Histoire de l'abbaye de 1553 à 1790

Les Abbés Commanditaires (1553-1790)

 

Contrairement à l’Abbé régulier qui est élu par ses paires, l’Abbé Commanditaire est un homme qui se voit pourvu d’un monastère ou d’une abbaye par le Roi. Il s’agira souvent d’hommes de bonne famille qui auront plus le souci de leur bien-être que de celui de leur abbaye dont ils tireront le plus de profit possible. Ils garderont leur nom et ne seront pas soumis aux règles de l’abbaye pas plus qu’aux vœux prononcés par les moines et, dans la plupart ces cas pour ne pas dire dans tous les cas, ils n’habitent pas sur place. Cette disparité fera toute la différence et marquera le début de la mort de grand nombre d’abbayes dont celle de Froidmont dont nous allons commencer à assister, à partir de maintenant, au déclin.

 

Ce seront désormais des Abbés Commanditaires et non plus des Abbés Réguliers qui vont administrer l’abbaye de Froidmont.

Après la mort de Claude de Bèze, l'abbaye de Froidmont resta peu de temps vacante. Le concordat donnait au roi le droit de nommer les Abbés, et Henri II se garda bien de laisser périmer ce droit car il avait trop d'intérêt à le conserver. Il se hâta donc de donner un Abbé à Froidmont. D'après les termes du concordat, il devait nommer un religieux du même ordre, sous peine de nullité, et c'était aussi la prescription formelle du concile de Trente. Il n’en tint cependant pas compte.

Le roi se laissa facilement prendre aux prétextes des grands seigneurs et des gens de son Parlement, qui criaient au scandale contre les monastères. On leur reprochait leurs richesses, surtout aux abbayes cisterciennes, si nombreuses et si riches. Parce que le relâchement de la discipline et l'abandon de l'ancienne observance s'étaient glissés dans ces établissements, parce que leurs pauvres moines n'étaient plus les austères cisterciens d'autrefois et se contentaient d'être d'honnêtes gens, de bons chrétiens, faisant l'aumône abondamment, pratiquant largement l'hospitalité, ne mangeant de la chair que trois fois la semaine, gardant l'abstinence les autres jours, et observant fidèlement les jeûnes de l'Eglise, ces seigneurs prétendaient qu'on ne pouvait plus supporter leurs excès.

Pourquoi ne pas leur en confier l'administration, à eux ou aux prélats leurs fils ? Pourquoi ne pas mettre, disaient-ils, des Abbés Commanditaires ? Pourquoi, au lieu des Abbés réguliers, ne pas mettre des Abbés séculiers, que l'on dispenserait de la vie régulière ? Par leurs soins leur vigilance, et par leur désintéressement, ils sauraient mettre plus d'ordre dans les finances des monastères, et mieux régler l'emploi des revenus, et, par leur vie exemplaire, ils remédieraient au relâchement des moines.

Le roi les crut, et ne vit pas que le remède allait être pire que le mal.

Qu'étaient-ce, en effet, que ces hommes que l'on proposait pour remplacer les Abbés réguliers ? Des cadets de famille entrés dans la cléricature par amour des honneurs et des richesses plutôt que par vocation ; des prélats de cour qui avaient, la plupart du temps, les mœurs et les défauts des courtisans, des hommes d'argent et de plaisirs, et presque jamais des hommes de Dieu.

Aussi, qu'arriva-t-il ? Ces hommes, aux vues si malsaines, aux intentions si intéressées, ne furent que des êtres parasites, qui s'emparèrent des biens des monastères confiés à leur garde, non point comme d'économes et fidèles administrateurs, mais comme des propriétaires qui ont plein droit sur leur patrimoine, ou, pour parler plus juste, comme des vautours se jetant sur une proie longtemps désirée.

A peine laissèrent-ils aux religieux de quoi ne pas mourir de faim, et ils les réduisirent à un si petit nombre qu'il ne leur était presque plus possible de s'acquitter en commun des divins offices.

Les réparations des bâtiments étaient si négligées qu'il fallait souvent poursuivre les Abbés par-devant les tribunaux pour obtenir qu'elles fussent faites, et ceux-ci parfois jetaient les bâtiments par terre pour  s’épargner la peine de les restaurer. Aussi, en peu de temps, les plus magnifiques abbayes tombèrent en ruine, et, sous les cloîtres, autrefois si peuplés, on ne vit plus errer que cinq ou six moines.

Bientôt on fit deux parts des revenus de chaque abbaye : la première, composée ordinairement des deux tiers de ces revenus, fut pour Monsieur l'Abbé, et la seconde pour les religieux. Ces déplorables abus des commendes ne furent pas une exception, on les retrouva dans toutes les abbayes, et, d'une manière bien caractérisée, dans le monastère de Froidmont

1) Odet de Coligny (1553-1569)

Le premier Abbé Commenditaire de Froidmont, Odet de Coligny, cardinal de Châtillon fut "pourvu" de cette abbaye en 1553 par Henri II.

Etrange renversement des mots et des choses ! Autrefois, lorsqu'une abbaye était vacante, on la pourvoyait d'un Abbé ; désormais on dira le contraire. Avant la commende, l'Abbé était, en quelque sorte, la propriété de son monastère ; mais depuis, ce fut le monastère qui appartint à l'Abbé.

Odet de Coligny est né le 10 juillet 1317 de Gaspard de Coligny, seigneur de Chatillon et maréchal de France, et de Louise de Montmorency, sœur du connétable Anne de Montmorency. Il avait deux frères Gaspard, second du nom, qui fut amiral, et François, qui devint Seigneur d'Andelot et général d'infanterie. Dès sa naissance, ses parents le destinèrent à l'état ecclésiastique, où ils voyaient de riches bénéfices à posséder. Leur calcul ne fut pas trompé.

Grâce à l'influence du connétable de Montmorency, qui aimait beaucoup son neveu, Odet de Coligny obtint, à seize ans, le chapeau de cardinal, et fut nommé, à dix-sept, archevêque de Toulouse, et Abbé Commenditaire de plusieurs riches abbayes. En 1535, il cumula l'évêché de Beauvais, sans cesser d'être archevêque de Toulouse ; par la suite, à ces bénéfices déjà nombreux, il en fit ajouter de plus nombreux encore.

Ainsi, Odet de Coligny, cardinal, archevêque de Toulouse et évêque de Beauvais, eut en commende seize abbayes (dont celles de Saint-Lucien, Saint-Germer et Froidmont), quatre prieurés, la cellerie de l'abbaye de Molesme et un canonicat en la Sainte-Chapelle de Paris. C'était, il faut en convenir, un prélat bien doté.

Il reste cependant un problème à résoudre : comment le cardinal de Châtillon pouvait-il remplir les devoirs et les fonctions que lui imposait chacun de ses titres ? Pour lui personnellement, ce fut bien simple : il ne s'en occupa presque pas du tout et ne se donna même pas la peine de recevoir tous les ordres sacrés, il se contenta du diaconat et ne reçut pas la prêtrise encore moins fut-il sacré évêque. Pour administrer tous ses bénéfices, il avait établi un conseil central résidant à Paris.

Ce conseil avait pour chef Augustin de Thou, président au Parlement de Paris, et vicaire-général du cardinal. Il était composé des avocats et des jurisconsultes les plus célèbres. C'était par lui qu'étaient traitées, en dernier ressort, les affaires majeures concernant ces bénéfices. Chacun d'eux, du reste, était administré par un conseil particulier résidant dans la localité.

Avec tant de bénéfices, on le comprendra facilement, le cardinal de Châtillon ne pouvait être astreint à la résidence, aussi Froidmont n'eut-il que bien rarement sa visite; il ne vint même pas lui-même prendre possession de sa charge ; il se contenta d'adresser une lettre aux religieux pour leur faire savoir qu'ils étaient désormais sous sa dépendance. Trouvera-t-on étonnant maintenant que la décadence ait continué son œuvre sous une telle administration !

En réalité, le troupeau n'avait plus de pasteur, car celui qui le régissait n'était qu'un mercenaire qui ne connaissait pas ses brebis, et que ses brebis ne connaissaient pas. Est-ce à dire pourtant que les religieux fussent sans supérieur ? Non.
Le prieur, qui, sous les Abbés réguliers, remplissait les fonctions d'une charge secondaire et ne faisait qu'aider l'Abbé à conduire ses religieux, va désormais acquérir de l'importance et être le seul véritable supérieur de la maison. Lui seul dirigera les religieux et veillera à ce que les règles de l'Ordre soient observées ; lui seul aura la juridiction spirituelle et il sera, pour ainsi dire, le protecteur du couvent contre l'Abbé Commenditaire. Il devra tenir la main à ce que ces Abbés n'entreprennent rien contre les droits et les privilèges de l'Ordre, qui leur défendent d'aliéner les biens temporels de leur abbaye, de recevoir des novices ou des religieux, de ne renvoyer aucun de ceux qui s'y trouvent par ordre des supérieurs, et d'usurper enfin aucun acte de juridiction spirituelle.

Le prieur devait aussi veiller à ce que ces Commenditaires remplissent les obligations de leur charge, c'est-à-dire obéir aux ordonnances des supérieurs et visiteurs de l'ordre, les recevoir et les défrayer pendant le temps de leur visite, payer les contributions imposées par le chapitre général, entretenir les aumônes ordinaires et extraordinaires pour les pauvres, fournir aux religieux le vivre et le vêtement, pourvoir l'église et la sacristie d'ornements et autres objets nécessaires pour la messe et le service divin, enfin réparer les édifices et reconstruire ceux qui seraient tombés en ruine.

La charge de prieur claustral devenait donc, par suite du nouvel état de choses, aussi importante que difficile à remplir. Elle exigeait, de la part de celui qui en était revêtu, une profonde science des affaires, beaucoup de tact, et autant de fermeté que de prudence.

Le premier qui occupa cette charge, à Froidmont, sous Odet de Coligny, fut D. Florent Trimoguet, religieux distingué et docteur en théologie de la Faculté de la Sorbonne. Tous ceux qui lui succédèrent ne brillèrent pas moins que lui par leur science ; tous prirent leurs grades dans la célèbre Faculté de Paris ; aussi sont-ils tous qualifiés de docteur en théologie, dans les actes du chartrier de l'abbaye ; l'un d'eux même, D. Marc Ledoul, fut professeur de théologie en Sorbonne.

Sous la bonne direction de son prieur, Froidmont ne souffrit pas tout d'abord dans sa régularité. Quant à ses biens, rien non plus n'était négligé ; l'Abbé, du reste, avait intérêt à les faire bien administrer, s'il ne voulait pas éprouver de perte dans ses revenus. Le cardinal ne venait que rarement visiter son abbaye, mais on se passait facilement de lui.

Vers 1561 on le vit cependant venir plus souvent. Etait-ce pour s'assurer si les prescriptions qu'il avait faites précédemment pour la stricte observance de la règle et des constitutions étaient fidèlement exécutées ?

Hélas, non ! C’était bien plutôt pour ménager sa défection au catholicisme. De Froidmont, il se rendait au château de Merlemont pour assister à des réunions calvinistes, et un jour, ses religieux eurent la douleur d'apprendre qu'il venait d'y abjurer son titre de cardinal, son autorité d'évêque et sa qualité de fils de l'Eglise catholique, apostolique et romaine, pour se faire le disciple et l'adepte de Jean Calvin. Ils ne pouvaient y croire ; mais, devant le procès-verbal d'abjuration qui avait été dressé et signé par Odet de Châtillon et par les seigneurs présents, il ne leur fut plus permis d'élever le moindre doute. Ils ne purent que déplorer une aussi scandaleuse défection, et, grâce à Dieu, son exemple ne fut suivi par aucun de ses religieux. On était alors au commencement de l'année 1562.

La douleur fut grande de voir la première dignité du monastère représentée par un cardinal prévaricateur et apostat ; dans d'autres temps, ses religieux l'eussent contraint à donner sa démission ; mais sous le régime nouveau, créé par le concordat de 1516, ce n'était plus possible, il échappait complétement à leur influence. Il fallait attendre une déposition juridique et canonique, et pendant ce temps, il pouvait user des prérogatives attachées à son titre d'Abbé, administrer les biens de l'abbaye et percevoir ses revenus. C'est aussi ce qu'il fit. Tout le couvent le vit avec peine, sans qu'il lui fût possible de l'empêcher.

C’est surement plus des intérêts politiques et de famille que par conviction sincère qu’Odet de Coligny en vint ainsi à renier le catholicisme. Sa famille avait été disgraciée à cause de son attachement aux doctrines nouvelles, et telle est la connexité qui lie les intérêts personnels et le drapeau qu'on sert, qu'Odet se jeta dans le calvinisme pour essayer de venger ses parents et ses amis de la disgrâce qu'il attribuait aux catholiques.

Quoiqu'il en soit, le pape Pie IV ne tarda pas à être informé de cette défection. Il cita le cardinal apostat à comparaître, dans le plus bref délai, devant lui pour rendre compte de sa conduite et de sa foi. Odet de Coligny se garda bien de répondre à la citation. Le pape, alors, par une bulle du 31 mars 1563, le déclara hérétique, apostat, et comme tel, excommunié, privé de toute dignité et de tout bénéfice ecclésiastique, et inapte à posséder dorénavant aucun titre dans l'Eglise. Cette sentence était foudroyante pour l'infidèle cardinal, puisqu'elle le privait de tous ses bénéfices ecclésiastiques mais, comme elle n'était pas tout-à-fait conforme au nouveau droit français qui voulait que les évêques fussent jugés sur les lieux par leurs co-provinciaux, elle ne put être suivie d'une exécution immédiate. Il continua donc de régir ses bénéfices.

Son apostasie lui avait fait perdre tout crédit à la cour et lui en avait fermé l'accès. Irrité de la flétrissure que le Saint-Siège lui avait infligée, et de sa disgrâce auprès du roi, il prit une résolution qui acheva de le déconsidérer aux yeux mêmes de ses coreligionnaires. Il se maria publiquement au château de Montataire, le 1er décembre 1304, avec Isabelle de Hauteville, dame d'honneur de la duchesse de Savoie, et pour que rien ne manquât à sa cynique effronterie, il se revêtit de l'habit de cardinal, qu'il ne portait plus depuis longtemps, ajoutant ainsi la mascarade à l'insulte.

Cependant, l'archevêque de Reims, le cardinal de Lorraine, avait convoqué, en un concile provincial, tous les évêques, chapitres, abbayes et prieurés de sa province ecclésiastique. Le monastère de Froidmont y députa l'un de ses membres. Après la rédaction d'une profession de foi, et diverses décisions disciplinaires pour la réformation des abus toute l'assemblée demanda, d'une voix unanime, que le cardinal de Châtillon fût excommunié et déposé. Le roi cependant fut d'avis qu'il fallait encore un peu patienter.

L'indulgence dont on usa ne lui fit rien changer dans ses opinions au contraire, il en profita pour se jeter à corps perdu dans les troubles causés par les calvinistes. Il les excita, s'en fit le champion résolu, et y prit une part si active qu'il finit par se compromettre assez pour être obligé de passer en Angleterre, dans l'intérêt de sa sécurité personnelle. Le roi, alors, ordonna d'instruire son procès, et le 19 mars 1569 le Parlement le déclara rebelle, criminel de lèse-majesté, et comme tel privé de tous les honneurs et biens ainsi que du fruit de tous ses bénéfices, et déposé de toutes ses dignités. Le siège abbatial de Froidmont devenait ainsi vacant.

Malgré son apostasie, Odet de Coligny avait conservé jusque-là l'administration de son monastère, et le chartrier nous donne des preuves évidentes de la participation qu'il eût à ses affaires par les baux et les ventes ou acquisitions qu'il fit.
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Pour résister aux calvinistes qui ravageaient la France, le roi Charles IX dut lever des troupes et organiser une armée. Ses finances étaient épuisées, les trois cent mille écus de subsides que le clergé lui fournissait annuellement étaient dépensés, et il lui fallait de l'argent à tout prix pour payer ses soldats, s'il ne voulait pas les voir déserter. Les emprunts d'Etat n'étaient pas encore connus alors que faire ?

Les nobles ne se montraient pas très bien disposés ; un grand nombre d’entre eux était passé dans les rangs des calvinistes, il s’agissait des mécontents et de ceux qui entrevoyaient dans ce parti le moyen de vivre plus à leur guise ou de refaire leur fortune dans le pillage des églises et des monastères. Ceux qui étaient restés fidèles au roi et au catholicisme payaient de leur personne en servant dans les armées, et ne se souciaient pas de contribuer encore en argent.

