4 Avril 1917

- en France -

La résistance allemande devenant plus vive, nos troupes occupent une ligne passant par Roisel, Coucy le Château. St Quentin et La Fère sont encore aux boches.

Il se confirme que notre avance n’a été qu’une occupation d’un terrain volontairement abandonné. Je n’aurais jamais cru qu’il fut possible d’évacuer sans pertes un terrain aussi considérable, en présence d’une armée comme la nôtre.

Dans ces malheureuses régions la dévastation est sauvage. De plus en plus le caractère de cette guerre devient toujours plus atroce. Le knock-out d’un des adversaires s’impose, nous ne pouvons plus parler de paix, nous n’avons pas le choix mais l’obligation de nous venger. Il ne s’agit pas de représailles, mais d’une œuvre de justice. Et qu’on ne vienne pas dire que je n’ai pas le droit de parler des abominations allemandes parce que je préconise des représailles. Les brutes sont hors l’humanité. Elles ne connaissent que la force, il faut les mater par la force. Il faut qu’ils sentent eux-mêmes dans leurs biens, dans leurs chairs ce que de propos délibéré ils nous infligent.

Il est nécessaire pour leur punition comme pour leur éducation de leur rendre œil pour œil, dent pour dent.

Au début de la guerre si j’avais commandé une unité entrant en Allemagne, j’aurais empêché mes hommes (par tous les moyens, y compris le revolver) d’exercer des violences. Aujourd’hui après 30 mois de guerre qu’ils ont fait, je prescrirais le pillage, l’incendie et la brutalité. Je le ferais en toute conscience ; je considèrerais comme de mon devoir d’agir ainsi en justicier. Et il n’y a pas là empiètement de pouvoir sur une autre justice.

J’ai entendu d’authentiques récits d’évacués des pays envahis. Comment décrire la somme de souffrances de ces malheureux. Et bien ces évacués sont chargés de dire pour ceux qui sont encore là-bas « Avant tout – Vengez-nous – Surtout ne faites pas la paix sous prétexte de faire cesser nos souffrances – Vengez-nous – La seule chose qui nous donne la force de vivre et de supporter ce joug horrible, c’est la pensée que nous serons vengés »

Telle est la haine terrible et légitime de ces malheureux. Et c’est pourquoi cette guerre devra être poussée jusqu’à la fin. Il faut vaincre d’abord. Tout doit être sacrifié à ce but suprême. Tant pis si les ruines s’accumulent. La pire de toutes les ruines serait la défaite.

Les choses sont bien telles que je viens de les décrire et dans ces conditions on peut comprendre ce que seront les batailles de l’été 1917 !

Prophétie

On connaît la prophétie de Saint Malachie sur la série des Papes : Pie IX (Crux de Cruce) - Léon XIII (Lumen in coelo) – Pie X (Ignis Ardens) – Benoît XV (Religio depopulata) – son successeur sera : Fides intrepida.

Cette prophétie vieille de 2 siècles est remarquable, or le même St Malachie a prédit la guerre actuelle pour 1914, ce qui s’est réalisé. Il annonce que l’Allemagne recevra le coup mortel entre le 17 Août et le 16 Septembre 1917 – vers le 28 Août. Il est bon de noter les prophéties d’avant. On verra.

- en Italie -

Les italiens semblent craindre une offensive dirigée contre eux. L’Allemagne attaquerait par le Trentin et l’Autriche par le Carso. Une telle attaque serait conforme à la tactique suivie jusqu’ici par les empires du centre et qui consiste à attaquer le plus faible avec le maximum de forces.

- en Russie -

C’est bien une révolution. Le tsar et la tsarine sont arrêtés. Cette situation intérieure russe est le gros point noir actuel. Le gouvernement provisoire voit grandir à côté de lui un certain comité ouvrier et militaire qui est pacifiste et révolutionnaire. Que va-t-il advenir.

Message de Wilson

- aux Etats-Unis -

Le congrès c’est réuni. Wilson a lu au milieu des acclamations de l’assemblée un admirable et énergique message qui se termine ainsi :

« Nous voici donc forcés d’accepter la bataille avec l’ennemi naturel de la liberté, et, pour ce faire, nous emploierons la force entière de la nation.

