La guerre à travers le récit journalier

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

4ème partie : année 1917

Je suis absolument convaincu que 1917 verra la fin de la guerre. Si les Alliés donnent en complète union l’effort total, la défaite complète de l’Allemagne est certaine.

Mais ce si est une condition sine qua non. Si nous retombons encore dans les mêmes erreurs qu’en 1915 et 1916 nous aurons une paix boiteuse où nous subirons en bien des points la volonté de l’Allemagne.

1916 s’achève dans une inquiétude générale. Après deux ans et demi de guerre, la foi est un peu ébranlée chez tous les belligérants, les forces dressées les unes contre les autres sont encore si énormes qu’il semble que le moment de l’effondrement de l’une d’elles est encore éloigné. Quoiqu’il en soit, le désir général d’en finir est intense ; de plus le temps presse car chaque semaine des milliards tombent dans le gouffre, les ruines s’accumulent et le sentiment de l’irréparable grandit.

Avec la mobilisation civile, les déportations belges, le recrutement turc, l’essai d’armement de la Pologne, l’Allemagne a donné son effort total. Elle a certainement faim, sa population souffre, il est hors de doute qu’elle s’apprête à de formidables efforts pour le printemps ; nous devons veiller partout. Et le mieux certainement serait que notre grand effort devance le sien.

L’Entente a eu de dures leçons, elle semble avertie et avoir enfin la connaissance de toutes les données actuelles du problème. Tous les muscles des nations se tendent au maximum pour l’effort suprême.

1917 verra la fin de la guerre, la rupture ou le recul du front allemand, notre victoire. L’entrée en ligne des grandes armées anglaises soutenues par un immense matériel sera le facteur décisif qui déterminera la rupture d’équilibre. Le front anglais ne tardera pas à s’étendre jusqu’à Lassigny ou même Compiègne.

La prochaine offensive comprendra certainement plusieurs attaques simultanées de grande envergure préparées chacune par l’envoi de plusieurs millions d’obus. Avec une préparation minutieuse, un bon repérage et un nombre illimité de canons et d’obus, on peut arriver assurément à rendre intenable de grandes étendues de terrain. Bien entendu, il faut dans la zone d’attaque une grande supériorité d’artillerie ; d’où nécessité de la surprise.

Mais ne mésestimons par les forces de l’adversaire, si nous pouvons attaquer, il peut le faire aussi. Ne perdons pas de vue que l’Allemagne occupe la Belgique, la Servie, la Roumanie, d’immenses territoires en Russie et dix de nos plus riches départements.

Nous lisons chaque jour des articles intitulés : « l’Allemagne aux abois » « Les dernières convulsions de l’Autriche ». Ceci est purement grotesque car s’il est logique de croire que la victoire doit nous appartenir, nous ne pouvons nier que jusqu’ici notre puissant adversaire a remporté d’importants succès et nous a dominés. Nos victoires ont été des victoires d’arrêt ; et nos offensives, quelques glorieuses et riches d’espérance qu’elles aient été, ont échoué.

- en Russie -

D’autre part la situation intérieure russe semble peu brillante, les présidents du conseil s’y succèdent avec rapidité et il est impossible que la force militaire russe ne se ressente pas gravement de ces désordres.

Sous-marins

Les sous-marins constituent une très sérieuse menace pour la France et l’Angleterre. Chaque jour une demi-douzaine de bateaux alliés sont coulés. Le coût des frets atteint des proportions fantastiques. Il a augmenté suivant les denrées de 500 % à 2000 % et ce dernier chiffre est le plus souvent atteint. J’ai toujours pensé que si la guerre se prolongeait, l’Allemagne arriverait peu à peu en multipliant ses sous-marins à établir le blocus partiel de nos côtes.

Il est  évident qu’avec le temps, le danger des sous-marins grandit. Aussi, il faut que 1917  nous apporte la victoire. Question de vie ou de mort.

C’est bien ce qui commence à se produire, ces sous-marins boches ont vu croître, non seulement leur nombre, mais leur puissance. Certains d’entre eux, véritables croiseurs sous-marins de plusieurs milliers de tonnes se sont montrés jusqu’au Mexique, aux Antilles, à Madère. On peut certainement réduire beaucoup les pertes dues aux sous-marins, en armant les bateaux de commerce, en réduisant au minimum les parcours marins, en obligeant les navires à suivre des routes surveillées…

Le sous-marin plongé a de grandes infériorités sur un navire de surface, la nuit en particulier il est presque aveugle. Il faut utiliser à notre profit toutes ces infériorités. Si tout ce que l’on peut et doit faire dans ce sens est fait, nous arriverons à maintenir nos communications par mer. C’est dire combien cette question est capitale.

Charbon

Une crise intense sévit dans toute la France, on a du réglementer les quantités de gaz et d’électricité ; les quantités allouées varient de 30 à 50 % des consommations antérieures. On n’a même pas le nécessaire.

Quant au charbon, il est difficile à Paris de s’en procurer des quantités suffisantes. Le pétrole est rare. Espérons que les mesures prises nous préserveront de la suppression complète ; car il est évident qu’il faut avant tout que le travail intense de toutes les usines de guerre soit assuré.

La paix

Le 30 Décembre, les Alliés ont répondu à l’Allemagne que la paix était impossible avec une puissance qui commençait par proclamer sa victoire.

Les deux empereurs en ont immédiatement profité pour proclamer que la responsabilité de la guerre retombe entièrement sur les alliés ; ils ont adressé à leurs armées les proclamations suivantes.

Berlin, 6 Janvier

« A mon armée et à ma marine !

D’accord avec les souverains alliés, j’avais proposé à nos ennemis d’entrer prochainement en négociations de paix. Les ennemis ont répondu par un refus à ma proposition. Leur folie de grandeur veut l’anéantissement de l’Allemagne. La guerre va donc continuer.

