La guerre à travers le récit journalier

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

1ère partie : année 1914

Assassinat de l'Archiduc d'Autriche le 28 Juin

A la suite de l’assassinat de l’Archiduc héritier d’Autriche à Sarajevo le 28 Juin, l’Autriche envoie à la Serbie le 23 Juillet une note verbale ayant le caractère d’un ultimatum et demandant réponse pour le 25 Juillet.

Le 25 Juillet, la réponse serbe est remise à Belgrade à l’ambassadeur. Celui-ci la juge insuffisante et quitte Belgrade.

Dès le 24 Juillet, la Russie avait demandé à Vienne un délai supplémentaire. Mais l’Autriche avait refusé et l’Allemagne avait déclaré, par une démarche auprès des puissances de la Triple Entente, qu’elle appuyait Vienne et que le conflit devait être localisé entre l ‘Autriche et la Serbie.

La Russie slave ne peut laisser écraser la Serbie ; le conflit prend donc de suite une grave tournure. C’est, une fois de plus, l’Allemagne qui veut renouveler le coup de Tanger, le coup d’Agadir et qui, jetant brutalement sa lourde épée dans la balance, veut imposer sa volonté à l’Europe.

Le tsar Nicolas réunit ses ministres et à la fin de conseil prononce ces mots : « Voilà sept ans que cela dure e que nous supportons cela, cette fois c’est fini ». Et la mobilisation partielle russe est ordonnée, à titre de préservation, répondant à la mobilisation partielle autrichienne qui déclare la guerre à la Serbie.

L’Angleterre, La France, l’Italie s’efforcent de trouver un terrain d’entente. L’Allemagne joue une véritable comédie diplomatique se refusant de dire à Vienne le mot apaisant qu’il faudrait.

La situation est si tendue que Poincaré, de retour de Russie, doit renoncer aux visites projetées à Copenhague et à Christiana et il rentre à toute vapeur sur la France débarquant à Dunkerque le Mercredi 29 Juillet.

On apprend que, depuis le Samedi 25 juillet, l’Allemagne s’arme discrètement. Le Vendredi 31, l’empereur décrète l’état dit "de menace de guerre". La mobilisation est générale en Autriche, en Russie, en Belgique et en Suisse.

Ce Vendredi 31 Juillet, l’Allemagne envoie un ultimatum à la Russie et à la France demandant des explications à la Russie sur sa mobilisation et à la France sur l’attitude qu’elle prendrait en cas de conflit Russo-Allemand.

Au Lude

Dès le Jeudi 30 Juillet, les mairies recevaient un avis discret au sujet de la réquisition des chevaux. Nous sommes tous au Lude, bien anxieux et bien nerveux. Le Mercredi 29 au soir, on discute au sujet de l’opportunité qu’il y aurait à aller à Paris. Paulo est "triplette" ; mais papa et maman décident de partir Jeudi à la première heure. Ils reviennent le Jeudi soir ayant voyagés sans incident.

Le 30, l’anxiété augmente mais, aussi grande fut-elle, tout le monde espère. Papa et maman partent le Vendredi 31 pour le Congrès Diocésain.

Mobilisation générale le 1er Août

Le Président de la République et les membres du Gouvernement ont décidé d’adresser l’appel suivant à la Nation Française :

« De puis quelques jours, l’état de l’Europe s’est considérablement aggravé en dépit des efforts de diplomatie.

« L’horizon s’est assombri.

« A l’heure présente, la plupart des nations ont mobilisé leurs forces. Même des pays protégés par la neutralité ont cru devoir prendre cette mesure à titre de précaution.

« Des puissances, dont la législation constitutionnelle ou militaire ne ressemble pas aux nôtres, ont, sans avoir pris un décret de mobilisation, commencé et poursuivi des préparatifs qui équivalent en réalité à la mobilisation même et qui n’en sont que l’exécution anticipée.

«  La France, qui a toujours affirmé ses volontés pacifiques, qui a, dans des jours tragiques, donné à l’Europe des conseils de modération et un vivant exemple de sagesse, qui a multiplié ses efforts pour maintenir la paix du monde, s’est elle-même préparée à toutes éventualités et a pris dès maintenant les premières dispositions indispensables à la sauvegarde de son territoire.

« Mais notre législation ne permet pas de rendre ces préparatifs complets, s’il n’intervient pas un décret de mobilisation.

« Soucieux de sa responsabilité, sentant qu’il manquerait à un devoir sacré s’il laissait les choses en l’état, le Gouvernement vient de prendre le décret qu’impose la situation.

« La mobilisation n’est pas la guerre. Dans les circonstances présentes, elle apparaît au contraire comme le meilleur moyen d’assurer la paix dans l’honneur.

« Fort de son ardent désir d’aboutir à une solution pacifique de la crise, le Gouvernement à l’abri de ces précautions nécessaires, continuera ses efforts diplomatiques et il espère encore réussir.

« Il compte sur le sang-froid de cette noble nation pour qu’elle ne se laisse pas aller à une émotion injustifiée. Il compte sur le patriotisme de tous les Français et sait qu’il n’en est pas un seul qui ne soit prêt à faire son devoir.

« A cette heure, il n’y a plus de partis, il y a la France éternelle, la France pacifique et résolue, il y a la patrie du droit et de la justice, tout entière unie dans le calme, la vigilance et la dignité.

Le Samedi 1er Août, Monsieur de Longthuit vient nous voir ; je suis dans la bibliothèque avec lui et Paul. Il fait beau temps calme avec de légers nuages. Je me décide à sortir et nous allons au bout de la terrasse. Il est 4 heures 30, un domestique arrive en courant, disant que le boulanger vient d’arriver affirmant que l’on mobilise.

Au même moment, on entend sonner l’église de Saint-Sauveur ; Monsieur de Longthuit et Paulo partent précipitamment pour Saint-Sauveur. J’entends l’auto s’éloigner et puis aussitôt le tocsin et le tambour qui bat la générale. Le moment est angoissant au possible, c’est la mobilisation générale, c’est la guerre

Cette horreur, qui l’instant d’avant n’était qu’une menace devient soudainement l’horrible réalité. J’ai sous les yeux cette si jolie vue de la terrasse dont le charme est fait de calme et d’harmonie mais, par-dessus ces grands marais, arrivent de tous côtés, le son du tocsin, Saint-Sauveur puis Rouville, Sainte-Colombe, d’autres plus lointain et il en est ainsi dans toute la France.

Et je songe qu’aux sons de ce tocsin tous les hommes de France vont se lever et courir au feu. Et moi, qui ai 33 ans dont c’est le métier de me battre, je vais rester.

Papa et maman ont été Vendredi 31, après la journée du Congrès, coucher à Granville. La nouvelle de la mobilisation parvient à maman à Granville et à papa à Coutances pendant une séance du Congrès diocésain. Il revient au Lude en auto, lui septième passager dans la voiture de Monsieur Lecomte ; il arrive à 6 heures et demi. Maman rentre au Lude Dimanche soir dans un train bondé de militaires tous joyeux, calmes, surs de vaincre et haïssant les brutes allemandes.

Ces sentiments sont ceux de l’unanimité des Français. Cette guerre ne surprend personne, ce n’est pas une guerre d’offensive, c’est une défensive. L’existence en Europe et en France n’est plus possible avec la perpétuelle menace allemande. Il faut en finir, écraser cette nation odieuse, ces vrais barbares et reprendre L’Alsace Lorraine. Le sentiment de cette nécessité de vie ou de mort fait un bloc de toute la France et fera, peut-être, un bloc d’une grande partie de l’Europe.

La situation ne peut être meilleure pour nous. La fameuse attaque brusque de l’Allemagne ne peut avoir lieu. Nous avons avec nous la Russie et presque sûrement l’Angleterre. L’Italie est neutre et l’appoint serbe est loin d’être négligeable.