Nous sacrifierons notre vie, notre fortune, tout ce que nous possédons à un tel devoir, avec la fierté de savoir qu’enfin le jour est arrivé où l’Amérique peut donner son sang pour les mêmes principes d’où elle est née, ainsi que pour le bonheur et la paix dont elle a pu jouir.

Dieu aidant, elle ne saurait agir différemment ».

                                                                                                   (coupure de journal)

Les Etats-Unis vont donc se ranger à nos côtés.

Cette coopération est d’une immense importance au point de vue économique et financier. Il est permis de croire que le Président Wilson a toujours été dévoué à note cause. Dans un pays démocratique comme les Etats-Unis, gouvernement d’opinion, la grande habileté de Wilson aura été de rallier progressivement l’opinion jusqu’à créer l’admirable unanimité qui semble se manifester à l’heure actuelle.

Un des plus importants résultats de la coopération américaine sera de nous permettre de lutter efficacement contre le blocus sous-marin et contre les effets de ce blocus. Tout d’abord, les Etats-Unis vont saisir les vaisseaux allemands internés dans ses ports qui représentent plus de 600 000 tonnes.

Et puis cet exemple du plus puissant des neutres sera peut-être suivi par les états de l’Amérique du sud et peut-être par l’Espagne.

La Bête germanique voit le monde entier se lever contre elle.

Pourquoi faut-il que la Russie vienne assombrir l’avenir.

Démocratie - Autocratie

On ne peut se défendre d’un certain étonnement qui touche à l’admiration devant l’incroyable puissance allemande qui lui permet de résister victorieusement à une puissante coalition réunissant plusieurs centaines de millions d’hommes servis par l’industrie et les ressources matérielles des 5/6 du monde.

Nous sommes forcés de reconnaître que depuis 40 ans ce prodigieux développement allemand est du, avant tout, à la forme de son gouvernement qui a permis à un groupe d’hommes remarquables de développer avec autorité et continuité un ensemble de mesures qui ont amené l’industrie, le commerce, l’agriculture à un degré de prospérité inouïe et très supérieure à celle des autres états européens. Ainsi seulement peut s’expliquer la résistance allemande.

Quant à la préparation militaire, nous sommes fixés. Les plus grands progrès allemands ont été réalisés dans ces 25 dernières années sous le régime du Kaiser actuel Guillaume II qui sera à coup sûr une des grandes figures de l’histoire et sur lequel il sera sans doute bien difficile avant un grand nombre d’années de porter un jugement impartial.

Les mesures d’organisation intelligentes qui ont permis à l’Allemagne d’obtenir en tout un rendement exceptionnel ne semblent pas avoir à aucun moment opprimé le peuple allemand. L’ordre et la discipline régnaient, le Kaiser était très aimé de toutes les classes de la population, d’ailleurs les réformes sociales étaient beaucoup plus avancées qu’en France dont pourtant le gouvernement « aime le peuple » et n’a souci que de lui.

Caisses de retraites ouvrières, Mutuelles, Salaires, Habitation (cités ouvrières) Hygiène, Instruction, toutes ces questions avaient été étudiées et des résultats excellents étaient obtenus, alors qu’en France beaucoup de questions mal étudiées n’ont encore pratiquement donné que le gâchis.

Il semblerait donc résulter de ce brillant tableau de la prospérité allemande que ce régime a permis ce magnifique développement d’une grande supériorité sur les régimes démocratiques. A mon humble avis, cela est de toute évidence : la forme monarchique ne peut même être mise en parallèle avec le régime démocratique qui est une déraison. Nous devrions conclure et pour ma part je conclus en souhaitant à l’Allemagne un régime démocratique et à la France le retour à la monarchie.

Malheureusement les Républicains exploitent fort habilement les évènements actuels ; avec quelque vague apparence de raison, ils bourrent le crâne des peuples et cherchent à les persuader que l’autocratie conduit forcément à la guerre et qu’au contraire les démocraties rendent la guerre impossible.

Il est clair qu’après l’affreuse catastrophe mondiale, il faudra faire tout le possible pour éloigner la date des futures guerres. Pour cela dés maintenant les républicains mènent campagne dans le monde entier. Ils disent : Autocratie égale Guerre. Donc établissons partout le régime démocratique.

