Mission au Mexique

Année 1913

Révolution Mexicaine

Agenda d’Henri MORIZE

du 1er Janvier au 31 Mars

et

Correspondance

d’Henri MORIZE à son épouse, Madeleine, née Prat

Réalisation effectuée par Philippe Morize, leur petit-fils.

Au cours de la mission au Mexique de mon grand-père, Henri Morize, Ingénieur des Mines, représentant la Compagnie des Forges Aciéries de la Marine et d’Homécourt, une Révolution menée par les généraux Félix Diaz, Mondragon et Reyès (ce dernier y trouvera la mort dès le premier jour) contre le Président Madero éclata le dimanche 9 Février ; cette révolution se transforma très vite en guerre civile à Mexico ; s’y affrontèrent les troupes gouvernementales et les "félicistes" menés par les généraux Félix Diaz et Huerta pour le Peuple mexicain. Après la reddition du Président Madero le 18 Février et l’exécution de ce dernier le soir même, le Général Huerta fût nommé Président intérimaire le 22 Février, le Général Mondragon deviendra par la suite Ministre de la guerre.

Mon grand-père vécut en direct les évènements qui se produisirent dans le centre ville où il se retrouva bloqué avec d’autres européens et prit de brèves notes journalières dans les agendas qu’il nous a laissés et précieusement conservés par notre grand’mère Madeleine Morize jusqu’à sa mort.

Je vous livre ici cet agenda tel qu’il fut écrit ainsi que le récit de ces journées dramatiques,  que j’ai pu extraire de sa correspondance.

A G E N D A

1913

1er Trimestre


SOUVENIRS  JOURNALIERS

Paris - Mercredi 1er Janvier 1913

Différence d’heure entre Mexico et Paris : l’heure légale de Mexico est en retard de 6 heures 25 sur l’heure légale de Paris.

Lundi 20 Janvier

Départ de Paris (Orsay) à 9h10 (soir)

Mardi 21 Janvier  (à bord du « Navarre »)

Départ de Saint-Nazaire à 5h50 du soir sur le paquebot "Le Navarre" de la Cie Transatlantique.

Sortie des jetées à 6h50, soir. Mouillage sur rade jusqu’à minuit 10 à cause de la marée basse et échouage. Clair de lune. Mer agitée.

Mercredi 22 Janvier

Beaucoup de mer, temps froid, pluie. Santander à 5h du soir. Départ à minuit.

Jeudi 23 Janvier

Belle matinée, sans nuage. Longue houle. On longe côte nord d’Espagne, très montagneuse.

La Coragne à 2h½ de l’après-midi, départ à 6h¾ du soir. Embarquement de nombreux émigrants. Dans la nuit, Feux du Cap Finistère.

Mer très agitée après le Cap.

Vendredi 24 Janvier

Latitude 41° 59 nord

Longitude 16° 55 ouest

Distance parcourue dans les 24 heures : 292 milles.

Mer agitée, beau temps. On donne les places à table. Les mouettes nous quittent peu à peu.

10h soir, le bateau entre dans un paquet de brume, pendant 1 heure environ.

Samedi 25 Janvier

Latitude 40° 04 nord

Longitude 24° 21 ouest

Distance parcourue dans les 24 heures : 357 milles.

Mer agitée. Temps pluvieux.

Embruns à l’avant du pont. Plusieurs marsouins. Encore quelques mouettes.

1ère distribution du Journal de l’Atlantique.

Dimanche 26 Janvier

Coup de mer à 3h du matin. Mer houleuse et agitée. Temps pluvieux.

Traversée des Açores entre Terceira et Fayol au nord et San Miguel au sud.

Servi messe du P. Ronstan à 8h½.

Envoyé radiogramme à mère à 10h

Laissé les Açores à 1h après-midi. Mer houleuse. Temps brumeux. Fort tangage.

Lundi 27 Janvier

Temps pluvieux le matin. Longue houle. Beau temps vers midi. Vent, mer agitée, forte bande sur bâbord, tangage et roulis.

Temps pluvieux et froid le soir. Toujours quelques mouettes

Mardi 28 Janvier

Ecrit à Madeleine.

Mercredi 29 Janvier

Ecrit à Madeleine.

Jeudi 30 Janvier

Fort Roulis.

Vendredi 31 Janvier

Ecrit à Madeleine.

Samedi 1er Février

Temps merveilleux, mer assez calme. Chaleur, Premiers poissons volants.

Ecrit à Madeleine.

Ecrit à Henriette.

Dimanche 2 Février

Ecrit à papa.

Mardi 4 Février

Escale à La Havane.

Envoyé lettres à Madeleine, papa, Henriette.

Envoyé cartes postales, dont une au Capitaine Roy et une à mon parrain.

Vendredi 7 Février

Arrivée à VeraCruz à 6h du matin. Débarqué à 8h½.

Descendu à l’hôtel Diligencias. Carabine retenue en douane, contre reçu.

Reçu télégramme de M. Roux à l’arrivée du bateau.

Envoyé :    lettre à Madeleine (2) à Rochette.

                  télégramme à Madame Roux.

                  cartes postales.

Samedi 8 Février

Quitté VeraCruz à 6h du matin par le ferrocari Mexicano.

Arrivé à Mexico à 7h du soir.

Descendu à l’hôtel St Francis, avenida Juarez – 105, chez Mr Peraldi.

Dimanche 9 Février

Révolution à Mexico, depuis 7h du matin (Felix Diaz contre Madero)

A 10h30 fusillade devant l’hôtel ; impossible de sortir. Une balle perdue traverse le toit de l’hôtel et est retrouvée dans une chambre.

A 11h, Rochette téléphone de Tracubaya qu’il ne peut venir ; ni voiture, ni tramway.

A 5h du soir, envoyé câblogramme à la Compagnie : « Arrivé pleine émeute ».

A 5h¼, vive fusillade appuyée par artillerie, à la citadelle, pendant 5 minutes. Puis silence définitif, troublé par rares coups de fusils isolés.

Résultats approximativement connus : Général Mondragon et Félix Diaz sont à la tête du mouvement et occupent la citadelle avec beaucoup d’artillerie. Président Madero tient dans le Palais national. Général Royès a été tué le matin sur le Zocalo. Plusieurs bureaux de journaux anti-gouvernementaux ont été saccagés et incendiés. Colonel Hernandez est fidèle à Madero.

On attend dans la nuit le Général Blanquet et ses troupes, venant de Monterrey (gouvernemental).

Lundi 10 Février

Nuit sans incident. Les troupes de Blanquet sont à Mexico. Les tramways ne circulent toujours pas. Quelques coups de fusils isolés.

Nouvelles contradictions et incertitude. La légation a fait prévenir qu’il était dangereux de circuler dans les rues. La plupart des magasins et les bureaux sont fermés. Les maisons étrangères ont arboré les pavillons nationaux.

A midi, téléphoné à Madame Roux.

A 3h, on annonce que le Président Madero va démissionner. Les ministres étrangers lui ont demandé collectivement sa démission.

Toujours la même tranquillité depuis ce matin. Visite de Eugène Vincent, puis arrivée de Mr Kostrowisky. Nous allons tous trois au câble.

A 4h½ soir, télégraphié à la Compagnie : « Mondragon, Diaz, chefs mouvement sont indécis »

Revenu a l’hôtel avec Eugène Vincent.

A 5h½, arrivée de Mme Roux avec Mr et Mme Sterfield et une autre dame.

A 6h, Rochette me téléphone de Tacutaya.

Mme Roux m’apporte lettre de Madeleine, arrivée le 6 à Villa des Roses.

Mardi 11 Février

8h matin. Tout est tranquille. La circulation semble avoir repris.

9h, arrivée de Rochette à l’hôtel. Il était au courant de ce qui se préparait. La venue du Général Blanquet de Mordos était une fausse nouvelle.

9h½, nous partons au câble avec Rochette.

10h, avant d’arriver au câble, fusillade sur l’Almeda, les mitrailleuses fédéralistes, sur le Théâtre National, entrent en action. Nous nous réfugions dans une maison (photographie Daguerre). Cinq minutes après, tout paraissant calme, nous sortons et remontons vers l’hôtel. Surpris par nouvelle fusillade sur Avenida Juarez. Nous nous réfugions dans une maison à Esquina Dolorès et y restons jusqu’à midi passé. Fusillade, mitraillades, canonnade. On a lancé les « Rurales » à l’assaut de la Citadelle, ils sont repoussés avec des pertes énormes.