Une bonne nouvelle au moins nous parvient Samedi soir : Jaurès a été assassiné. Il revenait d’un congrès socialiste où il avait fait voter le principe de la grève générale en temps de guerre. Même les journaux modérés couvrent, par opportunisme, de fleurs cet homme néfaste qui n’a jamais cessé de combattre tout ce qui fait la force, la grandeur et la cohésion d’un état. Si on avait écouté ses belles théories humanitaires, nous serions aujourd’hui désaimés et livrés à l’Allemagne. Et ainsi ce prétendu grand Français aurait été un des principaux artisans de la destruction de sa patrie.

Son rêve de la paix universelle est magnifique en théorie mais toute l’histoire du monde démontre que, dans la pratique, s’est parfaitement absurde. Il supposerait que, sur toute la surface du globe, les hommes sont tous parfaits sans en excepter un seul.

Dimanche 2 Août

Personne n’a dormi. Plusieurs trains sont passés. Ce soir, à 6 heures, tout service de voyageurs et de denrées sera interrompu. Tout est remis entre les mains de l’autorité militaire.

Nous espérons encore l’impossible mais nous apprenons le soir que …l’Allemagne a déclaré la guerre à la Russie le Samedi 1er Août à 7 heures 30 du soir.

Monsieur de Madame de Longthuit viennent nous dire adieu. Où et quand se reverra-t-on ? Ils partent le lendemain matin pour Dannemarie en auto.

Dans la matinée, Couville vient nous dire adieu. Il a fermé sa laiterie hier soir. Il set navré de n’avoir pas payé le lait, la Société Générale lui a refusé des fonds.

Adieux de Louis qui est mobilisé demain, très crâne.

Lundi 3 Août

                    Déclaration officielle de la neutralité italienne à 8 heures du matin

Papa va conduire son cheval à la réquisition, il est pris. L’état de siège a été proclamé dans toute la France ; défense de circuler de 6 heures du soir à 6 heures du matin même à pied. Des permis de circuler sont délivrés. Tout télégramme dot être visé au départ et à l’arrivée.

Les nouvelles qui nous arrivent le soir sont excellentes. La France est soulevée de patriotisme.

Suivant le mot de Déroulède : « Républicains, monarchistes, socialistes : ce sont des noms de baptême, Français : c’est le nom de famille »

Il passe aujourd’hui vingt sept trains.

Nous apprenons que des espions allemands, déguisés en religieuses, ont été arrêtés à Carentan.

Dépêche nous apprenant que Guy est arrivé à Cherbourg.

Mardi 4 Août

La journée commence, pour nous, dans l’angoisse. Un tamponnement s’est produit dans les bois de Bricquebec : neuf morts, trente six blessés. Nos cœurs se serrent en pensant à ces petits Français. Ils sont morts pour la France quand même mais sans gloire dans un stupide accident.

Réunion des chambres qui votent tous les crédits à l’unanimité, sans même en admettre la discussion.

Union absolue de tous les Français, de tous les partis.

Le gouvernement reporte les récents décrets d’expulsion d’ordres religieux. Vendredi dernier, on expulsait encore des sœurs à Nevers. A cette heure déjà, sans doute, bien des religieux expulsés sont rentrés en France pour être mobilisés.

L’Allemagne nous déclare la guerre à 5 heures 45 du soir.

NOTE OFFICIELLE

L’ambassadeur d’Allemagne a remis au gouvernement français une note dans laquelle son gouvernement l’avait chargé de déclarer à la France qu’il se considérait comme en état de guerre.

L’ambassadeur d’Allemagne n’a invoqué que des faits mensongers pour donner raison à la détermination de son gouvernement, entre autres que quelques aviateurs français auraient survolé Nuremberg.

(coupure de journal)

L’histoire établira les responsabilités. Il serait injuste, il me semble, de méconnaître à l’Autriche le droit d’exiger de la Serbie une éclatante réparation pour le meurtre de l’Archiduc Héritier d’Autriche.

Jusqu’où va la responsabilité de la Serbie dans cet assassinat ? Est-t-il vrai que la cour de Serbie connaissait le complot contre l’Archiduc ?

L’Autriche soutenu par l’Allemagne n’a pas voulu que l’on intervienne dans son règlement de compte avec la Serbie. Elle aurait pu et du le faire et l’arbitrage des puissances aurait au besoin reconnu son absolu bon-droit contre la Serbie.

Déchaîner une guerre européenne dans ces conditions était criminel.

L’Allemagne fait entrer ses troupes dans le Grand-Duché du Luxembourg, violant sa neutralité le lundi 2 Août. Le plan de l’Allemagne semble donc de nous envahir par toute notre frontière du Nord et de marcher sur Paris par la Vallée de l’Oise.

L’incroyable orgueil des pangermanistes n’avait pas pu imaginer que le pygmée belge oserait affronter sa "Kolossale" armée. En agissant ainsi, ils vont contre le veto formel de l’Angleterre et ils savent qu’ils vont dresser contre eux toute la puissance anglaise.

"Quos vult perdere Jupiter demontat"

Il parait évident que l’Allemagne avait compté sans la neutralité de l’Italie, sans la résistance de la Belgique, sans la guerre avec l’Angleterre et qu’elle avait escompté une France pourrie se voyant la pourriture de nos gouvernements.

Note : jusqu’au Jeudi 6 Août, nous avons ignoré la décision de l’Angleterre et étions fort inquiets de ce côté là vu le manque de netteté des premières déclarations anglaises.

Mobilisation générale anglaise de terre et de mer

lundi à minuit

Lundi 3 Août, discours de Sir Edwards Grey

« L’Angleterre entre en guerre si la flotte allemande, soit en passant le Pas de Calais, soit en contournant les îles britanniques par le nord, tente de nous attaquer ou d’inquiéter nos navires de commerce. 

« L’Angleterre entre en guerre si l’Allemagne porte atteinte à la neutralité de la Belgique.

(coupure de journal)

« Forces génératrices de la guerre », dit Barrès ! C’est vrai et c’est sans doute pour cela que Dieu l’a permis et l’a voulu.

Chez tous ces hommes qui partent, chez toutes ces femmes qui restent, on voit l’exaltation de tout ce qui élève l’homme et le rapproche de Dieu. Mourir pour son pays, rien n’est plus beau.

L'Angleterre déclare la guerre à l'Allemagne

Le Mardi 4 Août, l’Angleterre envoie à l’Allemagne un ultimatum la sommant de prendre, avant minuit, vis à vis de la neutralité belge, un engagement identique à celui de la France.

A minuit, n’ayant pas obtenu de réponse, l’Angleterre déclare la guerre à l’Allemagne

Y a du bon

Quelques questions et réflexions de nos domestiques.

  • Edouard m’annonce que l’escadre anglaise est commandée par un amiral à la trahison.
  • Que fait-on quand on voit arriver une balle ? Est-ce qu’un condamné à mort, qui sent l’échafaud, se préoccupe des boulettes de feu que lancent les … Elle croit  qu’on combat deux heures pour deux heures de repos.
  • Eugénie se réjouit qu’il ne fasse pas chaud parce que les soldats n’auront pas soif.

Mercredi 5 Août

Départ de Paulo en auto 8 heures au matin.

Le bon lapin fait tranquillement ses adieux à tout le monde sans oublier personne. Une fois installé dans son auto, il dit à ses enfants : « Regardez encore une fois la bonne figure de papa qui rit ». Et puis l’auto démarre, il ralentit avant de disparaître derrière les massifs et ralentit encore en passant devant la grille ; le pauvre Paulo peut encore apercevoir son pauvre Loup qui pleure.

