(Ces prochains vers ont été recopiés de la main de ma grand’mère et conservés précieusement par elle au milieu de tous ses écrits et correspondances. Je les retranscris ci-dessous tels que je les ai trouvés.)
Je rentrais un soir
de vent et de pluie
où l’hiver s’ennuie
à pleurer du noir.
En poussant la porte
de chez moi, je vis
une femme en gris
qui me sembla morte
Près des chenets droits
comme tours d’église,
elle était assise
le front dans ses doigts
Sans frayeur, je ne sais pourquoi,
je fermais doucement la porte
comme si j’attendais chez moi
la visite de cette morte.
A côté d’elle je m’assis
et tisonnai le foyer gris.
Alors elle leva la face
et je ne la reconnus point.
Mais la vie va si loin, si loin
et souvenir si tôt s’efface.
Elle a peut-être traversé
tout de même un jour mon passé.
J’ai joué peut-être avec elle
quand elle était petite et belle
Et qu’il ne poussait de blancs jasmins
dans la terre de nos jardins.
Car si je ne l’ai point connue
pourquoi donc est-elle venue ?
J’ai pourtant bien vu qu’elle était
dans la demeure qu’il fallait
Et si douce avec son front blême
elle avait tant l’air de savoir
Les choses que l’on ne peut voir
et qui sont au fond de moi-même.
Lors je ne l’ai point
même interrogé.
Elle s’est logée
chez moi dans un coin.
Point ne la redoute
ni la veut chasser
je sens qu’elle écoute
mon âme penser.
Nul ne la devine
et nul ne la voit
mais elle chemine
à côté de moi.
La route mène …. (fragments)
. . . . . . . . . . .
. . . . . Et moi je m’en vais
sans avoir pourquoi
Je songe aux pays qui là-bas s’étendent
De l’autre côté des mers.
Ils ont leurs forêts et leurs grèves,
leurs jardins, leurs champs et leurs landes
semblables à ceux que je vois, et je suis certain qu’un autre homme y rêve
comme moi.
Et ce sont les mêmes pensées
Qui hantent nos deux esprits
Et nous mourrons sans nous connaître
Et cela vaut mieux peut-être
Car nul de nous n’aura compris
Le chant des forces insensées.
______
Un grand pin
dans l’air
se dénoue
vers la me
qui appelle.
Et la mer
rebelle
chante au loin
et joue.
Le grand ar
= bre vert
à toute heure
fidèle
la regar
de et pleure
______
Au bord recueilli
d’un golfe désert,
tout près de la mer
un arbre a vieilli.
Le flot qui s’obstine
a creusé la terre
Voici des racines
qui pendent dans l’air
comme un écheveau.
L’arbre solitaire
s’est penché sur l’eau
car la mer têtue
a des haches blanches
qui frappent
et sapent.
L’arbre s’exténue
et déjà ses branches
trempent dans la mer.
On dirait vraiment
que pieusement
il bénit et baise
l’eau mauvaise
qui le tue.
______
La nuit, la nuit, quelle chose est-elle ?
Qui donc l’appelle ou lui fait signe ?
La voici ce soir qui ruisselle
Toute la terre se résigne.
Elle gagne, elle s’élève
elle est déjà parmi les vignes
les oliviers, les chênes lièges,
vers la montagne qu’elle assiège
sur les routes et sur les grèves
Toute la terre se résigne.
Mais voici des feux épars
dans la largeur du crépuscule
sournois, révoltés, qui jettent
à la nuit géante et muette
dans les spasmes de leurs regards
toute leur haine minuscule.
Ah ! je suis triste et je suis las
je songe, la nuit n’est pas
seulement des ombres
elle est aussi, je crois bien,
une poussière qui vient
d’étranges décombres
Elle est j’en suis sûr la nuit
quelque chose qui se détruit
et qui tombe,
l’écroulement proche ou lointain
d’une demeure trop ancienne
bâtie au milieu des possibles
ou la ruine quotidienne
de quelque chose de très vain
qu’échafaude chaque matin
la présomption des soleils
car, vous savez, le monde est plein
de palais invisibles.
Or les dieux ont leurs caprices
D’ailleurs ne leur faut-il pas
distraire par nos tracas
l’éternité de leurs supplices ?
Et quand l’un d’eux s’est rebuté
d’une immuable vérité
il la brûle
et ce sont alors ses débris
qui tombent dans nos esprits
au crépuscule.