Nous gagnons le Cercle français. Vu un rural blessé à l’épaule, un cheval blanc sans cavalier.

Très bien accueilli au Cercle français. Le combat reprend dans les rues et dure 8 heures.

Téléphoné à l’hôtel St Francis pour tranquilliser. Rochette fait prévenir sa femme qu’il ne peut rentrer à Tacubaya.

8h½ soir, on me téléphone de l’hôtel que je puis tenter de revenir. Au Cercle, on me déconseille.

Couché avec Rochette à l’hôtel de la Paix.

Mercredi 12 Février

7h¼ du matin. Rochette me quitte pour rentrer à Tacubaya.

7h½, combat reprend. Citadelle canonne le Théâtre National et la Poste (me dit-on).

11h matin : sorti avec 2 Français. Personne au consulat. Les Rurales empêchent d’arriver au Zocalo. Un obus est tombé sur la Emeralda, ce qui prouve que la Citadelle a tiré sur le Palais National.

Interruption du feu jusqu’à 2h.Les ministres étrangers, couverts par drapeau blanc, sont allés au Palais demander au président Madero des garanties pour les étrangers. Ils ont été reçus, dit-on, avec hauteur.

Les nouvelles sont contradictoires, on ne sait rien. On craint l’intervention américaine.

Combat violent reprend, un cheval vient mourir au milieu de Avenido 5 de Mayo. La citadelle semble attaquée d’un autre côté.

A 5h, je vais au câble avec 2 Français. Pas de câble arrivé pour moi.

Câblé à la Compagnie : « Violents combats rues. Vie interrompue ».

Téléphone Ericson ne marche plus depuis ce matin, ni la poste, ni le télégraphe national.

Couché sur un canapé du Cercle.

Jeudi 13 Février

Quelques coups de feu dans la nuit.

8h du matin. Combat reprend, très violent. Rues désertes. Les chevaux morts continuent à pourrir au soleil. Téléphone Ericson ne marche toujours pas. Les nouvelles sont rares et contradictoires. Plusieurs maisons de quartier sont endommagées par l’artillerie.

A midi, tenté de regagner l’hôtel St Francis ; arrivé à une quadra du Caballito, je ne peux passer ; grêle de balles. Je retourne au Cercle.

A 6h du soir, je tente encore de rejoindre l’hôtel St Francis. Nuit tombée, cessation du feu. J’arrive à l’hôtel.

L’hôtel est complètement fermé. Plus de lumière électrique : on s’éclaire avec des bougies piquées sur des bouteilles. 2 balles ont pénétré dans l’hôtel. Un hôte a été blessé. Madame Roux est repartie à San-Angel avec les dames qui l’accompagnaient.

Vendredi 14 Février

Nuit tranquille. Quelques coups de feu. Combat reprend au matin, sans interruption jusqu’à midi. Aucune nouvelle précise.

A midi, les Peraldi nous préviennent qu’en cas d’intervention leur hôtel ne serait pas sûr et qu’ils partiront tous demain matin pour VeraCruz. Avec Monsieur Lecomte-Denis nous décidons de nous rendre demain au petit jour à San-Angel.

A 2h, on me téléphone du Cercle français où Rochette m’a demandé. On l’a mandé au Palais National : que doit-il faire ? Je donne ordre qu’il n’y aille pas.

Toujours des nouvelles fantaisistes. Impossible de téléphoner à San-Angel.

Le soir, exode de l’hôtel : des familles entières gagnent la gare, dans la nuit, après la cessation du combat, pour descendre à VeraCruz où on attend les navires de guerre américains.

Maigre dîner sans pain.

Samedi 15 Février

On annonce armistice jusqu’à 2h du matin. La ville s’anime.

A 11h, je vais à la légation : quartier endommagé. Vu un "rurale" tué. La maison de Madero a sauté et a flambé.

Le chargé d’affaires, Mr Ayguesparsse est au Cercle français.

Revenu du Cercle français. Le chargé d’affaires prend des mesures de sécurité. Il accepte que je me rende à la légation avec mon révolver.

Eté à N.D. de Lourdes à 1h. Téléphoné au Père Roustan qui est avec le Père Rousselon au Collège. Décliné leur invitation à dîner.

Rentré déjeuner. A 2h, canonnade reprend. Armistice violé. Mort subite, chez Mr Petit-Bon, d’un Français, Monsieur Nogaret.

Envoyé chercher télégramme de la Cie au câble.

Répondu par câble à la Compagnie (7h½). : « Abri légation »

Impossible me rendre à la légation. Vu au Cercle, le consul, Mr Bourgeois, auquel la Cie a télégraphié.

Lundi 17 Février

Même situation.

Depuis le 15, la censure s’exerce sur les télégrammes.

A 4h, le Général Blanquet arrive avec ses troupes et campe sur le Zocalo. Le président Madero les passe en revue.

Monsieur Lecomte-Denis me prête 20 piastres. Le soir on nous annonce que les Zapatistes sont arrivés à Santa-Fé.

J’apprends que les lettres fermées restent en souffrance, à cause de la censure et que la poste ne fait partir que les cartes ouvertes.

Mardi 18 Février

Matinée relativement calme, circulation un peu plus intense. On parle d’un armistice de 48 heures, mais tout le monde est sceptique car le canon tonne de temps à autre.

On nous annonce qu’un Français vient de mourir d’une crise cardiaque, comme dimanche Mr Nogaret.

A 3h, le bruit court que Madero a été fait prisonnier et que la révolution est terminée. Je suis sceptique.

Vers 4h, on entend les cloches sonner à toute volée. Je cours au Cercle où se trouve le Chargé d’Affaires. Il nous apprend :

1°) que Blanquet s’est retourné contre Madero et l’a fait prisonnier au Palais National.

2°) que Huerta a arrêté Gustavo Madero au Gambrinus.

3°) que Huerta demande aux Ministres étrangers d’intervenir auprès de Diaz pour qu’il se rende.

Enthousiasme populaire. Les troupes félicistes sont acclamées. Le Chargé d’Affaires conseille la prudence et de ne pas sortir encore.

Envoyé câblogramme à la Cie (7h½) : « Madero prisonnier. Censure »

Le consul me dit que Mondragon sera ministre dans le nouveau gouvernement.

Mercredi 19 Février

Le matin, visite de la citadelle où j’ai fait passer ma carte au Général Mondragon. Pas vu le général mais vu son fils aîné Manuel.

Le consul me présente à Mr Block.

Le soir au Cercle, Monsieur Block me présente à Monsieur le Général……….., Chef du département de la Marine, sorti du Palais National à 2h de l’après-midi et prisonnier sur parole.

Gustave Madero a été fusillé dans la nuit précédente.

Sur les murs, sont placardées des affiches de Diaz et Huerta « Al pueblo mexicano ».

Jeudi 20 Février

Envoyé lettres à Madeleine (3) Louis et Henriette (2).

A 5h, envoyé câblogramme à la Cie : « Apaisement, Mondragon ministre guerre. Prévenez Rochette bien ».

A 9h, Mr Block, (Thiriet, Block et Cie) représentant de Sauter, vient me voir et m’emmène à son bureau. Il me présente à Armand Delille et à Thournuy-Marthe. Il me dit qu’il désire représentation de notre Cie et me montre 2 lettres lui annonçant qu’il à 99 chances sur 100 de l’obtenir (lettres de janvier 1912).

Déjeuné avec Rochette. Vu le défilé, dans San Francisco, des combattants de la citadelle.

Reçu lettres de Madeleine (2) Henriette (1) Louis Sandrin (1) et carte de Pommier (du Havre).

Dimanche 23 Février

Au lever, appris par Mme Roux la mort de Francisco Madero et de Pino Suarez.

Déjeuner à Corpoucan chez Mr B…… Brigadier Forestier.

En mon absence, reçu la visite du Colonel Hernandez.

Lundi 24 Février

Eté à 8h¼ au Ministère de la Guerre. Vu le Général Mondragon et José Mondragon. Pris rendez-vous avec eux pour ce soir 3h à Tacubaya.

Payé ma cotisation au Cercle Français.

Eté à 3h à Tacubaya. Le Général n’était pas revenu déjeuner. Rendu visite aux Rochette.

Eté à 4h½ au Ministère de la Guerre. Vu le Général à 6h¼ du soir. Il me demande l’objet de mon voyage à Mexico et me parle de commandes nouvelles. Mais il ne me semble pas pressé de faire venir les canons de 240. Il me dit de m’entendre avec son frère José.