Devant Dieu et devant l’humanité, les gouvernements ennemis portent seuls la lourde responsabilité pour tous les futurs et terribles sacrifices que je voulais vous épargner. Outré des crimes de nos ennemis et dans la volonté de défendre notre pays sacré pour assurer un avenir heureux à la patrie, vous deviendrez d’acier. Nos ennemis n’ont pas voulu accepter l’entente que je leur ai offerte ; avec l’aide de dieu, nos armes les forceront à le faire ».

Grand quartier général, 5 janvier,

GUILLAUME I. R.

L’empereur d’Autriche a lancé à l’armée et à la flotte l’ordre du jour suivant :

« Soldats ! Vous savez que moi et les souverains nos alliés, nous avons essayé de préparer les voies à la paix désirée par le monde entier. La réponse de nos ennemis est arrivée ; ils repoussent sans même connaître nos conditions la main que nous leur avons offerte. De nouveau donc je fais appel à vous, mes compagnons d’armes : votre épée, pendant les trente mois de guerre que nous aurons bientôt derrière nous, a parlé un langage net et clair ; votre courage héroïque et votre bravoure gardent la parole. Les victimes ne sont pas assez nombreuses ; il en faut d’autres ! Nos ennemis en portent la responsabilité. Je prends Dieu à témoin !

Vous et les armées de nos braves alliés, vous avez anéanti de nombreux royaumes ennemis, vous avez emporté de puissantes forteresses, vous avez conquis de vastes étendues de territoires ennemis. Malgré tous ces exploits, les gouvernements ennemis trompent encore leurs peuples et leurs armées par l’espérance qu’ils pourront modifier encore leur destinée. Soit ! vous continuerez à chercher la solution par le fer de votre épée.

C’est avec une fière confiance dans la puissance de mon armée que je vous commanderai : «  En avant ! Avec Dieu ! ».

Fait à Vienne, le 5 janvier.

CHARLES.

Il semble bien que les Boches ont atteint le but qu’ils cherchaient en proclamant la paix, à savoir (texte illisible du fait de la mauvaise qualité de la photocopie) de leurs peuples.

Réponse des alliés à la note Wilson

sur les buts de guerre – 10 janvier

(texte illisible du fait de la mauvaise qualité de la photocopie)

Réparations, restitutions garanties

Mais une discussion sur les arrangements futurs destinés à assurer une paix durable suppose d’abord un règlement satisfaisant du conflit actuel. Les Alliés éprouvent un désir aussi profond que le gouvernement des Etats-Unis de voir se terminer le plus tôt possible la guerre dont les Empires centraux sont responsables, et qui inflige à l’humanité de si cruelles souffrances. Mais ils estiment qu’il est impossible, dès aujourd’hui, de réaliser une paix qui leur assure les réparations, les restitutions et les garanties auxquelles leur donne droit l’agression dont la responsabilité incombe aux puissances centrales et dont le principe même tendait à ruiner la sécurité de l’Europe, une paix qui permette, d’autre part, d’établir sur une base solide l’avenir des nations européennes. Les nations alliées ont conscience qu’elles ne combattent pas pour des intérêts égoïstes, mais avant tout pour la sauvegarde de l’indépendance des peuples, du droit et de l’humanité.

Les Alliés se rendent pleinement compte des pertes et des souffrances que la guerre fait supporter aux neutres comme aux belligérants et ils les déplorent ; mais ils ne s’en tiennent pas pour responsables, n’ayant en aucune façon ni voulu, ni provoqué cette guerre, et ils s’efforcent de réduire ces dommages dans toute la mesure compatible avec les exigences inexorables de leur défense contre les violences et les pièges de l’ennemi. C’est avec satisfaction, dès lors, qu’ils prennent acte de la déclaration faite que la communication américaine n’est associée d’aucune manière, dans son origine, avec celle des puissances centrales, transmise le 18 décembre, par le gouvernement de l’Union. Ils ne doutaient pas, au surplus, de la résolution de ce gouvernement d’éviter jusqu’à l’apparence d’un appui, même moral, accordé aux auteurs responsables de la guerre.

Les responsabilités de la guerre

Les gouvernements alliés croient devoir s’élever de la manière la plus amicale, mais la plus nette, contre l’assimilation établie, dans la note américaine, entre les deux groupes des belligérants ; cette assimilation, basée sur des déclarations publiques des puissances centrales, est en opposition directe avec l’évidence, tant en ce qui touche les responsabilités du passé qu’en ce qui concerne les garanties de l’avenir ; le président Wilson, en la mentionnant, n’a certainement pas entendu s’y associer.

S’il y a un fait historique établi à l’heure actuelle, c’est la volonté d’agression de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie pour assurer leur hégémonie sur l’Europe et leur domination économique sur le monde. L’Allemagne a prouvé, par la déclaration de guerre, par la violation immédiate de la Belgique et du Luxembourg et par la façon dont elle a conduit la lutte, son mépris systématique de tout principe d’humanité et de tout respect pour les petits Etats ; à mesure que le conflit a évolué, l’attitude des puissances centrales et de leurs alliés a été un continuel défi à l’humanité et à la civilisation. Faut-il rappeler les horreurs qui ont accompagné l’invasion de la Belgique et de la Serbie, le régime atroce imposé aux pays envahis, le massacre de centaines de milliers d’Arméniens inoffensifs, les barbaries exercées contre les populations de Syrie, les raids des zeppelins sur les villes ouvertes, la destruction par les sous-marins de paquebots et de navires marchands, même sous pavillon neutre, le cruel traitement infligé aux prisonniers de guerre, les meurtres juridiques de miss Cawel et du capitaine Fryatt, la déportation et la réduction en esclavage des populations civiles, etc… ? L’exécution d’une pareille série de crimes perpétrés sans aucun souci de la réprobation universelle, explique amplement au président Wilson la protestation des Alliés.