Voyons ce qui se passe. Il est certain que toutes les nations du monde auraient un grand avantage à étudier et copier la plupart des organisations allemandes. Malheureusement, cette étonnante prospérité, ce développement inouï, ce sentiment de leur supériorité, réelle sur bien des points, a totalement grisé le peuple allemand et développe un orgueil fou. Il s’est imaginé qu’il convenait d’imposer au monde l’hégémonie et la Kultur allemande. Il pensait d’ailleurs que sa supériorité lui rendrait cette tâche aisée. Erreur énorme qui a entraîné l’effrayant conflit, cette guerre totale de douze grandes nations.

Dans ces conditions, c’est évident que les démocrates ont beau jeu de mépriser la vérité, de confondre les effets et les causes en répétant : les autocraties c’est la guerre – les démocraties c’est la paix.

Ils espèrent ainsi jeter le manteau sur les innombrables vices des régimes démocratiques que cette guerre aura révélés ou plutôt confirmés.

Une société ne peut se développer, ne peut vivre que dans l’ordre et l’autorité. Il faut que le supérieur commande à l’inférieur. Les démocraties laïques, basées sur la souveraineté populaire et le suffrage universel doivent logiquement conduire les sociétés à la dissolution complète.

Le rêve démocratique

Voici de nombreux passages du message de Lloyd Georges au peuple américain.

Londres, 7 avril

M. Lloyd Georges, au nom du gouvernement et M. Asquith, ont adressé de vives félicitations au peuple américain pour leur décision de se ranger aux côtés des démocraties de l’Europe contre la tyrannie prussienne.

Voici le texte du message de M. Lloyd Georges, adressé au peuple américain :

« D’un seul bon, l’Amérique est devenue une puissance mondiale dans un sens o* elle ne l’avait jamais été auparavant. Elle a attendu de trouver une cause qui fût digne de ses traditions. Le peuple américain a suspendu son action jusqu’à ce qu’il fût pleinement convaincu que la lutte n’était pas une méprisable et tumultueuse ruée pour la puissance et pour les possessions territoriales, mais une lutte désintéressée ayant pou but d’abattre une conspiration sinistre contre les droits et la liberté de l’humanité.

Cette conviction une fois acquise, la grande République de l’ouest s’est élancée dans l’arène et elle est aujourd’hui rangée aux côtés des démocraties européennes, qui, meurtries et ensanglantées, après trois années d’une affreuse lutte, continuent à combattre l’ennemi le plus sauvage qui ait jamais menacé la liberté du monde.

Les phrases ardentes du noble discours présidentiel illuminent l’horizon et éclairent, d’une lumière plus vive que jamais, le but que nous nous efforçons d’atteindre.

Trois de ces phrases se détacheront en éternel relief dans l’histoire de cette croisade. La première de ces phrases est : « Le monde doit être réservé à la démocratie » ; la seconde : « Une menace pour la paix et la liberté gît dans l’existence des gouvernements autocratiques, soutenus par des forces organisées, entièrement contrôlées par leur volonté et non par celle de leurs peuples ».

La phrase qui couronne les autres est celle dans laquelle le président déclare que « le sol de concert pour la paix ne saurait être maintenu que par l’association des nations démocratiques ».

Ces mots représentent la foi qui inspire et soutient notre peuple au milieu des sacrifices terribles qu’il a faits et qu’il est en train de faire.

Notre peuple, lui aussi, croit que l’union et la paix de l’humanité ne peuvent reposer que sur la démocratie, que sur le droit de ceux qui se soumettent à l’autorité d’avoir une voix dans leur gouvernement, que sur le respect des droits et des libertés des nations, grandes et petites, et que la souveraineté universelle du droit public.

De toutes choses l’autocratie militaire prussienne est l’ennemi implacable. Le cabinet impérial de guerre représentant tous les peuples et toutes les nations de l’empire britannique me charge, en leur nom, de saluer le courage et l’esprit chevaleresque qui inspirent aux états unis de consacrer toutes leurs ressources au service de la plus grande des causes qui ait jamais fait l’objet d’un effort de l’humanité ».

                                                                                                      (coupure de journal)

Et cette dernière phrase de la dépêche de Wilson à Poincaré.