Mardi 25 Février

Câblé à la Cie pour demande de prix et pour faire venir immédiatement les freins des 80.

A 5h, vu Mr Schroeder ; allés ensemble au ministère de la Guerre. Le général nous donne rendez-vous chez lui, à Tacubaya, à 8h du soir.

A 8h du soir, été à Tacubaya, chez le Général. Trouvé là Schroeder et José. Le Général arrive à 10h du soir. Il nous raconte ses exploits… Il demande à Schroeder de lui envoyer officiellement les prix de :

- 8 batteries de 75 de Cgne

- 5 batteries de mortiers de Mgne de 80

- 20 000 cartouches complètes de mortier 80

- 20 000 shrapnels de 75 m/m  (sans étuis)

- 20 000 shrapnels de 80 m/m (sans étuis)

Reçu lettres de Madeleine (4, 5, 6) – mère – Henriette. Carte de Geneviève.

Mercredi 26 Février

A midi, me suis rencontré avec Schroeder et José Montragon.

N’ayant pas de réponse de la Compagnie, j’ai donné des prix, le Général étant extrêmement pressé de les avoir.

Jeudi 27 Février

Reçu câble de la Compagnie, répondant à ma dépêche du 25.

Allé chez Schroeder pour modifier les prix indiqués hier, suivant les renseignements envoyés par la Cie. (Les prix indiqués hier venaient d’être envoyés officiellement au Ministère).

Impossible de rencontrer José.

Envoyé lettre à Madeleine (4)

Les journaux commencent une campagne en faveur du réarmement de Salina-Cruz.

Vendredi 28 Février

9h matin : Bernard Vincent me téléphone pour me demander de le présenter à Mondragon.

Jeudi 6 Mars

Eté voir Général M. à 8h du matin à Tacubaya. L’ai accompagné dans son auto jusqu’au Ministère.

Obtenu du Gal l’autorisation écrite de visiter l’arsenal et de le faire visiter à M……… ancien officier de la marine britannique et à Eugène Vincent. Visite arsenal le matin. Vu le Lt-Cl Dominguez et le Gal Davila.

Eté chez Mr. Schroeder. Mr Lecomte me prévient qu’un officier a été à nouveau envoyé par le Gal Rubio Navarette pour avoir les prix de la batterie à 4 canons. On en ignore la composition exacte.

A 1h, été au Ministère pour demander au Gal Mondragon des renseignements sur cette demande de Navarette. Le Ministre part sans m’avoir reçu.

Vu Hernandez au Ministère.

Câblé à la Compagnie pour avoir des prix afin de parer à toute éventualité.

Envoyé lettre à Madeleine (5)

Dimanche 9 Mars

Câblé à la Cie.

Eté à la messe de 11h à N.D. de Lourdes.

Déjeuné à San-Angel avec MM. Lecomte-Denis et Kostrowisky.

Le matin, en mon absence, Rochette est venu me prévenir que le Général Mondragon m’attendait à Tacubaya dans l’après-midi. Eté voir Gal à 5h½ ; il dormait. Vu son frère José, chez les Teresa : il me dit que les contrats vont être signés. Je lui indique officieusement 234 000 Frs pour prix de Bie à la pièce et lui en indique la composition.

Eté voir les Rochette à Tacubaya.

Lundi 10 Mars

Parti le matin avec M. A. Reynaud qui retourne en France. Eté voir ensemble M. Andragues, directeur de la Cie Bancaria de Paris y Mexico.

Payé ma note chez les Peraldi (hôtel  St Francis). Eté chez Schroeder, vu MM. Lecomte et Schroeder.

Déjeuné avec Kostrowisky, Lecomte – Denis, Docteur Hamon du Fougeroy.

Vu M. José Mondragon à 4h après-midi. Il me dit qu’il est indispensable que j’aille immédiatement déposer les prix de 75 m/m chez M. Schroeder.

Reçu câble de la Compagnie. Envoyé réponse télégraphique à la Cie.

Reçu lettres de Madeleine (7 et 8) - de Paul.

Eté présenté par B. Vincent à M. Regagnon directeur du "Courrier du Mexique".

Mardi 11 Mars

Appelé par téléphone chez Schroeder pour donner prix de la forge et de l’affût de rechange. Les voitures seront à déduire de 2 Bies sur 3.

A 1h, vu Schroeder et José Mondragon. Je dois leur indiquer un prix :

- Forge ……………...                                       6 000 Frs

- Affût de rechange…                                       9 500 Frs

Le soir, accompagné à la gare M. Lecomte-Denis qui retourne en France. Vu à la gare Lucien Bertaut.

Le Docteur Hamon du Fougeroy me demande de le présenter au Gal Mondragon.

Mercredi 12 Mars

Appelé par téléphone chez Schroeder, à midi, pour donner les prix du chariot de batterie et de la fourragère. Je ne veux pas et ne peux pas les donner.

Déjeuné chez les Bernard Vincent, avec le Père Maurice et Eugène.

Vu M. Pinson (il me dit que la banque Schroeder ne fera aucune opération avec le nouveau Ministre des Finances). Vu Armand Delille.

Vu Gal Mondragon au Ministère, à 4h, avec M. Schroeder. Il me dit encore de ne pas m’inquiéter des demandes réitérées de Rubio Navarette. Il demande à notre représentant de câbler à la Cie pour obtenir que le 1er terme du paiement soit reporté après signature du contrat et paiement par ¼.

Reçu câble de la Cie. Envoyé à la Cie lettre et câble.

Jeudi 13 Mars

Eté voir Monsieur Ayguesparsse à la Légation. Me suis présenté à M. Lefaivre.

Eté pour rendre visite au Colonel et à Madame Hernandez : leur maison est déménagée.

Vu Monsieur Schroeder. Il a reçu réponse à son câble : paiement par quarts, le 1er un mois après la signature du contrat, le 2e huit mois après.

Reçu câble de la Compagnie (très tard – 9h soir).

Vendredi 14 Mars

Eté indiquer à Schroeder les prix de forge, chariot de Bie, fourragère, affût de rechange, cartouche de 75 et de 80 (à midi).

Déjeuner au Cercle français. Eté voir Rochette à la Maetranza pour lui demander de me faire envoyer des munitions au Cercle pour la conférence de demain soir. Vu Colonel Mendez, directeur de la Maetranza.

Eté au Ministère de la Guerre avec Rochette ; à 6h, Gal Mondragon absent, Gal Navarette absent. Vu le Colonel Herrera, s/chef du département de l’Artillerie.

Envoyé lettre à Madeleine (6) et journaux.

Samedi 15 Mars

Préparé conférence de ce soir, sur l’Artillerie de Campagne française.

Rochette me téléphone que sa femme est souffrante, alitée.

A 9h du soir, fait ma conférence au Cercle français, sous les auspices de l’Alliance Française.

Reçu lettre de Madeleine (9 et 10) de papa.

Reçu mot de M. Ayguesparsse m’envoyant lettre de papa arrivée à la Légation et m’invitant à déjeuner lundi, 1h, chez Sylvain.

Reçu câble de la Cie.

Dimanche 16 Mars

Eté à la messe de 11h à N.D. de Lourdes.

Déjeuné chez les Bernard Vincent. Les Bernard m’emmènent aux Toros où l’on donne Carmen, à 3h, avec corrida.

A 6h, été à la Légation avec les Bernard pour déposer un mot à M. Ayguesparsse.

A 7h, été voir Général Mondragon chez les Teresa. Il désire que Schneider ne soit pas nettement stipulé dans le contrat. Il me fait prévoir qu’il y aura retard à signature du contrat. Gal Rubio Navarette est chez les Téresa, mais le Gal Mondragon préfère que je ne l’aborde pas.

A 7h¾, été prendre des nouvelles de Madame Rochette.

Lundi 17 Mars

Envoyé câble à la Compagnie. Eté déjeuner à 1h chez Sylvain avec M. Ayguesparsse.

Eté voir chez Schroeder s’il y a du nouveau.

Eté au "Courrier du Mexique". Bernard me remet 3 exemplaires de son journal (compte-rendu de la conférence). Il me demande de parler au Gal Mondragon de son article sur "La Reconnaissance du nouveau Gouvernement par les puissances".

Samedi 22 Mars

Envoyé lettre à Madeleine (7) et Journal.

