La guerre à travers des coupures de journaux

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

2ème partie : année 1915

Précausions à Cherbourg contre aéronefs

(1er Février 1915)

Avis à la population – La possibilité d’incursions d’aéronefs ennemis dans la région de Cherbourg, ayant été signalée, il paraît nécessaire d’envisager, au cas où une semblable éventualité viendrait à se produire, le moyen pratique d’avertir rapidement la population en cas d’approche de semblables appareils.

C’est pourquoi il a été décidé qu’aussitôt prévenue de cette approche, l’administration municipale ferait sonner le tocsin par les cloches de la Trinité, du Vœu et de Saint-Clément.

En même temps, une flamme à carreaux alternés rouges et jaunes, serait hissée sur le fort du Roule.

A ce signal, les habitants, afin de se mettre à l’abri des projectiles ennemis, auraient à évacuer immédiatement les rues et à rentrer dans l’intérieur des maisons les plus proches, où chacun devrait s’empresser de leur donner asile. Lorsque tout danger serait écarté, un carillon ordinaire sonné par les cloches  des mêmes églises, en préviendrait la population.

Dès l’appel du tocsin, les pompiers de la ville se rendraient au dépôt des pompes et s’y tiendraient prêts à toute éventualité.

Cherbourg, le 1er Février 1915

Le maire, A. Mahieu

Le vice-amiral, gouverneur, Pivet.

Son de cloche en Espagne

(27 Février 1915)

M. Léon Chavenon cite, dans l’Information, l’extrait suivant d’un article de la Tribuna de Madrid :

« Jamais l’empire germanique ne s’est montré si grand aux yeux du monde qu’en lançant à l’Angleterre le défi de déclarer en état de guerre les eaux qui entourent les Iles Britanniques.

« En avertissant les puissances neutres des risques auxquels s’exposent les bateaux marchands qui y naviguent, l’Allemagne a accompli tout ce qu’on pouvait lui demander au nom de l’Humanité.

« L’Allemagne ne pouvait pas répondre d’une façon plus douce au saccage inouï contre la propriété privée et contre les personnes elles-mêmes de ses sujets commis de gaîté de cœur par les alliés dès les premiers jours de la guerre etc… etc… L’Allemagne a porté à un tel point dans cette guerre la modération, la chevalerie et la patience dans sa conduite et dans ses procédés qu’on pourrait les prendre pour des signes de faiblesse s’il n’était pas évident que de telles manifestations proviennent de son désir de « se charger de bon droit » comme elle l’a fait pendant les préliminaires de la guerre de 70-71. »

Prise du fortin de Beauséjour (officiel)

Depuis  le 16 février, une action continue est engagée en Champagne. Les communiqués quotidiens en ont relaté le développement et la progression.

La pression très violente exercée sur les lignes de l’ennemi a contraint celui-ci à engager sur ce point du front des forces nombreuses prises sur les réserves d’autres secteurs et à y faire de grosses dépenses de munitions. Ces combats incessants, où ont été décimées quelques-unes des meilleures unités de l’armée allemande, ont interdit à nos adversaires tout transport de troupes et de projectiles vers le front oriental.

Parmi de très nombreux faits d’armes, la prise du « fortin de Beauséjour n’est pas le moins brillant. L’infanterie coloniale, à qui en revient l’honneur, y a fait preuve d’une ardeur et d’un esprit de sacrifice dignes de ses glorieuses traditions.

Le fortin de Beauséjour

Au nord de la ferme de Beauséjour, sur une croupe, entre deux ravins, la position allemande que nos troupiers avaient baptisée le fortin était constituée par un ensemble de tranchées échelonnées en profondeur.

Au saillant était organisé un véritable petit fort ; en arrière, deux lignes de tranchées s’étageant sur les pentes de la butte permettaient des feux étagés. De longs boyaux faisaient communiquer le fortin, en arrière, avec un inextricable fouillis de tranchées servant de places de rassemblement aux troupes chargées de nous contre-attaquer.

La première attaque

Une première attaque fut tentée sur le fortin par un bataillon d’infanterie coloniale le 25 février.

Après une préparation d’artillerie très intense, les compagnies d’assaut pénétrèrent dans la première ligne de tranchées du saillant. L’ennemi essaya de les refouler en les inondant de bombes et de grenades. Six contre-attaques, dont trois très violentes, furent lancées sur nos lignes. Mais les Allemands durent reculer avec de lourdes pertes.

Vers minuit, ils attaquèrent en formations très denses. Notre feu anéantit en quelques instants la valeur d’un bataillon.

