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A mon frère

Poème trouvé sur une feuille volante dans son carnet de 1892 et qui fut écrit après la mort de son frère Henri.

La pièce où tu mourus est devenue ma chambre
Car ton esprit, mon frère, aux soirées de Septembre,
Y plane plus vivant que dans les autres lieux,
Apportant avec lui comme un souffle des cieux.
Ta présence invisible adoucit mes prières
Et j’ai repris le lit où tes lourdes paupières
Ont voilé tes grands yeux qu’emplissait l’infini.
C’est là, mon bien aimé, que le temps fut fini
Pour toi et là aussi qu’une aurore éternelle
A surgit devant toi, si brillante et si belle,
Que nous oubliant tous, malgré ton cœur aimant,
Tu es au ciel des purs monté comme un beau chant.
Ah ! cette chambre est triste, on ne peut pas y rire.
Les mots joyeux et doux ne doivent point s’y dire,
Car les murs ont gardé pour les rendre en échos
Les bruits sourds et confus de nos anciens sanglots.
Tel qu’il est cependant, ce triste sanctuaire,
C’est l’endroit préféré où mon cœur solitaire
Aime à rêver dans l’ombre, à la tombée du jour ;
J’y sens tomber mes larmes et grandir mon amour
Pour le Dieu qui nous reste alors que tout s’envole
Et ton doux souvenir, mon Chéri, me console.
Lorsque j’ai bien prié, lorsque j’ai bien pleuré,
Tu ranimes mon cœur un instant égaré.
Quand j’ai dit à Jésus que mon angoisse est forte,
Tous mes désirs éteints, mon espérance morte,
Mon âme sans ardeur et mon esprit sans foi,
Que je voudrais enfin reposer comme toi
Dans un oubli profond des choses de la terre,
Que je trouve la vie insipide et amère
Depuis que j’ai compris son terrible néant
Ses espoirs menteurs, son, charme décevant
C’est toi, d’un frère aimé, la douce ombre chérie,
Qui tout bas me murmure : «  il faut aimer la Vie ! »

Notre étoile

Poème trouvé sur une feuille volante dans son cahier ! « Mon journal des vacances de Pâques 1894 ».

A Maman qui, en me quittant avait donnez rendez-vous chaque soir à nos pensées devant l’une des étoiles de la Grande Ourse.

Te souviens-tu encore de m’avoir dit un jour
« Quand la nuit descendra couvrir tout de son voile
Et que je serai loin, je mettrai mon amour
Dans un tendre baiser lancé à une étoile. »
Depuis lors ma pensée s’envole chaque soir
Vers l’astre qui poursuit sa voie silencieuse
Dans les champs de l’éther plus purs qu’un clair miroir
Où le maintient sans doute la loi mystérieuse.
Cette étoile est pour moi la plus belle des cieux
Elle éclipse alentours ses sœurs jalouses d’elle
Car elle a conservé le reflet de tes yeux
Qui sont de doux rayons dans sa claire prunelle.

Restons-en là

(Poèmes trouvés sur des feuilles volantes dans son carnet de 1892 quoique écrits en 1900. Ils y ont donc été glissés par une autre main.)

Le corps et l’âme anéantis,
Je m’éveille de mon extase
Et devant les bonheurs sentis,
Je crains la lie au fond du vase.
Restons-en là !....

Une folie me vient au cœur,
Mon âme est d’amour enfiévrée
Mais elle veut rester la soeur
.De ta douce âme bien aimée
Restons-en là !....

N’épuisons pas à tout jamais
Et, puisqu’il germerait encore
De ce baiser que tu voulais,
Une volupté que j’ignore.
Restons-en là !....

Par pitié laisse à notre amour
La douceur d’un dernier mystère,
Et, pour nous aimer sans retour,
Fuyons une joie passagère.
Restons-en là !....

Laisse en nos âmes un coin d’azur,
Qu’il nous reste à rêver encore……
Il faut que notre amour soit pur
Comme les clartés de l’aurore.
Restons-en là !....

Gardons un chaste souvenir
Qui triomphera des années
Et parfumera notre avenir
De l’arôme des fleurs fanées.
Restons-en là !....

Et pour que nos deux âmes, un jour,
Tressaillent de joies éternelles,
Sachons respecter notre amour ;
O, ne lui brisons pas les ailes.
Restons-en là !....

            M.P. (16 Janvier 1900)

Solitude

Quand tout est calme autour de moi,
Que se sont tus les bruits du monde,
Et que, dans une paix profonde,
Mon âme essaie de lire en soi.

Comme un flot d’invisibles amis
Mes rêves montent de l’abîme
Où, par une pudeur intime,
Je les tenais ensevelis.