Le peuple était bien assez chargé de tailles et d'impôts et il n'y avait pas moyen d'y penser.

Le roi eut encore recours au clergé, et lui demanda un nouveau subside de cent mille écus par an jusqu'à la pacification complète de ses Etats. Le clergé, cette fois, se trouvait à bout, et la plupart de ses établissements ne pouvaient prélever, sur leurs revenus, la somme pour laquelle ils étaient taxés. Le roi ne se laissa pas arrêter par cette considération il leur ordonna de vendre les biens nécessaires pour y subvenir, par décret du 26 mai 1563.

Dans la répartition générale, le diocèse de Beauvais fut taxé à trois mille cinq cents écus. L'abbaye de Froidmont, comme bien  d'autres, ne trouva pas assez dans sa caisse pour fournir la somme qui lui était afférente ; elle dut donc aliéner plusieurs parties de son domaine.

Le 23 décembre 1563, elle vendit cent cinquante-deux arpents du bois avoisinant l'abbaye, pour 4.118 livres 2 sols 6 deniers, à Guillaume de Wignacourt, écuyer et seigneur d'Avrigny et de Monceaux. Cette vente la privait d'une belle propriété, qui avait pour elle d'autant plus d'utilité qu'elle en était plus voisine ; mais la nécessité l'y contraignit, et on ne lui donna même pas le choix de la propriété à vendre. Les lettres patentes du roi laissaient ce choix au gré des acquéreurs, qui devaient faire leurs offres en la justice du comté de Clermont.

Cette aliénation forcée déplut au cardinal de Chatillon, et le 24 janvier suivant, il en opérait le rachat, en versant dans les mains du sire de Wignacourt la somme de 5.800 livres. L'acquéreur avait à peine eu le temps d'entrer en jouissance et il en avait pourtant déjà bénéficié de plus de l.600 livres.

Le cardinal avait avancé la somme, et le monastère devait lui en tenir compte. Il fit pour cela tout ce qu'il put mais ses revenus d'une année, décompte fait des frais d'entretien de l'Abbé et de la maison, ne pouvaient y suffire. Il fallut avoir recours à une nouvelle vente.

Le roi, en ordonnant par son édit de subvention la vente immédiate de biens ecclésiastiques, sans même en laisser le choix aux établissements dépossédés, avait compris que cette mesure pouvait causer un notable préjudice à ces établissements et les mécontenter ; aussi leur donna-t-il la faculté d'en faire le retrait dans l'espace d'une année, et leur permit-il de nommer un syndicat chargé de poursuivre ce rachat. Les bénéficiers et maisons religieuses du diocèse de Beauvais députèrent, pour composer ce syndicat, deux chanoines de l'église cathédrale : Eustache Le Comte, qui était en même temps Abbé Commenditaire du lieudit, et  l'archidiacre Louis Humel.

L'abbaye de Froidmont s'en remit à la décision de ces syndics pour la désignation des immeubles à vendre, afin de se procurer les 5.600 livres qui lui étaient nécessaires. Leur avis fut qu'il valait mieux se défaire de la ferme de La Verrière d'abord, attendu qu'elle n'était pas d'un très grand rapport pour le monastère. On la mit donc en vente, au baillage de Clermont, et elle fut adjugée, le 19 octobre 1564, à Louis de Vauldray, chevalier, seigneur de Mouy, pour la somme de 2.240 livres. On la racheta plus tard en 1647.

Pour se procurer toute la somme dont on avait besoin, il fallut encore aliéner d'autres biens. On ne devait pas s'arrêter de sitôt dans cette voie désastreuse. Les édits de subvention se multiplièrent, et, pour y répondre, Froidmont dut vendre successivement ses terres du Plessis-Billebaut, d'Ansacq, de Campremy, d'Avrechy et son hôtel de Beauvais. Après toutes ces aliénations, on n'était encore arrivé qu'à l'année 1567 ; heureusement que l'Abbé qui allait succéder au cardinal de Châtillon y mit un terme.

Le cardinal, en faisant toutes ces ventes, trouvait le moyen d'avoir de l'argent, et il lui en fallait plus que jamais depuis qu'il avait apostasié. Il pressurait son abbaye, et lui faisait rendre tout ce qu'elle pouvait, sans se soucier des règles et des religieux. Jadis, il leur avait donné quelque part dans l'administration des biens mais, depuis longtemps, il se passait d'eux et leur refusait toute part dans cette administration, ainsi que tout usage des propriétés. S'ils demandent la jouissance de quelques-uns de ces biens, qui leur appartiennent pourtant, il les leur afferme moyennant redevance. Ainsi, en 1566, il leur loue, pour cinq ans, les étangs, la rivière, l'herbe et les arbres des chaussées de Froidmont, moyennant 25 livres tournois par an.

Pour qu'ils ne puissent pas user, à leur gré, des revenus des terres, il donne ces revenus à bail à des fermiers, qui sont chargés de les recevoir et de ne leur donner que ce qu'il leur mandatera. Pouvait-on un asservissement plus grand !

2) Charles I de Bourbon (1569-1590)

Le successeur d'Odet de Coligny fut Charles, cardinal de Bourbon.

Cinquième fils de Charles de Bourbon, duc de Vendôme, comte de Soissons, gouverneur de Paris et de l'Ile-de-France, et de Françoise d'Alençon, Charles est né le 22 décembre 1523, à La Ferté-sous-Jouarre.

Il fut pourvu de l'évêché de Nevers en 1540, de celui de Saintes en 1544, de l'archevêché de Rouen en 1549, et créé cardinal par Paul III en 1550. On le désignait alors sous le titre de cardinal de Vendôme, et ce ne fut qu'après la mort de Louis de Bourbon, son oncle, archevêque de Sens, qu'il prit en 1557, la qualification de cardinal de Bourbon. Pie IV le fit son légat à Avignon, en 1565, et Pie V, son successeur, le nomma à l'évêché de Beauvais, par bulle du 24 août 1569, et lui permit de conserver avec son évêché, non seulement son archevêché de Rouen, mais encore tous les bénéfices qu'il avait en commende.

Le roi le pourvut en même temps des abbayes de Froidmont, de Saint-Germer et de Saint-Lucien, et ce ne fut pas les seules qu'il possédât. Il fut aussi Abbé Commenditaire de Saint-Denis, de Saint-Germain-des-Prés, de Saint-Ouen de Rouen, de Jumièges, de Corbie, de Saint-Vandrille de Vendôme, de Signy, d'Ourcamps, de Montebourg de Valmont, de Perseigne, de Chatelier, de Saint-Etienne de Dijon, de Saint-Michel-en-1'Erm. Il faut en convenir, c'était un cardinal bien renté.

En 1575, il permuta son évêché de Beauvais coutre l'abbaye de la Couture du Mans. Il présida l'assemblée générale du clergé de France, tenue à Melun en 1580. A la fin de sa vie, il se laissa entraîner dans le parti de la Ligue et, après la mort d'Henri 111, fut proclamé roi par les ligueurs sous le nom de Charles X mais cet honneur ne fit que charger sa vieillesse de douleur et d'amertume.

La nomination, comme Abbé, d'un personnage aussi important que le cardinal de Bourbon ne pouvait qu'honorer le monastère de Froidmont. Son attachement inviolable à la foi catholique réjouissait tous les cœurs, on n'avait plus à craindre de sollicitations, ni de propagande hérétique, et l'on pouvait espérer d'heureux jours pour la maison.

Il ne laissa, néanmoins, presque aucune trace de son passage. Il était trop mêlé aux affaires politiques pour s'occuper utilement de ses nombreux bénéfices. Pourtant, sa haute influence empêcha les ligueurs de causer de graves dommages à ses abbayes mais sa protection ne suffit pas toujours pour les préserver de tout préjudice. Froidmont, comme bien d'autres, eut à souffrir des calvinistes ; plusieurs de ses fermes furent pillées, incendiées et presque détruites. Le monastère fut préservé de la ruine mais ses religieux, plus d'une fois, durent prendre la fuite devant les bandes de pillards.

Il résigna son abbaye de Froidmont, en 1582, en faveur de son neveu, qui venait d'être nommé son coadjuteur.

Il mourut en 1590.

3) Charles II de Bourbon (1582-1594)

Quatrième fils de Louis de Bourbon, prince de Condé, et d'Eléonore de Roye, il est nommé, en 1577, par le pape son légat à Avignon puis devient, en 1582, coadjuteur du cardinal-archevêque de Rouen, ville dont il devient archevêque à la mort de son oncle Charles I, prenant en même temps la succession de ce dernier à la commende de l’abbaye de Froidmont.

Créé cardinal par Grégoire XIII, il porta aussi le titre de "Cardinal de Bourbon". Il était de trop grande maison pour que les bénéfices lui fissent défaut, et s'il n'en posséda pas autant que son prédécesseur, son oncle, le nombre de ceux dont il fut pourvu était encore assez respectable pour qu'on ne pût pas dire de lui qu'il était un cardinal pauvre et mal renté.

Il fut, en effet, Abbé de Saint-Denis, de Saint. Germain-des-Prés, de Saint-Ouen, de Bourgueil-en-Vallée, de Sainte-Catherine de Rouen, d'Ourscamps, de Froidmont, de Saint-Germer, et ces abbayes n'étaient pas à dédaigner.

Si l'oncle ne vint pas souvent visiter Froidmont, le neveu s’y fit au moins aussi rare. L'essentiel pour lui, c'était le revenu, et, pour s'en assurer le plus possible, aussitôt après sa prise de possession, il fit un accord avec les religieux, par lequel il leur laissait la jouissance de la ferme, de la basse-cour et de quelques autres petits biens de l’abbaye, il leur donnait en outre une somme d'argent assez médiocre pour subvenir à leurs besoins, en échange de quoi il s'arrogeait tout le reste du revenu. C'était très commode et très avantageux pour lui, cela s'entend, mais pour les religieux, ce n'était pas la même chose.

Les guerres et les troubles continus, qui bouleversaient la France, avaient rendu les vivres hors de prix et produit partout la misère. L'abbaye de Froidmont s'en ressentit comme les autres, et ses religieux se trouvèrent dans une telle pénurie qu'ils durent aller prier humblement leur Abbé de vouloir bien leur accorder une petite augmentation dans la somme qu'il leur allouait annuellement.

Ils n'étaient pourtant plus bien nombreux, quinze personnes seulement composaient la communauté. Il s’agissait du prieur, Michel de Bray, et de : Mathieu de Bèze, André Le Febvre, Robert Cartaize, Pierre Jolly, Pierre Pasquier, Guillaume Desguingatte, Nicole Thourin, Gervais Duclou, Mathieu Féron, Gabriel Delacroix, Claude Boulie, Adrien Constantin, Pierre Mansion et François Barthélemy. Mais si petit que fût leur nombre, et bien qu’évitant tout excès, ils ne pouvaient subvenir à leurs besoins les plus pressants.

L'Abbé n'ayant guère le temps de s'occuper de ce détail financier, les bons moines durent revenir plus d'une fois à la charge avant de pouvoir être écoutés, et pourtant leur demande était bien modérée et bien humble : « Après avoir plusieurs fois remontré, disent-ils dans une dernière requête, et fait remonter à mon dit Seigneur le Cardinal, que la provision qui leur est baillée et délivrée chacun an, spécialement celle en argent pour leur vivre, vestiaire,  hospitalité et autres charges, qu'ils ont à supporter, est fort petite, attendu la cherté des vivres et de toutes choses nécessaires à la vie et usage de l'homme, ils supplient mon dit Seigneur de bien vouloir user de quelque libéralité envers eux et leur élargir quelque chose pour augmentation. »

Après bien des pourparlers, le cardinal consentit enfin à réviser l'ancien traité, et, désirant donner moyen auxdits religieux afin de pourvoir à ce qui leur est nécessaire ainsi que de pourvoir aux réparations nécessaires à faire aux églises, cloitres, fontaines, maisons et autres édifices et clôtures de la dite abbaye, il leur abandonna, par acte du 27 février 1585, en outre de ce qu'ils avaient précédemment, et pour en jouir à toujours,

  • le Moulin de Hermes,
  • une pièce de terre près de l'enclos du monastère,
  • la ferme des champarts voisins de l'abbaye,
  • toutes les vignes sises à Froidmont, aux trièges des Maillets, de Hermes et de la Bassée,
  • trois pressoirs avec leurs droits banaux,
  • la ferme du Mont-de-Hermes
  • une rente de 50 écus payable annuellement à la Saint-Rémi et à Pâques.

Il se montrait décidément généreux, mais pas tout-à-fait pourtant, autant qu'il semble le paraître. Il augmentait la mense conventuelle aux dépens de la sienne mais il mettait à la charge des religieux l'entretien et les réparations de toute l'abbaye, qui auparavant étaient à sa charge, et ces réparations étaient considérables. De plus, en cédant le moulin de Hermes, il se libérait d'une rente de quinze muids de blé qui le grevait, et qui devait être employée chaque année à faire l'aumône le Jeudi-Saint, après le lavement des pieds des pauvres.

Ces Abbés Commenditaires comprenaient bien leurs intérêts.

Charles II de Bourbon mourut en 1594, n'ayant jamais été consacré que sous-diacre, et son corps fut inhumé dans la Chartreuse de Gaillon.

Après sa mort, le roi accorda la jouissance des revenus de plusieurs de ses bénéfices à ses frères :

  • François de Bourbon, prince de Conti, eut Saint-Germain-des-Prés, et à son décès, Marguerite de Lorraine, sa femme, continua cette jouissance de 1614 à 1623
  • Charles de Bourbon, comte de Soissons, son autre frère, eut vraisemblablement Froidmont.

Pouvait-on un abus des commendes plus désordonné !

4) Charles III de Bourbon (l594-1612)

5) Henri de Bourbon (1612-1631)

Durant ces 37 années, il semble que ce soit deux princes de sang royal qui auraient eu à administrer l’abbaye de Froidmont sans que leurs noms soit véritablement connus. On serait tenté de penser qu’il s’agit là de Charles de Bourbon, comte de Soissons, père de Louis de Bourbon, et Henri de Bourbon-Verneuil, fils naturel d'Henri IV et d'Henriette de Balzac. Ces deux Abbés Commenditaires n'ont cependant laissé aucune trace de leur passage à Froidmont.

Quoiqu'il en soit, Henri IV avait assez en estime l'abbaye de Froidmont pour qu'il lui accordât, le 27 janvier 1598, des lettres de sauvegarde, par lesquelles il la prenait sous sa protection spéciale, et faisait défense à tous ses gens de guerre d'exiger le logement dans le monastère, ainsi que dans le village de Froidmont, qui l'avoisinait, et d'y enlever quoique ce soit : fourrage, blé, vin, foin, paille, avoine, bestiaux, volailles, appartenant tant aux religieux qu'aux habitants du village. Cette exemption de contributions de guerre préservait l'abbaye de bien des vexations et la mettait à l'abri du pillage. Les soldats d'alors ne se faisaient pas faute de prendre tout ce qui leur tombait sous la main dans les habitations, de semer partout la dévastation sur leur passage, et il ne fallait pas moins qu'une patente royale pour en être préservé.

6) Louis de Bourbon (1631-1641)

Louis de Bourbon naquit à Paris le 11 mai 1604, fils de Charles de Bourbon-Condé, comte de Soissons et de Dreux, puis de Clermont en Beauvaisis, et d'Anne de Montafié, dame de Bonnétable et de Lucé. Tout jeune, il embrassa la carrière des armes et combattit, en 1622,  à Rié de Poitou, avant de servir au siège de La Rochelle, et de partir , en 1630, accompagner le roi Louis XIII en Italie afin de secourir le duc de Mantoue (1630).

Pour le récompenser de ses bons et loyaux services, le roi lui donna, en 1631, les gouvernements de Champagne et de Brie, et le pourvut des abbayes de Saint-Ouen, de Rouen, de Jumièges, de Saint-Michel-en-l'Erm, de la Couture du Mans, de Froidmont, et du prieuré de Grandmont.

Comme il n'était pas d'Eglise, les bulles concernant ses bénéfices lui furent expédiées de Rome sous le nom de Le Poitevin, aumônier de la comtesse de Soissons, sa mère, avec permission à lui d'en jouir sans quitter le métier des armes.

C’est ainsi que Froidmont se retrouva sous la dépendance d'un Abbé portant cuirasse. Que pouvait-on en attendre pour la grande question qui passionnait alors tout l’Ordre de Cîteaux pour la réforme intérieure de son monastère ? Quel concours pouvait-il prêter ? Quelle expérience avait-il de la vie monastique ? Il ne connaissait que la vie de la cour et des camps.