A l’aube, nous nous maintenions toujours dans les tranchées conquises et nous nous apprêtions à poursuivre nos progrès lorsque l’ennemi lança sur les deux tranchées du saillant une attaque d’un extrême violence.

Les Allemands s’avancèrent en hurlant et en jetant des grenades.

Une défense héroïque

Les marsouins reçurent bravement l’avalanche.

Le lieutenant Raynal monte sur le parapet, exhortant ses hommes à l’imiter et à charger ; il est bientôt blessé à l’œil et au ventre ; il continue à diriger la défense jusqu’au moment où il tombe épuisé.

Le sous-lieutenant Cazeau réussit à monter sur le parapet après avoir établi un barrage dans le boyau, où il met quelques hommes énergiques. Il charge avec une section, mais il a fait à peine quelques pas qu’il est traversé de part en part et tombe. Alors, il se fait mettre face à l’ennemi, et pendant que la mitraille fait rage, il maintient ses hommes autour de lui, chantant à haute voix : Mourir pour la patrie, c’est le sort le plus beau.

Mais le barrage étable dans le boyau va céder, les survivants battent en retraite, le lieutenant Cazeau ne parle plus, les hommes le croient mort.

Le soldat Simon traîne alors son corps par les pieds pendant deux cents mètres à travers les balles et la mitraille du canon-revolver et ramène son officier dans nos lignes.

Dans le boyau, les Allemands arrivent nombreux à la baïonnette, trouvant devant eux le soldat Jouy et lui crient de se rendre ; il est seul, tous ses camarades sont tombés autour de lui, tués ou blessés d’éclats de grenades ; il répond en ajustant les Allemands, les tient en respect par son feu, en tue six ; blessé au bras d’un coup de baïonnette dans un corps à corps avec un septième adversaire, il le tue, reçoit un coup de sable d’un officier ennemi qu’il blesse grièvement et se replie ensuite sur le boyau du fortin.

Le capitaine Poirier veut se reporter en avant, mais un éclat de bombe l’atteint au visage et il tombe la face à terre ; se relevant par un sursaut d’énergie, il saisit un fusil, se défend à coups de crosse et de baïonnette, tuant plusieurs ennemis ; mais un deuxième projectile vient l’atteindre ; il tombe de nouveau ; les Allemands s’avancent en masse de tous côtés, empêchant les hommes – une poignée – de reprendre leur capitaine.

Les mitrailleuses qui se trouvaient dans le fortin ont été broyées par les obus, sauf une pièce que le sergent Cazeilles, blessé grièvement au bras droit, emporte sur son dos.

Le lieutenant Lelong, commandant une des sections de mitrailleuses, déjà blessé, voyant la position perdue, son revolver, dit aux hommes qui l’entourent : « Je vais vous faire voir comment meurt un officier français » se précipite sur les Allemands, en abat plusieurs et tombe percé de coups.

Les derniers survivants battent en retraite.

Malgré l’extrême fatigue occasionnée par la marche pénible dans les chemins défoncés et par l’attente, pendant dix heures consécutives, sous les obus, enlisées dans la boue des boyaux et des tranchées, quatre compagnies s’étaient héroïquement battues pendant quinze heures, soutenant victorieusement six contre-attaques violentes, les dernières à l’effectif d’au moins deux bataillons.

L’attaque est reprise

Le 27 février, deux bataillons d’infanterie coloniale reprirent l’attaque. Après une violente préparation d’artillerie, l’un des bataillons enleva d’un seul élan l’une des tranchées du saillant. Les défenseurs furent tués à coups de baïonnette et l’organisation de la position fut immédiatement entreprise.

L’autre bataillon, traversant la tranchée de première ligne, s’installa dans la deuxième tranchée et parvint dans un élément de la troisième ligne. Il subit de lourdes pertes.

L’amoncellement des cadavres allemands dans les tranchées montre combien âpre fût la lutte.

Contre-attaques allemandes

Dès la tombée de la nuit les contre-attaques allemandes se succèdent, quatre retours offensifs sont repoussés avec l’aide de l’artillerie. Les abords des tranchées sont jonchés de cadavres ennemis. Devant ce champ de morts les assaillants hésitent. A la lueur des fusées qu’ils lancent, on voit leurs officiers et leurs gradés frapper les hommes et les menacer du revolver.

Solidarité d’armes

Une compagnie d’infanterie de ligne est envoyée en renfort pour soutenir les bataillons engagés et reçoit l’ordre de contre-attaquer pour contenir l’ennemi. Voyant les fantassins partir, les marsouins qui travaillent à retourner et à démolir les boyaux, s’élancent avec eux ; certains ne prennent pas le temps de saisir leurs armes, la pioche à la main, ils chargent les Allemands et en assomment un bon nombre. L’ennemi se replie.

