est soigné un autre lieutenant, qui n’est ni de la garde, ni comte, mais tout de même professeur d’une quelconque université. Ce dernier ne s’adresse jamais au premier qu’en lui donnant du : « Votre excellence » !

Les deux officiers sont consignés dans leur chambre. Mais le lieutenant professeur a supplié le médecin qui les soigne de lui permettre d’en sortir pour quelques ébats intimes auxquels, a-t-il affirmé, il n’oserait jamais se livrer en présence de Son Excellence !

Ce cas curieux de constipation respectueuse ou mieux de respect constipant a été résolu au gré des désirs.

(coupure de journal)

Le Français, l’Allemand

Pendant le bombardement et l’incendie de la cathédrale de Reims, des infirmiers français allèrent chercher, au péril de leur vie, 300 blessés allemands qui avaient été placés dans la cathédrale.

J’ajoute que, pour moi, la destruction voulue de la cathédrale signifie la rage impuissante de la Bête traquée, de la Bête enragée parce que muselée.

Nous avons appris que Jean était en bonne santé le 12 à Epernay d’où il a écrit longuement à Yvonne. Il dit l’acharnement du combat de 4 jours. Son régiment a perdu 1000 hommes. Il dit que tout va très bien depuis que les généraux francs-maçons ont été balancés. Son brigadier actuel est colonel au 136ème de St Lo promu général… Le 16, il était à Reims : « Ils se sont battus contre la garde… Des deux côtés on est très humain, ce sont des hommes »

Le 21, arrivée de 10 blessés logés à l’hospice.

Le 23, papa va à Granville en auto reconduire le petit Guy. Les pauvres Ameline apprennent la mort de leur frère.

Télégramme du 21 Septembre

1° A notre aile gauche, sur la rive droite de l’Oise, bous avons progressé jusqu’à la hauteur de Lassigny (Ouest de Noyon).

A l’Est de l’Oise et au Nord de l’Aisne, les Allemands ont manifesté une recrudescence d’activité. Des combats violents, allant jusqu’à la charge à la baïonnette, se sont livrés dans la région de Craonne. L’ennemi a été partout repoussé avec des pertes considérables. Autour de Reims, l’ennemi n’a tenté aucune attaque d’infanterie et s’est borné à canonner notre front avec de grosses pièces.

2° Au centre, en Champagne et sur le revers occidental de l’Argonne, entre Souain, nous avons pris Mesnil-les-Hurlus et Massiges. En Woëvre, l’ennemi tient toujours dans la région de Thiancourt et a canonné Hatton-Châtel.

3° Dans les Vosges, l’ennemi se fortifie à Demme et à Château-Salins

Télégramme du 22 Septembre

Nos combats aujourd’hui ont été moins violents. Nous avons fait des progrès sensibles, notamment entre Reims et l’Argonne).

Télégramme du 23 Septembre

Sur tout le front, de l’Oise à la Woëvre, les Allemands ont manifesté dans la journée du 21 une certaine activité sans obtenir de résultats appréciables.

1° A notre aile gauche, sur la rive droite de l’Oise, les Allemands ont dû céder du terrain devant les attaques françaises. Entre l’Oise et l’Aisne, situation inchangée : l’ennemi n’a pas attaqué sérieusement, se bornant hier soir à une longue canonnade.

2° Au centre, entre Reims et Souain, il a tenté une offensive qui a été repoussée tandis qu’entre Souain et l’Argonne nous avons quelques progrès. Entre Argonne et Meuse, aucun changement. En Woëvre, l’ennemi a fait un violent effort, il a attaqué les Hauts de Meuse sur le front Tresauvaux, Vigneulles, Hendicourt sans pouvoir prendre pied sur les hauteurs.

3° A notre aile droite, il a de nouveau franchi la frontière avec de petites connes. Il a réoccupé Domèvre au Sud de Blâmont Dans les journées des 20 et 21, nous avons pris 20 autos de ravitaillement avec tout leur personnel et de nombreux prisonniers appartenant aux 4ème, 6ème, 7ème, 8ème, 9ème, 13ème, 14ème corps allemands à la Landwerh bavarois et à des corps de réserve.

