MAURICE BOUCHER

(Ces prochains vers ont été recopiés de la main de ma grand’mère et conservés précieusement par elle au milieu de tous ses écrits et correspondances. Je les retranscris ci-dessous tels que je les ai trouvés.)

Nouveaux poèmes

Je rentrais un soir

de vent et de pluie

où l’hiver s’ennuie

à pleurer du noir.

En poussant la porte

de chez moi, je vis

une femme en gris

qui me sembla morte

Près des chenets droits

comme tours d’église,

elle était assise

le front dans ses doigts

Sans frayeur, je ne sais pourquoi,

je fermais doucement la porte

comme si j’attendais chez moi

la visite de cette morte.

A côté d’elle je m’assis

et tisonnai le foyer gris.

Alors elle leva la face

et je ne la reconnus point.

Mais la vie va si loin, si loin

et souvenir si tôt s’efface.

Elle a peut-être traversé

tout de même un jour mon passé.

J’ai joué peut-être avec elle

quand elle était petite et belle

Et qu’il ne poussait de blancs jasmins

dans la terre de nos jardins.

Car si je ne l’ai point connue

pourquoi donc est-elle venue ?

J’ai pourtant bien vu qu’elle était

dans la demeure qu’il fallait

Et si douce avec son front blême

elle avait tant l’air de savoir

Les choses que l’on ne peut voir

et qui sont au fond de moi-même.

Lors je ne l’ai point

même interrogé.

Elle s’est logée

chez moi dans un coin.

Point ne la redoute

ni la veut chasser

je sens qu’elle écoute

mon âme penser.

Nul ne la devine

et nul ne la voit

mais elle chemine

à côté de moi.

La route mène …. (fragments)

. . . . . . . . . . .

. . . . . Et moi je m’en vais

sans avoir pourquoi

Je songe aux pays qui là-bas s’étendent

De l’autre côté des mers.

Ils ont leurs forêts et leurs grèves,

leurs jardins, leurs champs et leurs landes

semblables à ceux que je vois, et je suis certain qu’un autre homme y rêve

comme moi.

Et ce sont les mêmes pensées

Qui hantent nos deux esprits

Et nous mourrons sans nous connaître

Et cela vaut mieux peut-être

Car nul de nous n’aura compris

Le chant des forces insensées.

______


Un grand pin

dans l’air

se dénoue

vers la me

 qui appelle.

Et la mer

rebelle

chante au loin

et joue.

Le grand ar

= bre vert

à toute heure

fidèle

la regar

de et pleure


______

Au bord recueilli

d’un golfe désert,

tout près de la mer

un arbre a vieilli.

Le flot qui s’obstine

a creusé la terre

Voici des racines

qui pendent dans l’air

comme un écheveau.

L’arbre solitaire

s’est penché sur l’eau

car la mer têtue

a des haches blanches

qui frappent

et sapent.

L’arbre s’exténue

et déjà ses branches

trempent dans la mer.

On dirait vraiment

que pieusement

il bénit et baise

l’eau mauvaise

qui le tue.

______

La nuit, la nuit, quelle chose est-elle ?

Qui donc l’appelle ou lui fait signe ?

La voici ce soir qui ruisselle

Toute la terre se résigne.

Elle gagne, elle s’élève

elle est déjà parmi les vignes

les oliviers, les chênes lièges,

vers la montagne qu’elle assiège

sur les routes et sur les grèves

Toute la terre se résigne.

Mais voici des feux épars

dans la largeur du crépuscule

sournois, révoltés, qui jettent

à la nuit géante et muette

dans les spasmes de leurs regards

toute leur haine minuscule.

Ah ! je suis triste et je suis las

je songe, la nuit n’est pas

seulement des ombres

elle est aussi, je crois bien,

une poussière qui vient

d’étranges décombres

Elle est j’en suis sûr la nuit

quelque chose qui se détruit

et qui tombe,

l’écroulement proche ou lointain

d’une demeure trop ancienne

bâtie au milieu des possibles

ou la ruine quotidienne

de quelque chose de très vain

qu’échafaude chaque matin

la présomption des soleils

car, vous savez, le monde est plein

de palais invisibles.

Or les dieux ont leurs caprices

D’ailleurs ne leur faut-il pas

distraire par nos tracas

l’éternité de leurs supplices ?

Et quand l’un d’eux s’est rebuté

d’une immuable vérité

il la brûle

et ce sont alors ses débris

qui tombent dans nos esprits

au crépuscule.