La fusillade qui avait duré toute la nuit faiblit au matin.

A ce moment, escomptant l’écrasement des défenseurs après une nuit de combat, l’ennemi lance deux compagnies sur les tranchées. Cette contre-attaque, prise sous le feu combiné de l’infanterie et de l’artillerie, est arrêtée un instant.

Le bombardement

Les Allemands renoncent alors à reprendre le fortin de vive force. Ils couvrent nos soldats de bombes et de grenades et entreprennent un bombardement systématique de la position.

Le feu de l’artillerie allemande atteint une intensité effroyable. Les projectiles de gros calibres : 105, 150, 210, pleuvent sur les tranchées et boyaux, faisant de nombreuses victimes, mais chacun demeure à son poste. Les hommes déclarent à leurs officiers : « Nous mourrons tous avec vous ici »

Cette attitude suffit à elle seule à empêcher les Allemands de sortir de leurs boyaux, où ils attendent, groupés, la baïonnette haute, que nous évacuions la position.

A la nuit, le bombardement cesse ; l’ennemi n’ose plus contre-attaquer. Le fortin est à nous.

Les coloniaux sont relevés

Dans la nuit, l’infanterie coloniale fût relevée par les troupes de ligne qui occupaient les tranchées d’où était partie notre attaque. Depuis le début de l’action, d’émouvantes manifestations de solidarité s’étaient produites entre les marsouins et les fantassins chargés de les soutenir. Lorsque l’infanterie coloniale partît à l’assaut, il avait fallu toute l’autorité des officiers des régiments de ligne pour empêcher leurs hommes chargés de l’occupation des tranchées de s’élancer avec leurs camarades.

Un jeune soldat, profitant de la nuit, prît les vêtements d’un « colonial » blessé et combattit tout le jour. En revenant, grièvement blessé, il déclara qu’ayant eu quatre frères tués, il était content de les avoir vengés.

Chambre des Lords

Lord Kitchener flétrit l’Allemagne

(28 – 29 Avril 1915)

Lord Kitchener, ministre de la guerre, parlant du traitement infligé aux prisonniers britanniques en Allemagnes, fait les déclarations suivantes à la Chambre des Lords :

« L’Allemagne, qui a donné mille preuves de courage et d’habileté militaires, se devrait à elle-même de montrer un degré d’honneur militaire de nature à lui valoir le respect des nations. Au lieu de cela, elle s’est abaissée à es actes qui souillent son histoire militaire d’une tâche indélébile ; elle rivalise avec les derviches du Soudan pour la sauvagerie barbare.

« Il n’est pas de soldat, de quelque nationalité qu’il soit, qui ne ressente profondément la honte de la souillure infligée par les Allemands à la profession des armes. La semaine dernière encore, les Allemands faisaient usage de gaz asphyxiants parce que leur attaque aurait pu échouer. C’est là encore une violation à la Convention de La Haye.

Chambre des Communes

Monsieur Asquith annonce froidement que l’Angleterre se vengera.

D’autre part, Monsieur Asquith, à la Chambre des Communes, déclare que le traitement dont les prisonniers britanniques sont l’objet en Allemagne constitue à tous égards un horrible récit, une des souillures les plus noires, même en matière de procédés de guerre, employés par les Allemands.

« Si je prends la parole, c’est pour affirmer aussi catégoriquement, aussi nettement que possible, qu’à la fin de la guerre, nous n’oublierons pas cette série horrible de crimes et de cruautés calculés. A ce moment-là, nous considérerons qu’il est de notre devoir d’exiger les réparations nécessaires de ceux pour qui il pourra être prouvé qu’ils on été les auteurs responsables de ces crimes.

« Certes, nous manquerions non seulement à notre devoir envers ces hommes vaillants et malheureux, mais à l’honneur de la nation britannique et aux prescriptions de la plus élémentaire humanité, si nous consentions à faire remise de quoi que ce soit sur l’intégrale réparation.

Nos blessés (lettres de mobilisés)

«  … Au bout de trois heures, le canon se calme, et les fantassins chargent. Alors les blessés affluent. Spectacle bien triste que ces pauvres hommes encore tout affolés et souffrant de leurs blessures. On les réconforte, on les soigne… La nuit, on continue à soigner les blessés. On entre dans la boue jusqu’aux genoux. Pour aller chercher ces malheureux, on ne peut se servir de lumière, on se ferait tuer.

