Les Morize

(Notes sur ma famille écrites en 1946 puis reprises en 1967

par Pierre Morize, ingénieur des Eaux et Forêts.)

Côté paternel : les Morize

Mon grand-père paternel : Julien Morize, est né le 14 décembre 1842 à Vic-sur-Seille (Moselle). Il était le fils de François, Marie, Morize qui a dû mourir à Nancy où il est enterré. Sa mère : Elisabeth Lacour, était la seconde ou troisième femme de son père. D’un mariage précédent était né un fils : Jules. Mon grand-oncle était prêtre. Il est mort curé d’Amance, près de Nancy (Meurtre et Moselle) et enterré dans le cimetière qui entoure l’église. C’est lui qui a surtout élevé mon grand-père dont la mère était morte alors qu’il était encore tout jeune.

Mon grand-père Morize était architecte diplômé du gouvernement. Il était passé par l’école des Beaux-Arts. Après la guerre de 1870, il avait abandonné son pays natal qui se trouvait en Lorraine, annexé par les Allemands, et il se fixa à Paris où il devint architecte du département de la Seine en plus de son cabinet particulier. Il a habité rue Tronchet, puis 4 rue Saint Florentin et enfin 26 rue Las Cases. Il avait épousé Julie Bourgart de Colmar (Haut-Rhin) et eut trois fils : Henri (mon père), Albert et Paul. Il eut, en plus, trois enfants qui n’ont pas vécu. Je n’ai pas connu ma grand’mère maternelle qui est morte, un peu avant le mariage de mon père, écrasée par un tombereau dans la rue.

Mon grand-père a construit plusieurs immeubles et hôtels particuliers, une caserne de gendarmerie et l’hospice de vieillards de Villejuif qui fut son œuvre principale. Il fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur et est mort à Paris le 3 novembre 1922 à la veille de ses 80 ans. Il est enterré au cimetière du Père Lachaise avec ma grand’mère.

Après la mort de celle-ci, il avait épousé Madame Beauvais, la belle-mère de mon oncle Albert, qui fut ma marraine.

Mon grand-père était un homme excessivement distingué et bien élevé. Il était extrêmement bon mais sévère. C’était, pour nous, un exemple et un modèle. Il était véritablement le chef de famille et nous avions pour lui un très grand respect et une affection sans borne. Nous le voyions souvent et pour chaque fête, pour Noël, pour le Premier Janvier, il nous réunissait tous. Il était resté très gai de caractère et ces réunions étaient pleines d’entrain. D’une santé de fer, il a été emporté d’une congestion pulmonaire. Venu me chercher à la Sorbonne le jour de mon baccalauréat, il m’avait emmené déjeuner au restaurant. Il a senti qu’il prenait froid et quelques jours après il se mettait au lit pour ne plus se relever.

Mon père, François Henri Morize, est né à Paris le 25 avril 1875. Après des études au lycée Condorcet et au collège Stanislas, il est entré à l’école Centrale d’où il est sorti ingénieur des Arts et Manufactures. Il a fait son service militaire comme sous-lieutenant au 12ème régiment d’artillerie de Vincennes.

Il connaissait ma mère depuis longtemps. Enfants, ils s’étaient rencontrés au bord de la mer à Pornichet, puis ils s’étaient retrouvés à Paris où ils étaient presque voisins. Ils se sont mariés à l’église de la Madeleine à Paris, le 2 juillet 1901.

A ce moment, mon père était ingénieur aux aciéries de la marine et d’Homécourt et affecté à l’usine de Saint-Chamond (Loire). C’est là que mon frère est né. Rappelé à la direction générale de la compagnie, aux bureaux de Paris, mon père vint habiter Asnières (Seine) où je suis né ainsi que ma sœur.

Il fut chargé de plusieurs missions en Amérique Centrale et en Amérique du Sud pour y présenter du matériel d’artillerie. Il fit un premier voyage, accompagné de ma mère et de mon frère (nous laissant ma sœur et moi chez notre grand’mère Prat) : au Mexique, à New York, au Brésil et en Argentine. Puis, en 1913, il repart au Mexique où la révolution éclate le lendemain de son arrivée. Il rentre en France en janvier 1914, part en Belgique et ne revient que quelques jours avant la mobilisation du mois d’août.