La tourmente qui avait bouleversé la France, et contribué à l'extension du relâchement dans les ordres religieux, était calmée, et on pouvait dès-lors s'occuper utilement d'une réforme qui était jugée bien nécessaire. Les papes Grégoire XV et Urbain VIII avaient donné des instructions excessivement sages pour effectuer cette réforme, et le cardinal de La Rochefoucauld, évêque de Senlis, avait été chargé de les mettre à exécution, mais le zèle trop ardent et les moyens rigoureux et autocratiques que ce dernier employa gâtèrent tout. L'intervention du cardinal de Richelieu, qu'il invoqua, ne fut pas davantage de nature à lui procurer le succès désiré.

La réforme cistercienne souleva des difficultés plus grandes que celle des autres Ordres. La division s'introduisit dans les communautés, et une lutte fâcheuse s'établit entre les partisans de la réforme radicale ou de l’étroite observance et les mitigés ou partisans de la commune observance. Les premiers voulaient courageusement revenir, et sans adoucissement aucun, à l'accomplissement entier de la règle primitive ; les seconds, plus modérés, voulaient un retour sérieux à une régularité plus grande et plus exemplaire que celle qui existait, mais prétendaient admettre les adoucissements à la règle, jugés nécessaires au cours des siècles et approuvés par les constitutions des papes.

La réforme des premiers, que représentent aujourd'hui les trappistes, était certainement plus parfaite mais elle effrayait un peu, et les hommes du XVIIe siècle avaient quelque peine à la comprendre. Plusieurs abbayes acceptèrent cette réforme mais Froidmont n'eut pas le courage de les imiter et se contenta de suivre la commune observance.

Pour revenir à la régularité, il aurait fallu que cette abbaye eut à sa tête un Abbé capable de seconder le mouvement réformateur qui s'opérait autour de lui, c’est à dire un homme éminent, pénétré de la grandeur et de la sainteté de sa mission, et qui eût pu en imposer par l'austérité de sa vie ; or le comte de Soissons n'avait rien de tout cela, c'était un homme de guerre, un homme de plaisirs, aux mœurs plus que légères. Au lieu de s'occuper de son monastère, il ne prenait même pas le temps de le visiter. Il accompagnait Louis XIII dans ses expéditions ; en 1636, il alla combattre les Cosaques à lvoy puis reprendre la ville de Corbie que les Espagnols avaient surprise.

Richelieu, qui voulait la réforme des ordres religieux, savait tout cela et il connaissait cet abus, le plus funeste de tous, mais il ne pensa même pas à y remédier.

Louis de Bourbon, qui jusque-là avait servi fidèlement le roi, cédant à de mauvais conseils, abandonna son service, et passa dans les rangs de ses ennemis. Après avoir combattu aux côtés du roi, il se retourna contre lui et combattit contre ses armées. Le 6 juillet 1641, il défie le maréchal de Chatillon de ses troupes à La Marfée, près de Sedan ; ce succès semblait couronner sa trahison mais il trouva la mort sur le champ de bataille et ne put jouir de sa victoire.

7) Charles III de Vic (1641-1642)

Le roi, pour punir Louis de Bourbon de sa défection, l'avait privé de ses charges et dignités. Froidmont était ainsi devenu vacant, et Jean-Baptiste de Croisilles en avait été pourvu mais, cette abbaye ne sembla pas lui convenir car il se démit aussitôt de cette fonction avant même d’en prendre possession.

La commende de Froidmont fut alors donnée à Charles de Vic, troisième fils de Méry de Vic, chevalier et seigneur d'Ermenonville, garde des sceaux de France, et de Marie Bourdineau de Baronville. Le nouvel Abbé avait un frère, Dominique de Vic qui était archevêque d'Auch, et lui-même était déjà pourvu de l'abbaye de Notre-Dame de Gourdon, dite la Nouvelle, dans le diocèse de Cahors.

C’est Guillaume Montagne, chanoine de Saint-Méry de Paris, qui prit, en son nom, possession de Froidmont le 24 juillet 1611.

Charles de Vic possédait moins de bénéfices que ses prédécesseurs, et pouvait s'en occuper plus utilement. Il le fit aussi avec un zèle vraiment remarquable et il seconda activement l'œuvre de réforme qui s'opérait à Froidmont. Il en eût obtenu d'heureux résultats, si l'état de sa santé et des scrupules bien légitimes sur l'importance de ses devoirs ne l'avaient déterminé à se démettre de cette abbaye en 1642 après une année à peine d'exercice.

Il mourut le 20 septembre 1650.

8) Henri II de La Mothe-Hondancourt (1642-1684)

Henri de La Mothe-Houdancourt, évêque de Rennes, fut pourvu de l'abbaye de Froidmont aussitôt après le départ de Charles de Vic ; il en prit possession le 6 juin 1642.

Né en 1612, de Philippe de La Mothe, chevalier et seigneur d'Houdancourt, et de Louise Charles du Plessis-Picquet, il était "Docteur et Proviseur de Navarre". Nommé évêque de Rennes, puis premier aumônier de la reine Anne d'Autriche, et archevêque d'Auch, il fut honoré du titre de Commandeur de l'Ordre du Saint-Esprit, et devint Abbé de Souillac, de Froidmont et de Saint-Martial de Limoges.

L'entente la plus cordiale ne régna pas entre lui et ses religieux de Froidmont. Pendant les premières années de son administration, le relâchement s'était de nouveau introduit dans l'abbaye, et il essaya d'y remédier. Ses efforts rencontrèrent tant de résistance qu'il crut devoir en référer au Conseil Royal pour obtenir une ordonnance prescrivant le rétablissement de la discipline régulière, la vie en communauté, et fixant à vingt-six au moins, non compris le prieur, le nombre des religieux qui devraient être continuellement résidents dans la maison, afin que l'office divin y fût convenablement célébré. En même temps, il demanda que ses religieux fussent condamnés à faire les réparations des constructions du monastère, que le concordat de 1585 mettait à leur charge, et qu'ils n'avaient pas faites.

Ces demandes indisposèrent tellement le couvent qu'il se pourvût lui-même par-devant le grand conseil du roi, se plaignant de son Abbé, lui reprochant de le laisser dans le besoin faute d'une subvention suffisante. Il requit une nouvelle répartition des revenus du monastère, la division en trois parts égales, dont

  • l'une lui serait attribuée sans charge aucune, pour son entretien,
  • la seconde serait laissée à l'Abbé,
  • et la troisième serait affectée au paiement des décimes ordinaires et extraordinaires, aux aumônes, à la réception des hôtes et des visiteurs de l'ordre, aux réparations des édifices et aux autres charges de la maison.

L'Abbé s'opposa à ces demandes, et un procès s'en suivit. Après bien des dits et des contredits, des mémoires produits et des informations prises, le grand conseil du roi, par arrêt du 26 juin 1646, ordonna le partage en trois lots égaux de tous les domaines et revenus de l'abbaye, pour donner satisfaction aux religieux mais il prescrivit à l'Abbé de Clairvaux de rétablir la régularité dans le monastère, et de veiller à ce qu'il y eut un nombre de religieux suffisant pour la célébration du service divin. L'incident était jugé, mais ce n’est pas pour autant que l'union était rétablie entre les parties dont la position, au contraire, n'en était que plus tendue. La longue administration de cet Abbé ne fut d’ailleurs qu'une continuelle querelle entre lui et son couvent.

Le partage demandé et décrété eut lieu au mois de juillet de l'année suivante, et la répartition fut faite par les agents de l'Abbé, en présence de Mr Louis de Machault, conseiller du roi.

Le premier lot comprenait :

  • la ferme de La Fosse-Thibault, affermée moyennant cent muids de blé, vingt-cinq muids d'avoine, neuf cents livres d'argent, douze chapons et douze livres de cire
  • la ferme d'Ivry, affermée vingt muids de grains répartis en deux tiers blé et un tiers avoine, trois mines de pois, trois livres de cire et deux cents livres d'argent
  • la maison de La Sirène, à Clermont, avec les terres, vignes et prés, affermée deux cent quatre-vingts livres
  • une maison à Beauvais, louée cent livres
  • le tiers du moulin de Bailleul, affermé six muids huit mines de blé, toutes charges acquittées
  • le tiers du moulin à blé de Hermes, affermé moyennant dix-huit muids huit mines de blé et vingt-sept livres d'argent.
  • les terres des Landes, affermées cinq muids trois mines de grains et deux livres de cire
  • les terres, prés et bois de Bresles, affermés quatre muids de grains et vingt-cinq livres d'argent
  • les terres du Perreux, près Montreuil-sur-Brèche, affermées quarante-six livres d'argent et deux livres de cire
  • les terres de La Corne, à Moimont, affermées quarante livres
  • le petit marché de terre de Noyers, affermé quarante-cinq livres
  • divers petits marchés de terre, affermés mille deux cents livres
  • trente-trois cordes un tiers de bois, faisant le tiers des cent cordes que l'on abattait chaque année dans les futaies du monastère
  • les censives de Froidmont, affermées cinquante livres
  • les censives de Francastel, évaluées à un muid deux mines de blé
  • les censives de La Fraye, valant soixante-quinze livres
  • une redevance de quatre muids et demie de grains sur la terre des Cornestres
  • une redevance de trois livres sur la maison d'Alexandre Belin, de Bresles
  • une redevance de deux muids de grains sur les terres lie Fresneau
  • une redevance de vingt muids et dix mines de blé sur les religieuses de Variville
  • une redevance d'un muid de blé sur l'abbaye de Lannoy
  • une redevance de soixante livres tournois, six chapons et trois livres de cire, sur la terre de Bernes
  • les dîmes de Plainval, estimées valoir trois cent quatre-vingts livres, défalcation faite des cinquante livres à payer au curé dudit Plainval
  • les dîmes et un muid de terre, à Bréville, le tout affermé quatre cents livres et six livres de cire
  • les dîmes de Froidmont, affermées cent vingt livres, y compris les cinquante livres à payer annuellement au curé de Bailleul-sur-Thérain
  • les dîmes de Mésanguy, près Villotran, affermées moyennant trente-trois livres
  • le tiers des grosses et menues dîmes de Bailleul, affermées quatre muids sept mines de blé et quinze livres d'argent
  • une rente de quatre livres trois sols tournois sur l'hôtel d'Hucqueville, à Beauvais
  • une rente de neuf livres sur diverses propriétés, à Béthencourt
  • cinquante livres de rente sur l'Hôtel-de-Ville de Paris

Au total général, ce lot était évalué à trois mille neuf cent quatre-vingt-cinq livres d'argent, cent soixante-seize muids onze mines de blé, trente-six muids neuf mines d'avoine, trois mines de pois, dix-huit chapons et vingt-huit livres de cire.

Le second lot comprenait

  • la ferme de Grandmesnil, affermée moyennant cent trente muids de blé, douze cent seize livres d'argent, huit mines de pois, douze livres de cire et douze chapons
  • la ferme de La Borde-Hérelle, affermée quinze muids de grains, trois cent cinquante livres tournois et quatre livres de cire
  • la ferme du greffe de ladite seigneurie, affermée dix livres les censives dépendant de ladite seigneurie, estimées dix muids d'avoine, huit livres d'argent et cinq chapons
  • la ferme du Mont-de-Hermes, affermée deux cents livres
  • le moulin de Mauregard, affermé cent quarante livres
  • le tiers du moulin de Bailleul, affermé six muids huit mines de blé, toutes charges acquittées
  • le tiers du moulin à blé de Hermes, affermé moyennant dix-huit muids huit mines de blé et vingt-sept livres d'argent.
  • les trois grands étangs qui étaient alors transformés en prairie, d'un rapport annuel de quarante livres
  • le petit étang et celui du milieu, tous les deux transformés aussi en prairie, affermés trente-quatre livres
  • plusieurs pièces de terre, affermées quatre cent treize livres huit sols
  • la terre et seigneurie de Cormeilles, affermées douze cents livres
  • des terres à Froidmont, sises au lieudit la Fontaine, affermées trente-sept livres
  • une autre pièce de terre à Froidmont, affermée trente sols
  • une pièce de terre, affermée dix-huit sols
  • une mine de terre à Hermes, affermée soixante sols
  • le grand marché de terre de Noyers, affermé six muids et demi de grains
  • les terres, vignes et larris du Mont-de-Hermes, affermés cent quatre-vingt-onze livres quinze sols et quatre poulets
  • un clos de vignes, appelé le Clos-Ferrand, à Mello, affermé cent sols
  • une redevance de huit mines de blé sur la seigneurie d'Argenlieu
  • une redevance de huit mines et demie de blé sur l'abbaye de Penthemont
  • une redevance de six mines de blé sur la seigneurie de Domfront
  • une redevance de deux mines de blé sur la seigneurie de Montiers
  • une redevance d'un muid de vin ou de vingt-cinq livres d'argent sur des terres à Caillouel
  • une rente de douze sols sur une vigne à Froidmont
  • une rente de trois livres, due par Nicolas Falluel
  • une rente de quatre livres deux deniers sur une terre dépendant du pressoir des Maillets
  • une rente de dix sols sur une maison à Carville
  • une rente de quinze sols sur la maison de la veuve de Charles Le Paige, à Clermont
  • une rente de cinq livres tournois sur des terres à Voisinlieu trente-trois cordes un tiers de bois, comme au lot précédent
  • cinquante livres de rente sur l'Hôtel-de-Ville de Paris
  • le tiers des grosses et menues dimes de Bailleul-sur-Thérain, affermé quatre muids sept mines de blé et quinze livres d'argent
  • sept livres d'argent.

Le troisième lot comprenait

  • la ferme de Gouy, affermée cinquante-deux muids de blé, six cents livres d'argent et neuf livres de cire
  • la ferme de Mauregard, affermée quarante-neuf muids de grains, y compris les quinze muids de grains de redevance qui la grève, et sept cents livres quatorze sols d'argent
  • la ferme du Camp-Coutant, affermé dix-sept muids de grains, vingt-deux livres d'argent et quatre livres de cire
  • la ferme de la basse-cour de l'abbaye, affermée vingt-sept muids de grains, cent soixante-dix livres d'argent, deux cents de chaume, douze cents de fourrage et six livres de cire
  • la ferme de La Borde-Mauregard, affermée vingt muids de blé, cent cinquante livres d'argent, six mines de pois et six livres de cire
  • la ferme de Malassise, affermée cinq cents livres, quatre chapons, quatre mines de pois et quatre livres de cire
  • la ferme de Parfondeval. affermée cinq cents livres les terres du Champ-Hébert, à Moimont, affermées cent vingt ivres
  • le moulin à l'huile de Hermes, affermé soixante livres
  • le tiers du moulin de Bailleul
  • le tiers de celui de Hermes, comme aux lots précédents
  • les terres de La Motte-Montreuil, affermées deux muids trois mines de grains et deux livres de cire
  • les terres de La Rue-Saint-Pierre, affermées dix-huit mines de blé
  • les terres de Fay-sous-Bois, affermées quatre muids six mines de grains
  • les terres et bois d'Esbeillaux, affermés quatre cent vingt-cinq livres
  • cinq mines de terres au Fay-sous-Bois, affermées dix livres
  • les vignes de Hermes et de Froidmont, d'un rapport annuel de quatre cents livres
  • quarante-sept verges de pré à Hermès, affermées sept livres
  • trente-trois cordes un tiers de bois de chauffage
  • une redevance de trois muids de grains sur l'abbaye de Saint-Rémy
  • une redevance d'un muid de grains sur les dimes de Cambronne une redevance de deux muids et demi de blé sur la seigneurie de Saint-Remy-en-l’Eau
  • une redevance de trois mines trois quartiers sur le seigneur de Condé
  • une redevance d'un muid de vin sur les dîmes de Sénécourt
  • huit mines au même lieu affermées douze livres et une poule
  • une rente de huit livres sur les dimes de Laversines
  • une rente de huit livres sur les dîmes de La Neuville-en-Hez les prés d'Eury, affermés vingt-deux livres
  • une rente de cinquante livres sur l'Hôtel-de-Ville de Paris.
  • les dîmes de Rantigny, affermées cent dix livres
  • le tiers des grosses et menues dîmes de Bailleul

Chacun des intéressés choisit son lot : les religieux prirent le troisième, l'Abbé le premier, et le second fut affecté aux charges de l'abbaye.

Ce partage parut contestable aux religieux et quoiqu'ils eussent choisi leur lot, et qu'ils en fussent entrés en possession, ils poursuivirent l'Abbé pour obtenir satisfaction sur certains points qui leur semblaient fortement litigieux.