Ils ont vite jeté loin d’eux
Les plis de leurs voiles funèbres
Et ces échappés des ténèbres
Elancent leur vol dans les cieux.

Ils montent au fond de l’azur,
Aussi loin que peuvent leurs ailes,
Puis, ils reviennent, très fidèles,
Près de moi dans le calme obscur.

Mon cœur vous suit avec amour
Oh ! pensées blondes, oh ! pensées roses,
Souvenirs d’adorables choses,
Qui se sont enfuies sans retour.

Et quand vous entourez mon front
De vos enivrantes caresses,
Je sens les anciennes tendresses
Me remplir d’un bonheur profond.

Alors je vous cause tout bas
Filles craintives de mon âme.
Je me réchauffe à votre flamme,
La seule qui ne me trahit pas.

Vous me parlez des jours passés,
Vous évoquez la douce image
De tous ceux que dans mon voyage
J’ai déjà connus et aimés.

Grâce à vous, je les vois encor
Car ils traversent ma pensée
Et la laissent illuminée
D’un clair et joyeux rayon d’or.

Je ne crains pas vos abandons,
Plaisirs dont la vie est remplie ;
Ma solitude est éclaircie
Par un doux viol de papillons.

Mes rêves fous, mes rêves chers,
Embellissez ma solitude,
Voilez sous votre multitude
Du présent les instants amers.

Submergez-les sous vos flots bleus
Afin que mon âme blessée
S’élance, doucement bercée,
Dans le monde mystérieux.

            M.P. (17 Janvier 1900)

Notre nid d'amour

(Poème trouvé sur une feuille volante dans son cahier repris le 5 Octobre 1901 et écrit à son mari)

Tout à l’heure distraitement
Henri je viens d’ouvrir un livre
Je le referme en souriant
Et à mon rêve je me livre

Te souviens-tu du nid d’amour
Caché sous la verdure sombre
Où tu m’amenas un jour
Pour nous aimer tous deux à l’ombre

C’est là que l’œillet a fleuri
Dans un jardin au pied des neiges
Et que son calice flétri
Que mon cœur s’est ouvert

Ami, sais-tu que je t’ai vu
Ecrasé là entre deux pages
Et quel souvenir imprévu
A soudain écarté les nuages
Et mis un rayon de soleil
Dans mon âme mélancolique

C’est le souvenir du nid d’amour
Caché dans la verdure sombre
Où tu m’amenas un beau jour
Pour nous aimer tous deux à l’ombre

Tout mon bonheur est fait d'amour

(Relevé dans son cahier de jeune-fille)

De quoi donc est fait mon bonheur ?
Il est si profond que je n’ose
Sonder l’abîme de mon cœur.
Il est aussi si frêle chose
Que je pourrais, en le cherchant,
Tuer dans mon âme inquiète
La fraîcheur de mon sentiment.
Cependant, d’une main discrète,
Ne pourrais-je un peu soulever
Le socle d’or de ce mystère
En me gardant bien d’enlever
L’écran qui dérobe à la terre
Un rayon échappé des Cieux.
Souvent, une science très grande
Fait pencher nos fronts soucieux.
Il est bon que Dieu nous défende
De plonger nos regards très loin
Car l’infini est son domaine
Et c’est par amour, qu’avec soin,
Il l’interdit à l’âme humaine.
Nos esprits faibles et bornés
Essaieraient en vain de comprendre
Et ils se replieraient brisés
Pour avoir trop voulu s’étendre.

Ne cherchons pas avidement
Penchés avec nos êtres en fièvre
Pourquoi le cœur bat follement
Et pourquoi donc sourit la lèvre ?
Ni quelle est la cause des pleurs
Que nous versons avec ivresse,
Ni d’où viennent rêves et langueurs
Dont l’âme se pâme et se berce

…………………………………

Tout mon bonheur est fait d’amour
Je le sais….. J’ignore le reste.
L’amour se défend du jour,
Se fait un manteau d’ombre et reste
Aux coins les plus mystérieux
Et les plus profond de notre être.
A la fois doux et impérieux
Il nous soumet, devient le maître.
Il nous rend heureux et martyrs.
En nous pénétrant, fibre à fibre,
Il mêle les chants aux soupirs.

Dans nos cœurs éperdus où vibre
Un doux et étrange bonheur,
Proche voisin de la souffrance,
Si fort parfois qu’il nous fait peur
En restant une jouissance.
Nous nous courbons tous sous sa loi
Extases à l’âme ravie
Et nous le proclamons le Roi,
L’essence même de la Vie.

            (11 Novembre 1901)