Il part comme lieutenant mais reste au dépôt du 12ème d’artillerie comme instructeur à Vincennes. Puis, il est remis à la disposition des aciéries de la marine qui travaillent pour l’armement. Nous le suivons à Saint-Chamond. Mais cette position ne plait pas à mon père et, après plusieurs démarches, il rejoint, comme volontaire, le 260ème régiment d’artillerie. Il est affecté en qualité d’adjoint à un chef d’escadron. Il prend part à plusieurs actions et, sous Verdun, il est sérieusement gazé par l’ypérite. Il est évacué à Bordeaux. Couvert de brûlures, on craint quelques jours qu’il perde la vue. Une fois remis, il rejoint son régiment, est promu capitaine et prend le commandement d’une batterie. Il termine la guerre dans ce grade avec Croix de Guerre et trois Citations dont une à l’ordre du corps des armées, une à l’ordre de la division et une autre à l’ordre du régiment. Plus tard il sera fait Chevalier de la Légion d’Honneur pour sa conduite pendant la guerre.

Peu après sa démobilisation, en 1919, il est envoyé au Brésil où il restera 5 ans avec deux retours en France. Quand il revient en 1925, après une entente entre les aciéries de la marine et les établissements Schneider (Creusot) sur la question fabrication artillerie, mon père devint ingénieur attaché à cette dernière compagnie. On l’envoie en mission au Venezuela, au Pérou et au Chili. Il en revient la veille de mon mariage et ce fut son dernier voyage en Amérique. Il eut l’occasion d’aller en Tchécoslovaquie (Prague) et en Lituanie (Kannas).

Mon père était passionné par le métier militaire. Il suivait avec assiduité les cours de perfectionnement des officiers de réserve et fut nommé chef d’escadron dans la réserve. Atteint par la limite d’âge, l’honorariat de ce grade lui fut conféré.

Mais cela ne lui suffit pas et il s’engagea à servir à nouveau éventuellement pour la durée de la prochaine guerre. C’est ainsi que, en octobre 1938, il fut de nouveau mobilisé au moment des évènements de Munich. En 1939, il fut, pour la troisième fois, rappelé par l’ordre de mobilisation générale. Il prit le commandement d’un régiment territorial à Paris. Puis il passa dans un service comme adjoint au général qui s’occupait du matériel d’artillerie. Au moment de l’arrivée des Allemands à Paris, il partit avec son service à la Rochelle puis à Tarbes. Cette seconde guerre, qu’il fit en qualité de volontaire, valut à mon père d’être nommé Officier de la Légion d’Honneur.

A sa démobilisation, mon père avait atteint l’âge de 65 ans et les établissements Schneider lui ont dit qu’ils ne pouvaient le reprendre. Il a regagné notre propriété du Mesgouëz en Plougasnou (Finistère) avec une retraite dérisoire pour les services rendus et très insuffisante à l’heure actuelle. Il est obligé, faute de personnel, de faire les courses pour l’approvisionnement. Plusieurs fois par semaine, il va au bourg, à près de sept kilomètres, chez le boucher et le boulanger et fait tous les trajets à pied. Il n’a guère de distractions et mène une vie sévère et dépourvue de tout confort.

Au cours de ses missions à l’étranger, mon père a vu et fait des choses intéressantes. Il les a consignées dans les lettres qu’il écrivait journellement à ma mère. Celle-ci en a extrait les principaux passages dans des cahiers. Réceptions dans les ambassades, chez les ministres des pays où il séjournait, voyages à l’intérieur des terres, expéditions chez les Indiens sauvages dans la forêt vierge du Brésil, chasses au tapir, à l’once, traversées de l’Atlantique, relatés dans un style parfait et d’une façon très vivante, constituent des récits qui, j’espère, pourront être conservés soigneusement par sa postérité.

Papa a hérité des qualités de mon grand-père. Très fort en mathématiques, il était spécialisé dans les questions de balistique. Il a rédigé plusieurs notices pour initier ses enfants et petits-enfants aux mystères de l’arithmétique et de l’algèbre. Mais je dois avouer que c’était un peu supérieur pour nos pauvres esprits. Papa était également un lettré. Quoique loin de sa famille pendant de longs mois il continuait à nous suivre et à nous diriger de loin. Il était sévère mais juste et bon. C’était un chef qui inspirait le respect et un exemple pour nous tous, un chrétien convaincu et un excellent Français. Les lettres qu’il nous écrivait étaient pleines de bons conseils et d’affection.