D'abord, trois fermes n'avaient pas été comprises dans le partage ; c'étaient les fermes de La Verrière, de La Maison-Rouge et de La Vieille-Abbaye, qui étaient d'un revenu annuel de quatorze cents livres. L'Abbé se les était réservées exclusivement, parce que, disait-il, il les avait rachetées de ses propres deniers pour les faire rentrer dans le domaine du monastère. Les religieux ne contestaient pas leur rachat par Monsieur de La Mothe-Houdancourt mais ils disaient qu'il l'avait fait avec l'argent de l'abbaye, puisqu'il jouissait alors de presque tous les revenus, le partage n'étant pas encore fait, et que par conséquent ces biens devaient être répartis entre chacun des lots.

Ils demandaient, en outre, le partage de tous les bois taillis, ce dont on n'avait pas non plus parlé, et la réparation, aux frais de l'Abbé, de tous les bâtiments. L'Abbé s'en défendit énergiquement.

Le différend ne pouvant être pacifié par le commissaire délégué, l'affaire dut encore être reportée par-devant le conseil du roi. En attendant le prononcé du jugement, Mr de Machault fit faire le partage des bâtiments du monastère, et assigna la portion que chaque partie pourrait occuper.

Il assigna à l'Abbé

  • tout le corps de logis appelé l'hôtel abbatial
  • une partie du dortoir des frères convers jusqu'à la cheminée de la cuisine
  • le bâtiment appelé le grand bûcher, qui servait autrefois d'hôpital pour les malades
  • le jardin et l'enclos situés derrière ces bâtiments
  • le jardin et la petite cour situés entre la grande cour du monastère et l'hôtel abbatial.

Le reste des constructions régulières et des jardins fut laissé aux religieux, c'est-à-dire, suivant l'acte de partage, qui donne la description des lieux avec détail :

« Tous les lieux réguliers, cloitres, dortoirs, infirmerie et autres lieux qui sont dans le dit cloitre, et les jardins d'alentour, savoir : l'un et l'autre bâtiment de la porte de ladite abbaye, consistant en cinq chambres, deux salles,  deux greniers, deux petites salles qui sont à droite et à gauche du corps-de-garde, la cave qui est au-dessous du bâtiment de ladite porte.

Il leur appartiendra aussi

  • la disposition de la chapelle de Sainte-Marguerite
  • les trois écuries qui sont du rang vis-à-vis du pignon de ladite chapelle
  • les logis et étables qu'occupe maintenant la lavandière
  • le reste du dortoir des convers, depuis la cheminée de la cuisine d'été jusqu'à l'église, où ils pourront faire bâtir des chambres, si bon leur semble
  • la petite salle près leur cuisine d'été, et autre lieu proche ladite salle, servant à présent à mettre du bois de charpenterie
  • le four et la demeure qui est proche des greniers derrière le moulin, avec les caves qui sont en bas et la cave qui est en la grande cour et au-dessous du dortoir des convers.

Appartiendra encore auxdits religieux

  • les deux jardins de la porte, occupés par D. Pierre Dubois, religieux et portier
  • le grand et petit cimetière, transformés à présent en jardin, où est l'ancienne église
  • le jardin occupé à présent par Dom Herman-Des-Jardins, qui a été rétabli à leurs frais
  • la jouissance  des fruits, foin, herbes qui seront et croîtront dans le pré et jardin l'hiver, et les herbes qui seront derrière le moulin
  • ledit moulin, qu'ils ont fait construire à leurs dépens, à la charge que ledit sieur Abbé y pourra faire moudre pour sa maison
  • les deux étangs qui sont derrière le moulin, où ils pourront pêcher quand bon leur semblera »

Les premières difficultés, relatives au partage des biens, étaient en cour, attendant une solution, lorsqu’une nouvelle matière à procès surgit, et la cause fut encore portée au conseil.

L'Abbé, comme les religieux, était entré en jouissance de son lot mais il avait aussi pris possession des biens du second lot, affecté à l'entretien du monastère et aux charges ordinaires et extraordinaires qui lui incombaient, sans se donner la peine de satisfaire à ces charges. Le procédé était peu délicat ; aussi, les religieux ne manquèrent-ils pas de porter plainte. Un mémoire par eux dressé au mois d'août 1647 fut envoyé au grand conseil ; il y était fait mention des divers objets qu'ils réclamaient comme ayant dû être fourni par le second lot ou son possesseur, pendant l'année qui venait de s'écouler, soit :

  • deux cent vingt-cinq livres pour cent cinquante livres de cire, à trente sols la livre, affectées au luminaire de l'église pour la célébration des offices
  • cent dix livres pour l'huile de navette, de lin et de baleine, destinée à l'entretien de deux lampes ardentes dans l'église et une au dortoir
  • quarante-huit livres pour cent vingt livres de chandelles, à huit sols la livre, pour s'éclairer la nuit au besoin
  • cent douze livres pour quatre mille pains à messe, à huit livres le mille, et deux muids de vin, à quarante livres le muid, pour la célébration des messes
  • pour les offices des morts, un parement d'autel, des rideaux pointés de damas, un drap des morts, des chapes, chasubles, tuniques, fanons de toile et volet, le tout de couleur noire, les anciens ornements étant tous usés et déchirés
  • une chapelle de damas blanc, parement d'autel, chapes, chasuble, fourrure et étoles, et une autre chapelle de velours vert
  • un parement d'autel ordinaire, de chaque couleur prescrite par la rubrique, et un autre plus beau pour les jours de fête, une couverture pour chacun des neuf autels de l'église, pour l'autel de la chapelle de Sainte-Marguerite, à la porte, pour celui de l'infirmerie et pour celui de l'ancienne église
  • des écharpes de chaque couleur pour mettre sur les épaules du sous diacre qui porte la paix
  • des parements de crédences
  • un tapis et deux coussins de velours pour les évêques, Abbés et autres prélats de l'ordre qui assisteraient à l'office
  • un tapis pour la chaire, un autre pour le marchepied du maître-autel aux jours solennels, et un quatrième pour adorer la croix le jour du vendredi-saint
  • des voiles de calice de chaque couleur pour les jours ordinaires et jours de fête
  • six nappes de communion, vingt-quatre aubes communes et dix-huit plus fines avec dentelles, pour les fêtes solennelles
  • quatre douzaines de nappes d'autel, six douzaines de ceintures, trois douzaines d'amicts pour les jours ordinaires, et deux douzaines à dentelles pour les fêtes, deux douzaines de grands essuie-mains et quatre douzaines de petits, cinq corporaux, deux cents purificatoires et cent livres pour l'entretien du linge
  • cinquante-quatre livres pour le blanchissage dudit linge et cinquante livres pour le savon
  • deux cordes de bois, quatre cents fagots et journées d'ouvrières
  • douze missels, un pontifical, six graduels, six antiphonaires, six grands psautiers et trois douzaines de processionnaux
  • faire raccommoder les reliquaires de l'église, celui de sainte Bénigne et les marchepieds des autels
  • cinq cents livres pour l'entretien de l'orgue et les gages de l'organiste
  • trente livres pour l'entretien des portes et serrures de l'église
  • une douzaine de paires de burettes d'étain et douze bassins, et deux douzaines de chandeliers de cuivre pour l'usage des douze autels
  • cinq calices d'argent et un bassin aussi d'argent pour le grand autel
  • huit lanternes pour célébrer l'office en hiver
  • cent vingt livres pour les cordes de l'église et du clocher.

Pour la nourriture et l’hébergement des hôtes allant et survenant :

  • cent huit livres pour trois muids de blé, deux cents livres pour la viande, et trois cent vingt livres pour huit muids de vin
  • quatre lits garnis de paillasses, lits de plume, matelas, traversins, oreillers, couvertures et rideaux
  • huit paires de draps communs et quatre paires plus délissées, six douzaines de serviettes, une douzaine de nappes, quatre douzaines de torchons et deux douzaines d'essuie-mains
  • deux douzaines de grands plats d'étain sonnant, trois douzaines d'autres du même métal mais plus communs, deux douzaines de plats de faïence, six douzaines d'assiettes, deux douzaines de verres, une douzaine de cuillers et une douzaine de fourchettes, deux douzaines de couteaux, trois aiguières, deux vinaigriers, quatre salières, deux grands plats à laver les mains
  • six pots de chambre
  • quatre flambeaux d'étain sonnant
  • des armoires pour renfermer les linges et ustensiles, et deux cents livres pour l'entretien de ces objets mobiliers
  • douze cordes de bois et six cents fagots pour chauffer les hôtes et survenants, de la valeur de cent cinquante livres
  • trois muids d'avoine et un mille de foin pour les chevaux des prélats et autres personnes de qualité qui venaient visiter l'abbaye, ou cent quatre-vingt-dix livres
  • deux cents livres pour le domestique ou le religieux chargé de servir les hôtes
  • soixante-onze livres pour le droit des visiteurs de l'ordre, afin de les défrayer de leurs dépenses
  • cent dix livres pour les dîners des curés marguilliers et habitants des dix paroisses voisines, qui viennent chaque année en procession à l'abbaye les jours de Pâques et de la Pentecôte, et aux fêtes de Saint Bernard et de Sainte Marguerite
  • soixante-quinze livres pour la lessive de la chambre des hôtes et pour quatre cordes de bois, quatre cents de fagots et les salaires des blanchisseurs
  • dix muids de blé méteil pour les aumônes de chaque jour
  • dix autres muids de blé méteil pour les aumônes des jeudi et vendredi-saint, et des trente jours qui suivent la fête de Saint Lambert, selon la coutume de l'Ordre de Cîteaux
  • cent quatre-vingts livres pour six mille bourrées employées à cuire le pain des pauvres
  • cent livres pour la nourriture et le salaire de ceux qui font ce pain
  • deux cent cinquante livres pour les gages de l'aide-portier
  • trente livres pour une caque de harengs salés, donnés aux pauvres le jeudi-saint, après le lavement des pieds
  • six livres pour deux mines de pois servies au diner de ces pauvres
  • soixante livres pour le dîner de tous les officiers de la justice et autres officiers de l'abbaye qui assistent à la distribution des aumônes le jeudi-saint
  • cent livres au médecin de la maison pour ses gages, cent cinquante livres pour l'apothicaire et les drogues qu'il fournit, deux cents livres au chirurgien pour faire les saignées et les tonsures des religieux.

Pour l’infirmerie :

  • deux cent soixante livres pour deux cordes de bois et douze cents fagots employés pour les malades et autres passants qui sont à l'infirmerie
  • huit paires de draps, six nappes, deux douzaines de chaufferettes et trois douzaines de serviettes, et faire raccommoder les lits
  • quatre paires de palettes, deux bassins et les bourrelets
  • deux douzaines de plats communs, deux douzaines d'assiettes, deux salières, deux aiguières, deux coquemars de cuivre rouge
  • cent cinquante livres pour le blanchissage et l'entretien des meubles
  • soixante livres pour l'entretien des dix fontaines.

Et diverses choses :

  • cinquante livres pour réparer les aqueducs
  • cent livres pour nettoyer la rivière
  • cent livres pour l'entretien du moulin de l'abbaye
  • cinquante livres pour la réparation des portes et serrures de la maison
  • trente livres pour l'entretien des vitres
  • deux cents livres pour le service extraordinaire du prieur claustral
  • soixante livres pour la nourriture des sergents de l'abbaye, qui doivent assister aux processions solennelles de toute l'année
  • cent cinquante livres pour le classement et pour la conservation des archives.

Ces réclamations ne tendaient qu'à faire renouveler tout le mobilier du monastère, et l'Abbé, quoique jouissant du revenu affecté à cet emploi, n'était pas d'avis de le faire.

Le grand conseil entendit les parties, et après un mûr examen de leurs raisons et de leurs moyens de défense, statua, par un arrêt du 3 septembre 1647 dans lequel il était dit que :

  • le partage fait l'année précédente, par-devant Me de Machault, son commissaire, serait obligatoire, et que dorénavant chacune des parties jouirait du lot qu'elle avait choisi, sans que l'autre puisse la troubler ni l'inquiéter
  • l'Abbé serait tenu de faire, sous trois mois, les réparations jugées nécessaires aux bâtiments du monastère et de ses fermes
  • les trois fermes de La Verrière, de La Maison-Rouge et de La Vieille-Abbaye, et les bois taillis, non compris au partage, seraient répartis en trois lots délivrés aux parties
  • les religieux indemniseraient l'Abbé du tiers des dépenses qu'il avait faites pour racheter ces terres, et seraient tenus de faire toutes les réparations aux bâtiments dépendant de leur lot
  • ils acquitteraient l'Abbé du tiers de diverses rentes dont l'abbaye était chargée, et que l'Abbé leur paierait annuellement neuf cents livres pour les frais du culte et pour l'entretien des linges et meubles de la maison.

En outre, ledit arrêt se prononçait sur la reddition des comptes du cellérier, et annulait le bail général fait par l'Abbé sur tous les revenus du monastère.

Malgré cet arrêt, ou plutôt à cause de cet arrêt, qui ne satisfaisait aucune des parties, les rapports ne devinrent pas meilleurs entre l’Abbé de La Mothe-Houdancourt et les religieux de Froidmont. Les récriminations, les mauvais procédés continuèrent leur train, et pourtant, il fallait en finir. Aussi, le 21 avril 1649, l'Abbé et D. Herman Desjardins, cellérier et procureur du couvent, convinrent, par une transaction passée par-devant les notaires royaux, au Châtelet, que, moyennant deux mille six cents livres que l'Abbé paierait aux religieux dans le délai d'un mois, ceux-ci le tiendraient quitte de toutes les réclamations qu'ils avaient pu faire contre lui, soit à raison des frais du culte et des aumônes faites, soit pour tout autre cause.

La paix était faite et seize années s'écoulèrent sans graves difficultés jusqu’à ce que les charges imposées au second lot, dont jouissait toujours l'Abbé, fussent encore une cause de zizanie en 1665.
L'Abbé ne s'acquittait pas beaucoup mieux de ses obligations en cette année qu'en 1647 et l'évêque de Rennes, mêlé aux agitations de la Fronde, ne prenait guère le temps de s'occuper de son abbaye de Froidmont ou de ses besoins. L’Abbé percevait ses revenus et ne laissait pas ses fermiers se mettre en retard, cela lui importait assez. Quant aux réparations, aux choses nécessaires pour l'église et le couvent, il ne s'en inquiétait pas, sachant bien que les religieux, à l'occasion, ne manqueraient pas de se plaindre. Il n'oubliait pas que plus il dépenserait, moins ses revenus seraient considérables, et c'était là une question capitale pour un Abbé Commenditaire. Sa négligence fut punie : les religieux portèrent plainte, et un arrêt du conseil, du 23 mars 1663, ordonna qu'une visite soit faite pour connaître les choses dont l'église avait besoin et les réparations à faire aux édifices.

Une autre affaire restait encore en suspens concernant le partage des biens non compris au partage général de 1646, malgré la sentence du conseil, qui l'ordonnait. L’Abbé avait sans cesse atermoyé, et le conseil, pour en finir, avait ordonnancé ce partage par un nouvel arrêt du 28 mars 1665. Assignation fut donnée à l'Abbé pour qu'il eût à comparaître à Froidmont, par lui-même ou par procureur, pour assister à la visite du monastère et au partage ordonné mais celui-ci, ne se donna même pas la peine de répondre. Son mauvais vouloir n'arrêta rien cependant. La visite fut faite les 30 avril, 1er, 2, 3 et 4 mai, par Mr Charles Le Clerq de Lesseville, conseiller du roi. Le procès-verbal qui en fut dressé fait connaître certaines particularités assez intéressantes.

L'inventaire du mobilier de la sacristie porte qu'il y avait alors dans l'église un ange de marbre tenant entre ses mains une petite pyxide d'argent doré, où l'on réservait les hosties consacrées, et dont l'Abbé de Clairvaux, en visite, avait interdit l'usage, voulant qu'il fût remplacé par un ciboire et un tabernacle pour le renfermer. En outre, on remarquait :

  • huit calices d'argent dont trois dorés et ciselés
  • une coupe d'argent doré pour porter le Saint-Sacrement aux malades que l'on montait sur un pied de calice quand on avait besoin de s'en servir, et un soleil, aussi d'argent doré, pour l'exposition du Saint-Sacrement, que l'on montait semblablement
  • un grand reliquaire d'argent doré renfermant une partie du chef de Sainte Marguerite
  • un autre petit reliquaire d'argent doré où sont des reliques de plusieurs saints
  • trois autres de cuivre doré dont un, en forme de pyramide, contenant une des côtes de Saint Laurent
  • un autre de cristal, en forme d'ours, renfermant un doigt de Saint Laurent
  • et un autre de cuivre doré contenant le chef entier de Sainte Bénigne, dame romaine
  • trois lampes de cuivre suspendues dans l'église, et une crosse abbatiale aussi de cuivre.