Dimanche 23 Mars

Envoyé lettre à Henriette (4)

Mardi 25 Mars

Reçu lettres de la Compagnie (des 28 février et 4 mars).

Jeudi 27 Mars

Envoyé lettre à Madeleine (8)

Lundi 31 Mars

Reçu lettres de Madeleine (13 et 14).

A G E N D A

1913

2ème Trimestre


SOUVENIRS  JOURNALIERS

Mexico

Jeudi 3 Avril

Nom indien de la Turquoise mexicaine : Chalchihuitl (signifie : bleu)

Nom indien de la déesse des eaux : Chalchihuitlcuetl (signifie : jupe bleue)

Samedi 3 Mai

Départ pour Paraiso Vovillero à 8 h 10 soir avec Eugène.

Accompagnés à la gare par Paulette, Bernard, Le Corbeiller.

Dimanche 4 Mai

Réveil à Orizaba à 5 h ½. Promenade dans Orizaba. Messe. Déjeuner à l’hôtel Diligencias. Retour à la gare au pas de course. Départ à 7 h matin.

Vue splendide du Ric d’Orizaba.

Cordoba. Départ à 8 h 40 par chemin de fer de l’isthme.

9 h ¼ : croisé troupe de ruraux en révolte. Longé la chaîne de la Sierra Madre. Belle végétation, quelques palmiers, rios, nombreuses bananeraies.

10 h : Motzorongo. Grande fabrique de sucre. Vallée de cannes à sucre entre contreforts de montagne très boisés. Ilzonapa. Vallée s’élargit, nature devient de plus en plus riche. Brousse, puis steppe avec bestiaux.

11 h 50 : Tierra Blanca, village en bois. Déjeuner à l’hôtel chinois, avec thé glacé. (patio ravissant). T = 33° dans le pavillon à l’ombre avec courant d’air.

1 h : Départ. 1 h ½ - Vista Itermosa : on attend longuement le passage du train remontant ; enfin un soupir de tortillard au loin.

Dimanche 29 Juin

Déjeuner officiel offert à Chapultépec : Lieutenant-Colonel Grovas (s/directeur de la Marine),Orygueparosa, Marcel Block.

Mardi 1er Juillet

Déjeuner officiel offert chez Sylvain : Regagnon (directeur du Courrier du Mexique), Galland, Vernard Vincent.

Copie des lettres de sa Compagnie reçues à Mexico

Lettre N°1:

Cie des Forges Aciéries de la Marine et d’Homécourt

SOCIETE ANONYME – CAPITAL 28 MILLIONS

Service de l’Artillerie                                                                                    Paris, le 2 Avril 1913

6 avenue du Coq

PARIS 9e

-²-

Téléphone 109-38

Cher Monsieur Morize,

D’abord merci de vos cartes et puis excusez-moi de n’avoir pas répondu plutôt.

J’ai partagé vous n’en doutez pas les inquiétudes de tous lors des évènements récents, sans pour cela perdre la confiance nécessaire. J’ai du reste à ce sujet eu l’occasion d’exprimer mon avis à Madame Morize et j’en suis heureux les évènements m’ont entièrement donné raison.

Je vous adresse personnellement tous les compliments pour les excellents résultats obtenus. Le colonel H. n’est pas encore arrivé et le sera je l’espère depuis quelque temps déjà lorsque cette lettre vous parviendra.

M. Bareuil est en Russie, Dangoisse en congé depuis le 1er Février suit un traitement à Barbery (Oise). Je souhaite qu’il en retire bon profit pour lui et sa femme qui je crois attend un bébé. Il est donc regrettable qu’un bon secrétaire comme lui soit ainsi affligé. Je ne sais malheureusement quand il pourra reprendre son service, je souhaite que Dieu lui sauve la santé.

Je pense que maintenant vous profitez agréablement du séjour, Je ne doute pas que vous soyez cependant désireux de rentrer le plus tôt possible.

Que devient l’armement des côtes.

Que sont devenus tous les officiers que j’ai connus.

A tous faites mes amitiés et surtout n’oubliez pas de présenter mes meilleurs sentiments au Général Mondragon.

Bonne chance toujours et bon retour, pour vous d’abord mais aussi et j’en suis sûr pour Madame Morize et vos bébés.

Bien amicalement à vous.

ROY.

Lettre n° 2 en provenance de la Compagnie (sans en-tête)

Paris le 15 Avril 1913

Mon cher Morize,

Vous devez nous trouver bien laconiques. Je pense que, malgré cela, vous ne doutez pas de l’intérêt qu’on attache ici à vos négociations.

Nous voilà, grâce à vous et au Général Mondragon, en possession d’une belle commande qui va nous permettre de traiter d’égal à égal avec le Creusot qui, jusqu’à ces derniers temps, nous reprochait de ne rien apporter à la communauté.

Nous aurons bien quelques difficultés pour l’exécution. Mais j’espère que vous aurez pu obtenir des délais raisonnables.

Je m’étonne un peu de ne pas encore avoir reçu des copies du contrat qui a été signé, d’après vos télégrammes le 23 ou le 24 Mars.

J’attends cela pour préparer le partage avec le Creusot.

Pour le 240, tout paraît bien marcher, nous allons toucher ces jours-ci le 3e tiers et je pense que nous aurons d’ici peu la permission d’expédier car Saint-Chamond se plaint beaucoup d’être encombré.

Pensez aussi aux accessoires du 240 : wagonnets etc. …

Nous savions que Schroeder n’était pas en odeur de sainteté auprès de la Légation de France, mais nous n’aurions pas cru que l’animosité de nos diplomates fût aussi justifiée, sans quoi, Mr Laurent eût évidemment hésité à remplacer Lemantour par notre agent actuel.

Mr votre père m’a dit que vous étiez arrivé là-bas juste pour voir … (illisible) Félix Diaz par Huerta et Mondragon et que vous avez pris le lendemain de votre arrivée un cliché ultra précieux dont je pense que vous aurez offert quelques épreuves au Ministre de la Guerre. Vous me feriez bien plaisir en m’en réservant une à votre retour en France.

J’ai un autre petit service à vous demander. Voulez vous penser à me réserver quelques timbres pour mes neveux et nièces.

Vous aurez droit à toute leur gratitude et à ma propre reconnaissance.

Bien à vous, mon cher Morize et à bientôt j’espère. Vous ne serez pas de trop avenue du Coq !

Lebegigun. ?

J’ai reçu ce matin votre télégramme réclamant pour le Directeur de l’arsenal la nomenclature de poids et la table de tir du 240. Ces documents partent ce soir.

Récit extrait de sa correspondance

HOTEL ST. FRANCIS.

Avenida Juarez 105

Mexico City - Dimanche 9 Février

C’est à coups de canons, de fusils et de mitrailleuses, que Mexico a salué ma venue. Malheureusement, ce ne sont pas des réjouissances : il y a ce soir plusieurs centaines de morts et de blessés. Le soleil vient de descendre derrière l’Ajusco, dans un de ces merveilleux couchers qui mettent des tons incroyables et féeriques sur toutes les choses et pendant qu’il mourait dans la splendeur du ciel, un dernier et furieux tonnerre fauchait combien d’assaillants devant la citadelle, à 500 mètres d’ici.

Maintenant, c’est la nuit et le silence sur une ville morte. Nous n’avons que de vagues nouvelles des évènements de la journée ; depuis ce matin, il nous a été impossible de nous écarter de l’hôtel : je n’ai même pu aller à la messe et j’ai eu du mal à faire porter aux bureaux du câble un télégramme à la Compagnie.

En attendant, voici la suite de mon journal de route :

Vendredi : "La Navarre" entre à 6h du matin dans le port de Vera Cruz ; 8h½, nous débarquons à quai. A la douane, visite de mes bagages : on saisit ma carabine et mes cartouches et on les garde contre reçu. Je me procure une chambre à l’Hôtel Diligencias, malheureusement, il n’y en a plus donnant sur le Zocalo. Après déjeuner, je parcours Vera Cruz en remuant les souvenirs d’il y a cinq ans, sous le soleil torride ; je revois la cathédrale, le port, l’alameda avec ses palmiers et j’attends la chute du jour sur le Zocalo qui se garnit d’oiseaux.