En Galicie, les arrière-gardes des armées autrichiennes ont été poursuivies et ont subi des pertes considérables. Les troupes russes ont pris contact avec la garnison autrichienne de Przemysl. L’artillerie lourde russe bombarde les ouvrages de Joroslaw.

Télégramme du 23 Septembre

A notre aile gauche, sur la rive droite de l’Oise, nous avons progressé dans la région de Lassigny où se sont livrés des combats violents. Situation inchangée sur la rive gauche de l’Oise et au Nord de l’Aisne.

Au centre, entre Reims et la Meuse, aucune modification notable.

Dans la Woëvre, au Nord-Est de Verdun et dans la direction de Mouilly et de Dompierre, l’ennemi a tenté des attaques violentes qui ont été repoussées.

Dans le Sud de la Woëvre, il tient la ligne Rochecourt, Seicheprey, Lérouville Lironville *  d’où il n’a pas débouché.

A notre aile droite (Lorraine et Vosges), les Allemands ont évacué Nomeny et Arracourt et ont montré peu d’activité dans la région de Domèvre.

On annonce la prise par les Russes de la forteresse de Joroslaw, en Galicie.

(coupures de journaux)

Jeudi 24 Septembre

* La lecture de la dépêche m’a fait passé une fort mauvaise soirée. L’occupation de Lérouville eut été désastreuse pour nous, Lérouville étant sur la rive gauche de la Meuse. Dieu merci c’est une erreur, il s’agit de Lironville. Les Hauts de Meuse demeurent intacts.

Quelle doit être l’émotion de ceux qui retournent dans leurs villages dévastés après l’occupation allemande.

Ils ne comprenaient pas !

M. Antonin Dubost, présidant, à Grenoble, l’ouverture de session du Conseil Général, a prononcé une allocution dont nous détachons ce passage :

« Une fois de plus, tandis que notre ardeur idéaliste nous entraînait vers les œuvres de paix, nous ne comprenions pas assez que, à côté de nous, un pays, né de la guerre, nourri dans la guerre, accru d’une province par la guerre, forgeait la massue la plus formidable qui ait jamais menacé d’écraser pêle-mêle les libertés, les démocraties, le progrès en germe et les incomparables chefs-d’œuvre des anciennes civilisations.

(coupure de journal)

Cet aveu d’un des plus hauts fonctionnaires de la République est charmant d’ingénuité. Ce : « nous ne comprenions pas assez… » est délicieux… Il s’agit en effet d’une toute petite négligence, un rien, une paille : rien que l’existence de notre vieille France. Si nos ministres actuels avaient en effet réussi à faire prévaloir leurs lois et leurs idées, nous serions sous la botte prussienne.

Les hommes et les idées qui ont fait courir à notre pas et effroyable danger peuvent-ils inspirer confiance !!! … A des fous ou à des idiots mais à ceux-là seulement.

Télégramme du 24 Septembre

A notre aile gauche, entre la somme et l’Oise, nos troupes ont progressé dans la direction de Roye. Un détachement a occupé Péronne et s’y est maintenu, malgré de vives attaques de l’ennemi.

Entre l’Oise et l’Aisne, l’ennemi continue à maintenir des forces importantes solidement retranchées. Nous avons légèrement avancé au Nord-Ouest de Berry-au-Bac.

Au centre, entre Reims et l’Argonne, aucun changement.

A l’Est de l’Argonne et sur les Hauts de Meuse, l’ennemi a poursuivi ses attaques avec une violence toute particulière.

Le combat continue avec des alternatives de recul sur certains points et d’avance sur d’autres.

A notre aile droite, aucun changement notable.

(coupure de journal)

du Vendredi 25 au Samedi 26 Septembre

Télégramme du 25 Septembre

Peu de changement : à notre aile gauche, développement de la bataille, au centre accalmie, à notre aile droite, les attaques allemandes paraissent enrayées.

1° A notre aile gauche, une action très violente est engagée entre celles de nos forces qui opèrent entre la Somme et l’Oise et les corps d’armée que l’ennemi agroupés dans la région de Tergnier, Saint-Quentin. Ces corps d’armée proviennent les uns du centre de la ligne ennemie, les autres de Lorraine et des Vosges. Ces derniers ont été transportés en chemin de fer sur Cambrai par Liège et Valenciennes.