« … Nous voici debout, comme champions des nobles démocraties dont le dessein et les actes contribueront à perpétuer les droits et l’indépendance de l’homme et à sauvegarder les vrais principes de libertés humaines.

Au nom du peuple américain, je vous salue, vous et vos illustres compatriote ».

                                                                                 Signé : Woodrow Wilson.

                                                                                                      (coupure de journal)

Extrait d’un discours de Lloyd Georges.

« La démocratie cherche la paix, lutte pour la paix et si la Prusse avait été une démocratie, il n’y aurait pas eu de guerre et il y a des choses plus étranges encore qui vont arriver et elles arrivent rapidement. Aujourd’hui, c’est la guerre la plus dévastatrice que le monde ait jamais vue et demain peut-être, un demain rapproché, la guerre pourra être rayée à jamais de la catégorie des crimes humains (applaudissements) c’est peut-être quelque chose comme une violente manifestation hivernale, à laquelle nous assistons aujourd’hui, avant le triomphe complet de l’été ».

                                                                                                      (coupure de journal)

Grande Offensive franco-anglaise

(17 Avril)
Anglais

Le 9 Avril les Anglais ont pris l’offensive sur un front étendu de Loos à Arras. Leur attaque préparée par un déluge d’explosifs a obtenu d’importants résultats. La fameuse crête de Vimy est en leur pouvoir. Sur 20 kilomètres de front, leurs lignes ont été avancées de 5 à 7 kilomètres. Liévin a été occupé, ils sont dans les faubourgs de Lens et de St Quentin. 14000 prisonniers et 200 canons ont été pris.

Français

Sept jours après les Anglais, le 16 Avril, nous avons pris l’offensive de Soissons à Reims. Le 17 l’action s’est étendue jusqu’à 10 kilomètres à l’Est de Reims.

Il est certain que cette grande attaque était minutieusement préparée depuis près de cinq mois. Nous avons fait un effort énorme appuyé et préparé par des moyens inouïs d’artillerie. Nous avons fait 14000 prisonniers et conquis partout la première des trois positions allemandes. En quelques points, notamment à l’Est de Craonne, nous avons pénétré jusqu’à la deuxième position.

Il est permis de croire que l’on avait escompté des résultats beaucoup plus étendus. Nous n’avons eu aucunement le bénéfice de la surprise. L’ennemi nous attendait ; il avait massé devant nous de puissantes réserves d’hommes et de matériel. Je crains que nos pertes aient été bien lourdes vu les effectifs considérables que nous avons engagés. Il faut attendre le développement de cette grande bataille.

Les Anglais et nous, avons commencé la grande offensive qui doit délivrer le Nord de la France. Suivant le mot de Castelnau « Nous tenons les Allemands par les oreilles et nous les secouerons jusqu’à ce que leur cervelle soit en bouillie ».

A l’heure où j’écris, en ce 17 Avril 1917, la plus grande bataille que vit jamais le monde est engagée sur plus de 170 kilomètres. Les hommes tombent par dizaines de mille. Quelle horreur !

1er Mai

Les dernières lignes que j’écrivais le 17 étaient inexactes. Il n’est que trop certain que malgré des succès partiels nous avons été durement arrêtés le 16 ; si durement que notre grand effort n’a pu se développer. Des combats partiels se sont poursuivis les jours suivants ; à l’Est de Reims des hauteurs importantes ont été occupées.

Le 23, les Anglais ont repris le combat à l’Est d’Arras et ont gagné quelque terrain après plusieurs jours de furieux combats.

Il est difficile de se faire une idée précise des grands combats de cette dernière quinzaine. Nous avons pris avec les Anglais plus de 40000 prisonniers et 400 pièces d’artillerie. La comparaison des deux offensives est tout à l’honneur des Anglais, ils ont attaqué sur un front plus étroit que nous, mais avec une préparation d’artillerie beaucoup plus concentrée et plus efficace. A l’Est et au Nord Est d’Arras, ils ont avancé de 10 kilomètres. Quant aux Français, pour des raisons inconnues, il semble qu’ils n’ont nulle part atteint leurs objectifs qui étaient pour le moins le plateau de Craonne et la délivrance de Reims. La préparation par l’artillerie a été insuffisante sur un front d’attaque trop étendu. Il y a eu à coup sûr des erreurs de commandement et peut-être aussi d’exécution.