Ils estiment que la note qu’ils ont remise aux Etats-Unis en réplique à la note allemande répond à la question posée par le gouvernement américain et constitue, suivant les propres expressions de ce dernier, « une déclaration publique quant aux conditions auxquelles la guerre pourrait être terminée ».

Les buts de guerre

Le président Wilson souhaite davantage ; il désire que les puissances belligérantes affirment en pleine lumière les buts qu’elles se proposent en poursuivant la guerre ; les Alliés n’éprouvent aucune difficulté à répondre à cette demande. Leurs buts de guerre sont bien connus ; ils ont été formulés à plusieurs reprises par les chefs de leurs divers gouvernements.

Ces buts de guerre ne seront exposés dans le détail, avec toutes les compensations et indemnités équitables pour les dommages subis, qu’à l’heure des négociations. Mais le monde civilisé ait qu’ils impliquent de toute nécessité et en première ligne la restauration de la Belgique, de la Serbie et du Monténégro et les dédommagements qui leur sont dus : l’évacuation des territoires envahis en France, en Russie, en Roumanie avec de justes réparations ; la réorganisation de l’Europe, garantie par un régime stable et fondée aussi bien sur le respect des nationalités et sur le droit à la pleine sécurité et à la liberté de développement économique, que possèdent tous les peuples, petits et grands, que sur des conventions territoriales et des règlements internationaux propres à garantir les frontières terrestres et maritimes contre des attaques injustifiées, la restitution des provinces ou territoires autrefois arrachés aux Alliés par la force ou contre le vœu des populations ; la libération des Italiens, des Slaves, des Roumains et Tchécoslovaques de la domination étrangère ; l’affranchissement des populations soumises à la sanglante tyrannie des Turcs ; le rejet hors d’Europe de l’empire ottoman, décidément étranger à la civilisation occidentale. Les intentions de Sa Majesté l’Empereur de Russie à l’égard de la Pologne ont été clairement indiquées par la proclamation qu’il vient d’adresser à ses armées.

Il va sans dire que si les Alliés veulent soustraire l’Europe aux convoitises brutales du militarisme prussien, il n’a jamais été dans leur dessein de poursuivre, comme on l’a prétendu, l’extermination des peuples allemands et leur disparition politique. Ce qu’ils veulent avant tout, c’est assurer la paix sur les principes de liberté et de justice, sur la fidélité inviolable aux obligations internationales, dont n’a cessé de s’inspirer le gouvernement des Etats-Unis.

Unis dans la poursuite de ce but supérieur, les Alliés sont déterminés, chacun et solidairement, à agir de tout leur pouvoir et à consentir tous les sacrifices pour mener à une fin victorieuse un conflit dont ils sont convaincus que dépendent, non seulement leur propre salut et leur prospérité, mais l’avenir de la civilisation même.

Paris, le 10 janvier 1917

(texte illisible du fait de la mauvaise qualité de la photocopie)

Ordre du jour adressé par le Kaiser

à son peuple en réponse à la note des alliés à Wilson.

« Nos ennemis ont jeté bas le masque. Après avoir rejeté avec colère et avec d’hypocrites allusions à leur amour de la paix et de l’humanité notre honnête offre de paix, ils reconnaissent maintenant dans leur réponse à la note des Etats-Unis leur désir de conquêtes dont la bassesse est encore accrue par les calomnies et les motifs qu’ils invoquent.

Leur but est l’écrasement de l’Allemagne, le démembrement de nos alliés, l’asservissement de la liberté en Europe et sur les mers sous le même joug que la Grèce endure maintenant en grinçant des dents.

Mais ce qu’ils n’ont pu obtenir en trente mois pour une lutte des plus sanguinaires, par une lutte des plus dénuées de scrupules, ils ne parviendront pas à l’obtenir désormais.

Nos glorieuses victoires, la volonté de fer avec laquelle notre peuple a combattu tant au front qu’au foyer familial et a supporté toutes les rigueurs et toutes les misères nous donne l’assurance que notre patrie bien-aimée n’a rien à craindre de l’avenir.

Une indignation brûlante et une saine colère redoubleront la vigueur de tout Allemand, homme ou femme, soit qu’il soit voué au combat, au travail ou aux souffrances et l’ont rendu prêt à tous les sacrifices.

Le Dieu qui a mis au cœur de nos braves peuples le glorieux esprit de liberté nous donnera également ainsi qu’à nos loyaux alliés qui ont passé par l’épreuve du feu, une victoire complète sur la soif de conquête et la rage de destruction de l’ennemi »

GUILLAUME, empereur-roi.

Lettre du Kaiser

Pour prouver la sincérité de son offre de paix Guillaume publie la lettre suivante. Est-elle ou non authentique – cela importe peu. Mais il est intéressant de la rapprocher des proclamations enflammées que le Kaiser lançait dans les premières semaines de la guerre quand il lançait sur nous ses armées qu’il croyait alors invincibles.

« Mon cher Bethmann,

“ J’ai soigneusement approfondi notre conversation. Il est évident que les populations des pays ennemis, qu’on oblige à continuer cette dure guerre à l’aide de mensonges et de tromperies et qui sont égarées par les combats et par la haine, ne possèdent aucun homme capable, ou ayant le courage moral de prononcer le mot qui leur apportera le soulagement, de proposer la paix.