« Alors on va dans le bois. On heurte quelque chose. On touche du froid. C’est un mort. Plus loin, un faible cri nous appelle. C’est un malheureux blessé couché dans la boue. On le prend sur le brancard, et on le porte à on poste de refuge. C’est un méchant abri de branchage, à 400 mètres des Boches.

« Oh ! cette veillée, je l’en souviendrai toujours. Suspendu dans un coin, un faible falot projette sa lueur blafarde sur le sol boueux. A l’extrémité du refuge, l’aumônier militaire. Moi, en face de lui, assis tous deux par terre, attendant les blessés. Près de moi, mes infirmiers, eux aussi très fatigués. Là, tout près de nous, sur un brancard, un malheureux qui est mort pendant que nos le pansions. Au dehors, sifflement des balles, grondement du canon. Et toute la nuit, et durant trois nuits, sans pain, dans l’eau et dans la boue, nous avons ainsi veillé…

« On me porte un blessé grave. Je lutte jusqu’à a dernière minute contre la mort menaçante. Mais, hélas ! je suis vaincu par l’horrible faucheuse. Tout le monde pleurait devant ce lugubre spectacle. Je luttais toujours. Il avait cessé de respirer, je lui fis encore de la respiration artificielle. Hélas ! il était mort. Alors j’essuyai moi-même une larme… »

Autre lettre.

«  Sait-on bien que nous, les non-combattants (hélas !), nous sommes grisé par l’esprit de sacrifice de ceux que nous secourons, et que quand nous ne pouvons rien faire de plus, nous apaisons d’une caresse, et parfois même d’un baiser, la souffrance du blessé et le trouble de notre cœur ! A défaut de croix et de galons que d’autres sont chargés de distribuer, nous récompensons par notre pitié et par le don d’un peu de nous-mêmes le courage et la résignation.

« J’ai vu un petit fusilier de 20 ans, le bras droit broyé par un éclat d’obus, et si gentil, si "brave" comme on dit dans le Midi, qu’après l’avoir amputé, son chirurgien n’a pu s’empêcher de l’embrasser… Dites bien autour de vous, madame, que jamais cette charité médicale ne s’est plus dépensée que maintenant. »

L'Officier Allemand

(extrait d’un article du Temps)

Fumier de Kultur

Il y a mieux – ou pis. Ces Lanzin et ces Richelieu de la Sprée ont, de commémorer leur passage, une manière galante qu’auraient, je crois, réprouvée les rouées du temps de Régence. La chose est difficile à relater, mais c’est le devoir de la Petite Histoire de consigner ce genre de manifestation que sa grande sœur dédaignera certainement – et c’est bien dommage, car elles ont caractéristiques, soit par survivance atavique d’anciennes habitudes, soit pour une autre raison mystérieuse, ces messieurs de la noblesse allemande s’amusent d’étrange façon :

Trois d’entre eux, en Lorraine, se font apporter de la verrerie de Baccarat, de magnifiques coupes de cristal et les utilisent comme chaises percées ; puis en parfaits gentilshommes, et qui savent les usages, ils laissent la chose en évidence et piquent dans le "souvenir" leur carte de visite, portant leurs noms, leurs titres et la mention de leur grade.

A Reims, d’autres remplissent de même manière les assiettes où leur dîner vient d’être servi et se servent du contenu nauséabond pour bombarder le plafond de la salle à manger.

Au château du marquis de Laigle, où s’abrite un état-major, ce sont les chapeaux de chasse des dames qui deviennent vases indispensables.

Le prince Eitel-Frédéric et son entourage laissent ainsi, copieusement remplie la vaisselle de M. le comte de Montebello, au château de Mareuil.

Et l’on ne peut employer ici l’expression discrète et convenue, en disant que ces messieurs "sont oubliés", car ces souillures ne sont pas accidentelles, mais systématiques ; les maisons qu’ont habitées les officiers supérieurs sont plus empestées que les autres, et le châtelain qui héberge un prince du sang ne sait plus où mettre les pieds.

- Nous sommes "hors pair", nous sommes "uniques", nous demeurons "sans pareils", proclame le chimiste Ostwald, de Munich, pangermaniste fameux et grand apologiste de la "kultur". Ce  chimiste est plein de bon sens et la vérité sort de sa bouche. Ce que montre ses compatriotes est sans exemple en effet. Des gentilshommes entichés de leur noblesse, tueurs de femmes, ivrognes, cambrioleurs et scatologues, le monde n’avait jamais vu ça. Bonnet et Raymond la Science avaient des façons de marquis du grand siècle, en comparaison de ces nobles-là !

G. LENOTRE

Faut-il se foutre du peuple !

faut-il assez le mépriser pour le berner avec une telle impudence !