Hélas, la grande offensive française tant attendue n’a pas fait fléchir le front allemand. Les Anglais ont frappé un coup plus dur qui donnera peut-être des résultats importants. Attendons.

Il faudrait aussi connaître quelles sont les pertes respectives. Les nôtres sont lourdes assurément. L’armée anglaise s’est couverte de gloire et s’affirme chaque jour davantage une puissante machine de guerre.

Sous-marins

Avec les jours plus longs, la tâche des sous-marins devient plus facile et le tonnage coulé est toujours de plus en plus important. Mais on estime que les constructions neuves anglaises et américaines balanceront les pertes. Il est certain que l’intervention américaine est venue à temps pour nous ; elle ne saurait malgré tout nous éviter des privations que pour ma part je prévois très grandes en admettant même que la guerre finisse en 1917, ce qui n’est plus certain.

Fin de la guerre

Il est possible qu’elle se prolonge de 4 ou 5 mois en 1918 mais c’est là à mon avis l’ultime date possible de la paix.

- en Russie -

On ne sait pas ce qui se passe en Russie. Il est plus facile de détruire que de construire. En somme, il n’y a pas dans ce pays de gouvernement reconnu. Deux organes se sont attribués le pouvoir, l’un s’intitule « gouvernement provisoire » et veut poursuivre la guerre, l’autre est un « comité ouvrier et militaire » qui veut la paix et la révolution où il espère tirer son épingle du chambardement général.

La révolution grandie en Russie, c’est for grave.

Que devient la discipline dans l’armée, il est impossible qu’elle ne soit pas au moins ébranlée. Or une armée sans discipline c’est une horde et quand elle est russe, une horde sauvage. La Russie n’est nullement mûre pour la démocratie et retombera sans doute automatiquement dans l’autocratie.

Sous-marins

Depuis deux mois les journaux français publiaient à l’envie des articles ridicules sur la faillite des sous-marins boches. Depuis huit jours, sans aucune transition, ils publient des articles alarmants montrant toute la gravité de la menace allemande.

Une fois de plus, à quoi bon mentir quand on sait qu’un jour ou l’autre la vérité apparaîtra forcément. Si on veut que le pays accepte les privations, ne vaut-il pas mieux lui montrer tout le sérieux du contre blocus allemand. Une fois de plus, je répète, nous ne sommes pas gouvernés. Gouverner, c’est prévoir.

Les Anglais reconnaissent officiellement que le tonnage coulé atteint 1 million de tonnes par mois. C’est énorme. Les Anglais ne doivent guère disposer que d’une dizaine de millions de tonnes.

Je veux croire malgré tout que grâce au concours des Etats-Unis les sous-marins allemands ne pourront pas être le facteur décisif qui terminerait la guerre.

20 Mai

- en France -

Le 3 Mai et les jours suivants nous avons livré de durs combats qui ont abouti à la conquête de Craonne dont on a toujours signalé la grande importance stratégique, nous avons fait 6000 prisonniers et repoussé de violentes contre attaques.

Anglais

Les Anglais ont aussi livré de violents combats à l’Est d’Arras contre la ligne Hindenburg. Ils ont conquis quelques villages comme Roeux et Bullecourt.

- en Russie -

La Russie semble en révolution. Il y a tout au moins une sorte de commune à Petrograd. Fruits magnifiques et savoureux des doctrines démocratiques « Liberté, Egalité, Fraternité ».

J’ai toujours pensé que la défaite de l’Allemagne serait pour un demi-siècle un coup très dur porté aux autocraties et aux monarchies. Mais si la révolution vient à conduire la Russie à l’abaissement d’une paix séparée il pourrait au contraire se faire que ce soit le socialisme et l’idée démocratique qui reçoive le coup dur pendant un demi siècle.

- en Italie -

Après six mois de repos l’armée italienne a repris la suite de la bataille de l’Isonzo, elle a gagné quelque terrain et pris 6000 prisonniers. La bataille se poursuit.

Pétain

Pétain est nommé Chef d’Etat Major général le 6 Mai.

Le 16 ce poste est confié au général Foch et le général Pétain est nommé généralissime en remplacement de Nivelle.