L’Allemagne déclare la guerre à la Belgique le Mardi 4 Août à 8 heures 30 du soir. L’attitude de la Belgique est admirable. Seule, elle affronte sans sourciller, le premier effort allemand.

du Jeudi 6 au Samedi 8 Août

Nous apprenons seulement Jeudi la nouvelle capitale de la déclaration de guerre anglaise.

Les heures passent bien lentement. Dans de pareils moments, seule l’action et le mouvement sont des ressources et je sens vraiment par moment ma pauvre tête qui m’abandonne. Il faut que je réagisse et que je m’efforce de plus en plus à vivre sans penser.

Un grand nombre de religieux : Dominicains, Jésuites (déjà plus de trois cent cinquante), Franciscains, Frères rentrent en France pour servir. Guy nous écrit que des Franciscains, qui rentraient en France, ont été portés en triomphe à Jeumont. Un Capucin, qui arrivait au dépôt de Cherbourg, a été ovationné quand il est sorti habillé en matelot. Et quand on pense qu’après la guerre ils devront quitter le pays qu’ils viendront de défendre !

6 Août : messe anniversaire de Reichshoffen à la Madeleine.

« En avant, chargez ! Chargez, en avant ! » - voilà les mots qui, hier, se sont envolés de la chaire, lancés par la voix éclatante du prédicateur ardent qu’est le R.P. Hébert

(coupure de journal)

Fausses nouvelles :

Garros et Brindejonc ont chacun défoncé un Zeppelin. Le Goelen et le Breslau seraient capturés. Le Condé aurait sombré dans une lutte contre cinq croiseurs dont il en aurait coulé deux. Des espions, déguisés en religieuses, en prêtres… sont vus, pris et fusillés.

Le Jeudi 6, le 75ème part de Cherbourg au milieu de folles ovations, les soldats couverts de fleurs, le train décoré de guirlandes de fleur et de verdure. Quand il passe à Fresville, il porte des écriteaux : « Train de plaisir, pour Berlin ».

Le Vendredi 7, le 2ème quitte Granville. Les soldats chantaient :

« Marchons aux combats, à la gloire

« Marchons sur les pas de Jésus

« Nous remporterons la victoire

« et la couronne de Guillaume II

Madame de Couville, fort agitée d’avoir entendu dire qu’on voulait faire sauter sa maison, se tient sur ses gardes ; vendredi soir, deux hommes sont vus dans le jardin ; samedi soir, on poursuit les deux individus qui sont pris avec deux fusils à piston. L’histoire est fort obscure. Je crois plus à une mystification qu’à un drame. Mais la pauvre Adrienne, affolée par deux nuits de veille, fusil et revolver au poing, quitte Saint-Sauveur le Dimanche 9. Papa la conduit en auto à Basville-la-Bigot. Elle nous laisse en dépôt son argenterie et intimes !

Les Allemands ont franchi la frontière belge dans la nuit du 3 au 4 et le 4 sont devant Liège. Le 6, ils attaquent violemment les forts qui résistent d’une façon héroïque, arrêtant ainsi l’armée allemande, rendant impossible le passage de la Meuse et, par suite, couvrant une grande partie de notre frontière nord.

Le Vendredi 7, les Français pénètrent en Belgique et les troupes anglaises commencent à débarquer à Calais, Dunkerque et Ostende.

L’offensive de l’aile droite allemande est donc arrêtée et la défensive, de ce côté, pourra peut-être sans tarder passer à l’offensive.

Alors que nous faisons reconduire à la frontière Monsieur de Schoen par train spécial, Monsieur Cambon était indignement traité.

L’Allemagne a renvoyé ignoblement le très honorable M. Jules Cambon, notre ambassadeur ; elle lui a fait payer son voyage, environ 4.500 fr. en or, qu’il a fallu trouver incontinent, sous menace de ne pouvoir sortir.  

(coupure de journal)

du Dimanche 9 au Samedi 15 Août

Le Dimanche 9 est une belle journée ; on apprend la prise d’Altkirch et l’entrée à Mulhouse la veille, 8 Août. C’est un cri d’enthousiasme dans toute la presse et dans toute la France.

« Enfants de l’Alsace, Après quarante-quatre années d’une douloureuse attente, des soldats français foulent à nouveau le sol de votre noble pays. Ils sont les premiers ouvriers de la grande œuvre de la revanche : pour eux, quelle émotion et quelle fierté !

« Pour parfaire cette œuvre, ils ont fait le sacrifice de leur vie ; la nation française unanimement les pousse et, dans les plis de leurs drapeaux, sont inscrits les noms magiques du droit et de la liberté.

« Vive l’Alsace ! Vive la France !

Le général en chef des armées françaises : Joffre

(coupure de journal)

La résistance de Liège continue, les forts tiennent mais ils protègent mal la ville qui est occupée par les Allemands. Ceux-ci passent la Meuse au-dessus de Liège et leurs masses se répandent dans les plaines de l’Hesbaye. On signale des rassemblements considérables dans le Luxembourg et derrière Metz.

Mulhouse était d’une minime importance militaire. Nos avant-gardes qui avaient dépassé la ville doivent se replier sur Altkirch, le Mardi 11 Août. Le contact est étroit avec l’ennemi sur toute la frontière.

La semaine s’achève sans aucune nouvelle ; nous ne savons rien ou presque rien sinon que les mobilisations et les concentrations doivent être terminées et que les grandes opérations ont commencé ou vont commencer.

Les forts de Lège tiennent encore. La France a envoyé sa croix d’honneur à la ville de Liège et la médaille militaire au roi Albert.

Les dépêches circulent très bien mais les lettres très mal, mettant encore cinq jours et plus pour parvenir principalement de la Bretagne.

Le Jeudi 13 à minuit, l’Angleterre et de la France déclarent la guerre à l’Autriche

Maman part Vendredi matin pour aller voir Guy qui est caporal brancardier à Querqueville. Paulo est dans un fort à Paris, à Buc.

La situation au 15 (Samedi)

Nous ne savons rien. Le secret sur les opérations de nos armées est absolu. Ignorance complète sur les mouvements des troupes anglaises. Toutes les prévisions sont possibles. Le seul point inquiétant pour nous est un manque possible de préparation, d’approvisionnements, de munitions… dus à notre misérable gouvernement républicain si hostile à l’armée depuis vingt ans. De ce côté, au contraire, l’armée allemande a certainement tout ce qu’il a été possible de prévoir.

S’il faut en croire les informations des journaux, les Allemands ont envoyé contre nous vingt trois corps d’armée et les Autrichiens cinq. Nous aurions donc cent quarante mille hommes de troupe de première ligne prêts à se ruer sur nous et autant de réserve active.

D’après les journaux, tous les engagements partiels, tous les faits d’armes sont à notre avantage. C’est trop beau sans doute pour être vrai. Ou alors de quelle hauteur tomberait l’armée allemande.

Une action très importante doit être engagée.

Le Goelen et le Breslau se sont rendus dans les Dardanelles ; on apprend avec stupeur qu’ils sont achetés par la Turquie. Cette opération commerciale allemande, faite en temps de guerre, serait à faire mourir de tout autre qu’un

Dimanche 16 Août

La dépêche officielle du 16 Août est angoissante au suprême degré. J’ai la conviction sua nous écraserons ces brutes allemandes et il faut dire que, si ce résultat est atteint, nous ne le paierons jamais trop cher.

Avec les soldats que nous avons, il est impossible que nous ne soyons pas vainqueurs. Ils se ruent sur les Allemands comme on se rue sur d’abominables brigands. Avec de tels hommes, les succès peuvent même être foudroyants. Nos soldats n’ont qu’un seul cœur, qu’un seul élan.

du Lundi 17 au Mardi 18 Août

Plusieurs jeunes-gens de Saint-Sauveur (Balley, Audouard) sont dans le même corps d’armée que Jean. Par Balley, nous savons qu’ils sont à Sedan.