Samedi : Le "Norte" s’est mis à souffler et je reçois au visage des paquets de sable en gagnant la gare dans la nuit : il est 5h ½ du matin. A 6h, le train quitte Vera Cruz ; le soleil se lève dans un ciel très nuageux. Pendant une heure, nous courons dans une sorte de brousse, le pays est plat, sablonneux, desséché, l’herbe est brûlée ; quelques palmiers et de petits arbres aux branches tourmentées. Un peu avant Soledad, le terrain s’accidente un peu : un rio coule au fond d’une étroite vallée sinueuse.

7h - Soledad. On aperçoit en avant la chaîne des montagnes dont les cimes sont perdues dans les nuages ; le pic d’Orizaba reste invisible.

8h - Passo del Macho, au pied des montagnes ; à la station de nombreux marchands indiens viennent offrir leurs denrées aux voyageurs. La végétation devient luxuriante, prend des aspects de forêt vierge ; de distance en distance, au milieu du fouillis des palmiers, des orangers, des bananiers, une hutte couverte de longues feuilles sèches ; la fumée sort par tous les interstices car il n’y a pas de cheminée ; des indiennes au rebozo bleu fané, des hommes avec la longue machette pendue au côté nous regardent passer. L’eau coule partout, en torrents, en cascades, dans les barancas étranglées et profondes. Le temps est de plus en plus couvert. Le train entre dans la montagne, ralentit sa marche, halète, serpente au flanc des pentes, traverse en tunnels des éperons de rochers. Voici Atoyac, après lequel un pont nous fait traverser une immense baranca. Dans les forêts, j’aperçois quantité de fleurs aux vives couleurs et des parasites aux arbres. Pasaje Nuevo, avec ses tiendas grandes ouvertes et une boucherie peu appétissante en plein air.

9h¾ - Cordoba, où j’aperçois les premiers « rurales » : canne à sucre, bambous, yuccas. Un quart d’heure après, Fortin où les Indiens vous offrent surtout des fleurs. Puis le train contourne à flanc de coteau une profonde vallée, la traverse sur un pont, revient sur l’autre versant, nous amène à Orizaba, dominé par le Cerro del Borgo. Dès lors, le pays nous est connu à tous deux. Du vaste cirque où se trouve l’hacienda de Santa Roza, nous nous élevons par les splendides canadas jusqu’à un second cirque où se trouve la station de Maltrata. Puis nous grimpons encore aux parois du cirque, nous entrons dans les nuages, il fait froid, je dois remettre mon manteau. A Alta Luz, je retrouve toutes ces Indiennes qui viennent à la file offrir des tortillas, du pulque, des oranges, des bananes. Dans un brouillard à couper au couteau, nous continuons jusqu’à Esperanza où se livre le classique assaut au buffet pour goûter à un menu fantastique. Maintenant, nous sommes sur le plateau de l’Anahuac ; les brumes se fondent peu à peu pour nous laisser voir la désolation du désert. Enfin les magueys paraissent, s’étendent à perde de vue jusqu’aux montagnes qui bornent l’horizon, mettent des points verts en semis régulier sur l’aridité jaune.

15h½ - Apizaco où se fabriquent les cannes mexicaines et les voyageurs pour Puebla nous quittent. Plus loin, c’est Otumba, dont le nom seul nous donne un léger frisson : il n’y a pas huit jours, les Zapatistes y ont arrêté un train pour le piller : il y a eu 25 morts… et des femmes enlevées ! Peu après, c’est Teotihuacan, avec ses deux grandes pyramides sur la droite.

La nuit s’est faite ; nous approchons de Mexico car aux stations les agents des hôtels montent pour faire de la réclame auprès des voyageurs. Pour ma part, j’ai décidé depuis longtemps de descendre à l’hôtel Saint Francis, tenu par les frères de Monsieur Peraldi.

19h - Le train arrive à Mexico et sur le quai je trouve Eugène Vincent, déjà venu à ma rencontre au train du matin ; sa tante Henriette l’a prévenu de mon arrivée et j’affirme que je n’aurais jamais cru avoir tant de plaisir à revoir ce brave garçon.

Après dîner à l’hôtel St Francis, nous allons, Monsieur Lecomte-Denis et moi, fumer une cigarette jusqu’au Zocalo… Il est 21h et le lendemain à 7h ce doit être le massacre à cette même place !

Dimanche : J’achevais ma toilette, vers 8h½ ce matin, quand Monsieur Peraldi est entré, bouleversé, dans ma chambre : « La révolution est à Mexico. Les généraux Félix Diaz, Mondragon et Reyès ont soulevé une partie de l’armée contre le gouvernement du Président Madero. Il y a 500 morts sur le Zocalo et Reyès a été tué. Personne ne peut circuler dans les rues ». (Le vieux général Reyès était bien connu à Saint-Chamond et au Creusot).

Je dois avouer que j’ai entendu dire tant de mal du nouveau gouvernement qui, depuis deux ans, entretient l’anarchie au Mexique, que je me suis instinctivement rangé du côté des révolutionnaires.

Descendu au patio, je vis que les devantures de l’hôtel étaient restées fermées et que les hôtes ne passaient que prudemment la tête par la porte entrebâillée. Quelques coups de fusils, parfois un crépitement de mitrailleuse s’entendaient au loin. L’Avenida Juarez et le Pasco de la Reforma étaient déserts. (L’hôtel St Francis est situé en haut de l’Avenida Juarez, sur la place où se trouve la statue équestre de Charles III, le « Caballito » et d’où part le Pasco qui aboutit à Chapultépec).

A 10h½, je faisais les cent pas devant l’hôtel, quand je vis déboucher d’une rue adjacente un civil brandissant un sabre et monté sur un cheval harnaché à l’ordonnance ; (j’ai su depuis que c’était Félix Diaz) ; Plusieurs officiers le suivaient, parmi lesquels Mondragon. Ils s’arrêtèrent au pied du Caballito et tinrent conseil. Je profitai de cette station pour aller chercher mon appareil de photo et je tirai un cliché… historique.  Des troupes de toutes armes, avec des canons de Saint-Chamond, les rejoignirent bientôt et ouvrirent le feu dans la rue d’où elles venaient ; aussitôt nous rentrâmes dans l’hôtel, comme des lapins dans leur trou. Ayant arrêté sans doute une poursuite, toute cette horde s’engouffra dans la Calle Bucarelli, se dirigeant vers la Citadelle contre laquelle nous entendîmes ouvrir un feu d’assez courte durée.

Une demi-heure après, tandis que Rochette me téléphonait de Tacubaya qu’il ne pouvait venir me voir, tout service de tramways et de voitures étant arrêté, nouveau passage de troupes devant l’hôtel et nouvelle fusillade.

L’après-midi s’est toute entière passée dans l’attente de nouvelles, sur le trottoir devant l’hôtel dans un bon bain de soleil. Plus de coups de feu ; la ville est silencieuse et déserte ; seules de nombreuses autos avec les pavillons de la Croix Rouge passent à toute allure, emportant parfois un blessé. Et, naturellement, le Buen Tono en profite pour faire circuler ses grosses voitures avec chacune quatre à six drapeaux à la croix de Genève.

Vers le soir, on disait déjà que des pourparlers étaient engagés entre les Félicistes et le gouvernement, quand, du côté de la citadelle, éclate pendant cinq minutes une vive fusillade appuyée par l’artillerie. Puis, c’est la nuit rapide et le silence, troublé seulement par de rares coups de fusils isolés.

Une balle perdue a crevé le toit de l’hôtel et a été retrouvée aux étages supérieurs.

Dimanche 9 Février

Ce soir, la situation est la même qu’hier soir et elle menace de s’éterniser plusieurs jours. Le caractère mexicain n’est même pas modifié par les évènements graves : c’est toujours le pays du « mana na ». La tranquillité de la ville n’a été troublée, toute la journée, que par de rares coups de feu isolés. Cependant, les tramways n’ont pas circulé ; les magasins, les bureaux et les banques sont restés fermés ; les maisons étrangères ont arboré les pavillons nationaux ; la Légation a fait prévenir les Français qu’ils devraient s’abstenir autant que possible de circuler dans les rues. Malgré tout, la vie renaît peu à peu, la circulation est devenue de plus en plus intense.

Ici, où, à l’hôtel Saint Francis, est venue se réfugier Madame Roux avec trois dames, on peut craindre quelque projectile mal dirigé, mais là-bas, à Saint Angel, on semble avoir une immense terreur de l’apparition des bandits de Zapata et de Genoveva de la O (quel nom !) ; ces deux brigands insaisissables deviennent légendaires : on en menace les enfants méchants… mais ce sont aussi les Croquemitaines des grandes personnes.