Je ne sais d’ailleurs pas pourquoi aujourd’hui je parle de Papa au passé. Il est en parfaite santé et je souhaite qu’il demeure encore de longues années parmi nous. Nous en avons toujours besoin et j’espère que ses dernières années seront plus heureuses que celles que nous traversons en cette période trouble d’après guerre.

Mon oncle Albert, de deux ou trois ans plus jeune que mon père, était architecte comme mon grand-père dont il a pris le cabinet. Il était, en plus, architecte de la ville de Paris. Il a épousé Charlotte Beauvais et eut un fils : Jean Morize, qui a suivi les traditions de la famille. Il est passé par l’école des Beaux-Arts et avait réussi au concours d’architecte du département de la Seine. Il aurait très certainement eu une belle carrière. Notre cousin, étant fils unique, nous considérait comme ses frères et sœurs et nous étions très liés. Il a épousé Germaine Choquet alors qu’il était encore jeune, eut une fille : Michèle Morize. Mais, en 1929, il est mort d’une poliomyélite à l’âge de 26 ans.

Mon oncle fit la guerre de 1914 comme lieutenant d’infanterie. Dès le début, il fut blessé aux jambes : les deux membres fracturés par une balle, il ne se remit pas assez bien pour rejoindre une unité combattante et termina la guerre dans les services du Génie. Il obtint la Croix de Guerre et fut nommé Chevalier de la Légion d’Honneur.

La mort de son fils fut une cruelle épreuve suivie de la mort de sa femme le jour où on enterrait le premier. Ma tante n’avait pas supporté un tel chagrin et c’est à l’église même, alors que commençait la cérémonie, qu’elle eut un arrêt du cœur. Plein de ressort, d’une foi très profonde, mon oncle a surmonté son malheur. Sa belle-fille et sa petite-fille sont venues habiter avec lui, mais ma cousine est devenue paralysée et ce fut une tristesse de plus pour mon oncle.

Celui-ci était, je crois, mon oncle préféré. Très dévoué, très affectueux, très jeune de caractère et très gai nous aimions le retrouver et, à nos passages à Paris, c’était lui qui nous accueillait toujours avec beaucoup de bonté et de joie.

Mon second oncle : Paul Morize, d’une douzaine d’années plus jeune que mon père, rêvait, dès son plus jeune âge, d’aventures. Encore enfant, il disparut de chez ses parents. Mon grand-père, très inquiet, le fit rechercher et c’est à Marseille qu’on le retrouva ; il allait s’embarquer sur un bateau pour aller chercher un passage pour les caravanes du côté de la Mer Rouge. Il est probable que le jeune explorateur fut reçu comme il se devait. Mais pour manifester sa joie, mon grand-père offrit à ma grand’mère une bague que mon oncle Paul a donnée, par la suite, à ma femme.

Après quelques autres aventures et après avoir préparé l’école militaire de Saint-Cyr, mon oncle est passé par l’Ecole Coloniale. A sa sortie, il épouse Mademoiselle Marie-Louise Rouveyre et part en Indochine, au Cambodge, comme administrateur des services civils.

Il fait en France, dans un régiment de zouaves, la guerre de 14-18. Il la termine avec la Croix de Guerre.

Il fait sa carrière entièrement en Indochine : Annam, Tonkin, Cambodge, avec détachement à l’Ecole Coloniale comme professeur de langues orientales. Il est fait Chevalier de la Légion d’Honneur à la suite de l’Exposition Coloniale de Marseille qu’il a organisée en partie.

Sans enfant, il demande à faire valoir ses droits à la retraite de bonne heure et il se retire à Paris. Cependant la vie à la campagne l’attire. Il a une préférence pour la montagne et cherche un coin où il pourra se fixer. En attendant, il loue un appartement aux Vans (Ardèche) où il compte passer la meilleure saison avec ma tante. C’est là qu’il habite pendant la guerre de 39-40.