Le Lude

Au Lude, la vie est calme. Jusqu’ici nous avons tout en abondance. Le charbon manque seul à Saint-Sauveur mais nous avons pris à la laiterie deux mille kilos de briquettes. Le beurre est tombé à 0 f50 la livre. Les poulets à 1 f50.

Le moral de tous est bon, celui de papa spécialement. Il ne faut pas se risquer à émettre, devant lui, la moindre inquiétude.

Nous apprenons qu’Edouard a été envoyé de l’Aberwrach à Camaret. Renan, d’abord à Carhaix, va à Crozon. Mon oncle Louis est au dépôt à Brest. Amédé est resté à Angers pour instruire les recrues.

De la libre Parole

« Saluons de nos applaudissements l’heureux geste du généralissime qui, fort heureusement pourvu des pouvoirs nécessaires, a décoré un vigoureux lieutenant de dragons pour avoir donné la chasse, avec sept hommes, à un nombre triple de cavaliers adverses et tué de sa main leur chef. Cette croix nous console de tant d’autres galvaudées à la rémunération de services inavouables !

« Et surtout sachons gré à notre corps d’officiers d’avoir su, en silence, contre vents et marées, contre pacifistes et antimilitaristes, contre les traites même, conserver à la France l’armée dont elle a tant besoin aujourd’hui ! Ce sont eux qui, après la victoire, auront seuls le droit de monter au Capitole »

(coupure de journal)

Ah, combien je souscris à ces mots du général Humbel !

Nous avons remporté un important succès à Dinant et dans toute la frontière d’Alsace, nous avons pénétré de vingt à quarante kilomètres. Nous avons pris des canons, un  drapeau et beaucoup de matériel. Il semble donc que le grand effort allemand s’exercera de Givet à Metz

Mais comment savoir ? Comment Prévoir ? La guerre sera-t-elle longue ? Sera-t-elle courte ? C’est le secret de Dieu.

Si les Français étaient vaincus, comme ils combattent pour l’existence même de leur pays, ils lutteront jusqu’au dernier homme. Si les Allemands sont vaincus, ils lutteront jusqu’à l’écrasement ; l’orgueil et le désespoir devraient les y pousser.

Mais ils montrent chaque jour qu’ils ne sont que des brigands. Il est donc possible que la peur dompte chez eux tout autre sentiment et qu’ils préfèrent la paix la plus honteuse à la résistance désespérée qui leur sauverait un peu d’honneur. Mais quel est l’honneur de ceux qui viennent de vendre le Goelen et le Breslau à la Turquie.

Mort de Pie X le 19 Août

Le billet de Junius

« Je ne sais pas de plus éclatant hommage à la vérité religieuse que l’adjectif dont un des plus anticléricaux de nos ministres a cru devoir accompagner le rétablissement des aumôniers dans la flotte. Il les a qualifiés de "temporaires".

« Temporaires ? Qu’est-ce à dire, sinon que ces prêtres, rappelés sur nos bateaux, sont des ouvriers qui conviennent aux temps où nous sommes, temps de danger et de sacrifice, temps de souffrance et de dévouement. C’est comme si le ministre leur avait crié – malgré lui, puisqu’il reste incroyant et cette restriction le prouve trop - "Nous avons besoin de gens qui supportent, qui obéissent et qui meurent. Vous avez le secret des mots qui suscite ces vertus et qui les exaltent. Venez les prononcer à nos hommes."

« Temporaires ? Qu’est-ce à dire encore sinon que cet appel n’enveloppe aucune promesse, qu’il demeure menaçant même, puisqu’il revendique le droit de congédier de nouveaux ces pauvres prêtres, quand cette terrible crise sera finie. Mais n’est-ce pas là une preuve d’estime d’autant plus haute qu’elle est plus involontaire ? "Il y a une tâche de charité à accomplir. Elle est périlleuse, elle ne sera pas récompensée. Nous comptons bien que vous allez l’accepter" - "Y courir, monsieur le ministre", répondent ces prêtres et ils y courent.

« Le Dieu qu’ils servent veut qu’ils reprennent les postes dont ils avaient été chassés, non seulement sans récrimination mais avec gratitude. Ah ! la noble rentrée et qui nous venge, nous autres catholiques, de tant d’années de persécutions ! Vous voyez bien que nous étions des Français utiles, des Français nécessaires. Vous avez fermé nos couvents, proscrits nos congrégations, confisqués nos palais épiscopaux, affligé notre Pape. Vous nous conviez, dans ces heures tragiques, au service des âmes. Nous ne vous avons jamais demandé que cela. Merci.

« Notre époque, elle ne se lasse pas de s’en vanter, est une époque de science. Or, qu’est-ce donc que la science ? La soumission au fait. Est-il possible que ce fait-là ne frappe pas les pires ennemis de l’Eglise, s’ils sont de bonne foi : à savoir que cette Eglise est par excellence la force dans l’épreuve. Vous le reconnaissez en rouvrant aux aumôniers de terre et de mer les champs de bataille où va pleuvoir la mitraille, les ponts des vaisseaux que les boulets vont balayer. N’en conclurez-vous pas que ces énergies de bienfaisance peuvent être utiles dans d’autres épreuves que celles du fer et du feu.

« Souffrir, obéir, se dévouer, mourir, ces nécessités se rencontrent aussi dans la paix. Elles sont même le quotidien de toute existence. Si l’Eglise est la plus efficace préparatrice à ce viril effort, quand le clairon sonne, pourquoi lui interdire cette même besogne aux heures plus humbles, qui ne sont ni moins douloureuses, ni moins angoissantes ? Vous allez permettre que le marin entende la messe avant le branle-bas de combat. Pourquoi lui refusez-vous cette messe, au cours des longues traversées, quand, perdu entre l’infini du firmament et l’infini des flots, il pense avec détresse au village quitté, à la Bretagne lointaine, à ses parents qui vieillissent ?

« Temporaires ? Non, Monsieur le Ministre, vous n’aurez pas le cœur de débarquer dans six mois, comme des étrangers, ces aumôniers qui auront été les compagnons de la lutte et, j’ose l’espérer de la victoire. Vous ne ferez pas cela, d’abord parce que la France, ayant retrouvé par un miracle le sublime trésor de l’unanimité – quel beau mot et quelle grande chose ! – ne consentira pas à le perdre. Les mesquineries des factions lui feront horreur et, en première ligne, la persécution religieuse.

« Et puis vous-même et vos camarades de parti, vous ne voudrez plus de ces sottises. Vous avez déjà tous été ramenés au sens commun par la présence du danger, - comme disait Taine des soldats de la Révolution -  vous resterez dans le sens commun. Il consiste à ne tarir aucune des sources de la vitalité nationale. La guerre vous montre que la France n’a pas trop de toutes les siennes pour résister à l’envahisseur. Elle n’en aura pas trop non plus pour refaire le sang qu’elle va perdre, même dans le triomphe.

« Je suis tranquille. Vous avez fait rentrer le Christ dans la vieille maison. Il vous sera si secourable que vous ne le laisserez plus partir. Il ne sera pas l’hôte temporaire, étant le seul qui, pour les nations comme pour les individus, ait des paroles éternelles ! » Junius

(coupure de journal)

Magnifique billet de Junius sur les forces immenses que la foi donne à l’homme. Après cette expérience, la république athée pourra-t-elle vivre ? Pourrait-elle chasser de nouveau les aumôniers, expulser les milliers de religieux qui, sans perdre un instant, sont venus en France.

Mon frère était à Marneffe le 1er Août. Il apprit vers 6 heures la mobilisation générale et partit le soir même. A Ertzeline son groupe de Jésuites se fondit avec des religieux Franciscains, Capucins… La ligne était coupée ; ils firent trois kilomètres à pied avec leurs bagages jusqu’à Jeumont, gare frontière française. Là, on fit une ovation à ces religieux proscrits et on porta en triomphe les Franciscains.

du Vendredi 21 au Samedi 22 Août

A 6 heures du matin, naissance au Lude de Hélène, Odile, Marie-Thérèse Le Marois. Baptisée le lendemain 22. Papa va à Urville chercher la sœur Marie-Anna

Les dépêches officielles.