Les experts, qui assistèrent le commissaire du roi, trouvèrent de nombreuses et considérables réparations à faire, et les évaluèrent à vingt mille deux cent soixante-huit livres.

La visite terminée et les réparations à faire déclarées urgentes, on procéda au partage, en trois lots, des biens et revenus restés indivis, et l'on tira chaque part au sort. Le lot qui échut à l'Abbé se composait :

  • de la ferme de Bernes, appelée la Maison-Blanche
  • des terres de La Cornette
  • des dîmes de Bailleul
  • d'une rente de quarante sols à Thury,
  • des droits seigneuriaux et de vinage sur divers particuliers à Froidmont, Hermes, Caillouel et Fay-sous- Bois
  • du tiers des pressoirs de Froidmont et de La Bassée,  des maisons du Petit-Froidmont, des garennes et des amendes provenant des délits forestiers commis dans ces garennes.

Le lot des religieux comprenait

  • la ferme de La Vieille-Abbaye,
  • le marché de terre de Hébécourt,
  • le marché de terre affermé à Julien Le Febvre,
  • les dimes du Plessier-sur-Saint-Just,
  • le tiers, comme ci-dessus, des pressoirs de Froidmont et de La Bassée,  des maisons du Petit-Froidmont, des garennes et des amendes provenant des délits forestiers commis dans ces garennes.

Enfin, le troisième lot, qui devait être réuni à celui des charges de l'abbaye, se composait de

  • de la ferme de La Maison-Rouge, sise à Bailleul
  • de la ferme du greffe
  • de la justice de Froidmont,
  • du revenu du canonicat de Clermont,
  • de huit mines de terre à Laversines,
  • du tiers, comme précédemment, des pressoirs de Froidmont et de La Bassée,  des maisons du Petit-Froidmont, des garennes et des amendes provenant des délits forestiers commis dans ces garennes.

On fit signifier à l'Abbé, alors archevêque d'Auch, tout ce qui venait d'être fait ; mais il n'en tint aucun compte, et les procédures recommencèrent. L'Abbé se plaignait que les religieux avaient aliéné, en 1660, les fermes d'Esbeillaux et de Malassise sans son consentement, et demandait le rétablissement de vingt-huit religieux résidents dans le monastère. Il ne voulait pas remettre en leurs mains la somme annuelle de neuf cents livres, pour les frais du culte et les aumônes, à laquelle l'arrêt de 1647 l'avait condamné, parce qu'il n'avait pas confiance en eux, et consentait à la verser lui-même, ainsi que les arrérages, entre les mains d'une personne honnête qui l'emploierait aux-fins de sa destination.

Les religieux, de leur côté, se plaignaient de l'Abbé, qui ne faisait aucune réparation aux édifices, malgré les ordonnances du roi, et qui refusait de leur payer chaque année les neuf cents livres qui leur étaient allouées pour les aumônes et l'entretien du mobilier. « On voyait bien, disaient-ils, qu'il veut la ruine et la destruction de l'abbaye », et bien d'autres griefs qu'ils articulaient en quarante paragraphes.

On plaida donc aux requêtes du palais, au Châtelet, et finalement encore au Grand Conseil. Des transactions intervinrent en 1666, 1676 et 1681 ; elles calmaient un instant les débats mais ils reprenaient aussitôt.

Quelle réforme pouvait-on tenter dans un monastère au milieu de semblables dissensions ? Quelle part utile pouvait y prendre un Abbé qui tracassait sans cesse ses religieux et les traînait devant tous les tribunaux ? Comment la vie intérieure n’en n'aurait-elle pas souffert dans le couvent ? Que devait-elle gagner à ces procès continuels, à ces différends irritants et fâcheux à tous points de vue, aussi bien pour l'esprit religieux que pour les intérêts matériels ?

Pendant que le couvent plaidait avec son Abbé, il continuait à avoir d'autres affaires à s'occuper. Pour parvenir à payer la part qui lui était afférente dans le rachat des fermes de La Vieille-Abbaye, de La Verrière et de La Maison-Rouge, faite par cet Abbé, et pour se libérer de diverses rentes, il vendit, le 1er avril 1660, au président de Barentin, seigneur d'Hardivillers, ses fermes d'Esbeillaux et de Malassise, près Cormeilles pour la somme de quatorze mille cent quarante livres. L'Abbé de Clairvaux et le comte de Clermont avaient autorisé cette aliénation, et le Grand Conseil en ordonna l'homologation en Parlement. Monseigneur de La Mothe, qui n'avait pas été consulté, s’y opposa mais, malgré cela, la vente fut maintenue.

En 1666, Louis XIV fonda dans le monastère six messes basses à dire chaque année pour le repos de l'âme d'Anne d'Autriche, sa mère. Elles devaient être dites le 20 janvier et le lendemain des fêtes de Sainte Anne, de la Nativité, de la Purification, de l'Annonciation et de l'Assomption de la Sainte-Vierge. Le roi donna pour cela trois cent soixante livres. En 1725, les religieux demandèrent une réduction de ces six messes, attendu que la somme de trois cent soixante livres, qui rapportait précédemment dix-huit livres d'intérêt par an, n'en rapportait plus que sept livres quatre sols en 1723, et que, d'après l'acte de fondation, la rétribution de chaque messe devait être d'un écu.

Le monastère possédait des reliques de plusieurs saints comme il a été vu dans l’inventaire fait à la sacristie, et en 1668 il en obtint encore deux autres, en provenance du prieuré de Variville : un morceau d'une côte de Saint Primitif, martyr décédé en 304, et une partie du tibia de Sainte Réparate, vierge et martyre décédée en 250. Le transfert se fit avec une très grande pompe, et sembla faire revivre un instant les beaux jours de l'abbaye et produire une agréable diversion au milieu des nombreux procès de sa vie militante.

Un procès parmi tant d'autres, eut une grande répercutions à l’époque… il s’agissait cette fous-ci plus d’un de ces droits et usages féodaux que d’un acte de foi et hommage.

L'abbaye payait annuellement sur sa ferme de Mauregard treize muids de blé de rente au possesseur du fief Viveret, sis au même lieu, qui relevait de la seigneurie de Thieux.

En 1674, ce fief fut saisi sur M. de Torcy par ses créanciers, et vendu en justice. Elisabeth de Sermoise, veuve de Pierre Chesnel, marquis du Meux, acquit ce fief, et les religieux de Froidmont rachetèrent la rente qui lui était due pour s'en libérer.

Quelque temps plus tard, le seigneur de Thieux, Louis d'Estourmel, fit à nouveau saisir le fief sous prétexte que l'on n'avait pas rempli les devoirs féodaux d'usage. Pour la part la concernant, dame Sermoise se montra disposée à faire les foi et hommage ; quant aux les religieux, ils s'y refusèrent, prétextant que la rente rachetée était roturière et non féodale, et qu'elle ne donnait donc lieu à ni foi ni hommage. De là procès.

Les religieux soutinrent leur dire. Pour que la rente fût féodale, il aurait fallu qu'elle eût été créée à son origine pour représenter un fief que son auteur aurait donné ou vendu à l'abbaye, et qui se serait fait donner cette rente pour en tenir lieu avec les droits et devoirs que la féodalité y attachait, ce qui arrivait fort souvent. Les religieux prétendirent qu'elle n'était qu'un surcens pour des héritages donnés à cens ou à bail perpétuel par les possesseurs du fief Viveret et incorporés à la ferme de Mauregard.

Le Grand Conseil du roi fut saisi de l'affaire, et se prononça contre les religieux, qui durent satisfaire le comte d'Estourmel.

On sait en quoi consistait ce devoir féodal de foi et hommage qui n’était rien d’autre qu’une soumission du vassal à son seigneur pour lui marquer qu'il était son homme, et lui jurer une entière fidélité.

Tout nouveau vassal était tenu de se rendre, dans les quarante jours qui suivaient l'acquisition, vers le seigneur dont il tenait son fief et au manoir dont il relevait, et non ailleurs. Arrivé devant la porte, il demandait si son seigneur y était ou s'il y avait quelqu'un investi de pouvoirs suffisants pour le recevoir à foi et hommage, puis il entrait, et genoux en terre, tête nue, sans épée ni éperons, les mains jointes dans celles de son seigneur, il disait « Sire ou Monseigneur, je deviens votre homme, vous promets foi et loyauté, de ce jour en avant je viens en saisine vers vous, et comme seigneur vous offre. » Et le seigneur de lui répondre «  Je vous reçois et prends à homme et en nom de foi vous baise en la bouche, sauf mon droit et l'autrui. » Cela fait, acte en était aussitôt dressé.

S'il n'y avait personne au manoir, le vassal, après s'être présenté à la porte principale, criait par trois fois « Sire ou Monseigneur », et personne ne s'étant présenté, il faisait, comme ci-dessus, ses protestations de foi et hommage devant la porte, à genoux, tête nue et sans armes, baisait la poignée de la porte, et se retirait après en avoir fait dresser acte, pour être signifié aux officiers de la justice dudit seigneur

Les gens d'église et les religieux, possesseurs de fief vassal, n'étaient point tenus ordinairement de remplir ces devoirs féodaux par eux-mêmes mais ils étaient obligés de présenter à leur seigneur un homme qui ne fut point attaché à l'église,  et qui pût faire pour eux la foi et hommage. Pierre de Vaudremer se présenta en cette qualité, pour les religieux de Froidmont, par-devant le comte d'Estourmel, en 1668, et satisfit à la coutume.

Monseigneur de La Motte-Houdancourt fut jugé assez sévèrement par ses contemporains. l'Abbé de Choisy en parle ainsi dans ses Mémoires : « C'était une tête de fer, un grand théologien, bon canoniste, de mœurs irréprochables, digne, enfin, du poste qu'il occupait dans l'Eglise, si une avarice sordide n'eût pas effacé toutes ses bonnes qualités. »

Il n'avait pas encore fini de plaider avec son abbaye, quand la mort l'enleva, le 21 février 1684.

Ses héritiers : son frère (évêque de Saint-Flour),  son neveu (marquis) et les trois filles de  son autre frère (maréchal de France) se hâtèrent de rétablir la paix. Ils s'empressèrent de transiger en réglant onze mille livres et en abandonnèrent tout le mobilier de l'hôtel abbatial. Ainsi, le différend fut heureusement terminé.

9) Charles-Joachim Colbert de Croissy (1684-1738)

Né à Paris, le 11 juin 1667, de Charles Colbert, marquis de Croissy et de Torcy, grand trésorier des ordres du roi, ambassadeur, ministre et secrétaire d'Etat, et de Françoise Béraud, Charles-Joachim Colbert de Croissy n'avait que dix-sept ans quand Louis XIV, par un brevet du 10 mars 1684, lui donna la commende de l'abbaye de Froidmont alors qu’il venait de terminer ses études au collège de La Marche, où de brillants succès l'avaient accompagné.

Quoique pourvu d'un riche monastère, il ne perdit rien de son amour pour l'étude ; il s'y livra, au contraire, avec passion, et ses talents et la sagesse de sa conduite lui attirèrent bientôt d'illustres amitiés. Il entra dans les relations les plus intimes avec Godefroi Hermant, l'historien du Beauvaisis, avec l'Abbé Renaudot, D. Mabillon, et tout ce qu'il y avait de plus savant et de plus distingué dans l'abbaye de Sainte-Geneviève, où il demeura pendant ses études de théologie.

Après la mort d'Innocent XI en 1689, il se rendit en Italie pour assister lors de l'élection d'Alexandre VIII aux cérémonies qui ont lieu à cette occasion. A son retour, il fut arrêté et blessé, près de Milan, par des soldats espagnols, qui le firent prisonnier et l'enfermèrent dans la citadelle de cette ville. Il eut fort à souffrir dans cette captivité, son isolement lui pesait outre mesure, et il regrettait vivement la douce société de ses amis de Sainte-Geneviève et sa paisible abbaye de Froidmont, qu'il avait si négligée, et où il eût été si heureux alors de couler ses jours.

Dans son incommode et étroite cellule, il employa son temps à apprendre l'espagnol pour s’occuper sainement. Aussitôt qu'il pût recouvrer la liberté, il revint à Paris, reprit ses études et se fit recevoir docteur.

En 1692, son cousin germain, Nicolas Colbert, archevêque de Rouen, le nomma grand-vicaire du vicariat de Pontoise, et lui laissa la disposition de tous les bénéfices qui viendraient, suite à sa nomination, vaquer dans cette partie de son diocèse. Loin d'abuser de cette confiance, son plus grand plaisir était de faire du bien et de rendre service à tout le monde, et surtout aux malheureux déshérités de la fortune. Aussi l’appelait-on partout que "le père des pauvres".

Il eût à cœur alors de s'occuper de son abbaye de Froidmont et de réparer sa négligence passée. La réorganisation de la vie intérieure, sous la direction d'un prieur claustral instruit et fervent, fut l'objet de tous ses soins. Il veilla lui-même, par des visites fréquentes, à ce que la régularité reparût dans tout son lustre, et ne laissât rien à désirer.

Les prieurs qui furent nommés sous son administration, Richard Aubertin, Sébastien Richardot, Mare Ledoul, Nicolas De Laon, Claude Aurillard, Antoine Langlois étaient tous des hommes de science et de vertu, des religieux véritablement capables de le seconder, et qui surent aussi le faire avec une remarquable prudence. Toute la communauté se ressentit de cette puissante impulsion, et on n'est pas étonné d'entendre dire par D. Martène et D. Durand, bénédictins de la congrégation de Saint-Maur, qui la visitèrent en 1719, qu'elle était « la plus régulière des maisons de la commune observance, et que le prieur (Nicolas De Laon) était un fort honnête homme, docteur en Sorbonne, et fort zélé pour la régularité.  »

En 1693, l'Abbé Colbert fut nommé agent du clergé de France, cette distinction marque assez la confiance que tout le clergé avait en lui. Quelque temps après, le roi le désigna pour l'évêché de Montpellier. Ses bulles lui furent aussitôt accordées tant son mérite était connu, et l'archevêque de Rouen, son cousin, lui donna le 10 mars 1697 la consécration épiscopale, dans l'église des Feuillants de Paris. Il se livra avec le plus grand zèle à l'accomplissement des devoirs de sa nouvelle charge, visita fréquemment toutes les paroisses de son diocèse, examinant tout, se faisant rendre compte de tout et parlant lui-même partout avec une agréable facilité.

Un de ses premiers soins fut de donner à ses diocésains un excellent Catéchisme, qui pût être en même temps la théologie abrégée des pasteurs et le fondement solide de la croyance des peuples. Cet important ouvrage fut composé par le P. Pouget, sous les yeux du prélat, et forme douze volumes  que l'on consulte encore aujourd'hui avec le plus grand fruit. Tout le monde connaît ce Catéchisme de Montpellier ainsi que l'édition abrégée faite par le successeur de Mgr Colbert, Georges-Lazare Berger de Charency.

Les premières années de l'épiscopat de Mgr Colbert de Croissy furent assez tranquilles. On l'aimait dans son diocèse, et son clergé accueillit avec bienveillance les statuts si solides et si pleins de sagesse, qu'il publia au synode de l'an 1700. Mais plus tard, son affection pour les doctrines jansénistes, la part qu'il prit dans la lutte, les nombreux mandements qu'il lança en leur faveur, lui suscitèrent de sérieuses difficultés et abreuvèrent d’amertume ses derniers jours.

Malgré le jansénisme bien connu de leur Abbé, les religieux de Froidmont résistèrent toujours à ces doctrines nouvelles, les combattirent dans tous leurs discours et se montrèrent les champions fidèles de celle de l'Eglise. La bulle "Unigenitus" eut leur adhésion complète.

Il mourut le 8 avril 1738.

10) Henri III de Rosset de Ceilhes de Rocozel

(1740-1748)

Après la mort de l'évêque de Montpellier, l'abbaye resta vacante jusqu'au mois de janvier 1740. Pendant ce temps, son temporel fut administré exceptionnellement et assujetti à la régale, c'est-à-dire que ses revenus furent perçus, pour le compte du roi, par le receveur des économats et que l'on n'en distribua qu'une faible partie aux religieux pour leur entretien.