Voici les nouvelles que j’ai obtenues aujourd’hui sur la révolution :

Hier matin, au petit jour, le Général Mondragon s’est mis à la tête d’un régiment d’artillerie et de plusieurs régiments de cavalerie tenant garnison à Tacubaya et a marché sur la ville. Là, ses troupes furent grossies par des bataillons d’infanterie, des sections de mitrailleuses, les élèves de l’Ecole Militaire, le personnel de l’Arsenal. Mondragon se dirigea immédiatement sur la prison de Santiago, du côté de Guadalupe et délivra le général Reyès ; puis il se porta à la Penitenceria  Militar où était détenu le général Félix Diaz depuis le coup de Vera Cruz et le mit en liberté. Tous se rendirent alors au Palais National, dont la garde était pour eux. Mais le Commandant de la Place, le Général Villar, et le Ministre de la Guerre survinrent à temps pour rallier la garde au Gouvernement, tandis que le Colonel Hernandez, sous-directeur de l’Ecole Militaire, haranguait ses élèves et en ramenait la plus grande partie du côté gouvernemental. Ces défections imprévues contrecarrèrent les plans des révolutionnaires qui, voulant quand même forcer les portes du Palais, furent reçues par des feux de salves qui couchèrent plusieurs centaines de morts (300 à 500) sur le Zocalo, soldats et curieux. Reyès fut frappé un des premiers d’une balle au front. Déçus dans leur espérance de s’emparer du Palais sans coup férir, les révolutionnaires se retirèrent par l’avenida Cinco de Payo, l’Alameda, l’avenida de Los Hombres Illustres, le Caballito, la calle Bucarelli et arrivèrent devant la citadelle commandée par le général Davila. (A mon premier voyage Davila était colonel et dirigeait la poudrerie de Santa-Fé ; j’ai déjeuné un jour chez lui avec Mondragon). Sommé de se rendre, le brave général répondit qu’il lutterait jusqu’à la mort : deux coups de canon eurent raison de son courage et il arbora le drapeau blanc. Maîtres de la citadelle et du quartier voisin, les révolutionnaires s’emparèrent de la prison de Belem (c’est le combat que nous avons entendu hier au coucher du soleil).

Et maintenant que se passe-t-il ? Pourquoi n’y a-t-il pas eu de combat aujourd’hui ? Les troupes révolutionnaires tiennent la citadelle, les troupes restées fidèles le Palais National. Les nouvelles les plus contradictoires circulent : on dit que des pourparlers sont engagés entre Diaz et Madero, mais qu’ils ne peuvent s’entendre, chacun demandant à l’autre de capituler, on dit qu’ils se coffrent réciproquement leurs émissaires envoyés pour parlementer ; on dit que le Gouvernement appelle des troupes des provinces et que les généraux Angelès et Blanquet arrivent de Cuernavaca et de Tobuca à marches forcées ; on dit que le général Huerta, commandant des forces gouvernementales, a combiné un plan savant et qu’il va bien suffire de deux heures pour prendre la citadelle… etc. … En attendant, ce qui est le plus à craindre est peut-être un soulèvement de la populace ; hier déjà, quelques gens sans aveu ont pillé et brûlé les journaux catholiques et anti-gouvernementaux.

Quant à moi, je n’ai pu avoir mes bagages, restés à la gare, et mon col et mes manchettes ne sont plus de première fraîcheur. J’essaye de remonter le moral de la famille Peraldi, verte de peur. A midi, j’ai téléphoné à Madame Roux, qui m’avait envoyé un télégramme sur "La Navarre", à Vera Cruz, pour me demander de la prévenir de mon arrivée à Mexico ; naturellement, pour l’instant, je ne puis songer à gagner San Angel, à moins que ce soit à pied et en faisant un immense détour. Vers 4h, j’ai reçu la visite d’Eugène Vincent ; nous sommes allés ensemble au câble, où j’ai mis un nouveau télégramme à la Compagnie ; Eugène a dû me prêter de l’argent mexicain, car jusqu’ici je n’ai pu changer. Lui est maintenant employé dans une agence de Transports Maritimes ; son frère Bernard, que je n’ai pas encore vu (d’ailleurs je n’ai vu personne, pas même le Père Maurice) est rédacteur au "Courrier du Mexique". Revenu à l’hôtel avec Eugène, je vois arriver Madame Roux à 5h½, en auto, avec trois dames.

CERCLE FRANÇAIS de Mexico

Mercredi 12 Février

Depuis hier, midi ½, me voici bouclé au Cercle Français, ne sachant quand j’en pourrai sortir pour regagner mon hôtel. Les évènements ont subitement repris une tournure aigre et la situation menace de s’éterniser. Mondragon et Diaz ont été trop lents le premier jour : ils ont remis le coup décisif au lendemain et le Gouvernement a eu le temps de renforcer ses troupes en appelant des "rurales" de tous côtés. Les révolutionnaires sont bien fortifiés dans le quartier de la citadelle, ils ont des vivres et des munitions pour de longs jours ; mais, comme ils ne tentent aucune sortie, il n’y a plus de raison pour que cela finisse. En attendant, mon linge tourne à la couleur Isabelle et je suis pauvre comme Job, n’ayant pu trouver à changer un sou d’argent français. Ce qui me navre le plus, c’est que vous êtes peut-être tous inquiets de mon sort si les journaux français vous rapportent des nouvelles de la révolution. Ah ! Si je pouvais vous dire en ce moment de ne pas vous tourmenter !

Voici, sommairement, ce qui s’est passé ces deux jours-ci :

Mardi, 8hdu matin - Tout est tranquille, la circulation est assez intense mais les tramways ne marchent toujours pas. 9h, je fais les cent pas devant l’hôtel quand je vois arriver Rochette en voiture. 9h¾, je pars avec Rochette pour aller voir au câble s’il n’y a rien pour moi, car on ne distribue plus en ville ni lettres ni télégrammes. 10h, nous atteignons l’extrémité de l’Alameda, en face du Théâtre National (qui est toujours inachevé), quand des coups de feu éclatent et des balles tombent sur la chaussée de l’Avenida Juarez. Les voitures détalent au galop, les passants se réfugient dans les maisons ; (ici, on ignore les sommations avant de tirer). Avec Rochette, nous entrons dans la Photographie Daguerre, où précisément s’est jadis réfugié dans une émeute le général Reyès, et où dimanche dernier s’est abrité le Président Madero. Le calme renaît au bout de cinq minutes, nous sortons et remontons rapidement vers l’hôtel. Arrivés un peu plus haut que l’esquina de Dolorès, nous voyons des cavaliers déboucher sur l’Avenida Juarez, devant nous et mettre vivement pied à terre ; je pense qu’ils vont tirer ; machine arrière et au trot, et nous nous engouffrons tous deux dans la première porte que nous trouvons ouverte. Pendant deux heures, c’est une fusillade et une canonnade ininterrompues ; les mitrailleuses des troupes gouvernementales, installées sur le Théâtre National, tirent sur la citadelle qui les prend à partie avec son artillerie. J’ai appris ensuite qu’on avait fait charger les "rurales" contre la citadelle (quelle tactique !) et que ce fut une boucherie.

Vers midi ½, le combat semble s’éloigner, nous gagnons vivement le Cercle Français situé près de Cinco de Mayo, dans une rue perpendiculaire et à deux pas du consulat. Nous sommes accueillis à bras ouverts et on nous offre à déjeuner. En route, j’ai vu un "rurale" démonté et tout couvert de poussière, debout, immobile et les bras croisés, à l’entrée de San Francisco : une balle lui avait traversé l’épaule et un filet de sang coulait lentement sur lui jusqu’à terre ; il attendait qu’une voiture de la Croix-Rouge passât par là. Plus loin, un cheval sans cavalier, avec le coquet harnachement des "rurales" trottinait au hasard, une balle dans les fesses et le sang tombant jusqu’à ses sabots. Et des brancardiers passaient, emportant des blessés.

Le combat a duré huit heures, tantôt d’un côté de la citadelle, tantôt d’un autre ; puis on n’entendait plus que, de temps en temps, un coup de canon ou un coup de fusil isolé. La nuit tombée, on nous déconseilla de tenter de regagner l’hôtel Saint Francis. Nous avons couché à l’hôtel de la Paix, à côté du Cercle, où nous avons trouvé seulement une chambre à deux lits pour six piastres. J’avais pu téléphoner dans la journée à l’hôtel Saint Francis pour tranquilliser sur mon sort, et Rochette avait réussi à grand’peine à faire prévenir sa femme par quelqu’un de Chapultépec.  J’étais bien ennuyé qu’à cause de moi le pauvre garçon ait quitté son domicile.