  • En Alsace, le général Pau a remporté un vrai succès et nous occupons la Haute Alsace jusqu’au Rhin que les Allemands ont repassé.
  • En Lorraine, une vigoureuse poussée allemande nous a fait perdre toute notre avance et nous a ramené sur la frontière.
  • En Belgique, nous ne savons rien que des faits qui semblent bien défavorables. Liège et Namur sont investis. Bruxelles est occupée le 20 Août et frappé d’une contribution de deux cents millions. D’importantes armées allemandes se concentrent sur notre frontière Nord, en Belgique.

Où est l’armée anglaise ? Où est l’armée française ? Avons-nous été refoulés après une défaite ? Mystère. Nous ne savons rien. Mais il est bien avéré que les dépêches officielles qui nous renseignent minutieusement sur nos moindres succès, mentionnent à peine ou nous cachent tous nos insuccès.

Il semble que le même système de renseignements officiels règne en Allemagne avec plus d’exagération encore. Ils affirment leurs victoires et pavoisent. Guillaume déclare qu’il va annexer la Belgique. L’armée belge s’est repliée sur Anvers. Comment comprendre que ce retard allemand de plus de quinze jours n’ait pas pu permettre aux forces belges, françaises et anglaises de s’opposer au passage de la Meuse effectué à proximité de camp retranché de Namur et des forts de Liège que, soit disant, ne sont pas encore pris.

A noter toutefois la déclaration du ministre de la guerre que sauf dans une petite enclave près de Longwy il n’y a pas d’Allemands sur notre territoire.

Chaleur accablante.

Dimanche soir 23 Août

Temps superbe.

La situation d’après la dépêche de 9 heures du matin semble plus obscure que jamais. Il semblerait que les armées belge, anglaise et française ont disparu dans une trappe ou bien nous avons machiné un piège colossal et les Allemands courent à un désastre.

Grand-père est toujours très calmement optimiste, maman est très pessimiste avec grande exagération.

André, Admirable Etat Major (Barrès)

 « Au terme de la mobilisation, à la veille de la bataille gigantesque où les intérêts de notre patrie, de la justice et de la civilisation sont étroitement confondus, les Français, chapeau bas, veulent saluer, remercier l’état-major de l’armée.

« Ah ! les bons citoyens, les esprits solides, les vrais savants, les dignes élèves et successeurs de tous nos grands hommes ! Comme ils ont bien travaillé ! Comme ils ont justement méprisé tous ces nigauds de pacifistes qui démoralisaient les courages, en assurant que les bons Allemands ne voulaient pas la guerre ! Comme ils ont courageusement serré leurs rangs sous la mitraille des gens haineux qui les décimaient !

« En ai-je vu jetés à terre par les politiciens de ces courageux officiers ! N’importe ! Sans même relever leurs morts, ils reprenaient la besogne, continuaient à préparer la mobilisation, à la tenir jour par jour en rapport avec les dispositions allemandes.

« Vous rappelez-vous le temps où les politiciens ruinaient le service des renseignements ? Vous rappelez-vous le temps où ils économisaient sur nos approvisionnements ? Vous rappelez-vous le temps où ils faisaient de nos officiers des maîtres d’école bêtas ? Vous rappelez-vous le temps où ils brisaient les meilleurs ?

« Ah ! revoyons-les, avec une joyeuse horreur, les années maudites qui sont bien écoulées ! Que de tapage, que de querelles, de conspirations venimeuses et de bêtises dangereuses ! Combien étions-nous pour dire : "La véritable, la seule affaire, c’est la préparation morale et matérielle de la guerre" ? On nous faisait effrontément l’éloge des Allemands, "ces hommes doux et généreux, méchamment calomniés par une poignée de chauvins et par des Alsaciens-Lorrains, ingrats, tout comblés de faveurs."

« Quand nous dénoncions le plan des pangermanistes, ce rêve, poursuivi avec constance et cent fois vaticiné, de dépecer notre territoire, de détruire notre civilisation et de briser les os de notre race, on haussait les épaules.

« Je ne me rappelle pas les temps abjects pour le plaisir d’y salir ma plume, trop heureuse depuis vingt jours de peindre avec des couleurs d’azur, d’or et d’argent les premiers feux, l’aurore de notre renaissance. Je dis les persécutions que subirent nos officiers du haut commandement et toute l’armée pour marquer d’autant mieux leur mérite réel. On aboyait, ils travaillaient. On les mordait, ils travaillaient.

« Je revois le banc de la Chambre, durant la discussion de loi de trois ans. De quel éclat moral brillaient leurs figures solides et constantes, au milieu des éblouissants bavardages. Par légèreté, par intelligence, par égoïsme de parti, on a essayé alors de nous désarmer. Nous fûmes sauvés par la clairvoyance de ces gens-là. Ils parlèrent peu ou point mais ils avaient réfléchi pendant des années. Et la patrie fut garantie par les hommes politiques qui eurent l’esprit et le cœur de recueillir le fruit de ces longues méditations et de se ranger à la thèse de l’état-major.

« C’est justice que l’on salue les grands serviteurs qui n’ont pas permis que nous fussions livrés au hasard.

«  La patrie remercie cet admirable état-major.

(coupure de journal)

Barrès a bien raison mais notre admirable Etat-Major aurait certes fait une besogne encore beaucoup plus féconde si, à la place des avatars qu’il énumère, il avait trouvé, près de notre gouvernement, aide et appui.

J’admire les beaux et nobles articles de Barrès et de de Mun ; mais je ne puis oublier que l’un et l’autre ont, de leur plein consentement, accepté la république. Combien leur beau talent eut été mieux employé à combattre le régime abject qui n’a jamais cessé de démolir notre armée et la foi catholique, ces deux grandes forces d’où seules nous pouvons aujourd’hui attendre le salut de la France.

Lundi 24 Août

L’attente est lourde, la grande bataille doit être engagée. Nous avons confiance mais quelle angoisse. Jamais le monde n’a vu pareils chocs d’armées. Le cœur de nos vaillants petits soldats vaincra-t-il les orgueilleux soldats du monstrueux Kaiser ?

Un rêve

J’ai rêvé de Jean cette nuit à 3 heures 30 du matin. Je le cherchais dans une foule immense. Il était pâle, égarée ; sa voix était basse et rauque. Je l’ai embrassé, il était bien vivant.

Nous rirons ensemble de mon rêve après la guerre.

Sauvagerie de Monsieur de Schaffenberg

« A cent mètres de l’ennemi, mon cheval tomba, foudroyé, m’en traînant sous lui. Je ressentis une ive douleur à l’épaule droite ; j’avais été atteint. A mes côtés, tomba mon ordonnance ; je le crus tué et m’évanouis.

Peu après, revenu à moi, j’appelai au secours. Un Allemand s’approcha et, voyant qu’il avait affaire à un officier, appela son commandant que je sus depuis être M. de Schaffenberg, des chasseurs de Trêves. Celui-ci passa derrière moi, prit mon revolver d’ordonnance et, à bout portant, me tira une balle qui me traversa l paroi abdominale. Je m’évanouis à nouveau.

Aussitôt et je tiens ces détails de mon ordonnance que je croyais tué mais qui, sitôt à terre, fit le mort, ce qui lui valut la vie sauve, l’officier garda mon revolver, me vola mes jumelles et, fouillant dans mes poches, me prit une somme d’argent de 250 francs en or. IL était alors 11 heures et, juqu’à12 heures 30, je restai à terre sous un soleil de plomb.