2° Au Nord de l’Aisne et jusqu’à Berry-au-Bac, pas de modifications importantes.

Au centre, nous avons progressé à l’Est de Reims vers Berrue, Moronvilliers.

Plus à l’Est et jusqu’à l’Argonne, situation sans changement.

A l’Est de l’Argonne, l’ennemi n’a pu déboucher de Varennes sur la rive droite de la Meuse ; il est parvenu à descendre à pied sur les Hauts de Meuse dans la région du promontoire d’Hatton-Châtel et a poussé dans la direction de Saint-Mihiel ; il a canonné les forts de Paroches et du Camp des Romains.

Par contre, au Sud de Verdun, nous restons maîtres des Hauts de Meuse et nos troupes débouchant de Toul se sont avancées jusque dans la région de Beaumont.

3° A notre aile droite (Lorraine et Vosges), nous avons repoussé les attaques peu importantes sur Nomeny

A l’Est de Lunéville, l’ennemi a fait quelques démonstrations sur la ligne de la Vesouze et de la Blette.

Télégramme du 26 Septembre

1° A notre aile gauche, dans la région du Nord-Ouest de Noyon, nos premiers éléments s’étant heurtés à des forces ennemies supérieures ont été obligés, hier matin, de céder un peu de terrain.

Rejoints par des troupes nouvelles, ces éléments ont repris vigoureusement l’offensive. La lutte dans cette région prend un caractère particulier de violence.

2° Au centre, rien de nouveau.

3° A notre aile droite, débouchant de Nancy et de Toul, l’ennemi a commencé à céder dans la Woëvre méridionale, se repliant vers le Rupt de Mad.

L’action continue sur les Hauts de Meuse ; les forces allemandes ont pu pénétrer jusque Saint-Mihiel mais elles n’ont pas pu passer la Meuse.

Télégramme du 26 Septembre

1° A notre aile gauche, la bataille continue très violente entre la Somme et l’Oise.

Entre l’Oise et Soissons, nos troupes ont légèrement progressé. L’ennemi n’a tenté aucune attaque.

De Soissons à Reims, pas de modification importante.

2° Au centre, de Reims à Verdun, situation inchangée.

En Woëvre, l’ennemi a pu franchir la Meuse dan la région de Saint-Mihiel, mais l’offensive prise par nos troupes l’a déjà en majeure partie rejeté sur la rivière.

Dans le Sud de la Woëvre, nos attaques n’ont cessé de progresser. Le 14ème corps allemand s’est replié après avoir subi de grosses pertes.

3° A notre aile droite (Lorraine et Vosges), les effectifs allemands semblent avoir été réduits. Les détachements qui avaient refoulé sur certains points nos avant-postes ont été repoussés par l’entrée en action de nos réserves

(coupures de journaux)

La bataille est engagée à fond sur nos deux ailes. Notre situation sur l’aile gauche semble excellente et en cas de défaite, les Allemands pourraient connaître là un vrai désastre. A notre aile droite, en Woëvre, l’ennemi doit être en forces car il a réussi à s’installer sur une partie des Hauts de Meuse et même à passer la Meuse à Saint-Mihiel. Sa progression de ce côté est étonnante et inquiétante car la défaite de ces Hauts de Meuse est facile.

Néanmoins ces troupes françaises débouchant de Nancy et de Toul s’avancent dans le Sud de la Woëvre et vont, il me semble, rendre bien difficiles de nouveaux progrès allemands de ce côté. D’après les communiqués, l’action est très violente. La partie qui se joue décidera de l’évacuation de la France des misérables qui la souillent et, si nous la gagnons, cette victoire confirmant celle de la Marne, renversera pour toujours le prestige de la force allemande.

La vengeance est bien vraiment le plaisir des dieux.

Comment dire la béatitude que j’éprouve à lire dans les journaux des titres comme ceux-ci : « La consternation en Allemagne », « la colère du Kaiser », «  la mort du prince », « la famine à Hambourg » ; avec quelle volupté, je lisais ce matin que le fils du maréchal de avait eu le sommet de la tête enlevé par un obus ; j’en riais tout seul de plaisir comme un vrai cannibale.