(Article du Radical)

L’expérience présente prouve combien les républicains et les pacifistes étaient des patriotes avertis et prudents quand ils combattaient les excitations belliqueuses de certains courants d’opposition, tels le Boulangisme et le Nationalisme. Combien la situation eut été désastreuse pour la France, si, cédant aux emballements des excitateurs, nous avions cherché la guerre à une époque où la Russie n’était pas prête, où l’Angleterre serait restée neutre, où l’Italie, sous la pression, s’accouplait avec l’Allemagne et l’Autriche ! Ce pouvait être l’écrasement de la France.

En réalité, quelque paradoxal que cela semble, c’est aux pacifistes que la France de demain devra ses victoires.

Il est facile de comprendre que l’Allemagne, ayant voulu la guerre et ayant choisi son heure, a fait son "plein d’essence" à l’instant propice. Nous ne pouvions l’imiter, puisque nous ne voulions pas la guerre et bornions nos efforts à la défensive. Il est de toute évidence que l’on ne peut faire un "plein d’essence" pendant quarante-cinq ans.

Que nous ayons eu tort de croire aux sentiments pacifiques de la sociale-démocratie, c’est possible ; mais qui donc, en voyant les horreurs de la guerre, pourrait nous reprocher d’avoir fait tous nos efforts pour l’éviter ou tout au moins la reculer ? Condamner notre pacifisme d’alors, c’est approuver, par voie de réciprocité, l’esprit militarisme allemand.

Soyez logiques, ô chers adversaires du Nationalisme d’hier, ou bien l’on est pour la Justice, le Droit, les Arts, les Sciences, et toute la beauté qui fleurira l’humanité de demain, et il faut alors acclamer la République, fille de la Raison et de la Liberté, ou bien l’on est pour la suprématie du sabre, pour les lourdes bottes qui talonnent les villes de garnison, pour l’idéal allemand, en un mot, et il faut s’incliner devant le kaiser et sa bande de soudards, qui ont su réveiller dans l’âme allemande les barbaries ancestrales de la préhistoire…

Armand Charpentier

Rapport de la Commission française

sur les actes odieux commis par les Allemands.

(04 – 09 mai 1915)

Le journal officiel a publié hier matin le troisième rapport présenté à M. le président du Conseil par la Commission instituée en vue de constater les actes commis par l’ennemi en violation de droit des gens.

« MM. Georges Payelle, premier président de la Cour des Comptes, Armand Mollard, ministre plénipotentiaire, Georges Maringar, conseiller d’Etat, et Edmond Paillot, conseiller à la Cour de Cassation, à M. le Président du Conseil des Ministres :

« Monsieur le président du Conseil,

« Nous avons l’honneur de vous faire connaître que nous venons de nous transporter au quartier général de l’armée française en Belgique et dans le département du Nord, pour procéder à une enquête au sujet de l’emploi, par les Allemands, de gaz asphyxiants contre nos troupes. Le résulta de nos investigations auprès des officiers, témoins du fait, et des médecins qui ont soigné les victimes, ne saurait laisser aucun doute sur la réalité et l’importance de cette nouvelle violation du droit de la guerre. En voici d’ailleurs le résumé :

« Le 22 avril, un rapport d’aviateur signala qu’une fumée jaune avait été aperçu de place en place, entre Bixchotte et Langemarck, dans les tranchées allemandes.

« Vers 5 heures du soir, un épais nuage de vapeurs lourdes d’un vert jaunâtre sortait des mêmes tranchées et, poussé par la brise, arrivait sur les lignes alliés, suivi par des contingents ennemis qui s’avançaient en tirant des coups de fusil.

« Nos hommes ressentirent immédiatement des picotements et une irritation intolérable dans la gorge, le nez et les yeux, ainsi que des suffocations violentes et de fortes douleurs dans la poitrine, accompagnées d’une toux incoercible. Beaucoup tombèrent pour ne plus se relever. D’autres, essayant vainement de courir, durent, sous les balles et les obus, se replier en titubant, en proie à es souffrances cruelles dans lesquelles apparaissaient des filets de sang. La plupart de ceux qui purent s’échapper furent malades pendant plusieurs jours et un certain nombre d’entre eux, malgré les soins qu’on leur prodigua, ne tardèrent pas à succomber aux suites d’accidents pulmonaires causés par l’asphyxie.

« Le 22 avril également, dans la région de Boesinghe, l’ennemi a couvert le terrain occupé par nos soldats d’obus qui, en éclatant, dégageaient des gaz suffocants. Depuis, à plusieurs reprises, notamment le 27 avril et le 2 mai, il s’est encore servi des mêmes moyens avant d’attaquer.