A ce moment, je sentis qu’on me tapotait la tête, tandis qu’une voix connue me disait à l’oreille : "Mon lieutenant, êtes-vous mort ?" C’était mon ordonnance que les Allemands, le croyant tué, avaient laissé, non sans lui avoir pris les quelques francs qu’il possédait. Je le priai d’aller chercher une voiture dans le village, ce qu’il fit. Dans une charrette, sur de la paille que coupèrent les paysans de Beuveille, je fus transporté à Longuyon, où je reçus les premiers soins. Et aujourd’hui, me voilà sinon complètement guéri, du moins convalescent, avec l’espoir que, dans quelques semaines, je retournerai sur la ligne de feu »

(coupure de journal)

Succès Serbes et Russes

Nous apprenons une grande victoire serbe à Lownitza et un gros succès russe dans la Prusse Orientale.

Circulaire sur les prisonniers

Le ministre de la guerre prescrit de traiter les prisonniers humains sans plus, à la suite des atrocités allemandes.

Nous apprenons par la dépêche officielle partie de Paris le lundi 24 à 7 heures du matin que la grande Bataille est engagée de Mons à Longwy. Que sortira-t-il de cet épouvantable tourbillon qui, assurément, a commencé hier Dimanche 23 Août ou même Samedi.

Rien ne put rendre la griffe qui nous étreint le cœur au moment où j’écris ces lignes.

La rapidité avec laquelle nous sommes refoulés en Lorraine est incroyable. Espoir, Espoir, mais l’Allemagne a un chef qui, depuis 44 ans, a tout fait pour son armée, tout ce qui est humainement possible. Pendant ce temps, notre pouvoir républicain a tout fait contre notre armée.

Mardi 25 Août

La dépêche officielle est un rude coup et nous passons une soirée bien pénible à la commenter. Le texte est confus. Quel est notre recul ? Nous semblons bien découverts entre Maubeuge et Dunkerque.

Echec de notre offensive sur toute la ligne. Nous nous sommes heurtés à un mur de fer.

Malgré la certitude lucide que j’avais de la puissance de l’armée allemande, basée sur une longue et persévérante préparation, je finissais par me laisser emporter par le mouvement général de tous et par penser que le cœur de nos vaillants petits soldats enlèverait la victoire et remplacerait tout… Rêve. Folie.

Il apparaît déjà que, si notre armée active est égale à la leur, notre territoriale est bien inférieure à la landsturm. L’Allemagne a fait de l’officier le premier citoyen, la France a couvert d’avatars nos malheureux officiers. Aussi nous en avons peu et manquons aussi de sous-officiers pour encadrer nos réserves. L’offensive qui vient d’échouer a pu être préparée longuement, elle a été tentée à pied d’œuvre par l’élite de nos troupes contre une armée déjà loin de ses appuis.

Cet échec prouve la valeur de l’armée allemande. La guerre apparaît pour nous sous un autre aspect. Il s’agit de nous défendre avec acharnement contre une attaque qui s’annonce tout aussi acharnée. L’empire allemand joue son existence. Notre vieille France va jouer la sienne. Puisse chaque Français le comprendre et que Dieu permette que nous ne commettions plus une faute.

C’est une guerre au couteau, une longue guerre qui commence.

Mercredi 26 Août

« C’est d’elle que dépend le sort de la France et de l’Alsace ».

Cette phrase que j’ai relevée dans la dépêche reçue ce soir permet de penser quelle est notre angoisse. La situation générale paraît bien meilleure qu’hier.

Nous apprenons que mon beau-frère, capitaine à la territoriale, a quitté Crozon.

Jeudi 27 Août

Mauvaise dépêche. Tout indique que les Allemands ont réuni des forces écrasantes qui vont déborder notre aile gauche et nous envahir.

Qu’allons-nous leur opposer ?

Impossible de dire un seul mot à papa qui veut vivre seul dans une tour d’ivoire peuplée d’illusions.

On peut cependant regarder la situation en face. La guerre sera longue et acharnée, nous serons partiellement envahis ; mais, avec l’appui de la Russie et de l’Angleterre, l ‘Allemagne sera écrasée, ce n’est pas douteux.

Télégramme du 27 Août

D’une façon générale, notre offensive progresse entre Nancy et les Vosges ; toutefois notre droite a du légèrement se replier dans la région de Saint-Dié.

L’ennemi paraît avoir subi des pertes considérables ; on a trouvé plus de 1500 cadavres dans un espace très restreint.

Dans une tranchée, une section tout entière avait été fauchée par nos obus ; les morts étaient cloués sur place, encore dan la position de mise en joue.

Il se livre dans cette région, depuis trois jours, des combats acharnés qui paraissent dans l’ensemble tourner à notre avantage.

Aucun fait saillant sur la Woëvre où les forces opposées ne semble se recueillir après les combats de ces derniers jours.

Dans le Nord, les lignes franco-anglaises ont été légèrement ramenées en arrière ; la résistance continue. »

(coupure de journal)

Notre armée

Il paraît certain qu’elle est magnifique, nos soldats sont bien les fils de ceux que Napoléon 1er conduisait à travers l’Europe. Mais Napoléon savait préparer la guerre. Ce n’est pas des Allemands que j’ai peur pour notre armée ; mais voilà vingt ans que notre gouvernement républicain tire dans le dos de nos généraux et de notre armée. C’est surtout cela qui me fait peur.

TENIR

A lire plus tard à nos enfants ce noble langage de Monsieur de Mun.

 « Au soir de Waterloo, les aides de camp de Wellington, inquiets, parce qu’ils n’entendaient pas encore le canon de Blücher, entouraient leur général et lui demandaient des ordres. Lui, les yeux fixés sur sa montre, répondit seulement :"Tenir, tenir jusqu’à la mort." Et c’est de ce jour qu’il reçut de ses compatriotes le nom glorieux de duc de Fer.

« Nous pouvons, au lendemain de Charleroi, évoquer, comme un hommage offert à nos alliés, l’exemple qu’ils nous donnèrent, dans les plaines de Belgique, il y a près d’un siècle.

« Tenir, c’est, à l’heure présente, le mot d’ordre national. Hier, j’écrivais que si la bataille restait indécise, ce serait pour nous presque une victoire. Le seul fait que l’échec du mouvement offensif de nos armées n’a entraîné, pour elles, qu’une retraite sur la ligne de couverture, doit être noté, dans notre douleur, comme un sujet de ferme réconfort.

« Et d’abord, avant toute chose, que de tous les cœurs français s’élève un cri de fervente admiration pour les combattants héroïques qui viennent, durant trois jours, de soutenir l’effort colossal de l’ennemi ! Et que ce juste tribut de reconnaissance aille porter aux Anglais, comme à nos propres soldats, les remerciements de la patrie française ! C’est le premier besoin de nos âmes.

« Trois jours ! Songez à ce que doit être une bataille de trois jours, ininterrompue ! Lutte gigantesque et sans précédent ! Les récits, rares encore, qui commencent à arriver, sont unanimes. Nos troupes ont déployé une ardeur magnifique, peut-être même, s’il faut les croire, trop d’emportement.

« Donc, soyons fiers de notre armée et de ses chefs, soyons confiants dans nos alliés. Et que, dans l’amertume de notre espoir déçu, pas une pensée de doute ou de reproche ne vienne déprimer nos cœurs !

« Et puis, regardons l’événement en face. Nous voulions, comme je l’ai indiqué, couper la masse allemande et rejeter sa droite entre la Meuse et la mer. C’eut été une immense et décisive victoire. Nous avons échoué. Mais notre position n’en demeure pas moins très forte. Aucune déroute n’est venue l’ébranler. Nous restons sur la ligne défensive, choisie dès le premier jour. Contre l’invasion qui menace, nous sommes puissamment armés. Derrière cette première ligne, il y a les terrains boisés de la Haute Meuse et, plus loin encore, les fortifications qui couvrent les vallées de l’Oise et de l’Aisne.