Aussi qu’importe

la flamme vive

ou morte ?

les feux qui luisent

sous les toits

dans la montagne ou sur la rive

de la mer grise

que je vois ?

Puisque aussi bien

la nuit n’est pas

l’ombre là-bas

qui va descendre

et qu’on efface.

Elle est aussi

triste souci

couleur de cendre

plus gris en nous

que dans l’espace

qui chaque soir

quoique l’on fasse

s’en vont pleuvoir

dans l’âme lasse

à flocons mous.

______

La vigne pousse, au ras de terre

un cep noueux qui s’étire

et l’on dirait au cimetière

où les tertres sont alignés

tous les poings sortis indignés

pour maudire.

Et le soir calme

au golfe plat tend son ardoise :

dans une barque de pêcheurs

lèvent leurs rames comme des mats.

Un piquet dans la mer

à deux brasses du rivage

se coiffe de soleil.

______

Dans la forêt etc. … (fragments)

… sur des branches aux gestes lents.

Et sans la voir j’entends la mer

inexorable

qui s’obstine

et je devine

le galop de ses taureaux blancs

sur le sable.

J’entends aussi les feuilles

qui disent des choses tristes

et les gémissements qui viennent

de plus loin par-dessus les plaines

prier les arbres que leurs cimes

les recueillent

et les expriment.

______

Au temps où les hommes ont cru ….. (fragments ……)

Mais les montagnes aujourd’hui

et les océans sont franchis

même plaines, même rivages,

ils ne sont nulle frontière,

toutes les lignes de la terre

sur elles-mêmes se replient

comme une cage

et nous y sommes à jamais

comme des bêtes, enfermés. Etc. …

______

Des chemins vont dans l’étendue

vers le jour et vers la nuit

mon âme se sent perdue

sur le chemin qu’elle suit.

Derrière elle, sur la route,

le temps marche à pas réguliers

sans le vouloir elle écoute

le bruit lourd de ses souliers.

Il n’est ni compagnon, ni guide

il a l’air maussade et borné ;

on le souffre par habitude

comme un mendiant obstiné.

Mais il fait peur par son silence

et son manteau mystérieux ;

on ne sait pas ce qu’il pense

son chapeau tombe sur ses yeux.

Et quand ma jeunesse en fête

rit et chante derrière moi,

je n’ose tourner la tête

car c’est lui d’abord que je vois.

______

Dans le hall de l’hôtel etc. … (fragments….)

Le poète songe à la mort,

à toutes les forces lourdes

aux inachèvements blêmes

qui bordent la vie des autres

comme des pierres tombales….

Le poète songe à la mort

des hommes, des choses, des idées.

Les branches des arbres dehors

viennent frapper à petits coups

sur la vitre des croisées.

On dirait quelqu’un d’invisible

qui veut entrer …. etc. …

______

Je sais que triste est mon rêve

et je crois qu’il faut mourir.

J’ai peur pourtant qu’il s’achève.

Il est des tâches dans la Vie

qui m’offrent destins meilleurs,

et je sais à les accomplir

que l’on vit mieux et qu’on oublie.

Pourtant je rêve et je meurs.

______

Faites silence, ouvrez les portes

Voici venir les dieux du soir.

Les entendez-vous qui descendent

et qui s’approchent ?

Ils parlent ; écoutez-les.

Leurs mots glissent le long des choses

Leur voix est triste comme l’ombre

Leurs gestes doux comme leurs jeux.

Entre les monts qui la déversent

La nuit se répand et s’endigue

A mi-côte, attentive, une église

dit les heures à la vallée.

Sur les crêtes, voile gonflée

Le croissant dressé, navigue.

______

et la colline

est appuyée à mon épaule

comme une harpe qu’on incline

pour en jouer.

______

Les sommets au bord du ciel blanc

s’évaporent

montent, exhalant

leur neige et leur glace

légers, dirait-on,

comme l’air ;

ils ne semblent pas

des choses qui sont

mais des visions

qui s’effacent.

Soudain dans leur brume

éteinte

qui fume

et se mêle aux cieux

le soleil choisit

une pointe.

La pointe rosit.

Les pics et les dômes

plus loin dans leur brume

reculent

Pâles ils assistent

comme des fantassins

envieux

à la joie injuste

qu’un hasard allume

et qui brûle.

______

…. Les hommes ont lié la terre avec des routes

comme un ballon qu’on veut porter dans un filet.