“ Ce qu’on désire, c’est un acte moral qui libère le monde, y compris les neutres, du fardeau qui l’oppresse. Il est nécessaire pour cela de trouver un Chef d’Etat qui ait une conscience, qui se sente responsable vis-à-vis de Dieu, qui possède un cœur pour son propre peuple comme pour ses ennemis, et qui, indifférent à toute fausse interprétation possible ou voulue de son action, possède la volonté de libérer le monde de ses souffrances. J’aurai ce courage. M’en reposant en Dieu, j’oserai faire cette démarche. Veuillez élaborer une note dans ce sens et me soumettre toutes les dispositions nécessaires sans délai ».

GUILLAUME, Empereur et Roi.

Presse allemande

(texte illisible du fait de la mauvaise qualité de la photocopie)

« On voit maintenant, dit la Gazette de Francfort, de quel côté se trouvent la soif de puissance et l’avidité conquérante. On sait que les hommes qui gouvernent l’Entente combattent, par la continuation de la guerre, pour la possession de la puissance. Pour eux, la victoire est l’unique salut avant la chute, avant la désagrégation de l’Entente, peut-être avant la révolution ».

De la Taeglische Bundschau :

« Il n’y a pas de mot pour stigmatiser ce monument d’impudence. Cette note des dix puissances alliées, qui méprise tous les faits, toutes les notions, toutes les données de la conscience, toutes les vérités prouvées par des documents, vivra dans l’histoire tant qu’il y aura une mémoire humaine. Les prétentions arrogantes des aventuriers, qui s’obstinent à mener à la ruine les peuples de l’Entente, s’accroissent en proportion inverse de leurs échecs et de leurs défaites ».

Chez le « brillant second » même colère.

Du Budapesti Hirlap :

« Nous serions curieux d’apprendre quelles conditions les puissances de l’Entente poseraient si elles n’avaient pas été battues à plate couture dans de nombreuses batailles et n’avaient pas subi les plus terribles défaites, mais si elles avaient des succès véritables à enregistrer. Car même au cas où l’Entente aurait remporté une victoire certaine et définitive, on trouverait les conditions indiquées dans la note si dures et si impitoyables que Napoléon lui-même, à l’apogée de sa puissance, n’aurait pas osé les formuler ».

Autre écho de la réponse des Alliés à M. Wilson. Ecoutez ce qu’elle inspire à un journal hongrois, le Pesti Hirlap. Le morceau mérite d’être lu :

« Qui est l’auteur de la réponse à Wilson ? Est-ce un nouveau Napoléon qui poursuit victorieusement devant lui ses adversaires ou est-ce le triste sire Sancho Pança dont le visage blême dénote la folie ? Nous ne rêvons pas ; la Belgique est encore allemande, la Serbie, le Monténégro et la Roumanie sont encore à nous ; le front allemand en France et notre front en Russie ne sont pas encore percés. Nous sommes victorieux. Et cependant ils nous dictent la paix avec une morgue napoléonienne. Sont-ils fous ?

« A Monte-Carlo, lorsque les joueurs perdent leurs derniers sous, ils demandent à la banque de leur payer les frais de retour. Nos tristes joueurs, qui ont tout perdu, demandent toute la banque. Ils posent des conditions. Ils demandent la réorganisation de l’Europe sur le principe des nationalités et du droit des peuples. Ils ne nous demandent, à nous, que peu de chose : la Transylvanie, le Banat, la Bosnie, la Dalmatie et Fiume ; en sus, ils demandent le pays habité par les Slovaques. Pouvons-nous parler sérieusement de ces conditions ? Donnez de l’eau fraîche à ces têtes en folie ! Les sous-marins, d’ailleurs, de même que le fer, refroidiront leur cerveau enflammé. Ce sont nos soldats victorieux qui s’en chargeront ».

                                                                                                (coupure de journal)

Le rôle de la presse doit être autant de dire la vérité que de soutenir le moral du pays. Au service d’un gouvernement qui a un rôle très important, tour à tour cachant, voilant, disant la vérité. C’est une arme puissante, le bras droit du mensonge. Elle sert un triple but chez l’ennemi.

Dieu seul le sait. Nous sommes dans une grande marmite ou cuisent tant d’éléments divers qu’il est impossible de savoir ce qu’il en sortira. Il nous faut la victoire.

Janvier

Une vague de froid passe en ce moment sur la France, neige et glace -5° ici, -8° à Paris, -14° où est Jean dans le Nord.

- en France -

Rien d’important. Coup de main un peu partout sur le front. On parle de grandes actions pour Février à Lassigny, en champagne, en Alsace ; cette diversité me plait, ainsi on ne voit rien.

- en Roumanie -

Les Allemands ont atteint le Sereth et les bouches du Danube. Ils semblent arrêtés, est-ce un arrêt volontaire ou bien résulte-t-il de la résistance russe plus forte – Mystère.

- en Macédoine -

Calme

- en Italie -

Calme. Est-ce là où aura lieu la prochaine offensive austro-boche.

- en Grèce -

Les notes se succèdent, elles alternent avec les ultimatum. Il semble que nous sommes enfin en voie d’obtenir des réparations pour les évènements survenus le 1er Décembre !

Sur mer

Torpillages nombreux. De plus un croiseur corsaire allemand écume l’Atlantique.

20 Février

Blocus sous-marin

Par une Déclaration du 31 Janvier signifiée au monde entier, l’Allemagne déclare qu’elle détruira par tous les moyens et sans avertissement tout navire se trouvant dans une zone de vingt milles au large des côtes anglaises, françaises et italiennes.

L’émotion est grande parmi les neutres dont les intérêts sont gravement atteints.

Les Etats-Unis rompent les relations diplomatiques avec l’Allemagne. L’Espagne adresse également une ferme protestation. Quant aux Etats scandinaves, à la Hollande et à la Suisse, elles doivent se contenter d’une prudente protestation par crainte des coups de griffes de leur puissant voisin - Tant il est vrai que la force prime le droit.