« A supposer même que la démonstration de cavalerie et d’artillerie allemande, signalée vers Douai, soit l’indice d’un grand mouvement tournant, tenté sur notre gauche, qui étendrait indéfiniment la droite ennemie, nous avons certainement les moyens de lui barrer la route.

« Ainsi, dans l’épreuve de ce glorieux revers, pas d’affolement, pas d’excès d’inquiétude. Voilà le premier mot que je veux dire. Et le second, c’est celui de l’Iron duke. Quoi qu’il arrive, quelques nouvelles que, tout à l’heure, nous puissions entendre, répétons, sans fléchir, la parole victorieuse : "Tenir, tenir jusqu’à la mort"

« Tenir, parce que, dans ce duel immense où est engagée la vie des nations, la nôtre avant toutes les autres, nous n’avons pas d’autre moyen de salut. La défaillance ne serait pas seulement la honte mais la mort de la patrie. Il faut qu’à cette heure tous les Français soient pénétrés de cette vérité. Il y en a une autre, qui, à la résolution, ajoute la confiance. Si nous savons tenir, tenir coûte que coûte, la victoire finale est certaine.

« L’Allemagne donne contre nous un effort désespéré ; elle jette, hâtivement, sur nos armées, presque toutes ses forces. Mais elle n’en est pas moins encerclée, traquée sur mer par la flotte anglaise qui lui ferme le monde, traquée sur terre par l’armée russe qui, entrant en ligne plus tôt qu’on ne le croyait possible à Berlin, révèle déjà sa marche par une victoire éclatante. Elle est traquée, sans que son alliée, vaincue par les Serbes, puisse lui donner une aide efficace.

« Et nous sommes, nous et les Anglais, à ce poste d’honneur que les Belges ont d’abord occupé magnifiquement. Nous avons mission d’assurer, en nous dévouant, la victoire finale. Voilà la seconde raison pour laquelle il faut tenir.

« Mais allons au bout. Tenir, qu’est-ce que c’est ? Ce n’est pas seulement, pour les soldats, combattre sans trêve et sans faiblesse, combattre jusqu’à la mort. C’est à nous tous, qui que nous soyons, que s’adresse le mot d’ordre national.

« Tenir, cela veut dire que nous qui, loin du champ de bataille, en attendons anxieusement les nouvelles, nous nous raidirons contre toutes les faiblesses, dans la tension d’une inébranlable énergie. Cela veut dire que nous ne permettrons à personne de jeter parmi nous les rumeurs du désastre, que nous répudierons les perfides conseils de la fiévreuse curiosité, que nous nous défendrons des tentations de la critique ignorante et que, confiants dans nos chefs militaires, serrés autour d’eux, comme autour du drapeau, nous ne laisserons pas la défaillance politique se répandre dans nos rangs.

« Tenir, c’est donner cet austère exemple de courage et de fermeté. Le devoir du gouvernement est de l’imposer à tous, par sa propre attitude, par le langage de ses représentants, par le ton de ses communiqués, par la réserve de ses confidences, par la vigueur de ses répressions contre les propagateurs de panique ; et c’est, avant tous, au chef de l’Etat qu’il appartient d’assurer le plein accomplissement de ce devoir patriotique. La vie de la patrie est en jeu : nous donnons sans compter celle de nos fils et, nous-mêmes, tout ce qui nous reste de nos forces. Nous avons le droit d’exiger que ceux qui ont entre leurs mains la garde de la France fassent, tous, sans exception, leur devoir tout entier. 

 ALBERT DE MUN de l’Académie française

(coupure de journal)

Admirable discourt de Lord Kitchener

Lord Kitchener a déclaré mardi à la 8ème Chambre des Lords :

« Plus de 70 bataillons sont déjà enrôlés pour faire du service à l’étranger et, quand ils seront entraînés et organisés pour la guerre en corps d’armée, ils pourront aller sur le front.

« Nous avons déjà la centaine de mille d’hommes que nous demandions, ils seront organisés en divisions.

« Nous avons ensuite les réserves nationales et spéciales qui joueront un rôle dans la défense du pays.

« L’Allemagne a appelé sous les drapeaux presque toute sa population mâle. Ses forces subiront une diminution constante, tandis que les renforts iront en augmentant de façon continue jusqu’à ce que nous ayons en campagne une armée qui, comme quantité et comme qualité, soit à la hauteur des responsabilités de l’empire britannique.

« L’armée qui est actuellement en voie de formation peut assez rapidement atteindre, en campagne, l’effectif permanent d’un certain nombre de divisions.

« Tandis que les Indes, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande envoient d’importants contingents, les réserves de l’Angleterre répondent loyalement à l’appel au devoir. »

(coupure de journal)

Nouvelles de Jean

Nous avons de Jean une carte postale du Mercredi 20 Août de Philippeville. Il était le Jeudi près de Dinant (nouvelles Balley). Il était Samedi en bonne santé, des blessés arrivés à Granville l’ont vu.

L’honneur belge

L’acte héroïque de la Belgique, luttant à 1 contre 100 contre l’invasion allemande restera éternellement à la gloire de ce petit pays.

Ils pouvaient céder devant une inégalité aussi écrasante. Ils se sont donc battus pour l’honneur, ont tout sacrifié à l’honneur. Et ils ont bien fait car un peuple ne paye jamais trop cher pour exalter son honneur. Et la gloire si pure que les Belges ont acquis demeurera impérissable à travers l’histoire.

Meilleures nouvelles. Les Allemands ont du bien souffrir pour ne pas prononcer plus vivement leur offensive. Mais celle-ci ne peut tarder et sera acharnée.

Nous apprenons la mort de Roger de Ferré, mort à Nomeny le 20 Août, tué raide d’une balle entre les deux yeux.

Sur la Meuse

Nos troupes ont repoussé avec une extrême vigueur plusieurs attaques allemandes. Un drapeau a été pris. Les tropes belges de la défense de Namur et le régiment français qui les appuyait, ont rejoint nos lignes.

Dans le Nord

L’armée anglaise, attaquée par des forces très supérieures en nombre, a du, après une brillante résistance, se reporter un peu en arrière. A sa droite, nos armées ont maintenu leur position.

En Belgique

L’armée d’Anvers, par son offensive, a attiré et retenu devant elle plusieurs divisions allemandes.

Dans les Vosges

Nos troupes ont repris l’offensive et refoulé les forces allemandes qui les avaient hier fait reculer du côté de Saint-Dié, ville ouverte.

Dans la région entre les Vosges et Nancy

Notre offensive est ininterrompue depuis cinq jours. Les pertes allemandes sont considérables. On a trouvé au sud-est de Nancy, sur un front de trois kilomètres, 2500 morts allemands. Dans la région de Vitrimont, sur un front de quatre kilomètres, 4500 morts.

Longwy

Longwy, très vieille forteresse dont la garnison ne comportait qu’un bataillon, bombardée depuis le 3 Août, a capitulé aujourd’hui, après avoir tenu 24 jours. Plus de la moitié de l’effectif est tué ou blessé. Le lieutenant-colonel Darche, gouverneur de Longwy, est nommé officier de la Légion d’Honneur pour conduite héroïque dans la défense de Longwy.

(coupure de journal)

Samedi 29 Août

Je note ici nos impressions de chaque jour, nos craintes et nos espoirs. Je ne sais ce qu’il faut comprendre de la dépêche de ce soir que je trouve rédigée en termes criminels. Et la proclamation n’est pas faite pour diminuer l’effet de ces mots effrayants : « De la Somme aux Vosges… les Forces Allemandes paraissent avoir ralenti leur marche. »

Si les Allemands ont atteint la Somme, quels mensonges indignes que les dépêches de ces jours derniers.