Lorsque, après ma démobilisation, je rentre à Briançon (Hautes Alpes), mon oncle et ma tante nous y rejoignent, cette dernière ayant besoin de l’air de la montagne. Mais, après examen, son cas est jugé beaucoup plus grave et elle est obligée de se soigner énergiquement. Nous les voyons alors beaucoup tous les deux. Chaque soir mon oncle vient à la maison faire une partie d’échecs. L’état de ma tante s’aggrave. Elle est obligée de redescendre à Gap où elle meurt  à l’hôpital le 29 juillet 1941. Appelé par mon oncle j’assiste avec lui à ses derniers moments.

L’oncle Paul vient alors habiter à Briançon, la ligne de démarcation impossible à franchir ne lui permet pas de rentrer à Paris. Il nous suit quand nous partons à Sisteron puis au bout de quelques mois il se retire à nouveau aux Vans où depuis il vit seul. Il est devenu Tertiaire de l’ordre de Saint-François et prie beaucoup. L’oncle Paul était un artiste très doué pour l’aquarelle et la musique. Il aimait également la pêche à la ligne.

Côyé maternel : les Prat

Je n’ai pas connu mon grand-père : Adrien Paul Prat.

Ma grand’mère Prat, née Marie Bocquet, habitait, à Boulogne sur Seine (Seine), une grande maison avec un beau jardin, au 164 rue de Paris ; cette propriété lui venait de sa mère (mon arrière-grand-mère Bocquet, née Pépin, petite fille du grand-père Vignon). Celle-ci était une vieille dame d’autrefois, entourée de nombreux domestiques, jardiniers, cochers avec voitures et chevaux. Ma grand’mère soignait particulièrement son jardin, elle avait deux jardiniers. Elle tenait moins à l’intérieur de sa maison où elle faisait beaucoup de choses par elle-même. Quant aux chevaux, ils avaient été remplacés par un âne : « Pedro », sur lequel nous avons pris nos premières leçons d’équitation et avec lequel nous allions  nous promener en voiture au Bois de Boulogne.

En 1910, nous sommes venus habiter la maison voisine, au 166 rue de Paris, appartenant également à ma grand’mère. Nous avons particulièrement bien connu celle-ci. Tous les dimanches nous déjeunions chez notre grand’mère et nous passions nos après-midi dans le jardin qui était mieux entretenu que le nôtre.

Chez nos parents, c’est nous qui faisions les jardiniers et nous avions entrepris un élevage de poules qui grattaient partout ; nous avions également des chiens (bergers d’Alsace). Au 162 rue de Paris habitait un allié de la famille : Louis Sandrin, que nous appelions : notre oncle. Il avait un tennis ce qui était fort agréable.

Nous avons vécu ainsi jusqu’à la mort de ma grand’mère en septembre 1924. Elle avait alors 70 ans. C’est au collège de Boulogne que mon frère et moi avons fait presque toutes nos études.

Le frère aîné de ma mère, mon oncle : Henri Prat, est mort jeune. Il était licencié en droit.

Ma mère : Louise, Jeanne, Marie, Madeleine Prat est née à Boulogne sur Seine le 6 août 1877. Sa vie fut toute de dévouement pour nous. Elle a supporté vaillamment les longues absences de mon père qu’elle n’a pas voulu suivre, à l’exception de son premier voyage, afin de nous éviter la pension et de nous assurer l’atmosphère familiale et l’affection dont elle nous a entourés, veillant sur nous et surveillant notre travail. Elle aussi fut un exemple pour nous en toutes choses et, quand elle ne sera plus parmi nous, sa disparition produira un vide cruel.

A la mort de ma grand’mère, maman hérita de la maison qu’elle habitait au 166 rue de Paris à Boulogne. Mais les maisons voisines ayant été vendues par nos oncles, maman a préféré vendre la sienne également, le cœur bien serré. En 1926, elle acheta le manoir du Mesgouëz à Plougasnou (Finistère), propriété saccagée par les propriétaires précédents qui avaient succédé au général de La Briffe. Nous connaissions le coin depuis quelques années puisque nous venions en vacances à Plougasnou. C’est là que maman habite depuis 1939 et elle semble s’être attachée à cette propriété. Malheureusement, sa vie n’y a rien d’agréable : manque de personnel, manque de confort. Ma mère, à près de 70 ans, est obligée de se livrer à des travaux auxquels elle n’était pas habituée et elle y laisse sa santé.