Aussi qu’importe
la flamme vive
ou morte ?
les feux qui luisent
sous les toits
dans la montagne ou sur la rive
de la mer grise
que je vois ?
Puisque aussi bien
la nuit n’est pas
l’ombre là-bas
qui va descendre
et qu’on efface.
Elle est aussi
triste souci
couleur de cendre
plus gris en nous
que dans l’espace
qui chaque soir
quoique l’on fasse
s’en vont pleuvoir
dans l’âme lasse
à flocons mous.
______
La vigne pousse, au ras de terre
un cep noueux qui s’étire
et l’on dirait au cimetière
où les tertres sont alignés
tous les poings sortis indignés
pour maudire.
Et le soir calme
au golfe plat tend son ardoise :
dans une barque de pêcheurs
lèvent leurs rames comme des mats.
Un piquet dans la mer
à deux brasses du rivage
se coiffe de soleil.
______
Dans la forêt etc. … (fragments)
… sur des branches aux gestes lents.
Et sans la voir j’entends la mer
inexorable
qui s’obstine
et je devine
le galop de ses taureaux blancs
sur le sable.
J’entends aussi les feuilles
qui disent des choses tristes
et les gémissements qui viennent
de plus loin par-dessus les plaines
prier les arbres que leurs cimes
les recueillent
et les expriment.
______
Au temps où les hommes ont cru ….. (fragments ……)
Mais les montagnes aujourd’hui
et les océans sont franchis
même plaines, même rivages,
ils ne sont nulle frontière,
toutes les lignes de la terre
sur elles-mêmes se replient
comme une cage
et nous y sommes à jamais
comme des bêtes, enfermés. Etc. …
______
Des chemins vont dans l’étendue
vers le jour et vers la nuit
mon âme se sent perdue
sur le chemin qu’elle suit.
Derrière elle, sur la route,
le temps marche à pas réguliers
sans le vouloir elle écoute
le bruit lourd de ses souliers.
Il n’est ni compagnon, ni guide
il a l’air maussade et borné ;
on le souffre par habitude
comme un mendiant obstiné.
Mais il fait peur par son silence
et son manteau mystérieux ;
on ne sait pas ce qu’il pense
son chapeau tombe sur ses yeux.
Et quand ma jeunesse en fête
rit et chante derrière moi,
je n’ose tourner la tête
car c’est lui d’abord que je vois.
______
Dans le hall de l’hôtel etc. … (fragments….)
Le poète songe à la mort,
à toutes les forces lourdes
aux inachèvements blêmes
qui bordent la vie des autres
comme des pierres tombales….
Le poète songe à la mort
des hommes, des choses, des idées.
Les branches des arbres dehors
viennent frapper à petits coups
sur la vitre des croisées.
On dirait quelqu’un d’invisible
qui veut entrer …. etc. …
______
Je sais que triste est mon rêve
et je crois qu’il faut mourir.
J’ai peur pourtant qu’il s’achève.
Il est des tâches dans la Vie
qui m’offrent destins meilleurs,
et je sais à les accomplir
que l’on vit mieux et qu’on oublie.
Pourtant je rêve et je meurs.
______
Faites silence, ouvrez les portes
Voici venir les dieux du soir.
Les entendez-vous qui descendent
et qui s’approchent ?
Ils parlent ; écoutez-les.
Leurs mots glissent le long des choses
Leur voix est triste comme l’ombre
Leurs gestes doux comme leurs jeux.
Entre les monts qui la déversent
La nuit se répand et s’endigue
A mi-côte, attentive, une église
dit les heures à la vallée.
Sur les crêtes, voile gonflée
Le croissant dressé, navigue.
______
et la colline
est appuyée à mon épaule
comme une harpe qu’on incline
pour en jouer.
______
Les sommets au bord du ciel blanc
s’évaporent
montent, exhalant
leur neige et leur glace
légers, dirait-on,
comme l’air ;
ils ne semblent pas
des choses qui sont
mais des visions
qui s’effacent.
Soudain dans leur brume
éteinte
qui fume
et se mêle aux cieux
le soleil choisit
une pointe.
La pointe rosit.
Les pics et les dômes
plus loin dans leur brume
reculent
Pâles ils assistent
comme des fantassins
envieux
à la joie injuste
qu’un hasard allume
et qui brûle.
______
…. Les hommes ont lié la terre avec des routes
comme un ballon qu’on veut porter dans un filet.