On peut voir par mes réflexions du 27 que je redoutais le débordement de notre aile gauche ; mais une invasion aussi foudroyante, ce n’est pas possible car alors ce serait bien juste si, avec toutes nos forces, nous pouvions un peu ralentir la marche allemande. Dans ce cas, nous nous trouverions en présence d’une organisation et d’une force militaire tellement supérieure qu ce serait la fin de tout.

Vraiment tout ceci est incompréhensible. Nous savons bien peu de choses et tout jugement sérieux est impossible. Mais le fait est là. Nous reculons sans arrêt, sans autre succès que de reculer en bon ordre.

Et cependant d’après les journaux les Allemands sont des lâches, ils tirent mal, leurs obus n’éclatent pas et, dans tous les comptes-rendus que nous avons, nous leur tuons deux hommes pour un et notre artillerie vaut dix fois la leur.

Alors ???

Avons-nous donc tous les Autrichiens contre nous ?

Enfin reculer en bon ordre suffit pour permettre aux immenses ressources russes et anglaises d’entrer peu à peu en action.

Le ministère est changé. Voilà Millerand, un homme à la guerre. Quant aux autres, le moins qu’on puisse dire de ce ramassis de jean-foutres c’est que l’on est surpris de voir un ministère de défense nationale composé presque exclusivement de socialistes unifiés, c’est à dire internationalistes. La guerre actuelle démontre cependant assez l’ineptie de leurs doctrines.

Proclamation du Gouvernement

Le Gouvernement adresse à la Nation la proclamation suivante :

« Français !

« Le Gouvernement vient de prendre possession de son poste d’honneur et de combat ; le pays sait qu’il peut compter sur sa vigilance, sur son énergie et que, de toute son âme, il se donne à sa défense.

« Le Gouvernement sait qu’il peut compter sur le pays ; ses fils répandent leur sang pour la Patrie et la Liberté, aux côtés des héroïques armées belges et anglaises. Ils reçoivent sans trembler le plus formidable ouragan de fer et de feu qui ait jamais été déchaîné sur un peuple et tous se tiennent droits. Gloire à eux ! Gloire aux vivants et aux morts ! Les hommes tombent, la Nation continue. Grâce à tant d’héroïsme, la victoire finale est assurée ! Un combat se livre, capital certes mais no décisif. Qu’elle qu’en soit l’issue, la lutte continuera.

« La France n’est pas la proie facile que s’est imaginée l’insolence de l’ennemi.

« Français ! le devoir est tragique, mais il est simple : repousser l’envahisseur, le poursuivre, sauver de sa souillure notre sol et de son étreinte la liberté, tenir tant qu’il le faudra, jusqu’au bout, aussi nos esprits et nos âmes au-dessus du péril, rester maîtres de notre destin.

« Pendant ce temps, nos alliés Russes marchent d’un pas décidé vers la capitale de l’Allemagne, que l’anxiété gagne, et infligent des revers multiples à des troupes qui se replient.

« Nous demanderons au pays tous les sacrifices, toutes les ressources qu’il peut fournir en hommes et en énergie. Soyez donc fermes et résolus, que la vie nationale, aidée par des mesures financières et administratives, ne soit pas suspendue. Ayons confiance en nous-mêmes ; oublions tout ce qui n’est pas la patrie. Face à la frontière ! Nous avons la méthode et la volonté, nous aurons la victoire »

(coupure de journal)

Télégramme du 29 Août

Sur mer, on confirme que trois croiseurs allemands dont le Mainz et le Cola ont été détruits par l’escadre anglaise. Ces deux croiseurs ont été lancés en 1909. Ils ont 4350 tonnes de déplacement, leur pont cuirassé a une épaisseur de 50/50 mm ; leur vitesse maximum atteint 26 à 27 nœuds ; ils sont armés de 12 canons de 105 m/m, de deux tubes lance-torpilles ; leur équipage se compose de 13 officiers et 347 hommes.

En Prusse Orientale, l’armée russe a inverti complètement Königsberg et s’est emparée d’Alensteim. Les troupes  allemandes sont en retraite.

En Galicie, les combats commencés le 26 Août, du côté de Lemberg, se sont transformés en une bataille générale sur un front de plus de 300 kilomètres.

(coupure de journal)

Dimanche 30 Août

Millerand rappelle les territoriaux, les réserves et la classe 1914.

Triste dépêche nous montrant une situation encore plus aggravée qu’hier. La marche en avant foudroyante des Allemands est à peine croyable si l’on n'admet pas de lourdes fautes du commandement ou des ravitaillements. Je ne sais ce qu’il arrivera. Dieu sait si je hais les Prussiens mais vraiment ce sont des brutes courageuses ces hommes qui marchent en avant sans arrêt, piétinant sans cesser les corps de leurs morts.

Nous ne comprenons rien à l’enchevêtrement de nos armées ; si elles sont restées en bon ordre, peut-être sera-t-il possible de couper en deux la colonne infernale allemande.

Télégramme du 30 Août

En Lorraine, la progression de nos forces s’est accentuée. Nous sommes maîtres de la ligne de la Mortagne et notre droite avance. Rien à signaler sur le front de la Meuse. Une violente action a eu lieu hier, dans la région de Lannoy, Signy-l’Abbaye, Norvion-Porcien, sans résultat décisif. L’attaque reprendra demain. A notre aile gauche, une véritable bataille a été menée par quatre de nos corps d’armée. La droite de ces quatre corps prenant l’offensive a repoussé sur Guise et à l’Est une attaque conduite par le dixième corps allemand et la garde qui ont subi des pertes considérables. La gauche a été moins heureuse : des forces allemandes progressent dans la direction de la Fère.

(coupure de journal)

Le fusil automatique allemand, tout nouveau, ainsi que leurs mitrailleuses semblent remarquables.

Les 24-25-26-27-28-29-30, temps splendide. Sécheresse qui doit favoriser les transports de l’artillerie lourde allemande qui est une de ses grandes supériorités sur nous.

Lundi 31 Août

En effet, rien n’est moins mystérieux que le plan d’invasion que l’Allemagne développe à cette heure. Tous, avant le début de la guerre, nous le connaissions ; il n’était donc pas possible que notre état-major l’ignorât. On prévoyait que la neutralité de la Belgique serait violée, que les Allemands tenteraient de descendre par la vallée de l’Oise jusque sous Paris. »                           BON SENS

De deux choses l’une, ou nos grands chefs ignorent des vérités qu’un enfant possède ou nous-mêmes nous n’entendons rien à la stratégie, à ses secrets, à ses combinaisons, à sa patience, à ses pièges. C’est le devoir de tout bon Français de croire que cette idée-là est la vraie et nous y rallions. »

(coupure de journal)

Rôle de la Presse

Nous lisons tous les jours l’Echo de Paris, Le Matin, la Libre Parole, le Petit Journal, le Petit Parisien, l’Action Française et souvent l’Excel soir et la Revue Hebdomadaire.

L’attitude de tous ces journaux est parfaite. Leur lecture constitue toujours un réconfort. Leur langage est énergique et plein de confiance faisant ressortir que la France est loin d’être réduite et qu’elle n’est que l’une des trois forces liguées contre l’Allemagne.

Mais, par suite de l’obscurité et de la fausseté évidente des dépêches officielles, la presse se retrouve souvent dans une situation fausse. Elle use, par exemple, confiance et crédit quand on s’aperçoit que les Allemands nous envahissaient pendant que tous ces journaux, trompés comme nous, prétextaient, affirmaient, juraient qu’il n’y avait rien que quelques uhlans déjà dispersés.

Après cela que croire, que penser des courtes dépêches pitoyables et sans suite ?

A quoi bon tuer la confiance pour dissimuler pendant deux ou trois jours des évènements qui seront forcément connus.