Avant de lancer ce défi aux neutres, les Boches ont évidemment pesé le pour et le contre. Leurs sous-marins sont meilleurs et beaucoup plus nombreux qu’au début de la guerre, ils peuvent faire beaucoup de mal et nous éprouver cruellement.

L’Angleterre a besoin de fer et de produits alimentaires. La France a besoin de charbon, de blé et de matières premières.

Le blocus sous-marin allemand peut-il être effectif. Je ne le crois pas.

En Décembre, les pertes des alliés et neutres ont été de 490 000 tonnes ; c’est un chiffre considérable mais qui atteint à peine 2 % des tonnages navigants. Il faut organiser la circulation protégée sur la surface des mers et hâter l’étude et l’usage de nouveaux moyens offensifs et défensifs contre les sous-marins.

Il ne faut pas oublier qu’une bonne moitié des flottes commerciales anglaises et françaises sont mobilisées par l’état et est indisponible pour les transports commerciaux. Les marins neutres nous étaient donc indispensables. Or, il semble que le premier résultat du blocus sous-marin a été d’arrêter la navigation neutre, ce qui est fort compréhensible car les bateaux neutres n’étant pas armés sont une proie beaucoup plus facile pour les sous-marins.

Je crois que les Etats-Unis vont être fatalement entraînés dans la guerre contre l’Allemagne. Il devient de plus en plus difficile de rester neutre, l’effrayant conflit tend à devenir universel.

La force militaire de l’Allemagne n’a jamais été plus grande. Force défensive – Force offensive, appuyées sur des matériels toujours grandissants. La mobilisation civile et les déportations belges lui ont donné des réserves importantes. D’autre part l’effort anglais est maintenant total et met en jeu toute la puissance du grand empire. C’est cette puissance anglaise qui nous donnera la victoire ; mais auparavant le sang va couler par torrents ; sur tous les éléments une guerre toujours plus atroce va se poursuivre par tous les moyens. L’Allemagne ne respecte que la force ; nous ne la briserons que par la force.

Je parle souvent de l’intervention des grandes armées anglaises parce que je compte sur elles pour créer en notre faveur la rupture d’équilibre des forces. Mais certes je n’entends pas mésestimer l’armée française dont la valeur au point de vue technique et à tous les degrés l’emporte de beaucoup sur celle des armées anglaises, russes et italiennes.

Sur tous les fronts

Des deux côtés de nombreux coups de main mais aucune opération d’envergure. Au nord de la Somme les Anglais harcèlent l’ennemi par de petits combats incessants qui semblent heureux. De notre côté, nous avons du céder du terrain à Maisons en Champagne et au Mort Homme. En résumé, accalmie générale sur tous les fronts.

Situation financière

On estime que pour l’ensemble des belligérants les dépenses de la guette ont atteint :

  50 milliards pour les 5 mois de 1914

130 milliards pour les 12 mois de 1915

190 milliards pour les 12 mois de 1916

Au total on estime à 400 milliards les frais de la guerre à cette date de fin Février 1917.

Cette somme réclame déjà pour le service annuel de ses intérêts un minimum de 22 milliards.

Avant la guerre, l’ensemble de la dette des six principaux belligérants s’élevait à 110 milliards qui ne réclamaient que 4 ½ milliards d’intérêts. En tenant compte des crédits votés, la part de la France  est de 80 milliards [avant la guerre 35 milliards, donc au 1er Juillet 1917 = 115 milliards]

Que se passera-t-il après la guerre ? Les états pourront-ils supporter le poids des formidables impôts nécessaires ? C’est un des mystères de l’après guerre. Dans tous les cas, il est certain que les conditions de la vie seront bien changées et qu’il faudra bien des dizaines d’années pour cicatriser les plaies.

Nos dépenses actuelles atteignent 3 600 millions par mois sur lesquels 600 millions vont à l’étranger, mais 3 milliards tombent mensuellement dans les poches françaises et augmentent la fortune publique. La limite d’émission de la banque de France vient d’être portée à 21 milliards. Comment se résoudront après la guerre ces questions financières ??? Et la guerre n’est pas finie.

Les Anglais ont fait en Février un grand emprunt qui a donné le chiffre

20 Février

Blocus sous-marin

Par une Déclaration du 31 Janvier signifiée au monde entier, l’Allemagne déclare qu’elle détruira par tous les moyens et sans avertissement tout navire se trouvant dans une zone de vingt milles au large des côtes anglaises, françaises et italiennes.

L’émotion est grande parmi les neutres dont les intérêts sont gravement atteints.

Les Etats-Unis rompent les relations diplomatiques avec l’Allemagne. L’Espagne adresse également une ferme protestation. Quant aux Etats scandinaves, à la Hollande et à la Suisse, elles doivent se contenter d’une prudente protestation par crainte des coups de griffes de leur puissant voisin - Tant il est vrai que la force prime le droit.

Avant de lancer ce défi aux neutres, les Boches ont évidemment pesé le pour et le contre. Leurs sous-marins sont meilleurs et beaucoup plus nombreux qu’au début de la guerre, ils peuvent faire beaucoup de mal et nous éprouver cruellement.

L’Angleterre a besoin de fer et de produits alimentaires. La France a besoin de charbon, de blé et de matières premières.

Le blocus sous-marin allemand peut-il être effectif. Je ne le crois pas.

En Décembre, les pertes des alliés et neutres ont été de 490 000 tonnes ; c’est un chiffre considérable mais qui atteint à peine 2 % des tonnages navigants. Il faut organiser la circulation protégée sur la surface des mers et hâter l’étude et l’usage de nouveaux moyens offensifs et défensifs contre les sous-marins.