« Il semble du reste que les Allemands aient l’intention de généraliser l’usage de procédés de ce genre, formellement interdits par les conventions internationales, et qu’ils y soient déterminés depuis longtemps déjà car ils ont préparé, à cet effet, tout un matériel, dont les déclarations d’un prisonnier ont, dès le 11 avril, révélé l’existence.

« Ce matériel existe en des récipients de métal munis de tubes commandés par des robinets. L’homme qui en fournit la description aurait été envoyer à l’instruction à Roulers pour y apprendre le maniement des engins et d’après lui les bouteilles à gaz se trouveraient disposées sur une partie du front, à raison d’une batterie de vingt bouteilles tous les 40 mètres.

« Le 27 avril, un autre prisonnier, sous-lieutenant d’infanterie, a dit à l’officier interprète chargé de l’interroger qu’il considérait les gaz asphyxiants comme une nouvelle arme au service de l’Allemagne ; et dans une lettre quia été trouvée sur un soldat allemand celui-ci écrivait, le 26, à sa mère : « Vraisemblablement, on va donner maintenant leur compte à ces maudits Anglais. Nous avons employé un nouveau moyen de combat contre lequel ils sont tout simplement sans défense »

« Enfin, ce qui prouve mieux encore une organisation longuement préparée, c’est que les troupes qui se sont jetées, le 22 avril, sur les tranchées françaises étaient munies d’appareils destinés à les protéger conte l’asphyxie. Certains hommes avaient la tête recouverte de masques lumineux qui les faisaient ressembler à des scaphandriers. Les autres, en plus grand nombre, portaient sur le nez et sur la bouche, une muselière en caoutchouc en forme de groin, d’une fabrication très ingénieuse. Un de ces derniers instruments, trouvé sur le terrain, nous a été remis. Il se fixe à l’aide d’un élastique passant derrière la nuque. Son extrémité est formée par une paroi percée de plusieurs trous et à laquelle est adapté un tampon imprégné d’une substance de nature à neutraliser l’effet des gaz. L’aspiration se fait à travers ce tampon et l’expulsion de l’air respiré se produit au moyen d’une petite valve en mica jouant dans un dispositif métallique placé sur un des côtés de l’appareil.

« M. Kling, directoire du laboratoire municipal de Paris, a été chargé, par M. le ministre de la guerre, de déterminer la nature du gaz qui a été employé par les Allemands contre nos soldats. Il résulte de ses recherches que ce produit est du chlore gazeux, qui doit être considéré comme un agent suffocant meurtrier capable de provoquer la mort par asphyxie secondaire.

« Veuillez agréer, Monsieur le président du Conseil, l’assurance de notre respectueux dévouement

G. Payelle, président – Armand Mollard – G. Maringer – Paillot, rapporteur.

Le salut de la France à l'Italie

(au cours de son voyage dans les Vosges et en Lorraine, le président de la République a envoyé à S.M. le roi d’Italie, le télégramme suivant.)

 (27 Mai 1915)

« M. Poincaré au roi Victor-Emmanuel III »

« A sa majesté Victor-Emamnuel III, roi d’Italie, Rome

« A l’heure solennelle où l’Italie rentre résolument dans la voie glorieuse que lui tracent ses destinées , la France entière se réjouit de penser que les deux nations sœurs vont lutter, une fois de plus, pour la défense de leur civilisation commune et pour l’affranchissement des peuples opprimés.

« Rapprochés déjà par la parenté, par leurs traditions, par la force immortelle du génie latin, l’Italie et la France s’unissent à jamais par cette nouvelle fraternité d’armes et par cette consécration réfléchie de leurs relations naturelles.

« J’exprime à votre Majesté, mes vœux les plus fervents pour la victoire de ses vaillantes troupes, avec lesquelles les armées alliées seront fières de combattre jusqu’au bout les ennemis de la justice et de la liberté.

« Je souhaite à la noble Italie l’heureuse réalisation de ses aspirations nationales, et je prie Votre Majesté de croire en mes sentiments d’amitié dévouée.

Raymond Poincaré

A la Chambre

Grandiose, inoubliable manifestation à la Chambre.

Les députés ont tenu à venir en très grand nombre et dès trois heures l’hémicycle est au grand complet. Les tribunes et galeries du public, elles aussi, sont pleines à crouler. Dans la galerie diplomatique la colonie italienne est très largement représentée. Un homme attire tous les regards : c’est M. Tittoni, ambassadeur d’Italie dont le profil romain se détache très nettement sur le marbre blanc de colonnes.

Quand M. Paul Deschanel monte au fauteuil et que les membres du gouvernement, M. Viviani en tête, s’asseyant au banc des ministres, un silence solennel s’établit.