Brutes boches

Kipling n’a-t-il pas raison d’écrire « Il y a deux races : la race humaine et la race boche ». Il faut lire l’ordre ci-dessous qui, certes, ne doit pas être unique.

Le Daily Mail publie la traduction de cet ordre du jour, adressé à la population d’Holnon, près de Saint-Quentin :

 Holnon, 20 juillet 1915

« Tous les ouvriers, hommes, femmes et enfants, de plus de quinze ans devront travailler aux champs tous les jours, dimanches compris, de 4 heures du matin à 8 heures du soir.

Une demi-heure de pause est accordée dans la matinée, une heure à midi et une demi-heure dans l’après-midi.

Les cas de désobéissance à cet ordre seront punis de la façon suivante :

Les ouvriers qui chercheront à en éluder l’observation seront formés en compagnie pour la durée de la moisson et placés sous le commandement de sous-officiers allemands ; après la moisson ils feront six mois de prison avec un sur trois au pain et à l’eau.

Les femmes qui se seront mises dans le même cas subiront la même peine.

Les enfants enfin seront passés par les verges.

Le commandant se réserve en outre le droit d’administrer chaque jour vingt coups de cravache à tous ouvriers convaincus de paresse »

Colonel GLOSS

L’horrible ordre du jour précédent fait frémir.

Il est certain que Guillaume restera une grande figure car c’est à lui que l’Allemagne doit sa puissance inouïe qui lui permet de résister à la plus forte coalition connue. Mais il portera une large responsabilité dans de nombreuses atrocités commises et souvent organisées. Cet orgueilleux aura cherché à atteindre son but par tous les moyens ; même les plus inouïs, les plus sauvages. Il ne peut cependant y avoir de grandeur dans l’atrocité, même si le but est la grandeur de l’Allemagne.

L’Histoire le jugera de façon différente suivant qu’il aura réussi ou échoué. Hélas, il est fort à craindre que le Kaiser ne s’ensevelisse sous les ruines de l’Europe car la défaillance des Russes nous achemine vers une guerre quasi indéfinie dont la liquidation sera impossible.

Vols

Dans une revue de Paris (15 Mars 1914) je trouve un article sur la campagne d’Eylau. Je relie cette phrase :

« Denon, directeur des Musées Impériaux, avait passé l’hiver de 1807 à déménager des objets d’art ». De telles phrases vous laissent rêveur.

26 Mai

Quelques violents combats sans résultats sur les fronts anglais et français.

- en Italie -

Les Italiens ont fait 9 000 nouveaux prisonniers entre le Carso et la mer. Beau succès. La bataille pour Trieste continue.

Vers la paix

Lord Cecil à la Chambre des Communes et Ribot à la Chambre française ont prononcé d’importants discours sur nos buts de guerre. Ils marquent un sérieux recul sur les buts de guerre des Alliés définis dans la note de Janvier 1917.

Ribot réclame seulement la restitution de l’Alsace Lorraine et une indemnité pour les ravages causés dans le nord de la France. Il veut une paix basée sur la liberté nationale et l’amitié internationale. Quelle concession aux socialistes !

C’est assurément un pas vers la paix, mais c’est nous que le faisons. Peut-être, hélas, nous est-il imposé par la gravité de la situation russe, l’échec de notre offensive, le sérieux de la menace sous-marine.

Mais tous les beaux discours sont vains. Ce qu’il faudrait c’est briser militairement l’armée allemande, faire reculer ce front intangible.

Si nos moyens offensifs s’accroissent, la valeur défensive de leurs positions croît pareillement. Ils multiplient l’artillerie et les nids de mitrailleuses, la profondeur des abris, leur protection. Le ciment, le béton armé sont utilisés en grand. Les ouvrages sont reliés par de profonds tunnels. Les barrages de fil barbelé augmentent en nombre et largeur.

En profondeur il y a 5 ou 6 positions reliées les unes aux autres par des boyaux bétonnés et des tunnels et cela sur plusieurs kilomètres. Quand, comment, par quels moyens arrivera-t-on jamais à percer ces défenses ??

Enfin il est certain que de lourdes erreurs ont été commises dans notre grande offensive de rupture du 16 Avril. Faisons confiance à Pétain qui saura les éviter et obtenir enfin une décision militaire.