Tous les baux renouvelables furent passés de nouveau par l'économat, et la communauté de Froidmont n'eut pas la faculté de s'en occuper, le droit que s'étaient arrogés les rois depuis le concordat de 1516 s'y opposant. Il n'y avait pas à résister, on s'acheminait vers la constitution civile du clergé et la confiscation de ses biens. Les rois y poussaient sans penser que leur couronne sombrerait dans l'abîme avec les propriétés ecclésiastiques. Le concordat, en cédant aux rois la nomination aux grands bénéfices, leur avait donné le droit de disposer de leurs revenus, en faveur des titulaires qu'ils nommaient ; la régale qui confisqua ces revenus au profit du roi, pendant les vacances, en fut le corollaire, et l'assemblée nationale n'eût qu'un pas à faire pour confisquer le fonds en faveur du domaine public. Le concordat avait posé les prémisses, la Révolution tira la conclusion.

Cette vacance de Froidmont fut interrompue par la nomination d'Henri de Rosset de Ceilhes de Rocozel. Il était le second fils du seigneur Bernardin de Rosset, et de Marie de Fleury, sœur du cardinal ministre d'Etat. La protection de son oncle lui attira des bénéfices : chanoine de Lodève en 1714, il fut pourvu de l'abbaye de Sorèze le 8 janvier 1721, puis de celle de Saint-Sernin de Toulouse en 1729. Il quitta Sorèze eu 1740 pour la commende de Froidmont. Le Parlement de Toulouse lui donna la charge de conseiller d'honneur l'année suivante.

L'Abbé de Rosset résida peu en son hôtel abbatial de Froidmont et s'occupa fort peu aussi de son monastère. Il demeurait habituellement à Paris, en la rue de Varesnes du faubourg Saint-Germain. Son intendant gérait, en son nom, sa part des biens de l'abbaye et faisait les baux et transactions. On ne trouve guère d'acte dans le chartrier où l'Abbé ait comparu personnellement.

En 1745, il fut pourtant présent lui-même pour la délimitation du cantonnement des chasses entre lui, les religieux et Claude-François Vigneron de Breteuil, seigneur de Marguerie. Il semble que chacune des parties attachait une très grande importance à ces chasses, et que l'on tenait au gibier, sinon au plaisir de le poursuivre et de l'abattre. La contrée, du reste, était fort giboyeuse, et cette pratique de la chasse donnait occasion à de brillantes réunions, à des fêtes, où se trouvaient la noblesse du voisinage et de hauts personnages. On avait l'avantage de pouvoir procurer à ses amis un amusement alors fort couru, et les religieux eux-mêmes ne le dédaignaient pas ; d’ailleurs, plus d'une de ces invitations de chasse furent adressées par les moines de Froidmont à leurs nobles voisins.

D'après l'accord qui intervint, la chasse fut réservée

  • à l'Abbé sur toutes les terres situées entre l'abbaye, Bailleul et Marguerie, et dans le grand bois, sur la partie vers Marguerie
  • aux religieux, dans la portion du bois et sur les terres situées vers Hermès, le mont de Hermes et Caillouet
  • et au seigneur de Marguerie, sur une partie du bois et sur les terres voisines de sa seigneurie.

Henri de Rosset mourut à Paris le 20 février 1748, âgé de soixante-deux ans, et son corps fut inhumé dans l'église de Saint-Louis du Louvre.

11) Louis-Jacques d'Audibert de Lussan

(1748-1769)

Louis Jacques d'Audibert de Lussan, à qui le roi donna la commende de Froidmont après la mort d'Henri de Rosset, par brevet du 28 août 1748, naquit en 1703, d'Alexandre d'Audibert, seigneur de Massillan, et de Jeanne de Chieza.

Après avoir été vicaire-général d'Arras, il fut proposé pour remplacer, sur le siège épiscopal de Périgueux, Jean-Chrétien de Macheco de Premeaux, nommé à l'archevêché de Bordeaux, devenu vacant par la mort de François-Honoré Casaubon de Maniban. Mgr de Premeaux, ayant refusé ce siège, l'Abbé de Lussan en profita et fut nommé par le roi, le 14 novembre 1743, pour l'occuper.

Quoique bien éloigné de son monastère de Froidmont, il y apparut pourtant quelques fois mais ce fut plutôt pour régler des affaires temporelles que pour s'occuper de la vie intérieure du couvent. Son influence, à cet égard, fut à peu près nulle ; il est vrai que la régularité se conservait assez bien et qu'il n'y avait point de scandales à réprimer. Les moines n'étaient peut-être pas tous des hommes distingués ou des saints, les constitutions primitives n'étaient plus observées avec la même rigidité que dans les premiers âges de l'institut, et la mollesse du siècle déteignait un peu sur ces pauvres habitants du cloître, c'est possible mais leur vie était encore très régulière et surtout infiniment plus régulière que celle des hommes qui vivaient de leur temps et que celle de leurs détracteurs.

Parmi les actes passés au nom et en présence de Mgr de Lussan, et cités dans le cartulaire de l'abbaye, nous remarquerons, à la date du 7 novembre 1759, une transaction entre lui et son couvent pour fixer les cantonnements de chasse dans les bois et les terres du haut pays, et une autre transaction, datée de quelques mois auparavant, du 4 février 1759, au sujet de l'ancien partage des biens, et qui le modifiait.

Dès le mois de janvier 1752, les religieux avaient assigné l'Abbé par-devant le grand conseil, afin d'en obtenir une augmentation de subvention pour les réparations à faire au monastère et pour divers autres objets. L'Abbé, blessé de ce procédé, était disposé à soutenir un procès et à présenter certaines demandes qu'il n'avait pas jugées opportunes jusque-là. Mais, de part et d'autre, après avoir mûrement réfléchi, on trouva qu'il valait mieux s'entendre à l'amiable, et on s'en remit à l'arbitrage de dom Carlot, Abbé de Chaloché et procureur général de Cîteaux. Sur son avis, et pour terminer le différend, on transigea par un supplément que l'on annexa à l'ancien partage.
D'après cette transaction, l'Abbé

  • abandonnait aux religieux la jouissance exclusive, pleine et entière, de toutes les terres et censives du Fay-sous-Bois, du tiers des terres, bois et droit de chasse de la ferme de La Verrière, du moulin de Mauregard, d’un passage de vingt-quatre pieds de large dans la cour de son hôtel abbatial le long du logis des hôtes,
  • se chargeait des réparations à faire audit logis des hôtes et aux fontaines
  • et s'engageait à leur donner annuellement trente livres pour la fourniture des livres d'église, et quarante pour l'acquit des messes qu'il était tenu de dire.

De leur côté, les religieux lui cédèrent

  • divers petits coins de terre
  • la jouissance de l'ancienne chaussée qui longe l'enclos de la basse-cour, et les pâturages de la ferme du mont de Hermes.

Puis on convint de faire rédiger un inventaire général de tous les titres et papiers de l'abbaye, et de faire dresser un terrier de toutes ses propriétés, en même temps qu'un nouveau cartulaire ou copie de tous les titres. Ces divers travaux furent exécutés, mais demandèrent du temps. L'un des religieux travailla lui-même à la rédaction du cartulaire. Son œuvre, fort incomplète, forme trois petits volumes, qui sont actuellement conservés aux Archives de l'Oise. L'inventaire officiel, qui est très-bien fait, est en deux grands volumes "grand in-folio". Commencé en 1768, il fut achevé en 1772.

Louis-Jacques d'Audibert de Lussan mourut le 15 novembre 1769.

12) Etienne-Charles Loménie de Brienne (1769-1775)

Le successeur de Mgr d'Audibert de Lussan fut Etienne-Charles de Loménie de Brienne, archevêque de Toulouse, né en 1727, à Paris, et fils de Nicolas-Louis de Loménie, comte de Brienne, et d'Anne-Gabrielle de Chamillart de Villatte.

D'un caractère aventureux et entreprenant, il sut obtenir, en 1759, dans le diocèse de Troyes, la commende de l'abbaye de Basse-Fontaine et, dans celui de Rouen, le grand vicariat de Pontoise. Le 11 janvier 1761, Louis XV le nomme à l'évêché de Condom et c'est dans ce poste que, s'étant un peu appliqué aux affaires et aux intérêts de la province de Languedoc, il se fit la réputation d'un évêque administrateur, sorte de mérite dont on faisait alors beaucoup de cas. Il se fit nommer dans toutes les assemblées du clergé, où il acquit malheureusement trop d’influence. Le 2 février 1763, par faveur royale il est transféré à l'archevêché de Toulouse, et se fit remettre, en 1766, la commende de l'abbaye du Mont-Saint-Michel, au diocèse d'Avranches dont il se démit, en 1769, pour celle de Froidmont, à laquelle il fut nommé en décembre de la même année.

Ce prélat jouit d'une immense réputation ; il avait des talents assez brillants pour séduire, mais pas assez de principes, de mœurs ni de croyances, pour le grand rôle qu'il allait remplir dans la nation, et pour arrêter la décomposition sociale que l'on sentait sourdre de toutes parts. Il était trop léger, trop vain et trop ambitieux pour arriver à quelque chose de solide. On eut un exemple de la légèreté avec laquelle il traitait les affaires dans le rapport, rempli d'inexactitudes, qu'il fit sur le concile d'Utrecht. Néanmoins, le malheur des temps voulut qu'il fût appelé à être le réformateur de l'institution monastique, au milieu du XVIIIe siècle. Un arrêt du conseil le nomma membre, en 1766, de la fameuse commission créée pour la réforme des ordres religieux.

Il semblait juste que le clergé s'inquiétât de la situation intérieure des abbayes afin de l'améliorer, alors que la nation avait sans cesse les yeux tournés vers elles pour les critiquer et les attaquer. On entrevoyait, grâce à elles, la solution à un problème d'économie politique toujours menaçant. En effet, l'équilibre n'existant plus, depuis longtemps, dans les finances nationales, on se demandait vaguement si les immenses propriétés territoriales de ces monastères, qui inondaient la France et couvraient partout son sol, ne pourraient pas y apporter un remède salutaire.

Que faisaient, se demandait-on,  ces moines dégénérés ? Comment pouvaient-ils consommer les revenus de leurs vastes propriétés, alors que leur nombre était devenu si restreint dans chaque monastère ? En diminuant ces institutions, ne trouverait-on pas le salut et la résurrection de la chose publique ? Bref, on institua, pour y aviser, la fameuse commission connue sous le nom de "Commission pour les réguliers".

Brienne en fit partie ainsi que Turgot en même temps que les encyclopédistes et quatre prélats choisis par le roi. L'assemblée du clergé, de 1763, avait décidé que l'on devrait avoir recours au pape, si l’on voulait obtenir une commission composée de cardinaux et d'évêques désignés par lui, afin de remédier aux abus dont Brienne avait demandé la suppression mais le roi n'en tint compte et désigna lui-même les membres qui devaient la composer. Sous l'influence de Brienne, qui ne dissimulait pas ses antipathies contre la multiplicité des abbayes, sortit l'édit du mois de mars 1768, qui

  • défendit de faire des vœux de religion avant vingt et un ans pour les hommes et dix-huit pour les femmes
  • supprimait les couvents ayant moins de quinze religieux
  • et statuait que le même ordre ne pouvait avoir plus d'une maison en chaque ville

Quand il vit arriver à sa tête ce réformateur omnipotent, le monastère de Froidmont dut trembler. Les religieux n'affluaient plus dans son sein, et le nombre qu'il renfermait était à peine suffisant pour ne pas l'exposer à la suppression ; il tombait même sous le coup de l'édit, si l'on ne faisait attention qu'à ceux qui résidaient réellement et habituellement dans l'abbaye.
Ils n'étaient en effet plus que six présents :

  • Dom Charles-Bonaventure Oudot, prieur
  • Dom Antoine-Claude Fleury, sous-prieur et cellérier
  • Dom François-Maximilien Thorel, dépensier
  • Dom Guillaume Gavory, curé de Sainte-Marguerite
  • Dom Nicolas Gervaise
  • Dom Jean-Baptiste-Louis Fourgousse.

Malgré ce petit nombre, le monastère échappa à la suppression. Celui qui semblait devoir le faire périr, fut celui qui le sauva. L'Abbé de Brienne en retirait un beau revenu, et il n'était pas de son intérêt de le faire supprimer, car c'eût été faire disparaître du même coup la plus claire de ses rentes et celle qui lui coûtait le moins de soins.

Froidmont fut donc conservé.

Alors qu’auparavant, les religieux ne craignaient pas de demander à leurs Abbés, même hautement et par-devant la justice, d'avoir à faire les réparations nécessaires aux constructions de l'abbaye, sous l'Abbé de Brienne qui avait toute la faveur de la cour et qui allait être nommé ministre d'Etat, ils ne se risquaient à faire ces demandes qu'avec la plus grande circonspection, et c'est à peine même s'ils osaient le faire.

Brienne, cependant, afin de conserver sa réputation de grand administrateur, ne voulut rien laisser tomber en ruine, faute de soin. Il fit visiter, en 1770, tous les bâtiments dépendant de l'abbaye ou de ses fermes. Les experts trouvèrent bien des choses à réparer et des sommes assez considérables à dépenser. Cela n'allait guère à Brienne, surtout la dépense. Il est vrai qu'on pouvait la mettre à la charge de la succession du dernier Abbé, qui n'avait pas fait exécuter ces réparations en temps et lieu ; mais pour cela, il y avait bien des formalités à remplir. Brienne évita les unes et les autres en ayant recours à un moyen radical qui décelait malheureusement trop ses projets pour ne pas être obligé à réparer : il fit démolir. N'était-ce pas prendre le chemin qui conduirait à la destruction du monastère ? La fameuse commission des réguliers produisait ses fruits, et Brienne, qui avait joué un si grand rôle dans son sein, savait appliquer ses principes.

A la demande de l’Archevêque-Abbé, Louis XV lui accorda la permission, par lettres-patentes du mois d'avril 1771,

  • de faire procéder à la démolition du bâtiment donnant sur la grande portée d'entrée de la cour de l'abbaye et servant anciennement de chapelle Sainte-Marguerite, alors sans table d'autel ni vitres aux croisées sous laquelle on pratiquait l’Audience, et sous l'escalier duquel se tenait une prison. Il serait plus avantageux, disait-il, de démolir ce bâtiment, abandonné depuis un temps immémorial et se trouvant dans un tel état de vétusté. En effet cette démolition permettrait d’employer les matériaux récupérés aux réparations et agrandissements devant être entrepris dans les autres bâtiments de l'abbaye, plutôt que de faire les frais d'une reconstruction totale, qui serait entièrement inutile pour le bénéfice
  • et de faire de même pour toutes les autres constructions énumérées dans sa requête

En outre,

  • les anciens murs de clôture, situés autour de la cour du vieux château et formant un carré de cent trente-six toises de pourtour, étant en mauvais état et de plus totalement devenus inutiles puisque cette cour a été mise en labour, il ne serait pas moins essentiel d'en faire la démolition, ne relevant aucun motif raisonnable de les conserver.
  • la ferme du mont Hermes, éloignée et située à l'entrée de la forêt, n’ayant plus de terres suffisamment grandes pour occuper un fermier et n’étant de ce fait plus habitée, ses bâtiments devenaient entièrement inutiles. En conséquence leur démolition ne pourrait que diminuer les charges de l'abbaye.
  • de même en ce qui concernait la ferme de La Grande-Vallée, paroisse de Noyers, située à quatre lieues de l'abbaye dont les terres étaient louées séparément en raison de la difficulté d'être exploitées par un seul fermier, et dont les bâtiments, sujets à un entretien considérable, n'étaient également point habités. Il devenait donc indispensable d'en faire aussi la démolition et d’en tirer le bénéfice.

Ainsi, voilà deux fermes, un beau mur de clôture et la porte ogivale couronnée d'une chapelle du même style, qui partent en fumée avec l’autorisation pleinement consentie du rooi de France.

Enfin, pour se débarrasser aussi de l'entretien des fermes de La liaison-Rouge à Bailleul, et de La Maison-Blanche à Bernes, l’Abbé obtint encore la permission de les donner à bail à rente perpétuelle. C'était une espèce d'aliénation moyennant rente.

Avec un semblable système d'administration, l'abbaye n'aurait bientôt plus eu de bâtiments de ferme, et les constructions régulières n'auraient pas tardé non plus à être réduites au strict nécessaire pour l'usage de la petite communauté. Les édifices majestueux devenaient une superfluité dispendieuse et trop coûteuse surtout pour l'Abbé qui en avait l'entretien.

Où les idées de Brienne ne l'auraient-elles pas conduit ? Heureusement pour Froidmont qu'il n'en resta que six ans Abbé. Les religieux, s'ils avaient encore un peu d'affection pour leur riche monastère, durent se réjouir, quand ils apprirent sa démission, en 1775.