Mercredi : Je n’ai guère pu dormir, à cause de Rochette ; il me parlait à tout instant : un peu de trac peut-être, mais surtout de l’inquiétude à cause de sa femme.

7h¼ du matin - Rochette me quitte pour rentrer à Tacubaya par des détours insensés. 7h½, le combat reprend avec violence, la citadelle canonne la Poste et le Théâtre National, sur lesquels les Maderistes ont installé des mitrailleuses (ces derniers sont très peu munis d’artillerie). Le Palais National est aussi canonné, car un obus a éclaté sur la bijouterie "La Esmeralda" ; on m’apporte la fusée.

De 11hà 2hde l’après-midi, le combat s’interrompt. Les ministres étrangers, couverts par le drapeau blanc, sont allés demander à Madero des garanties pour leurs nationaux. Le Président les leur a refusées et les a reçus avec hauteur. On parle maintenant d’une intervention américaine, et tout le monde la craint, car elle déchaînerait un mouvement xénophobe.

Le combat reprend subitement avec violence. Un cheval blessé se traîne dans les rues et vient mourir Avenida Cinco de Mayo, tout près du Cercle.

A 5h, la citadelle semblant attaquée à l’opposé du point où nous sommes, je vais au câble avec deux messieurs du Cercle et je télégraphie à Paris.

Le télégraphe national est fermé au public, le téléphone Ericson ne fonctionne plus, la poste n’expédie pas les lettres, la plupart des trains ne partent plus. On craint qu’on ne vienne à couper le câble qui nous relie à l’Europe. Le Consul, Monsieur Bourgeois, ne peut venir au consulat ; le chargé d’affaires, Monsieur Aygueparse (car le ministre, Monsieur Lefaivre est parti en congé), est bloqué dans la Colonie Roma. La vie est complètement suspendue et on ne prévoit pas de terme à cet état de choses !

Jeudi 13 Février

Il n’y avait plus de place à l’hôtel de la Paix et j’ai passé la nuit sur un canapé du Cercle. J’ai d’ailleurs fort bien dormi, malgré les coups de feu isolés qu’on entend de temps à autre. Je n’étais pas seul cette nuit au Cercle ; il y avait entre autres une vieille dame de Marseille, âgée de 73 ans qui m’a apporté une couverture.

Le combat recommence à 8h du matin. Sauf une patrouille par ci par là, les rues sont désertes ; le cheval mort continue à pourrir au soleil.

A midi, en faisant un détour par les rues San Lorenzo et Mina, je tente de regagner l’hôtel Saint Francis. Mais à quelques pas du but, près du Caballito, des balles viennent à chaque instant s’aplatir entre les façades du côté opposé à celui où je longe les murailles. Avancer serait imprudent et je reviens déjeuner au Cercle à 13h. Ce soir, à la tombée de la nuit, je ferai une nouvelle tentative ; les Mexicains ignorent les combats de nuit et, au coucher du soleil, la bataille s’arrête toujours.

HOTEL ST. FRANCIS.

Avenida Juarez 105

Vendredi 14 Février

La sortie que j’ai tentée hier soir a réussi. Je suis arrivé à la porte de l’hôtel Saint Francis à 19h, par le clair de lune ; mais c’est dans le royaume de la frousse que je suis tombé. On m’a ouvert avec des précautions infinies. Des familles entières, avec leurs domestiques, ont évacué le quartier de la citadelle et se sont réfugiées à l’hôtel, où elles campent tant bien que mal ; la lumière électrique est coupée et quelques bougies piquées sur des bouteilles éclairent cette vaste smalah. Madame Roux a regagné San-Angel, avec les dames qui l’accompagnaient, pas par frayeur, me dit Monsieur Lecomte-Denis, mais parce qu’elle était horripilée par le mauvais service de l’hôtel !

Maigre dîner, puis je retrouve avec plaisir ma chambre et mes objets de toilette.

Nuit tranquille, malgré quelques coups de feu. C’est curieux, on ne fait rien et le soir on est éreinté : fatigue nerveuse, certainement, car malgré tout, les nerfs sont tendus.

Au matin on me fait voir que deux balles de fusil ont traversé la devanture de l’hôtel ; évidemment, il y a du danger, mais à la grâce de dieu !

Le combat recommence, sans interruption jusqu’à midi. Cela devient normal, et j’imagine qu’il en sera ainsi pendant des jours et des jours. Depuis mardi, les combattants ne doivent plus se faire grand mal : ils tiraillent de loin, en pure perte, mais sans s’approcher : cela peut durer tant qu’ils auront des munitions.

Au moment du déjeuner, les Peraldi font une proclamation à leurs hôtes : craignant qu’en cas d’intervention des Etats-Unis leur hôtel ne soit pas sûr, ils ont décidé de partir demain matin pour Vera Cruz ; ils laisseront un domestique et une femme de chambre pour le service de ceux qui voudront rester. Je décide Monsieur Lecomte-Denis à gagner San Angel avec moi, demain matin, par des moyens de fortune : il y a une dizaine de kilomètres. Les Peraldi nous font craindre la rencontre de Croquemitaine et de ses brigands : nos révolvers (que nous ne quittons plus) nous donnent de l’assurance et nous pensons même que ce serait une bonne œuvre que de descendre Zapata ou Genoveva de la O.

A 2h, le Cercle Français me téléphone (car l’hôtel est abonné à un deuxième réseau qui fonctionne encore). Rochette m’a fait prévenir au Cercle, où il me croyait encore, que la Police lui demande de se rendre immédiatement au Palais National et il veut que je lui indique la conduite à tenir. Que peut-on lui vouloir ? Peut-être des renseignements sur les approvisionnements de Mondragon dans la citadelle. Je réponds : « Qu’il s’abstienne et se dise souffrant ».

Le soir, après le coucher du soleil, grand exode de l’hôtel. Des hommes, des femmes, des enfants, des bébés portés par les servantes indiennes, gagnent la gare pour descendre à Vera Cruz où on attend des navires de guerre américains. Et dans la demi obscurité, c’est un spectacle infiniment triste.

Je viens de dîner, sans pain, et j’écris à la lueur d’une bougie. Bonsoir ; je prie Dieu d’écarter toute inquiétude des pensées de mes proches.

CERCLE FRANÇAIS de Mexico

Samedi 15 Février

Les Peraldi, nous ayant réveillés à 5h du matin, nous ont tellement conseillés (en amis, disaient-ils) de ne pas nous risquer à aller à San Angel, que nous y avons renoncé.

A 6h, nous quittons l’hôtel avec la famille Peraldi ; il fait à peine clair, mais ils brandissent bien haut un drapeau blanc qui se remarque à peine. Ils se dirigent vers la gare, tandis que nous gagnons le Cercle Français. Des "rurales", enveloppés de leur sarapé rouge, s’éveillent au bivouac ; ces braves gens, qu’on fait trimer depuis huit jours et qui "écopent" pour les autres, nous lancent leurs « buenos dias, tenures » et nous informent qu’il n’y a pour l’instant aucun danger à traverser l’Alameda.

Nous arrivons au Cercle et nous trouvons chacun une chambre dans une pension française voisine du Consulat ; la patronne est une Marseillaise qui s’appelle Madame Petit Bon et aussi Madame Gandara : pourquoi deux noms, mystères !

Monsieur Lecomte-Denis est enchanté d’être sorti de l’atmosphère de peur verdâtre où il vivait depuis le début de la semaine.

Et toujours le même leitmotiv : combat avec des interruptions et des reprises, fusillade, canonnade, mitraillade ; potins et nouvelles fantaisistes et contradictoires. On dit que le général Blanquet, qui n’est toujours pas arrivé, a répondu au Gouvernement : « Mes troupes sont toutes à la disposition de usted, mais moi je ne marche pas ! ».

On dit aussi que cette nuit sera l’assaut final ; mais on le dit à peu près chaque soir.

Dimanche 16 Février

C’est toujours la même chose… et pourtant il y a toujours du nouveau. La journée a commencé avec un air de fête ; ce soir, je sens toute la mélancolie d’un Jour des Morts.