- Discours de M. Deschanel -

(M. Paul Deschanel se lève et prononce l’allocution suivante)

« Comme il y a cinquante six ans, l’Italie est avec nous. Toutes les puissances de vie se dressent contre la puissance de mort. Tous les peuples menacés dans leur indépendance, dans leur sécurité, dans leur avenir, se lèvent les uns après les autres contre la domination brutale qui prétend faire la loi au monde.

« La géographie, l’histoire, la morale, tout ici conspire au même dessein. Comment Rome mère du droit, eût-elle pu servir les contempteurs des traités et de le foi jurée ? Comment les héritiers de la grandeur vénitienne eussent-ils pu souffrir que l’Adriatique devint un mac germain ? Comment la politique fine, souple et réaliste de la Maison de Savoie, qui n’était entrée dans la Triple-Alliance que pour se garder contre les coups de l’ennemie séculaire, eût-elle prêté les mains à l’absorption de la Serbie et de la mer Egée par l’avant-garde de l’Allemagne ?

« Comment ceux qui avaient arrêté la conquête ottomane et ceux qui avaient délivré la Lombardie et la Vénétie eussent-ils aidé les maîtres de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie, de la Transylvanie, de la Pologne, les oppresseurs de Trieste et de Trente, les conquérants des duchés danois et de l’Alsace-Lorraine ? Comment la fière nation de Manin, de Victor-Emmanuel, de Cavour, de Mazzini, de Garibaldi, qui a trouvé sa principale force dans la tradition  latine, se fût-elle mise à l’école des Nietzsche, des Treitschke et des Bernhardi ? Et par quelle impiété, les catholiques italiens eussent-ils colludé avec les destructeurs fanatiques de Louvain et de Reims ?

« Non ! non ! Rome, qui, après Athènes, fut la source de toute lumière, Rome où s’épanouit magnifiquement, de siècle en siècle, la fleur toujours renaissante de la morale et de la beauté, ne pouvait pas être, en ces heures suprêmes, avec les cités de la ruse et de la force ; la voici à sa vraie place et à son vrai rang, avec les patries du droit et de l’idéal, avec es cités éternelles de l’esprit.

« Et tandis que, du fond de l’Océan, la plainte des innocentes victimes, le cri des enfants et des mères précipités par un crime atroce, remplit de douleur et de colère tout l’univers pensant, la France, dont l’indomptable héroïsme a brisé l’effort de la barbarie, la France qui porte, avec une gloire sans égale, le poids le plus lourd de la guerre, la France qui verse son sang, non seulement pour sa liberté, mais pour la liberté des autres et pour l’honneur, la France salue fraternellement, comme le présage du droit triomphant, le vol des aigles romaines, elle sent battre, d’un bout à l’autre de la terre, le cœur des peuples frémissants, les uns à qui s’offre l’instant propice, les autres inquiets, les autres meurtris, et s’allumer la révolte de la conscience universelle contre le fol orgueil d’une caste de proie.

« Et maintenant, ô morts glorieux de Magenta et de Solferino, levez-vous et enflammez de votre souffle magnanime les deux sœurs immortelles, réunies à jamais dans la justice !

(Toutes les phrases de l’allocution présidentielle sont scandées des mêmes applaudissements enthousiastes.

De nouveau l’Assemble toute entière, de l’extrême droite à l’extrême gauche, se tourne vers M. Tittoni et d’une voix unanime crie : «  Vive l’Italie ! »)

- Discours de M. Viviani -

« A moment où l’Italie apporte sa part de sacrifices à la réalisation de son rêve et à la délivrance humaine, je salue, au nom du gouvernement de la République, la nation italienne dans son inébranlable fermeté.

« D’un bout à l’autre de la péninsule, tout le peuple s’est levé avec l’enthousiasme inhérent à sa noble nature et ainsi, après avoir pendant neuf mois considéré sans fléchir le spectacle de la guerre, il s’est levé, maître de ses destinées, et voulant le rester, dans un sursaut de sa fierté patriotique et dans la révolte de sa probité outragée. Il a acclamé son roi, digne héritier du grand ancêtre qui, avec Cavour et Garibaldi, a fondé l’unité nationale. Il va lutter pour le droit – et M. le Président le rappelait dans son éloquent discours – qui, avec l’art, et avant lui, a été le don le plus magnifique qu’ait fait au monde le génie latin.

« En cette heure exceptionnelle pour l’histoire, la France tourne son regard et son cœur vers cette terre auguste, terre d’héroïsme et de beauté, de son épée, légère encore à sa main robuste, elle salue l’Italie frémissante sous son armure.

