Vendredi 27 septembre 2002
6 heures, chambre 128, Ksar Rouge : à nouveau c’est le téléphone qui nous contraindra à sortir du lit… décidément notre Rhida ne fait nullement confiance au lever matinal de ses ouailles et sans doute n’a-t-il pas tout à fait tort… on y est si bien dans la moiteur de ces draps !!! Allons, ne discute pas… debout… dans une heure on part… Une rapide douche, comme la veille au matin, pour bien me réveiller et me voici avec mes compagnons de fortune réunis pour un bon petit-déjeuner tunisien : buffets de toutes sortes à volonté et à satiété.
7 heures, pas une minute de moins, pas une minute de plus - serons-nous tous toujours aussi pleins d’exactitude ! – notre caravane se remet en route, direction les oasis. Ali a quelques problèmes avec la courroie de ventilation de son « 4X4 » et notre véhicule surchauffe quelque peu aussi prendrons-nous la troisième place en ce début d’étape afin d’être encadrés par nos compagnons en cas de panne…
Très rapidement nous traversons l’oasis d’El Hamma puis nous nous enfonçons dans le désert fonçant plein gaz sur l’atlas, dénommé ici « Adolsal » et servant de frontière naturelle entre l’Algérie et la Tunisie.
Au bout d’une cinquantaine de kilomètres, nous atteignons l’oasis de Chebika où, malgré l’heure déjà matinale, quelques touristes nous ont malencontreusement précédés. Au pied du Djebel Maadheb, cette petite ville est un ancien poste de garde du limes romain. Ce village berbère, quoique construit sur les hauteurs, fut totalement abandonné en 1969 suite à de grosses inondations débouchant de la montagne et, surprenant les habitants dans leur sommeil, faisant de nombreuses victimes. Le nouveau village n’a été rebâti qu’à quelques centaines de mètres mais plus bas dans l’oasis. Au fond de l’oued ruisselle une petite cascade.
Nous repartons vers Tamerza, une dizaine de kilomètres plus loin. Ce vieux village, barricadé derrière la chaîne de montagne et dominant la plaine, est lui aussi entièrement abandonné et ressemble de loin à un château de sable humide. Ce village qui avait été construit dans le lit d’un oued fut déserté à la suite de nombreuses inondations dévastatrices. Seuls la mosquée et le mausolée du Marabout ont été restaurés. Peints en blanc, on les distingue bien de la route qui domine le village.
Abandonnant nos « 4X4 » et leurs chauffeurs, nous pénétrons à pied à l’intérieur de cette oasis légèrement encastrée dans la montagne. Nous y découvrons une magnifique cascade tombant dans un petit ruisseau où pullulent un grand nombre de grenouilles vertes que nous resterons admirer un instant.
Nous aventurant plus profondément, nous arrivons à l’entrée d’un canyon dans lequel nous pénétrons sur plusieurs centaine de mètres. Il est actuellement à sec mais, lors de gros orage, le niveau de l’eau peut y grimper de plusieurs mètres, entraînant tout sur son passage. Aussi nous ne nous y attarderons trop guère.
Ayant rejoint nos véhicules, après quelques achats de roches, nous reprenons à nouveau la route en direction de Midès, distante d’une toute petite dizaine de kilomètres. Village, tout près de la frontière algérienne, Midès se distingue par ses maisons de pisés suspendues à la paroi d’un canyon rocheux. Le vieux village, déserté par ses habitants faute de place sur la hauteur, s’est reconstruit plus bas au sein même de l’oasis. La modernisation du nouveau village avec l’eau courante, l’électricité et surtout la construction d’une école a amené les derniers réfractaires à venir s’y installer.
L’heure ayant passé sans que l’on ne s’en rende compte, le retour sur Tozeur sera « ultra » rapide et, du coup, comme nous avons encore un peu de temps devant nous avant le déjeuner, nous parcourons rapidement le « vieux » Tozeur. Là, les maçons de la ville ont inventé d’étonnantes façades où chacun des motifs est unique : fleurs, lignes géométriques exceptionnelles, symboles.