13) François Barreau de Girac (1775-1790)

François Barreau de Girac, évêque de Rennes, fut le dernier Abbé de Froidmont. Nommé d'abord à l'évêché de Saint-Brieuc, en 1766, puis à celui de Rennes, en 1769, il obtint la commende de Froidmont, en 1775, après la reddition de Loménie de Brienne.

Il n'eut aucune influence sur le régime intérieur de son monastère, qu'il ne visita que bien rarement. Il avait entendu accuser M. de Brienne d'avoir allumé des divisions dans les monastères, excité les inférieurs contre les supérieurs, et contribué à dégoûter de leur état des hommes que l'esprit du siècle en éloignait déjà, et il craignait pour ses rapports avec une communauté dont ce prélat avait été Abbé. Il avait pourtant bien tort car les religieux de Froidmont étaient paisibles et faciles dans leurs relations et l'administration de M. de Brienne n'y avait rien changé.

Les signes précurseurs de la Révolution commençaient à jeter leur fulgurant éclat, et les ordres religieux s'endormaient tranquilles dans leur molle apathie, sans se soucier du lendemain. L'avenir s'annonçait sombre et menaçant, et les neuf religieux de Froidmont ne s'en tourmentaient guère ; ils se livraient aux plaisirs de la chasse, recevaient leurs nobles voisins et dépensaient gaiement leurs revenus.

Ils pouvaient pourtant entendre les paroles d'envie et de haine qui raisonnaient autour d'eux, la calomnie marchait sur leurs traces, les imputations les plus malveillantes étaient semées partout. Ceux-là même à qui ils faisaient du bien ne recevaient plus leurs bienfaits avec le même air de reconnaissance.

Que s'était-il donc passé ?

L'œuvre de Voltaire produisait ses effets, sa parole sarcastique était descendue dans les campagnes, et chaque paysan se croyait en droit d'attaquer les moines qui l'avoisinaient et de les traiter de fainéants et de viveurs.

Sans doute, le monastère de Froidmont avait perdu de son ancienne splendeur, et ses moines n'étaient plus les austères compagnons des Manassès, des Pierre et des Robert. Ils avaient subi l'influence délétère de cette société viciée au milieu de laquelle ils étaient plongés mais était-ce une raison pour se ruer sur eux avec cette acrimonie et cet acharnement ?

Que pouvait-on, après tout, leur reprocher ? Leur vie oisive ?

Ils avaient, il est vrai, un peu trop abandonné le travail des mains, mais que faisaient-ils de pire que les rentiers ? Eux du moins priaient et remplissaient tous les devoirs de la vie chrétienne ; ils faisaient d'abondantes aumônes ; si abondantes même que le Parlement crut devoir interdire comme abusive, en 1781, la grande aumône du Jeudi-Saint, à cause de la quantité de pauvres qu'elle attirait à Froidmont.

Leur immortification ? Sous ce rapport, leur vie pouvait laisser à désirer, au point de vue de l'esprit monastique, mais elle était encore beaucoup plus mortifiée que celle de leurs accusateurs. L'irréligion et les mauvais instincts, qui sentaient là une proie inoffensive à harceler et à piller, étaient les seuls motifs qui soulevaient ces attaques.

Cette guerre, sourde d'abord, et plus agressive dans le XVIIIe siècle, allait avoir un dénouement tragique. La convocation des Etats-Généraux en fut l'occasion.

Les lettres du roi avaient convoqué les trois Ordres : le clergé, la noblesse et le tiers-état au chef-lieu de leur bailliage pour procéder à la rédaction des cahiers des vœux et doléances de leur Ordre. Le clergé du bailliage de Clermont se réunit le 9 mars 1789, à l'hôtel-de-ville. L'Abbé de Froidmont ne put y comparaître personnellement, retenu qu'il était, pour la même cause, dans son diocèse, mais il donna sa procuration à Dom Jean Jolly, prieur du monastère, qui représenta, en même temps, la communauté.

Les députés se rendirent à Versailles, porteurs des instructions que les électeurs leur avaient données. Les paisibles habitants de Froidmont apprirent avec stupeur les décrets qu'ils édictèrent contre eux :

  • dans la nuit du 4 août, ils avaient voté la suppression des droits féodaux et des dîmes de toutes sortes
  • les séances des 23, 24, 30, 31 octobre et 2 novembre mirent leurs biens à la disposition de la nation
  • celles des 10, 11, 13, 16, 18, 19 février 1790, prononcèrent la sécularisation des abbayes, l'interdiction des vœux monastiques et posèrent le principe du traitement à faire aux moines qui resteraient dans le cloître ou en sortiraient.

Les mesures les plus funestes tombaient coup sur coup sur ces malheureuses institutions, et avec une rapidité qui provenait de la frénésie et de la fièvre qui agitaient alors, non seulement l'Assemblée constituante, mais la nation tout entière.

Ce ne fut pas sans une indicible émotion que les moines de Froidmont virent arriver chez eux le 5 mai 1790 les officiers de la municipalité de Hermes. Ils venaient exécuter le décret de l'Assemblée nationale des 20 mars et 20 avril précédents dans lequel il était dit, article 5 :

« Les officiers municipaux se transporteront, dans la huitaine de la publication des présentes, dans toutes les maisons des religieux de leur territoire, s'y feront présenter tous les registres et comptes de régie, les arrêteront et formeront un résultat des revenus et des époques de leur échéance ; ils dresseront un état et description sommaire de l'argenterie, de l’argent monnayé, des effets de la sacristie, des bibliothèques, livres, manuscrits, médailles, et du mobilier le plus précieux de la maison, en présence de tous les religieux. »

Après que la municipalité eut donné lecture de ce décret, véritable proclamation d'un vainqueur en pays conquis, Dom Jolly, prieur, et Dom Pruvost, procureur, qui n'avaient qu'à s'incliner devant les sommations du Congrès National conduisirent les messieurs de Hermes à l'église, à la sacristie, aux archives et dans tous les lieux réguliers de la maison pour les voir inventorier tout leur mobilier.

Ils commencèrent par établir l'état des revenus de la mense conventuelle, à l'aide d'un registre sommier que leur présenta Dom Jolly, en présence de tous ses confrères assemblés. D'après cet état, il résulte que les moines avaient à recevoir annuellement 14.338 livres 6 sols 8 deniers, dont le détail suit :

  • des deux fermes de Gouy : 3.000 livres
  • de celle de la Basse-Cour : 1.400 livres
  • de celle de La Borde-Mauregard : 800 livres
  • de celle de Mauregard : 3.000 livre
  • de celle de Parfondeval : 1.000 livre
  • de celle de la Vieille-Abbaye : 600 livres
  • du moulin de Bailleul : 83 livres 6 sols 8 deniers
  • de celui de Hermes : 350 livres
  • de deux maisons au Petit-Froidmont : 14 livres
  • des terres, prés et bois de Hermes : 472 livre
  • de ceux du Fay-sous-Bois : 290 livres
  • du fermage de Moimont : 200 livre
  • de celui de Montreuil-sur-Brèche : 200 livres
  • de celui du Mont-César : 480 livre
  • de celui de Marguerie : 72 livre
  • de celui de la Rue-Saint-Pierre : 100 livres
  • des dimes de Rantigny : 200 livres
  • de celles du Plessier-sur-Saint-Just : 3001ivrcs
  • du quart de celles de Bailleul : 100 livres
  • des redevances de M. de Barentin : 647 livre
  • de celles des Mathurins de Clermont : 27 livres
  • de celles du duc de Liancourt : 25 livres;
  • de celles de l'évêque de Beauvais : 30 livres
  • et de celles de l'Abbé, pour les charges claustrales, 930 livres.

En outre, ils avaient à percevoir tant de leurs fermiers que de redevances sur Angivillers Cambronne, Rochy-Condé, Saint-Rémy-en-l'Eau, et le prieuré de Saint-Remy-1'Abbaye,

  • 624 mines de moisson
  • 545 mines de blé-froment
  • 422 mines d'avoine
  •   36 mines de seigle
  •   36 mines d'orge

et ils avaient la jouissance

  • du tiers des 1.248 arpents de bois appartenant à l'abbaye
  • et des six arpents de près de leur enclos.

On procéda ensuite à la reddition des comptes de Dom Pruvos, procureur. Après l'examen de ses registres, il apparut qu'il avait reçu, depuis le 5 janvier 1790 : 15.201 livres 9 sols 11 deniers, ce qui faisait, avec les 1.353 livres 16 sols 10 deniers de reliquat de l'exercice précédent, un total de 16.535 livres 7 sols 9 deniers de recettes. La dépense s'étant élevée, dans le même espace de temps à 15.674 livres 12 sols 2 deniers, il en résultait un excédent de 880 livres 5 sols 7 deniers.

L'inventaire de l'argenterie, qui fut dressé, accusait la présence de :

  • 24 couverts
  •   4 cuillers à ragoût
  •   1 cuiller à potage
  •   2 cuillers à sucre
  •   1 cuiller à café

le tout en argent.

Les municipaux se rendirent ensuite à l'église, où ils trouvèrent,

dans la sacristie :

  • 1 soleil
  • 1 ciboire
  • 2 calices
  • 1 encensoir et sa navette
  • 2 paires de burettes, dont une avec plateau
  • 1 boite aux Saintes-Huiles
  • et le calice de la chapelle de Parfondeval

le tout en argent

  • 6 chapes, 2 chasubles, 4 dalmatiques et 1 écharpe, de couleur blanche
  • 3 chapes, 1 chasuble, 2 dalmatiques, de couleur rouge
  • 3 chapes, 2 chasubles, 2 dalmatiques, de couleur noire
  • 1 écharpe et 1 chasuble, de couleur violette

et en plus, pour les jours ordinaires :

  • 3 chasubles blanches, 2 vertes, 2 violettes, 2 noires et 3 rouges
  • 22 nappes d'autel, 25 amicts, des purificatoires, corporaux et autres petits linges à l'usage du service divin.

dans l’église proprement dite :

  • le maître-autel garni de 6 chandeliers et 1 croix, en cuivre argenté
  • 1 lampe de même métal dans le sanctuaire
  • 1 lutrin au bas du chœur
  • 2 petites chapelles avec autel garni de 1 croix et de 4 chandeliers en cuivre argenté, et de 2 tableaux
  • 1 grille de fer qui sépare le chœur de la nef
  • 1 fauteuil et 2 chaises en petits points, dans le sanctuaire

dans un appartement destiné à l'usage d'une sacristie :

  • 1 boiserie toute neuve et prête à poser
  • 1 orgue en assez bon état

sur l'un des bas-côtés de l'église :

  • 1 horloge en cuivre

dans le clocher :

  • 5 cloches dont 1 cassée.

dans la bibliothèque :

  • 950 volumes
  • et 20 manuscrits

Descendant de là au rez-de-chaussée, ils visitèrent :

la petite salle à manger, garnie de :

  • 1 boiserie de chêne
  • 1 poêle
  • et 1 buffet

puis la grande salle à manger, qui est aussi garnie de :

  • 1 boiserie de chêne
  • 1 table de marbre
  • 1 cheminée à trumeau
  • 1 tableau représentant M. de Lussan, ancien Abbé
  • et 4 dessus de porte

Ils passèrent ensuite au grand salon, qui était parqueté et garni de :

  • 1 boiserie en chêne
  • 1 cheminée de marbre à trumeau
  • 1 table de marbre à pied de bois
  • 1 tableau, représentant M. de Brienne
  • 1 canapé
  • 12 fauteuils
  • 2 bergères en velours d'Utrecht cramoisi
  • 1 garniture de cheminée
  • et 4 dessus de porte.

A la suite du salon étaient deux appartements pour hôtes, tous deux parquetés avec boiserie à hauteur d'appui.

  • Dans l'un était : 1 tapisserie en velours d'Utrecht jaune, 6 fauteuils du même velours, 1 cheminée de marbre avec trumeau, 1 tableau, 1 commode à table de marbre et 2 dessus de porte
  • Dans l'autre : 1 tapisserie en damas du Caire, 6 chaises de même étoffe, avec 1 fauteuil, 1 cheminée de marbre avec glace et 2 dessus de porte.

Chacun de ces appartements est, en outre, garni de : 1 bon lit composé de 2 matelas, 1 lit de plumes, traversin, oreiller, couverture, courtepointe, ciel-de-lit et rideaux.

Dans un petit cabinet attenant à ces appartements, ils trouvèrent : 1 boiserie de hauteur d'appui, 1 tapisserie en toile d'Orange, 2 rideaux de pareille étoffe et 2 chaises garnies de leurs coussins.

Dans le réfectoire, ils relevèrent :

  • 1 boiserie en chêne
  • 1 table
  • et 8 tableaux.

Dans un appartement à côté : 2 armoires où était renfermé tout le linge de la maison et de la cuisine.

A la cuisine, tous les ustensiles et meubles nécessaires, c'est-à-dire :

  • 10 casseroles
  • 5 couvercles
  • 1 tourtière
  • 2 passoires
  • 2 poissonnières
  • 1 braisière
  • 2 marmites

le tout de cuivre jaune

  • 2 crémaillères
  • 1 paire de chenets
  • 1 grande pelle
  • 1 fourgon
  • 1 paire de pincettes
  • 2 marmites
  • 3 broches

le tout de fer

  • 1 tournebroche
  • 2 bancs
  • 1 table
  • 1 bloc
  • 1 bas d'armoire
  • 1 armoire
  • 2 chaises
  • 2 coquemars
  • 6 poêles dont 1 à frire
  • 18 assiettes d'étain
  • 36 assiettes
  • et 4 plats de faïence.

Montant ensuite au premier étage ils visitèrent

  • trois chambres pour hôtes, garnies de lits, de tapisseries, chaises et fauteuils
  • puis les deux chambres de Dom Jolly, prieur, et Dom Oudot, ancien prieur.

Au dortoir, ils trouvèrent douze chambres :

  • sept occupées par des religieux
  • quatre par les domestiques
  • et une où étaient les armoires contenant le linge de la sacristie

Ils descendirent à l'infirmerie, inventorièrent le mobilier de la chambre du procureur, qui est au bas, et de celle du premier étage, où étaient trois lits pour coucher les pauvres voyageurs.

Cela terminé, messieurs les municipaux sommèrent le prieur de leur dire si l'abbaye avait des dettes actives ou passives.

Dom Jolly leur répondit que, quant aux dettes actives, il était dû à la communauté 7.140 livres 14 sols et 6 deniers, dont :

  • 1.218 livres 8 sols provenant des arrérages de fermage ou de termes dernièrement échus
  • 2.931 livres 6 sols et 6 deniers, dus par l'abbaye de Clairvaux pour solde de sommes encore plus importantes qui lui avait été prêtées en 1783
  • 3.000 livres dues par l'abbaye de Chaalis, pour solde aussi de sommes prêtées en 1786.

Quant aux dettes passives, la mense conventuelle devait :

  • 3.000 livres, d'une part, au chapitre de Notre-Dame-du-Châtel, de Beauvais, pour le principal d'une rente de 136 livres 10 sols
  • 2.000 livres à la veuve de Nicolas Le Cay, pour le principal d'une rente de 100 livres
  • 1.200 livres à Ducoudray, épicier à Beauvais, pour marchandises fournies
  •   180 livres à M. Clément, architecte, pour ses honoraires
  •   262 livres pour les deux derniers termes du don gratuit du Clergé de France
  • et 1.200 livres pour le premier terme de la contribution patriotique

ce qui portait le total des dettes passives à 7.812 livres

Mais la municipalité de Hermes avait à prendre aussi des informations relatives au personnel lui-même de Froidmont. Il était, en effet, nécessaire de connaitre quelles étaient les intentions de chaque moine présent. Les articles que Treilhard, au nom du comité ecclésiastique, avait soumis au vote de l'Assemblée nationale, dans le mois de février 1790, le prescrivaient clairement.

  • article 1er : « Tous les religieux qui auront fait des vœux solennels, dans quelque Ordre ou Congrégation qu'ils puissent être, déclareront dans les trois mois du jour de la publication du présent décret, devant les officiers municipaux ou les juges ruraux de leur domicile, s'ils désirent cesser de  vivre sous la règle dans laquelle ils ont fait profession, ou s'ils désirent y rester. »
  • article 2 : « Ceux qui auront déclaré vouloir quitter leur règle seront, dès ce moment, libres de sortir de leurs monastères et de résider où bon leur semblera, en habit clérical, sous la juridiction de l'évêque diocésain. »
  • article 7 : « Les religieux qui auront déclaré vouloir continuer de vivre sous leurs règles, seront placés de préférence dans les maisons de campagne du même Ordre. »

Le maire, Isoré, pour se conformer à ces prescriptions pria Dom Jolly de lui déclarer le nombre de ses religieux, leur nom, leur âge et leur intention à l'égard de la vie monastique. Le prieur répondit qu'il y avait actuellement dans l'abbaye dix religieux, et deux qui, tout en lui appartenant, n'y résidaient pas.