« Ainsi, autour de la barbarie moderne, le réseau de fer et de feu se rétrécit, ainsi la victoire préparée se rapproche, ainsi notre fraternité rajeunie va refleurir.

« Fils de la même race, laissons monter à nos lèvres le cri de notre conscience et de notre cœur, le cri unanime, le cri vibrant de : Vive l’Italie !Vive la France !

(Une troisième fois, la Chambre se tourne vers la loge diplomatique et acclame dabs une ovation sans fin l’ambassadeur d’Italie, en répétant les deux dernières invocations de M. René Viviani : Vive l’Italie ! Vive la France !)

A la Chambre hongroise

(Violent discours du comte Tisza contre l’Italie)

Amsterdam, 27 mai. Une dépêche de Budapest donne le résumé suivant du discours du comte Tisza à la Chambre des députés

« Dans son dernier discours, M. Salandra a porté trois accusations contre nous. La première est que l’ultimatum à la Serbie aurait bouleversé l’équilibre des Balkans ; or, il est généralement connu que nous avons déclaré à nos alliés et aux grandes puissances que la monarchie dualiste ne désirait aucune modification territoriale. L’assertion du premier ministre italien est donc un mensonge infâme.

(Une tempête d’applaudissements sur tous les bancs de la Chambre accueille ces paroles)

 « La seconde accusation est que nous avons modifié les sphères d’influence dans les Balkans. Cette assertion n’est guère compréhensible. Certains accords existaient bien visant l’Albanie ; mais, pour les Balkans, nous avons toujours pris comme point de vue qu’il était impossible d’établir aucune distinction de sphères d’influence, que nous avions des intérêts dans toute la région des Balkans, mais que nous ne proclamions aucune hégémonie dans cette région.

« La troisième accusation est que la monarchie austro-hongroise a violé le traité d’alliance en négligeant de s’entendre avec l’Italie

(A ce propos, le comte Tisza rappelle que, seul, l’article 7 du traité fait mention d’un accord préalable avec l’Italie, mais uniquement dans le cas où un changement serait opéré dans le statu quo balkanique)

 « Jusqu’à ces derniers temps, aucun homme d’Etat italien n’a prétendu que la monarchie ait violé le traité en négligeant de conclure un accord préalable avec l’Italie. Dans les conversations et les notes échangées entre la monarchie et l’Italie, pendant plusieurs mois après l’ultimatum à la Serbie, l’idée ne s’est jamais présentée que l’Italie ait considéré l’action austro-hongroise comme une violation du traité.

« Tous les hommes d’Etat italiens déclarèrent cordialement que l’Italie était prête à rester fidèle à son allié, quoique en s’abstenant de prendre une part active à la guerre.

(A ce moment, une grande agitation se produit sur les bancs de la Chambre. M. Tisza lit alors un télégramme du roi d’Italie à l’empereur François-Joseph, en date du 2 août ; puis il continue)

« Le roi d’Italie ne se serait pas exprimé ainsi s’il avait cru que la monarchie austro-hongroise violait le traité d’Italie.

(M. Tisza s’étend ensuite longuement sur les discussions qu s’engagèrent entre Rome et Vienne et au cours desquels la monarchie soutint que le "casus foederis" s’était présenté tandis que l’Italie le niait ; pus il fait le tableau de certaines phrases des négociations au sujet des compensations à donner à l’Italie)

« Nous avons agit en partant du principe que les intérêts vitaux de la monarchie et de l’Italie étaient identiques et que nous devions faire des sacrifices ; mais les contre propositions italiennes ne furent pas acceptables. Nous avons poursuivi les négociations, croyant qu’il serait impossible qu’un Etat se disant civilisé et notre allié nous attaquerait pendant que nous faisions la guerre, d’autant plus que nous lui offrions tout.

« Maintenant plus que jamais, la monarchie austro-hongroise étonnera le monde par la force de son action, par son unité et par sa résolution virile.

« La devise "Moriamur pro rege nostro" est aujourd’hui celle de tous les Hongrois

(Applaudissements prolongés)

« Le peuple hongrois, uni à tous les peuples de la monarchie  et à notre puissant allié, poursuivra cette guerre jusqu’au dernier souffle, contre tous les diables infernaux (tempête d’applaudissements) et nous forcerons le destin à nous donner la victoire.

(Après le discours du comte Tisza, le comte d’Apponyi, parlant au nom du parti de l’indépendance, dit que son parti se réservait le droit de critiquer l’action du gouvernement, mais que l’Italie n’avait pas l’ombre d’une excuse pour son action dans les évènements actuels)