Mon oncle : Louis Prat, était mon parrain. Il était artiste peintre, élève de l’école des Beaux-Arts. Il a obtenu de nombreuses récompenses au salon des artistes français pour ses œuvres (peintures à l’huile et gravures). Il a épousé Henriette Bonnal, fille du général Bonnal. Il eut cinq enfants : Annie qui a épousé mon frère, Olivier épouse Marie Lacourt (6 enfants), François épouse Elisabeth Rébouis (3 enfants), Claude épouse Jean Chiny (4 enfants), Monique. Mon oncle est mort vers 56 ans.

Mes tantes Geneviève et Marguerite Prat étaient jumelles. La première, atteinte de paralysie, est morte en 1918 à 36 ans. La seconde a eu, de son mariage avec René Serdet, devenu général, un fils : Roger.

Mon oncle Emmanuel Prat après avoir préféré l’école des Beaux-Arts (section architecture) a abandonné pour faire du commerce. De son mariage avec Suzanne le Doyen il eut trois enfants : Jean-Michel, Claude et Nelly (ma filleule). Mon oncle est mort relativement jeune à 50 ans en 1940.

Les collatéraux

Mon frère : Franz, Henri, Marie, Michel Morize, est né le 11 novembre 1902 à Saint-Chamond ( Loire). Il est sorti major de l’Institut Agricole de Beauvais. Il fit son service militaire dans les zouaves à Oran et Alger. A son retour, il s’installa dans notre propriété du Mesgouëz où il fait de l’agriculture. Il épousa notre cousine : Annie Prat et eut trois enfants : Françoise, Alain (mon filleul) et Olivier. Il fit la guerre de 39-40 comme lieutenant d’infanterie et fut fait prisonnier. Il est resté en Allemagne, à Nuremberg et en Saxe, jusqu’en 1943, date à laquelle il fut mis en congé de captivité comme conseiller agricole à Morlaix. C’est le seul d’entre nous qui ait accompagné papa dans un de ses voyages au Mexique, au Brésil et en Argentine. Il avait alors 5 ans.

Ma sœur : Alberte, Christiane, Marguerite, Marie Morize, est née le 30 décembre 1906 à Asnières (Seine). Elle fait beaucoup de musique : piano et harpe, a suivi des cours au conservatoire de Versailles. Elle est sortie de l’école ménagère de la rue Monsieur. Ne s’étant pas mariée, ma sœur s’est totalement consacrée à sa famille. Elle a fait plusieurs séjours à la maison pour nous aider dans les moments difficiles (naissances d’enfants en particulier). Elle soignait ses neveux avec compétence et amour. Pendant la captivité de mon frère, elle s’est occupée du Mesgouëz et, depuis, elle vit et aide à l’exploitation.

Pierre Morize

Bien que venu au monde entre les deux, je me dois de ne parler de moi qu’en dernier.

Je suis né le 25 novembre 1905 à Asnières (Seine) et ai été enregistré à l’état civil sous les noms de Adrien, Marie, Pierre Morize. J’ai vécu à Asnières, 46 rue Flachat, jusqu’en 1910, date à laquelle j’ai eu la diphtérie. Puis nous sommes venus habiter Boulogne sur Seine, 166 rue de Paris. En octobre 1913, je suis entré au collège Notre Dame de Boulogne en 10ème. C’est dans cette maison que j’ai fait mes études sauf une interruption de deux ans (7ème et 6ème) durant la guerre de 14-18 pendant lesquels j’étais au collège de Sainte-Marie de Saint-Chamond (Loire) chez les pères Maristes. Nous étions externes et, pendant les grandes vacances, nous allions en Bretagne au bord de la mer. Généralement nous emmenions, avec nous, notre cousine Annie.

En 1924, je suis entré à l’école Sainte Geneviève à Versailles chez les pères Jésuites où j’ai préparé l’Institut National Agronomique. Par un coup de chance, j’ai été reçu la première année et, après deux ans d’études, je sortais ingénieur agronome et élève à l’Ecole Nationale des Eaux et Forêts. J’avais voulu me présenter également à l’Ecole des Haras mais y ai renoncé.