8h½ - Après une bonne nuit, je sors pour aller chercher des nouvelles au Cercle. Dans la matinée lumineuse, la ville semble en fête, les gens circulent nombreux ; plus un seul coup de feu ; on respire mieux. Au Cercle, on m’annonce qu’il y a armistice jusqu’à 2h du matin. Les agents de police, qui réapparaissent enfin (pendant les troubles, je ne sais où ils s’étaient fourrés), vont de porte en porte avertir les habitants qu’il y a répit ; mais conseillent de faire des provisions pour trois ou quatre jours car la reprise des hostilités sera terrible.

Je me fais prêter un col car le mien n’a plus un soupçon de blanc, je retrousse mes manches de chemises sous mon veston pour qu’on n’aperçoive pas la noirceur des poignets, je mets mes gants et je me dirige vers la Légation. Dans les rues où je n’ai pu circuler ces jours-ci, des dégâts et des ruines : des maisons éventrées à coups de canons, des devantures criblées de balles, les fils électriques coupés, les poteaux supportant les fils des trolleys cassés ou renversés, les chaussées creusées par les sillons des obus ; et partout des troupes. Dans la Colonia Roma, calle de Liverpool où se trouve la Légation, un corps allongé sur le trottoir, enveloppé dans son sarapé rouge, la figure couverte d’un mouchoir ; c’est un "rurale" tué ; un signe de croix et je passe. Plus loin, une coquette villa, a été complètement incendiée par les obus ; c’est la maison de Madero où il y avait un approvisionnement de 15 000 cartouches ; les révolutionnaires qui le savaient sans doute l’ont détruite de la citadelle par un tir admirablement repéré, car les maisons voisines ont peu souffert. Arrivé enfin à la Légation, on me dit que Monsieur Aygueparse est allé au Cercle Français pour conférer avec ses compatriotes.

Je retourne au Cercle, où je trouve notre chargé d’affaires, à midi. Il est décidé que le consul restera en permanence au Cercle, où il couchera, sa famille restant à l’abri à la Légation où continuera à demeurer Mr Aygueparse ; comme celui-ci se sent bien seul là-bas, je lui propose d’aller habiter avec lui. Sachant que je suis armé, il accepte avec plaisir et m’attendra vers le soir. Avec tout cela, j’ai manqué la messe. Il est 1h quand j’arrive à N.D. de Lourdes, d’où les Pères Rousselon et Roustan sont absents ; eux aussi ont profité de la trêve pour aller visiter leur nouveau collège.

A peine revenu dans ma pension pour déjeuner, j’entends un coup de canon, puis un autre, puis la canonnade reprend. L’armistice a été violé. (J’ai su ensuite que les Madéristes avaient profité de l’interruption des hostilités pour s’approcher de la citadelle ; naturellement, les Félicistes avaient ouvert le feu sur eux).

Nous achevions de déjeuner, outrés d’une telle violation des règles de l’honneur, quand nous entendîmes Madame Petit-Bon crier : «  Mon Dieu ! Venez vite, il y a un Monsieur qui se trouve mal ! » Et nous arrivons pour voir mourir un homme âgé qui venait demander une chambre. C’est un Français, Monsieur Nogaret, sans famille au Mexique. Il habitait Mexico depuis longtemps, dans une maison située dans la zone dangereuse ; il profitait de l’armistice pour changer momentanément de domicile, et arrivait avec un petit sac à main quand il fut surpris dans la rue par la reprise du combat.  Il a succombé à une crise cardiaque. Une heure après on l’emportait au dépôt mortuaire.

Je suis désolé mais, naturellement, je n’ai pu me rendre à la Légation.

Lundi 17 Février

Je me suis arrêté d’écrire, hier, pour aller aux bureaux du câble voir si rien n’était arrivé pour moi. On ne peut guère y aller quand bon nous semble, car la zone est dangereuse ; les maisons voisines ont assez souffert.

J’ai trouvé une dépêche de la Compagnie me demandant mon adresse ; il était assez difficile de répondre, car je n’ai pas de domicile bien fixe. Passant ensuite au Cercle, le consul m’a montré une dépêche qu’il avait reçue de la Compagnie et lui demandant ce que je devenais. La censure la plus rigoureuse s’exerce depuis Samedi : les dépêches sont mutilées au gré du gouvernement, on n’accepte pas de télégrammes chiffrés, les lettres ne partent pas à moins qu’elles ne restent ouvertes… et encore !

Toute la journée, même situation que les jours précédents.

A 4h, le général Blanquet est arrivé et ses troupes campent sur le Zocalo, le Président Madero les a passées en revue. Je crains bien que la citadelle ne tienne plus longtemps.

Depuis vendredi, les deux seuls journaux qui continuaient à être publiés, car le gouvernement les avait achetés : "El Imparcial" et "The Mexican Herald" ne paraissent plus, faute de papier pour les imprimer.

9h½ soir - Un mot avant de me coucher. Grand émoi partout : il paraît que Zapata – Croquemitaine est à Santa-Fé, à côté de Tacubaya.

Mardi 18 Février

Coup de théâtre : la révolution est terminée. Ouf ! On respire ! Mais c’est un imbroglio insensé et comme seul peut en concevoir le cerveau d’un Mexicain. Le Gouvernement est vaincu, mais Diaz n’est pas victorieux et, à cette heure-ci, il continue à s’abriter dans la citadelle derrière les canons de Mondragon. Ce sont les généraux madéristes, Blanquet et Huerta, qui ont jeté Madero par terre et maintenant ils tendent la main à Diaz ; mais celui-ci, devenu prudent depuis le coup de Vera Cruz, hésite à la leur donner.

A 3h, cet après-midi, après une matinée semblable à toutes les précédentes, le combat semblait avoir cessé, quand le bruit circula que Madero venait d’être fait prisonnier au Palais National. Je restais très sceptique, me demandant comment cela pouvait se faire puisque les Félicistes ne se hasardent pas hors de leurs positions, quand, à 4h, le silence est à nouveau troublé … mais cette fois ce n’est plus le canon, ce sont les cloches de toutes les églises qui sonnent à toute volée. Il y a donc du nouveau. Je cours au Cercle, où venait d’arriver  Monsieur Aygueparse. Et par lui j’apprends le dénouement, digne de ce pays : trahisons sur trahisons !

A 3h en effet, deux officiers envoyés par Blanquet se sont présentés à Madero en lui annonçant qu’ils le faisaient prisonnier. Madero, leur ayant brûlé la cervelle, a aussitôt cherché à s’enfuir vers les étages supérieurs ; mais une vingtaine d’hommes du 29ème bataillon de ligne ont surgi alors et l’ayant couché en joue, ce dernier s’est rendu à eux.

Pendant ce temps, le général Huerta, qui était chef suprême des forces gouvernementales, se rend au restaurant Gambrinus, où Gustavo Madero, frère du président et son âme damnée était encore à table avec des amis. Accompagné de cinquante "rurales", il le fait prisonnier et le ligote sur un banc de l’arrière boutique où il moisit encore à l’heure actuelle.

Huerta se nomme aussitôt "Chargé du Pouvoir exécutif" et fait demander aux Ministres étrangers d’intervenir auprès de Diaz pour qu’il se rende.

Voilà où nous en sommes. Les rues sont emplies d’une foule nombreuse et enthousiaste qui acclame frénétiquement les troupes. Il pourrait y avoir des échauffourées et notre chargé d’affaires nous a recommandé la prudence et nous a conseillé de stationner le moins possible dans les rues.

En revenant de câbler à la Compagnie, le consul m’a dit qu’il était très probable que Mondragon serait ministre de la guerre dans le prochain gouvernement.

La vie semble meilleure.

Mercredi 19 Février

Je pense que tout est terminé : Diaz a donné la main à Huerta et les députés (qui comptent peu ici) sont invités à se réunir pour sanctionner le nouvel état de choses. J’apprends que les lettres partent et je vais en profiter.

Ces pages ne sont ni gaies ni amusantes. Mais elles reflètent les dix jours que je viens de vivre et que j’aurais préféré passer autrement. Enfin, je m’estime heureux d’être en bon état et j’en remercie le Bon Dieu.

J’ai toujours pensé à tous les miens en ces heures mauvaises et j’ai toujours cru à leur sympathie, principalement mes trois petits et ma chère petite femme.

Henri Morize

Le cousin Maurice Rousselon sort d’ici avec le Père Roustan. Il m’a dit que la Colombie est un pays féerique.