Les moines résidants étaient :

  • dom Jean Jolly, prieur, âgé de 18 ans
  • dom Charles-Bonaventure Oudot, ancien prieur, âgé de 78 ans
  • dom Maximilien Hiorel âgé de 70 ans
  • dom Charles Maron, âgé de 63 ans
  • dom Gilbert Watin, âgé de 58 ans, sous-prieur
  • dom Antoine-François-Joseph Pradine, âgé de 57 ans
  • dom Paul-Mathieu Bosquillon de 54 ans
  • dom Jean-Baptiste Bouquet, âgé de 53 ans
  • dom Philippe-Joseph Pruvost, âgé de 31 ans, procureur
  • dom Antoine-Charles Fournier, âgé de 28 ans.

Les deux religieux non résidants étaient

  • dom Bardeau, prieur de l'abbaye de Valence,
  • dom Théru, procureur de l'abbaye de Fontmorigny.

Quant à leurs intentions, tous les religieux furent unanimes : si la maison, dans laquelle ils demeuraient, était conservée, ils se réservaient alors le temps de la réflexion. Cette réponse était sage ; la prudence, en effet, conseillait d'attendre à Froidmont, pour voir se dessiner les événements.

Le prieur fit ensuite remarquer qu'il était en usage dans la maison de distribuer chaque dimanche aux pauvres des environs à peu près pour vingt livres de pain, et de fournir le pain, le vin, les médicaments et les visites de médecin à leurs vassaux nécessiteux. Il demanda s'il pouvait encore le faire à l'avenir ; ce à quoi, les municipaux, ne voulant pas se montrer trop durs dans ces temps malheureux, lui en accordèrent l’autorisation.

Après cette entrevue avec la municipalité de Hermes, les religieux de Froidmont passèrent trois mois sans être inquiétés, mais vivaient néanmoins dans l'anxiété générale. La paix semblait avoir disparu du globe, comme dit un historien. Des orages s'amoncelaient de tous côtés, et un terrible pressentiment de dangers imminents, d'horreurs prochaines semblait planer sur toute la France.

Le 5 septembre, des délégués du district de Beauvais : Nicolas-Marie et Renault-Ma, vice-présidents du Directoire et sous-commissaires aux inventaires ecclésiastiques et religieux, Goujon, procureur-syndic, et Danjou, secrétaire de l'administration du district, se présentèrent à Froidmont pour procéder à la vérification de l'inventaire sommaire dressé par les municipaux de Hermes et établir celui des papiers et titres des archives, qui n'avait pas été fait. Ces diverses opérations terminées ils laissèrent le tout à la charge et garde du prieur et du procureur,

Le 1er janvier 1791 ils revinrent à Froidmont, non pas pour présenter aux religieux leurs souhaits du nouvel an, mais pour apposer les scellés sur les appartements contenant des effets mobiliers. Dom Jolly et Dom Pruvost, interrogés sur leurs intentions ultérieures, répondirent qu'ils étaient résolus de ne point continuer la vie commune, et que telle était aussi la disposition de leurs confrères.

Cependant comme la saison était rigoureuse et que la plupart d'entr'eux étaient fort éloignés des localités où ils se proposaient de se retirer, ils demandèrent l'autorisation de rester encore quelque temps dans l'abbaye, sans y vivre en commun. Les agents du district firent droit à leur demande, mais pour s'assurer de la cessation de tout office de communauté, ils firent ôter les cordes des cloches, puis ils demandèrent aux Pères Jolly et Pruvost de se constituer les gardiens de l'abbaye et de son mobilier comme propriétés nationales. Les Pères s'y engagèrent et signèrent devant les commissaires.

Pauvres moines ! Le glas de la mort n'avait pas encore sonné pour leur institution, ils y avaient déjà renoncé en abdiquant la vie commune et ils ne se sentaient pas le courage de protester en sa faveur. La liberté les attirait par son fascinant mirage alors même qu’une terreur secrète les poussait à quitter leur monastère, où ils avaient pourtant coulé des jours calmes et tranquilles.

Il ne restait plus qu'à attendre la dernière heure et celle-ci sonna ; un décret de l'Assemblée nationale ordonna la vente de Froidmont.

Auparavant, on vint enlever l'argenterie pour l'envoyer à la Monnaie. Ce commencement de spoliation jeta la panique dans la petite colonie et tous prirent la fuite, abandonnant les clefs à la municipalité de Hermes. L'abbaye de Froidmont avait vécu.

Triste et lugubre destinée !

Le cœur se serre rien que d'y penser. Froidmont, cet opulent monastère que les Seigneurs de Bulles avaient fondé, que les Rois et les Nobles avaient aimé et richement doté, que les Princes avaient recherché, et qu'un poète-historien avait illustré par sa sainteté, allait finir disséqué, vendu, anéanti. Ses débris seraient éparpillés et jetés aux quatre coins du monde.

Le 8 août 1791, un expert, nommé par les administrateurs du district de Beauvais, Jérôme Burgaud, se présenta à l'abbaye pour en faire l'estimation.

Comme ses pas devaient résonner tristement dans ces grandes salles inhabitées, sous ces cloîtres déserts, dans cette vaste église où les stalles étaient vides, l'orgue muet, et où le silence n'était interrompu que par le sifflement du vent contre ses hautes verrières ! Et il toisait, calculait, évaluait !

Arrivé par le chemin du Petit-Froidmont, il franchit ces hauts et magnifiques murs d'enceinte, dont les solides assises semblent encore défier les injures du temps ; il se présente au logis abbatial.

C'était un beau pavillon à trois étages, de 46 pieds de long sur 30 de large, bâti en pierres de taille et couvert en ardoise, situé à l'extrémité occidentale de la grande cour du monastère. A côté et formant arrière-corps, était une construction de 68 pieds de long, sur 30 de large, de même hauteur, bâtie et couverte comme lui. Une tourelle en briques le flanquait et contenait un escalier donnant accès dans les étages supérieurs.

A la suite s'étendait un bâtiment un peu moins élevé, à deux étages seulement, de 46 pieds de long, sur 30 de large, en moellons et tuiles, contre lequel venait aboutir, mais en retour d'équerre se dirigeant vers les constructions de la mense conventuelle, un pavillon de 22 pieds de long, sur 20 de large, aussi en moellons et tuiles.

La distribution intérieure de la demeure abbatiale est ainsi décrite par M. Burgaud :

« Au rez-de-chaussée, un escalier avec salle à manger à côté, un corridor entre les deux bâtiments pour communiquer avec l'office, le ressert, la cuisine, le fruitier, le bûcher et la cave. Le tout est voûté en pierres d'appareil à nervure.

« Au premier étage, attenant au palier de l'escalier, est une très-belle salle à manger parquetée, à côté un appartement aussi parqueté en point de Hongrie, suivi de plusieurs chambres, avec corridor.

« Au second étage, deux appartements et divers cabinets et chambres, un corridor communiquant avec l'escalier de la tourelle, et, au bout de ce corridor, un bel appartement avec antichambre. »

En face de l’abbatial est une vaste cour commune avec la mense conventuelle, contenant cent quarante perches et dans laquelle est un abreuvoir muré.

Entre cette cour et un bosquet de charmille, situé vers le Petit-Froidmont, est un bâtiment de 40 pieds de long, sur 13 de large, construit en moellons et couvert en tuiles. A sa suite, un petit bâtiment de 8 pieds sur 7, et au bout un colombier de 16 pieds de diamètre. Vient ensuite, toujours entre la cour et le bosquet et faisant face aux bâtiments conventuels et au portail de l'église, un petit mur d'appui de 122 pieds de long, supportant un grillage en bois, divisé par des pilastres en pierres, en neuf travées ; à son extrémité, s'élève un bâtiment de 126 pieds de long, sur 46 pieds de large, construit en pierres et voûté, servant d'écurie, sellerie, bûcher et ressers divers.

En retour d'équerre et se dirigeant vers la porte d'entrée qui regarde le Petit-Froidmont règne un mur en pierres, de 480 pieds de long. Il vient se souder, en cet endroit, sur le grand mur d'enceinte, qui est construit en belles pierres avec arcades ogivales simulées dans sa partie inférieure, et faisant 18 pieds de haut. Entre ce mur et la grande cour, on trouve un bosquet de deux arpents, un verger et un potager de deux arpents et demi non compris la pièce d'eau de cinquante verges, qui est dans le potager. Tous ces bâtiments bosquet, verger, étang et potager dépendent de la mense abbatiale et sont estimés, par l'expert, à 6.142 livres. C'est une véritable dérision.

Burgaud passe ensuite à la description et à l'estimation de la mense conventuelle. Il commence sa visite du côté de l'abbatiale.

Sur la grande cour, s'étend un corps de logis à double étage, nommé le logis des hôtes, de 144 pieds de long, sur 30 de large et 32 de haut, construit en pierres et couvert en tuiles. Le rez-de-chaussée est distribué en : une salle à manger au bout de laquelle, du côté de l'abbatiale, un passage ; puis une seconde salle à manger et un petit bûcher ; au milieu, un péristyle avec perron donnant sur la cour et un escalier pour monter aux étages supérieurs ; à droite enfin et vers l'église, un grand et beau salon, deux appartements se faisant suite avec cabinets à côté. Au premier sont des chambres, et au-dessus des greniers.

En retour d'équerre vers l'abbatiale et se dirigeant vers l'orient, est un bâtiment de 108 pieds de long, sur 30 de large, construit comme dessus et comprenant, au rez-de-chaussée, cuisine, dépense, réfectoire, escalier, chambre de cuisinier et grenier au premier étage.

En retour encore et se dirigeant, cette fois, vers l'église et parallèlement au logis des hôtes, s'élève une autre construction en pierres et tuiles, comme tout le reste. De 180 pieds de long, sur 30 de large, à double étage voûté, elle sert de bûchers, ressers, cave et passage au rez-de-chaussée mais aussi d'archives et de dortoir, divisé en dix chambres au premier étage, dortoir d’ailleurs, en communication, par son extrémité du midi, avec le transept nord de l'église.

A l'autre extrémité du dortoir, formant avec lui retour d'équerre vers l'orient et prolongeant le réfectoire, est un bâtiment de 114 pieds de long, sur 30 de large. Le rez-de-chaussée, qui est en belles voûtes à arête, comprend bûcher, ressert et pressoir, et au premier étage se trouvent un corridor, trois chambres et la bibliothèque.

A côté de ce bâtiment et adossé contre lui, en est un autre de même longueur, mais de 43 pieds de large, voûté aussi au rez-de-chaussée et servant de cave. Il communique avec le précédent et, au-dessus, sont trois greniers superposés. Les belles arcades que l'on voit encore aujourd'hui sont les restes de ces deux rez-de-chaussée.

Entre le grand corps de logis, dit le logis des hôtes, le réfectoire et le bâtiment supportant le dortoir, dans le rectangle formé par eux, est une petite cour carrée de quinze verges, avec bassin et jet d'eau au milieu. L'eau y est amenée, ainsi que dans la cuisine et l'abreuvoir de la grande cour, par de gros conduits en plomb renfermés dans une solide maçonnerie que l'on retrouve encore aujourd'hui sous les caves et qui la prennent à la « Fontaine Chaudron ».

Au pourtour de cette cour, sont les cloitres adossés aux grands bâtiments construits en pierres et voûtés en plein cintre ; ils présentent huit arcades sur chaque face vers la cour et ont 381 pieds de développement en longueur, 15 pieds de large et 16 pieds de haut. Au-dessus, sous le toit en appentis, règne un corridor conduisant à celui du dortoir.

Dans le jardin, derrière le dortoir, est l'infirmerie, bâtiment de 72 pieds de long sur 30 de large et 27 de haut, construit en briques et pierres. Dans le bas sont deux grandes salles : une cuisine, une dépense, et un vestibule avec escalier en pierres. Au premier deux grandes chambres, un cabinet et une garde-robe.

Au nord, au bout de l'abbatiale et en face du réfectoire, se trouve un bâtiment de 60 pieds de long, sur 20 de large, servant de boulangerie et de menuiserie. Ce bâtiment subsiste encore. A côté et un peu en arrière est le moulin.

L'église est au midi, le dortoir et le logis des hôtes viennent aboutir sur elle. Sa longueur est de 192 pieds, et sa largeur de 60 pieds. C'est un bel édifice du commencement du XVIe siècle, de la dernière période du style ogival, avec transept et bas-côtés. La nef est carrelée avec des carreaux vernis à sujets divers, le chœur et le sanctuaire sont parquetés. Au quatrième pilier est une grille en fer de 11 pieds de haut, ornée de pilastres et de frises, elle sépare le chœur de la nef. A l'entrée du chœur sont deux chapelles, l'une à droite et l'autre à gauche. Dans le chœur sont des stalles hautes et basses à dossiers élevés ; sur les dossiers, richement sculptés, sont représentés les apôtres et des pères de l'Eglise. L'autel, à la romaine, est orné d'un beau retable. Dans le transept nord, un escalier en pierre conduit au dortoir. De l'église au cloître est un passage voûté de 42 pieds de long, sur 12 de large. Sur l'église s'élève une gracieuse flèche à huit pans recreusés. Les piliers qui séparent les ouïes sont couverts d'un revêtement de plomb.

Au même niveau que l'église, mais un peu plus loin vers la forêt, est une première basse-cour, avec étables à vaches, maison de blanchisseuses, cour et jardin, prison de 18 pieds de long, sur 9 de large, maison du portier et bâtiment attenant à la prison. Le tout construit en pierre.

Dans une seconde basse-cour, est un colombier et dans la cour divers bâtiments servant à usage d'écurie, sellerie, hangars et remises.

La ferme dite de la Basse-Cour est plus au couchant, avec tous ses bâtiments d'exploitation et sa monumentale "Grange des dimes". Cette ferme, mise de côté, l'estimation de toutes les autres constructions peut s'élever, d'après Burgaud, à 18.527 livres. Ce qu'il y a de certain, c'est que ces bâtiments avaient une valeur plus que décuple de celle qui leur était donnée.

Le mercredi, 21 septembre 1791, en exécution de la délibération du district de Beauvais du 12 septembre précédent, l'abbaye de Froidmont fut mise en vente sur la mise à prix de 24.669 livres. Personne ne se présentant pour l'acheter, force fut de remettre l'adjudication à un autre jour.

Le 5 octobre suivant, le sieur Anty, maire de Bresles, en offrit 45.000 livres, mais un couvreur d'ardoises de La Boissière, Joachim Dubois, s'en rendit acquéreur pour lui-même et deux de ses associés : Grégoire Pillon et Bertin Vassel, moyennant la somme de 45.500 livres payable en douze années. L'abbaye ne pouvait tomber en de plus mauvaises mains.

En effet, un riche propriétaire en eût conservé les plus beaux monuments. Il eût pu les approprier à son usage, en faire une usine, une exploitation agricole peut-être, et en sauver une grande partie de la destruction. Ces industriels ne s’entendirent eux qu'à s'en faire le plus d'argent possible. Ils revendirent les jardins et les vergers, et tombèrent sur les constructions comme une bande de vautours pour les dépecer par morceaux. Les autels, les retables, les boiseries de l'église furent vendus à l'encan, et leurs débris dépareillés allèrent enrichir des églises du voisinage ou des cabinets d'amateurs. L'église de Bailleul eut un morceau de retable et des lambris, un habitant de Hez conserva pendant longtemps de belles parties de boiseries sculptées et les vendit ensuite.

Quand tout ce qui pouvait s'enlever facilement eut disparu, une nuée d'ouvriers s'abattit sur les édifices. Les murs furent attaqués ; sous la morsure acérée du fer, leurs vieilles assises s'ébranlèrent, elles oscillèrent et s'écroulèrent avec un lugubre fracas. Et puis, quand l'œuvre de destruction fut consommée, les pierres et les bois furent amoncelés, et le tout mis à l'encan.

Et ainsi prit fin la vie de cette abbaye si riche et si pleine d’histoire de notre pays.

Maintenant que nous avons vu ses origines et son histoires tout au long de ces plus que 6 siècle, attardons-nous un peu sur

l'administration interne de ce lieu saint.