A ma sortie de l’Institut Agronomique, je fus reçu à la Préparation Militaire Supérieure, fus incorporé au 6ème régiment des Dragons à Vincennes et envoyé à l’école d’application de cavalerie à Saumur en qualité d’élève officier de réserve. Notre stage de six mois dans cette école fut assez dur : c’était l’hiver et nous faisions beaucoup de cheval ce qui m’intéressait. Nommé sous-lieutenant en mai 1928, je fus affecté au 31ème Dragon à Lunéville où j’accomplis mes six derniers mois de service militaire. Pendant ce temps j’ai fait d’intéressantes manœuvres en Lorraine et en Alsace.

Après ma libération en novembre 1928, je suis entré à l’école forestière à Nancy. Mes deux ans dans cette école furent une des plus joyeuses périodes de mon existence. J’avais de charmants camarades et nous jouissions d’un régime assez large. Les tournées de fin d’année nous laissent un souvenir ineffaçable. En février 1930, au cours d’une promenade à ski dans les Vosges, au col de la Petite Pierre, je me suis cassé une jambe. Je fus soigné à l’hôpital militaire de Nancy où il a fallu me faire une ostéosynthèse. C’est dans cet établissement que j’ai subi mes derniers examens de l’école forestière. Camarades et professeurs furent très dévoués.

Affecté à Bellay (Ain) comme garde général des Eaux et Forêts, j’ai rejoint mon poste le 1er octobre 1930. Les premières semaines furent assez sévères. Je me trouvais très isolé, mon inspecteur (Monsieur Mantelier) se trouvait à Bourg et mon conservateur (Monsieur Burin des Rosiers, puis Monsieur Alteirac) à Mâcon. Mais j’avais beaucoup de travail et mon métier m’intéressait. Sans personnel de bureau, j’ai du me mettre à la machine à écrire. J’avais acheté une petite voiture pour mes tournées. Mon personnel était épatant. En hiver, j’assistais souvent à des battues au sanglier organisées par le sous-préfet et celui-ci m’emmenait en Savoie et dans l’Isère. Je ne tardais pas à me lier avec les officiers du bataillon de tirailleurs marocains en garnison à Belley. Nous avions une popote très sympathique et j’en étais le vice-président. Nous faisions parfois des chahuts qui provoquaient les malédictions des Belleysans. Nous étions aussi invités de temps à autre par des gens de la ville qui avaient des filles à caser.

En 1934, j’ai pu obtenir le poste d’officier adjoint à Lorient (Morbihan). Ce fut d’abord une grande joie : je revenais presque dans ma famille et je me rapprochais de ma fiancée qui habitait Laval et que j’avais rencontrée chez nos voisins de campagne : son oncle de Kermadec. Mais la vie fut tout autre que je me l’étais imaginé. Mon inspecteur (Monsieur G. Roux) était trop tatillon à mon avis. Il n’était pas drôle et rendait le service exécrable. Pas un camarade. Ma seule distraction était d’aller un dimanche sur deux à Laval. En octobre 1935, je me suis marié, le 10, en la chapelle Saint Michel de Laval. C’est l’oncle de ma femme, le Père Guy le Marois qui a béni notre mariage.

Six mois après notre mariage, en avril 1936, je fus affecté, sur ma demande, à Briançon (Hautes Alpes) au poste d’adjoint à l’inspecteur. Ma carrière fut très active. Mon chef : Monsieur de Touzalin, était très dynamique. Mais j’étais parfois gêné par le vertige. Cela ne m’a pas empêché de faire des courses en montagne, de chasser le chamois (j’en ai même eu un à mon tableau), de cueillir des edelweiss et du genépi. Je me suis remis au ski, cela nous permettait de sortir en hiver alors que le travail extérieur était très réduit.

Nous nous sommes beaucoup plus à Briançon où il y avait une garnison importante. Les ménages d’officiers du 193ème régiment d’Infanterie Alpine étaient d’excellents amis (le colonel de la Baume, les lieutenants Rouvillois, Juille, Baudry, La Garde). Nous faisions des bridges ensemble, nous recevions et faisions aussi des promenades. Nos quatre garçons aînés : Henri, Jean, Yves, Michel, sont nés à Briançon.