Sous-marins

Il y a pour la première quinzaine de Mai une diminution sensible dans le nombre de torpillages.

6 Juin

- en France -

Sur les fronts anglais et français il s’est produit de part et d’autre de violentes attaques sur des fronts étroits sans aucun résultat apparent.

- en Italie -

Les Italiens annoncent 22 000 prisonniers mais en ont perdu un nombre égal. Ils ont reperdu la plus grande partie du terrain qu’ils avaient gagné.

- en Russie -

Aucune action sur le front russe où l’armée se reconstitue peu à peu dit-on. Je l’espère sans y compter car la conduite de la guerre moderne exige avant tout un gouvernement fort et compétent et un peuple discipliné. Ni l’un ni l’autre n’existent en Russie.

8 Juin

Les Anglais viennent de remporter une belle victoire au sud d’Ypres où ils ont occupé un saillant allemand de 12 kilomètres de base et 5 de profondeur, faisant 7000 prisonniers ; Cette attaque semble avoir été aussi bien conçue que magistralement exécutée. L’infanterie anglaise a attaqué d’une façon splendide après une préparation minutieuse et une coordination parfaite de toutes les variétés d’un puissant matériel offensif, artillerie, mitrailleuses, mines, lance-flammes, grenades, avions, tanks. Les Allemands qui prévoyaient une attaque ont subi un échec.

Je constate avec joie que l’armée anglaise devient chaque jour davantage un formidable outil de combat. J’avais dit que l’armée française avait une valeur supérieure. Je n’oserais pas renouveler cette affirmation. En tout, le perfectionnement de l’armée anglaise est rapide et constant. On peut être certain qu’elle n’est pas encore à l’apogée de sa puissance.

On doit s’incliner bien bas devant l’admirable effort anglais qui plus tard étonnera le monde autant que la puissance allemande, davantage peut-être car l’Angleterre a commencé à préparer la guerre 40 ans après les Boches.

Après avoir constaté les progrès de la force anglaise, je voudrais en dire autant de la force française. Les derniers évènements militaires sembleraient hélas indiquer plutôt, sinon une diminution de notre force, au moins son mauvais emploi.

Bataille de Messines

Le correspondant du Times, de Londres sur le front britannique, envoie le récit suivant de la bataille de Messines :

« … Un grand silence succéda au tonnerre des canons et l’on put entendre distinctement le chant d’un rossignol. Puis les Allemands devinrent plus actifs, et l’air se remplit du bruit des shrapnells cherchant à détruire certaines de nos batteries, à gauche de l’endroit où je me trouvais, tandis qu’à droite ils envoyaient des obus de gros calibre. Seulement deux de ces obus avaient passé en hurlant par-dessus nos têtes lorsque commença une chose qui annihila tous les autres bruits et qui fut telle que plus rien d’autre n’exista.

Je ne sais exactement combien de mines éclatèrent à la fois, mais ce devait être tout près de vingt. Plusieurs de ces mines avaient été creusées il y a un an et étaient restées sous les pieds des Allemands, sans que ceux-ci les découvrissent. Je crois qu’en tout plus de 600 tonnes de puissants explosifs explosèrent en même temps. On ne peut pas imaginer ce que c’est que de voir et d’entendre 600 tonnes, réparties en 20 mines, qui éclatent simultanément sur une longueur de 17 kilomètres.- Je ne suis pas capable de décrire cela – Moi-même, je n’ai vu que neuf de ces mines dont les flammes orange s’élançaient vers le ciel de la partie du front que j’avais sous les yeux ; chacune de ces mines était un énorme volcan. D’autres de ces volcans surgissaient au même moment ; au-delà des premiers, cachés par les flammes qui s’élevaient au milieu de détonations terribles, projetaient en l’air de grosses masses de poussière et de fumée, qui étaient autant de colonnes pointant vers le ciel et éclairées en bas par les feux.

Le spectacle était terrifiant. Comme pour intensifier encore l’horreur de la chose, la terre se mit à trembler comme un château de cartes. Je me tenais sur une colline qui fut secouée comme de la gelée ou comme les petites maisons des gardes-barrière lorsque passe un rapide. Un officier qui avait été de garde pendant la nuit s’était laissé tomber à terre et malgré le bruit et les obus allemands, il était parvenu à s’endormir. Brusquement, il se dressa en s’écriant : «  Un tremblement de terre ! Un tremblement de terre ! » Et, après tout, il avait raison, car la terre tremblait en effet.