Il ne faut pas oublier qu’une bonne moitié des flottes commerciales anglaises et françaises sont mobilisées par l’état et est indisponible pour les transports commerciaux. Les marins neutres nous étaient donc indispensables. Or, il semble que le premier résultat du blocus sous-marin a été d’arrêter la navigation neutre, ce qui est fort compréhensible car les bateaux neutres n’étant pas armés sont une proie beaucoup plus facile pour les sous-marins.

Je crois que les Etats-Unis vont être fatalement entraînés dans la guerre contre l’Allemagne. Il devient de plus en plus difficile de rester neutre, l’effrayant conflit tend à devenir universel.

La force militaire de l’Allemagne n’a jamais été plus grande. Force défensive – Force offensive, appuyées sur des matériels toujours grandissants. La mobilisation civile et les déportations belges lui ont donné des réserves importantes. D’autre part l’effort anglais est maintenant total et met en jeu toute la puissance du grand empire. C’est cette puissance anglaise qui nous donnera la victoire ; mais auparavant le sang va couler par torrents ; sur tous les éléments une guerre toujours plus atroce va se poursuivre par tous les moyens. L’Allemagne ne respecte que la force ; nous ne la briserons que par la force.

Je parle souvent de l’intervention des grandes armées anglaises parce que je compte sur elles pour créer en notre faveur la rupture d’équilibre des forces. Mais certes je n’entends pas mésestimer l’armée française dont la valeur au point de vue technique et à tous les degrés l’emporte de beaucoup sur celle des armées anglaises, russes et italiennes.

Sur tous les fronts

Des deux côtés de nombreux coups de main mais aucune opération d’envergure. Au nord de la Somme les Anglais harcèlent l’ennemi par de petits combats incessants qui semblent heureux. De notre côté, nous avons du céder du terrain à Maisons en Champagne et au Mort Homme. En résumé, accalmie générale sur tous les fronts.

Situation financière

On estime que pour l’ensemble des belligérants les dépenses de la guette ont atteint :

  50 milliards pour les 5 mois de 1914

130 milliards pour les 12 mois de 1915

190 milliards pour les 12 mois de 1916

Au total on estime à 400 milliards les frais de la guerre à cette date de fin Février 1917.

Cette somme réclame déjà pour le service annuel de ses intérêts un minimum de 22 milliards.

Avant la guerre, l’ensemble de la dette des six principaux belligérants s’élevait à 110 milliards qui ne réclamaient que 4 ½ milliards d’intérêts. En tenant compte des crédits votés, la part de la France  est de 80 milliards [avant la guerre 35 milliards, donc au 1er Juillet 1917 = 115 milliards]

Que se passera-t-il après la guerre ? Les états pourront-ils supporter le poids des formidables impôts nécessaires ? C’est un des mystères de l’après guerre. Dans tous les cas, il est certain que les conditions de la vie seront bien changées et qu’il faudra bien des dizaines d’années pour cicatriser les plaies.

Nos dépenses actuelles atteignent 3 600 millions par mois sur lesquels 600 millions vont à l’étranger, mais 3 milliards tombent mensuellement dans les poches françaises et augmentent la fortune publique. La limite d’émission de la banque de France vient d’être portée à 21 milliards. Comment se résoudront après la guerre ces questions financières ??? Et la guerre n’est pas finie.

Les Anglais ont fait en Février un grand emprunt qui a donné le chiffre incroyable de 25 milliards dont 20 d’argent frais et 5 de conversions de titres ou bons.

25 Février

Sous-marins

Sir Carson a donné officiellement les chiffres suivants :

Du 1 au 18 Décembre

 91 bateaux coulés

198 223 tonnes

Du 1 au 18 Janvier

118 bateaux coulés

223 222 tonnes

Du 1 au 18 Février

134 bateaux coulés

304 596 tonnes

Du 1 au 18 Février 6 076 bateaux sont entrés dans les ports unis, 5 873 sont partis.

Quoiqu’il en soit, l’accroissement des pertes est certain, malgré une diminution sensible de la circulation des marines neutres et un plus grand nombre de navires armés.

A ce sujet, Sir Carson a dit que sur 4 navires armés l’expérience a démontré que 3 échappaient (78 %) Sur 4 non armés, 1 seul échappe (24 %).

Le discours de Sir Carson prouve assurément que le blocus est loin d’être effectif ; mais il montre l’importance des pertes subies et leur rapide accroissement.

Lloyd Georges

D’ailleurs dans un important discours Lloyd Georges après avoir préconisé de sérieuses mesures a déclaré :

« Il est absolument nécessaire que la nation saisisse la situation. Nous pouvons faire face à la menace des sous-marins à l’aide de mesures énergiques, mais si le pays n’est pas prêt à accepter des mesures, le désastre nous attend »

Voilà un langage que je comprends et c’est à mon sens le vrai moyen d’obtenir d’un pays l’effort maximum et total. Lequel est absolument nécessaire si nous voulons arracher la victoire aux Allemands. Je dis bien « arracher » car en ce moment après 28 mois de guerre, l’Allemagne est victorieuse.

Mesures restrictives

Cartes de sucre, de pain

Au 15 Février de sérieuses mesures restrictives ont été prises :

1°) Réduction des menus dans les hôtels, restaurants. On a droit à 4 hors-d’œuvre, œufs ou légumes – viande garnie – pas d’entremets (donc un seul plat de viande)

2°) Fermeture des pâtisseries deux jours par semaine ; pendant ces deux jours la vente des gâteaux et du chocolat est interdite dans les boulangeries, épiceries, maisons à thé…

3°) Limitation de l’éclairage des magasins – Fermeture à 6 heures. La circulation des tramways et du métro commence plus tard et finit plus tôt.