Dimanche 27 Septembre

Télégramme du 27 Septembre

L’ennemi a attaqué sur tout le front, partout il a été repoussé.

A notre aile droite, nous progressons.

Sur les Hauts de Meuse, la situation est stationnaire.

En Woëvre, nous continuons à gagner du terrain.

(coupure de journal)

Voilà encore la formidable bataille engagée sur un front de 170 kilomètres. Les deux forces butées l’une contre l’autre, cabrées front contre front. La Croix supplie les Français de prier Saint Michel ; c’est sa fête Mardi. Qu’il donne à nos héroïques soldats la force de bouter hors de France l’immonde Bête Allemande.

« Paris ou la Mort » serait l’ordre donné par le Kaiser à ses généraux. Comme ils n’auront pas Paris, le Kaiser nous apprend lui-même que c’est la mort qui l’attend.

du Lundi 28 au Mercredi 30 Septembre

La dépêche du 28 indique la violence des attaques allemandes qui se brisent contre nous.

Nous progressons un peu sur la rive droite

Jean, à Reims le 19, où il a assisté au bombardement méthodique de la cathédrale

Communiqués officiels

27 – 15 heures

A notre aile gauche, la bataille s’est continuée avec des progrès sensibles de notre part sur un front très étendu entre l’Oise et le nord de la Somme

De l’Oise à Reims, très violentes attaques allemandes sur plusieurs points, quelques-unes menées jusqu’à la baïonnette et TOUTES REPOUSSEES.

Les lignes de tranchées françaises et allemandes ne se trouvent, en maints endroits, qu’à quelques centaines de mètres les unes des autres.

Au centre, de Reims à Souain, la garde prussienne a prononcé sans succès une offensive et a été rejeté dans la région de Berru et de Nogent-l’Abbesse.

De Souain à l’Argonne, l’ennemi a attaqué, dans la matinée d’hier, avec avantage entre la route Sommepy - Châlons-sur-Marne et la voie ferrée Sainte-Menehould - Vouziers.

En fin de journée, nos troupes ont regagné le terrain perdu.

Entre Argonne et Meuse, l’ennemi n’a manifesté aucune activité.

Sur les Hauts de Meuse, rien de nouveau.

Dans le Sud de la Woëvre, les Allemands occupent un front qui passe par Saint-Mihiel et le nord-ouest de Pont-à-Mousson.

27 – 23 heures

Il se confirme que, depuis la nuit du 25 au 26, jusque dans la journée du 27, nuit et jour, les Allemands n’ont cessé de renouveler, sur tout le front, des attaques d’une violences inouïe dans le but manifeste d’essayer de rompre nos lignes avec un ensemble qui dénote des instructions du haut commandement de chercher la solution de la bataille.

Non seulement ils n’y sont pas parvenus, mais au cours de l’action, nous avons pris un drapeau, des canons et fait de nombreux prisonniers ; le drapeau a été enlevé à l’ennemi par le 24ème régiment d’infanterie coloniale.

Tous nos commandants d’armées signalent que le moral de nos troupes, malgré les fatigues résultant de cette lutte ininterrompue, reste excellent et qu’ils ont même du mal à les retenir dans leur désir d’aller aborder l’ennemi abrité dans des organisations défensives.

28 – 3 heures du soir

Rien de nouveau dans la situation générale.

Calme relatif sur une sur une partie du front.

Toutefois, en certains points, notamment entre l’Aisne et l’Argonne, l’ennemi a tenté de nouvelles et violentes attaques qui ont été repoussées.

28 – 11 heures du soir

1° A notre aile gauche, les renseignements sur la situation sont favorables.

2° Au centre, nos troupes ont supporté avec succès de nouvelles et très violentes attaques.

Nous avons légèrement progressé sur les Hauts de Meuse.

Dans la Woëvre, un brouillard intense a suspendu en fait les opérations.

3° A notre aile droite (Lorraine et Vosges), situation inchangées.

Extraits de la lettre de Jean

« 23 Septembre

« Mon cher Henri

« Vais bien.