Puis, tandis que le bruit allait en diminuant, brusquement, toutes nos batteries recommencèrent à la fois le bombardement. En un instant, tout l’horizon s’enflamma des éclairs de nos canons et des éclairs des shrapnells qui éclataient. Rien ne peut se comparer à ce spectacle. Imaginez tout le ciel embrasé de feux blancs et jaunes, oranges, rouges et verts. Imaginez des milliers d’éclairs de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Imaginez un ciel qui serait un immense diamant avec des millions de facettes et qu’une main géante secouerait. Imaginez ce que vous voudrez et vous n’approcherez pas de la vérité. C’était éblouissant, assourdissant et d’une splendeur stupéfiante. Maintenant, tout l’horizon vers l’est est caché par la ceinture de fumée des tirs de barrage augmentée des fumées des obus et des mines et au-dessus de nous le ciel était d’un bleu transparent, éclairé par la lune sereine.

Puis le premier rayon rose de l’aurore s’éleva au-dessus d’Ypres. Le soleil, à mesure qu’il s’élevait, restait caché derrière la fumée, mais teintait en rouge le ciel au-dessus de lui. Ce fut une aurore merveilleuse et terrible.

                                                                                                      (coupure de journal)

20 Juin

Rien de nouveau sur le front.

Réalités

Une fois de plus, le temps passe. Une vague d’inquiétude passe dans le pays. Cette victoire certaine dont on parle toujours est plus que jamais entièrement à réaliser. Il semble qu’il règne dans l’armée un certain découragement. La défection russe est tellement grave. Ce malheureux pays est aux mains des socialistes, c’est-à-dire qu’il est perdu s’il ne peut s’en arracher.

Le socialisme est la négation même de tout ce qui constitue un grand état. Il tue la confiance, origine du crédit, il tue l’initiative privée et la liberté qui créent la propriété.

Là où l’autorité est contrôlée par une foule ignorante, il n’y a plus d’autorité. Et quand il n’y a plus d’autorité dans une Russie, c’est la plus épouvantable anarchie dans un bain de sang.

C’est vers une révolution sanglante et atroce que la Russie marche d’un pas assuré à moins que des hommes énergiques s’appuyant sur la force ne parviennent à rétablir l’ordre par la force.

Je le souhaite, mais il est presque chimérique de l’espérer.

Et alors ? ! …

Pouvons-nous vaincre sans l’aide militaire de la Russie. Je ne le crois pas, du moins avant l’intervention complète des Etats Unis qui ne saurait peser de tout son poids avant 1919. Assurément, nous ne serons pas vaincus, nous dominerons même l’adversaire mais pas assez pour imposer notre paix.

Mais je ne crois pas que la guerre puisse se prolonger encore longtemps, je reste persuadé que l’armistice sera signé dans un an à pareil jour.

Dés maintenant l’après guerre m’apparaît comme difficile ; plus la guerre se prolonge, plus la liquidation sera inextricable. Elle arrivera vite à être impossible. Alors se justifiera la sinistre prédiction : l’Allemagne s’écroulera sous les ruines de l’Europe.

Certes la guerre apprend à bien des gens la vertu du sacrifice et la possibilité de se priver de bien des choses indispensables. Mais l’habitude aura été prise par beaucoup de toucher des salaires élevés et de plantureuses allocations. Du côté patronal, l’élévation des frais généraux ne permettra guère d’accueillir les revendications ouvrières, conséquence de la vie chère.

On se retrouvera des deux côtés de la barricade.

Combien l’avenir s’annonce grave. J’ai le sentiment d’un abîme ouvert devant nous, tant d’inconnues se dressent et se heurtent qu’on ne sait pas. De toute part les nuages montent, s’amoncellent au-dessus de l’Europe. Mais quelle sera la violence de l’orage, les dégâts de la foudre… Dieu seul le sait.

Jean

Après avoir quitté la région de St Dié, Jean est resté au repos dans la région d’Epinal. Ensuite on les a dirigé sur l’Aisne où il occupe un secteur du Chemin des Dames à l’Ouest de Filain entre Craonne et Soissons.