Mais, en 1939, je fus mobilisé.

(Ici dans le recueil de ses mémoires se situe son récit de la guerre 39/40)

(Suite des « notes sur ma famille », reprises en 1967

  par Pierre Morize, ingénieur des Eaux et Forêts.)

Mais, en 1939, je fus mobilisé.

Ma femme et les enfants se sont réfugiés à Laval et j’ai rejoint un Groupe Forestier en formation à Grenoble (Commandant Carreau, mon prédécesseur à Belley). Notre unité est partie à la Ferté près de Chalon sur Saône. Nous cantonnions dans le château du Baron Theirard et exploitions les bois de la forêt domaniale.

Fin décembre, je fus détaché au centre militaire des bois de guerre à Lorient. Je revenais dans mon ancienne inspection (Commandant Lesage). J’avais le grade correspondant à Capitaine. Avec ma famille nous avions pu nous installer dans une petite villa (Cenomani) à Thoulars près de Larmor. C’est là que nous avons vu les Allemands arrivés en juin 1940.

J’ai eu la chance de n’être pas fait prisonnier et, en août, j’ai pu rejoindre Briançon d’où les militaires avaient disparu. La vie fut plus sévère et surtout pénible à cause du manque de nourriture. Nous avons fait la connaissance d’un ménage charmant, les de Lagarde (lui était capitaine de gendarmerie et elle, plus tard, sera la marraine de notre 10ème enfant : Armelle).

En octobre 1941, je fus promu au grade d’inspecteur et nommé à Sisteron (Basses-Alpes) comme chef de service. Nous étions logés dans un immeuble administratif : l’ancien couvent des Cordeliers. Notre 5ème enfant : Philippe, est né à Dignes et nous a aussitôt donné de sérieuses inquiétudes : c’est un miracle s’il a vécu. Le pays était joli, situé partie en Dauphiné, partie en Provence et il aurait été agréable s’il n’y avait pas eu les circonstances de l’après-guerre et de l’occupation à partir de 1942. Le ravitaillement y était très difficile, il fallait cultiver des pommes de terre, des lentilles, des haricots pour ajouter une nourriture plus substantielle aux potirons, aux topinambours et aux rutabagas. Nous avons même acheté un demi-cochon. Puis des maquis, composés d’espagnols rouges, de tchèques, de F.T.P., se sont installés partout en forêt et on ne pouvait plus sortir sans courir le risque de se faire descendre. Il y avait parfois des rencontres entre maquisards et allemands, des combats de rue avec des sifflements de balles des journées ou des nuits entières, puis des descentes de la gestapo, des prises d’otages … on n’était jamais sûr et tranquille.

Le 15 août 1944, Sisteron fut bombardé par les avions américains. La ville fut presque entièrement détruite et il y eut de nombreux morts. Pendant plus d’un mois, nous allions chercher notre nourriture préparée pour les survivants dans des cuisines roulantes. Les Allemands étant partis, les troupes américaines et françaises n’ayant fait que passer les maquisards et les communistes devinrent les maîtres. Il y eut des arrestations, des jugements et même des exécutions sommaires. C’est alors vers décembre 1944 que des gens, voulant se débarrasser de moi, voulurent me faire arrêter.

J’ai pu obtenir mon changement et fus affecté à Quimper (Finistère) que j’ai rejoint en avril 1945. J’ai commencé par y vivre en célibataire. Ma femme n’a pu me rejoindre qu’en octobre suivant, alors que j’avais trouvé à louer une maison sur les quais de l’Odet (maison ayant appartenu au poète Max Jacob). Notre première fille : Marie-France, était née entre temps à Laval et les cinq derniers sont nés dans la capitale du Finistère. Notre fille : Armelle, la 10ème, y fut baptisée par Monseigneur Fauvel, évêque de Quimper et de Léon dans l’église de Kerfeunteun.

Les débuts à Quimper furent donc assez difficiles, les Allemands occupaient la poche de Lorient. Mais il était plus facile de se procurer de la nourriture et même du tabac. Puis peu à peu les choses revinrent dans l’ordre.