« Pour te fixer un peu avec mes opérations, tu sauras que nous avons débarqué à que de là nous avons gagné Sedan où nous sommes restés 8 jours puis la Belgique où nous avons eu un accueil merveilleux. Jusque là c’était la fête.

« Premier combat à sur la Sambre, j’y ai perdu mes 2 officiers, mon adjudant et 90 hommes. Combat de folie, attaque de villages à la baïonnette, nous avons gardé notre prise jusqu’au soir, … … les dernières cartouches. Par une protection divine, nous n’avons pas été inquiétés dans une retraite des plus dangereuses.

« Le lendemain, bataille en retraite, je défends la gare de … puis en avant, combat tourbillonnant, assauts auxquels ma Cie ne prend pas part ! Le lendemain, re-combat en retraite pitié à travers nous risquons d’être chargés au cantonnement.  Marche forcée de nuit … … et ainsi de suite puis combat de 3 jours à Richemont ; j’y ai été faiblement engagée mais il y a une pagaille peu élégante, perdu environ 15 hommes, le 1er corps est arrivé à la rescousse et ça s’est terminé par une victoire … … reculé de 10 kilomètres.

« Le lendemain, nouveau combat et retraite précipitée. Une étape de 50 kilomètres. Les hommes sont épatants à certains points de vue car ils ne dormaient plus. Remarque que, depuis le 21, nous ne sommes pas restés 1 jour sans entendre le canon (« entendu » veut dire presque 1 jour sur 2 « recevoir »).

« Sans repos, offensive à Charleville, combat de 3 jours ; nous perdons le colonel et 1000 hommes dans un  combat effroyable. … protection ma Cie a été assez peu engagée … légèrement blessé ; Benoît, jambe cassée. Au cours de ce combat, nous avons été un matin … au feu des obusiers allemands qui faisaient un barrage ; c’est d’un effet moral inouï, les sections volent en l’air. Je n’ai pas perdu 1 homme.

« Au reste, le canon est terrible quand il tonne mais c’est un … L’ennemi … a reculé de 45 kilomètres, laissant des armes, des équipements, du matériel. Depuis nous sommes accrochés sur la et rien ne change.

« Je retrouve cette carte non postée le 23, nous nous battons depuis 10 jours et avançons lentement. J’ai la

« Tendresse à tous

Jean

Télégramme du 29 Septembre

1° A notre aile gauche, au Nord de la Somme et entre la Somme et l’Oise, l’ennemi a tenté, de jour et de nuit, plusieurs attaques qui ont été repoussées.

2° Au centre, en Champagne et à l’Est de l’Argonne, l’ennemi s’est borné à de fortes canonnades.

Entre Argonne te Meuse, léger progrès de nos troupes qui trouvent devant elles des positions fortement organisées sur les Hauts de Meuse, dans la Woëvre

A l’aile droite (Lorraine et Vosges), pas de modification notable.

Le front

D’une façon générale, notre front est jalonné de l’Est à l’Ouest comme il suit :

Région de Pont-à-Mousson, Apremont, la Meuse dans la région de Saint Mihiel, les hauteurs au Nord de Stada et la partie des Hauts de Mause au Sud-Est de Verdun, région de Varennes, le Nord de Souain, la chaussée romaine qui aboutit à Reims, les avancées de Reims, la route de Reims à Berry-au-Bac, les hauteurs dites du Chemin des Dames sur la rive droite de l’Aisne.

La ligne se rapproche ensuite de l’Aisne jusque dans la région de Soissons, entre Soissons et la forêt de l’Aigle ; elle comprend les premiers plateaux de la rive droite de l’Aisne.

Entre l’Oise et la Somme, elle passe par Ribécourt (qui est à nous), Lassigny (occupé par l’ennemi), Roye (à nous), Chaulnes (à l’ennemi).

Au Nord de la Somme, elle se prolonge sur les plateaux, entre Albert et Combles.

Nous avons fait encore de nombreux prisonniers au cours de la journée d’hier ; ils appartiennent notamment au 7ème corps actif, au 7ème de réserve, aux 10ème, 12ème, 15ème et 19ème corps d’armée allemands.

Télégramme du 30 Septembre

Rien de nouveau dans la situation.

(coupures de journaux)