4°) Suppression du pain frais et de tous les pains de luxe et de fantaisie.

5°) Abaissement du taux de la farine.

6°) Suppression d’un grand nombre de trains rapides et réduction au strict minimum de la circulation sur les lignes secondaires.

7°) La carte de sucre est créée. Celle de pain est à l’étude. Elle est de toutes la plus importante.

Famine

La récolte de blé en 1916 a donné à peine une demi-année ; le blé importé arrive de moins en moins et coûte très cher. Nous allons à la famine si dès maintenant on ne réglemente pas la consommation. Une grande disette de blé est à prévoir dans le monde entier, même après guerre.

Je suis convaincu que toutes ces mesures ne sont qu’un acheminement vers des restrictions plus sévères et qui s’étendront à tout. - Gouverner c’est prévoir - Espérons que l’équipe qui est actuellement au pouvoir saura prévoir.

Neutres

D’une façon générale ces neutres font d’excellentes affaires ; il serait plus exact de dire  « ont fait d’excellentes affaires » car les neutres d’Europe, du fait de la prolongation de la guerre et des blocus et contre blocus, commencent à souffrir eux-mêmes d’importantes restrictions.

Les Etats-Unis ont fait d’énormes bénéfices, leur mouvement commercial atteint pour 1916 le chiffre inouï de 37 milliards dont 10 pour l’importation et 27 pour l’exportation. Dans ce dernier chiffre, la France entre pour cinq milliards ! pour 1916 seulement !

L’or

La production totale de l’or pour 1916 a été de 2 milliards 500 millions dont plus de 1 milliard 500 millions pour l’Angleterre et presque tout le reste pour les Etats-Unis. Il y a là pour nous un réel avantage.

1er Mars

(sur tous les fronts)

- en France -

Les Anglais ont étendu leur front jusque dans la région de Lassigny.

Sur les deux rives de l’Ancre les Allemands ont commencé sur un front de 20 kilomètres un lent mouvement de repli. Ils reculent en laissant un terrain bouleversé et sans abandonner aux Anglais un prisonnier ou un canon. On peut donc dire qu’ils exécutent leur recul librement.

Où s’arrêtera ce mouvement ? Quelle en est la raison ? Quel en est le but exact ? Sur tous ces points les opinions sont des plus divergentes. Néanmoins il semble qu’il doit être considéré comme un signe de faiblesse de l’ennemi. Mais, d’autre part, les grandes offensives demandent de longs mois de préparation, routes et voies ferrées d’approche, mise en place de l’artillerie, dépôts de munitions, reconnaissances aériennes, photographies et repérages… Tous ces travaux sont à recommencer sans cesse en face d’un ennemi qui se dérobe.

Il est vrai que ce n’est là qu’un des côtés d’une question si complexe ; il convient d’attendre les évènements.

Sur un front de 3 kilomètres de violentes actions ont eu lieu à Maisons en Champagne ; il semble qu’après des alternatives diverses, nous avons repris un saillant que les Boches avaient occupé.

Partout ailleurs, en de nombreux points du front, coups de main. On chuchote que d’ici peu notre offensive se déclenchera ; les deux principaux foyers seraient les régions de Lassigny et de Berry au Bac – ce dernier serait le point du grand effort.

- aux Etats-Unis -

Les Etats-Unis ont officiellement annoncés qu’ils armaient leurs bateaux de commerce – ceux-ci pourront ouvrir le feu sur tout sous-marin aperçu.

La guerre est donc inévitable.

L’intervention des Etats-Unis en notre faveur est très importante, dans les circonstances présentes son seul concours économique et financier est inestimable.

5 Mars

- en Russie -

De très graves évènements viennent de se produire en Russie. Sous la direction de la Douma, un mouvement révolutionnaire a éclaté ; les troupes appelées par la police se sont ralliées à l’insurrection y compris les fameux régiments de la garde impériale. Devant la gravité de ces faits le Tsar a abdiqué pour lui et pour son fils en adressant au peuple russe le noble et magnifique message qu’on lira plus loin.

En principe cette révolution semble avoir été faite avant tout contre le germanisme dont s’inspiraient encore bien des actes des membres du gouvernement impérial. Ce serait donc avant tout un mouvement national russe en faveur d’une conduite de la guerre plus intense et plus totale. Le changement semble s’être opéré avec un minimum de désordres.

Mais il serait puéril de ne pas envisager toute la gravité d’un pareil événement.

La personne du Tsar concentre depuis des siècles les trois autorités politique, militaire et religieuse. Il s’agit donc d’un bouleversement inouï dans ce pays et ce n’est pas du jour au lendemain qu’un nouveau gouvernement va se former et pouvoir imposer une autorité qu’il vient de s’octroyer lui-même.

Depuis longtemps il existe en Russie un parti révolutionnaire que la poigne de fer d’une police habile pouvait seule contenir. Il est clair que pour réussir son insurrection, la Douma a du faire à ce parti de larges concessions.

On sait quand les révolutions commencent, on ne sait pas quand elles finissent, le principe de l’autorité une fois gravement atteint, les bases mêmes de l’ordre sont ébranlées.

J’espère que la Douma qui a usé de violence dans un but qui semble patriotique et national, ne soit pas à son tour renversée par de plus violents.

La conduite de la guerre contre l’Allemagne domine toutes les autres. Souhaitons que la force militaire de la Russie soit accrue ainsi que sa détermination de pousser la guerre jusqu’à la victoire.

Abdication du Tsar

« Par la grâce de dieu, nous, Nicolas II, empereur de toutes les Russies, tsar de Pologne, grand-duc de Finlande, etc… à tous nos fidèles sujets nous faisons savoir :

Aux jours de la grande lutte contre l’ennemi extérieur qui s’efforce depuis trois ans d’asservir notre patrie, Dieu a voulu envoyer à la Russie une nouvelle et pénible épreuve. Des troubles intérieurs menacent d’avoir une répercussion fatale pour la marche ultérieure de la guerre tenace. Les destinées de la Russie, l’honneur de notre armée héroïque, le bonheur du peuple, tout l’avenir de notre chère patrie veulent que la guerre soit menée à tout prix jusqu’à une fin victorieuse.

Notre cruel ennemi fait ses derniers efforts et proche est le moment où notre vaillante armée, de concert avec nos glorieux alliés, abattra définitivement l’ennemi.

En ces jours décisifs pour la vie de la Russie, nous avons cru devoir à notre conscience de faciliter à notre peuple une étroite union et l’organisation de toutes ses forces pour la réalisation rapide de la victoire.

C’est pourquoi, d’accord avec la Douma d’Empire, nous avons reconnu pour bien d’abdiquer la couronne de l’Etat et de déposer le pouvoir suprême.

Ne voulant pas nous séparer de notre fils aimé, nous léguons notre héritage à notre frère, le grand-duc Michel Alexandrovitch, le bénissant de son avènement au trône de l’Etat russe. Nous léguons à notre frère de gouverner en pleine union avec les représentants de la nation siégeant aux institutions législatives et de leur prêter un serment inviolable au nom de la patrie bien-aimée.

Nous faisons appel à tous le fidèles fils de la patrie, leur demandant de remplir leur devoir sacré et patriotique en obéissant au tsar dans ce pénible moment d’épreuves nationales, et de l’aider avec les représentants de la nation à conduire l’Etat russe dans la voie de la prospérité et de la gloire.

Que Dieu aide la Russie ! »  

                                                                                          (coupure de journal)

Manifeste du Grand-Duc Michel

Le grand-duc Michel a adressé au peuple russe le manifeste suivant :

« Une lourde tâche m’est confiée par la volonté de mon frère qui m’a transmis le trône impérial à l’époque d’une guerre sans précédent et de troubles populaires.

Animé de la pensée qui anime tout le peuple, que le bien de la patrie prime tout, j’ai pris la ferme résolution de n’accepter le pouvoir suprême que si telle était la volonté de notre grande patrie, qui doit, par un plébiscite et par l’organe de ses représentants de l’Assemblée constituante, établir la forme du gouvernement et les nouvelles lois fondamentales de l’Etat russe.

Par conséquent, invoquant la bénédiction du Seigneur, je prie tous les citoyens de la Russie de se soumettre au Gouvernement provisoire, formé sur l’initiative de la Douma et investi de toute la plénitude du pouvoir, jusqu’à ce que, dans un délai aussi bref que possible, et sur la base du suffrage universel, direct, égal et secret, l’Assemblée constituante exprime, par des décisions relatives à la forme du gouvernement, la volonté du peuple »

                                                                                          (coupure de journal)

Le manifeste du grand-duc Michel n’est qu’un refus déguisé. Le suffrage

- en France -

Le mouvement de repli allemand dont je parlais le 1er Mars a pris soudain une amplitude considérable. D’Arras jusqu’à Soissons, sur un front de 180 kilomètres les Allemands ont effectué un recul considérable. L’armée franco-anglaise a occupé Bapaume, Péronne, Roye, Lassigny, Noyon. Nous sommes aux portes de St Quentin et de La Fère. Nos communiqués n’annoncent aucune prise d’hommes ou de matériels, il s’agit donc d’un recul Boche librement et longuement préparé.

On peut discourir à l’infini sur ce recul, bornons-nous à énoncer quelques faits.

1.      Si les Allemands avaient pu conserver le territoire qu’ils viennent d’évacuer, ils l’auraient gardé et défendu.

2.      Il y a dans ce recul un aveu de faiblesse.

3.      Mais ce recul ne nous donne la victoire en rien, car l’armée ennemie s’est retirée intacte.

4.      Nos plans sont bouleversés.

La délicatesse de notre situation est évidente, les Allemands ont sauvagement dévasté le pays qu’ils abandonnent, nous avançons dans une contrée où tous les ponts et voies de communication sont détruits. Dans ces conditions nous allons atteindre les nouvelles positions allemandes devant lesquelles nous allons être par la force des choses dans un état d’infériorité pendant un temps assez long.

Mais il est vrai qu’il y a la large part de l’inconnu ; ne verrons-nous pas poindre quelque jour quelque Bonaparte. Il est vrai que notre Bistrocratie a eu soin depuis 20 ans de couper toutes les têtes, aussi ne peut-on s’étonner de la pénurie évidente d’hommes de caractères dont la France aurait tant besoin. Hélas, on dit justement tel maître, tel serviteur. La République ne peut s’accommoder que de serviteurs incompétents et sans caractère.

Changement de ministère

Lyautey ayant du démissionner, il en est résulté une crise qui a entraîné la chute du cabinet. C’est Ribot (âgé de 75 ans) qui succède à Briand.

Le nouveau ministère comprend 14 ministres dont 10 avocats, 3 professeurs et 1 spécialiste, l’amiral Lacaze. Lyautey est remplacé jà la guerre par Painlevé, ancien professeur de mathématiques.

En résumé, la nouvelle équipe semble très nettement inférieure à la précédente. La plupart n’ont aucune compétence spéciale pour gérer les officiers de leur département. En cela ils ne diffèrent peut-être pas beaucoup de leurs prédécesseurs ; mais néanmoins ceux-ci après 17 mois d’exercice avaient acquis quelque compétence. Si la France se sauve, ce sera malgré le Parlement.