La fabrication de la brique, base de la décoration, y est toujours identique depuis des siècles ; mélange d’argile, de terre et de cendre de palmier, elle fermente une nuit entière avant d’être moulée, séchée puis cuite dans un four à bois de palmier. Elle entre ensuite dans les compositions des maçons sur les frontons des maisons et les pourtours des portes et des fenêtres.
De retour à l’hôtel, nous déjeunerons puis nous nous accorderons quelques temps de repos auprès de la piscine mais ce ne sera que de courte durée car, à 15 heures 30, nous voici partis pour la visite du musée « Dar Cherait », musée totalement privé dans une grande habitation berbère entièrement reconstituée.
Une grande cour, autour d’une fontaine en étoile, donne accès à un patio avec quatre galeries couvertes. On y voit, outre les collections d’objet se rattachant aux traditions populaires, la reconstitution des diverses scènes du mariage, la chambre des femmes, la cérémonie du henné et de très belles collections de bijoux, d’armes et d’objets usuels.
Après cette visite, il commence à se faire tard et nous partons « dare-dare » afin de pouvoir assister à un coucher de soleil sur les dunes.
Les « 4X4 » filent bon train mais, bien vite, ils vont bifurquer à droite et prendre plein ouest, direction du soleil couchant. Dès lors, le macadam a brutalement disparu ; nous sommes en plein désert et roulons « cahotiquement » dans le sable, grimpant les dunes, sautant leur sommet et descendant vertigineusement l’autre versant… la peur au ventre mais le cœur bien accroché… Nos chauffeurs, Ali tout particulièrement, sont des as en la matière… mais cela ne se raconte pas… cela se vit… c’est du vrai délire… pour certains, peut-être, un véritable cauchemar !!!
Et soudain… arrêt au sommet d’une grande dune de sable… là-bas… sur l’Algérie… en plein désert… le soleil se couche devant nos yeux émerveillés et le grand calme du désert nous envahit…
Remis de nos émotions, nous remontons à bord et, après avoir dévalé cette grande dune, nous rejoignons une piste toujours sablée mais plus dure et demi-tour vers le bercail.
Le désert m’a séduit mais que de mystère ! Nous roulons depuis un bon moment et là, dans nos phares, un mirage… NON ! c’est bien un berbère sur le bord de notre piste qui nous tend des « roses des sables »… Nous n’avons pas le temps et poursuivons notre route. Plus loin, ce sont trois enfants (dix – onze ans peut-être !) à) dos d’ânes, qui nous arrêtent… ils viennent de se mesurer avec leurs montures et manquent cruellement d’eau… nous leur laisserons un petit bidon…
Mais d’où viennent-ils donc ? Ou vont-ils ? Que font-ils dans cette immensité du désert… Et quel que soit l’endroit où nous nous trouverons, nous les verrons toujours surgir là où vraiment on les attend le moins…
Nous regagnons enfin la route et rejoignons Tozeur en passant par Nefta.
Il est tard lorsque nous arrivons au Ksar Rouge et avons à peine le temps de nous changer avant de passer à table. Ce soir, c’est la fête, la fête de je ne sais quoi d’ailleurs mais… nous avons le droit de dîner au bord de la piscine où toutes les tables ont été dressées et où de succulents buffets nous tendent les bras.
Nous rejoignons ensuite nos chambres, sans même un petit tour à la discothèque, où épuisés nous sombrons rapidement dans un sommeil plein de songes des mille et une nuit et de rallye « Paris-Dakar »…
6 heures 30, à nouveau chambre 128, Ksar Rouge : après une nuit d’un sommeil profond mais quelque peu chaotique, je me réveille au moment même où la sonnerie du téléphone retentit dans la chambre. Je ne vais pas, malgré l’envie qui m’envahit, rester traînasser dans mon lit… d’autres émotions aujourd’hui m’attendent… et, une rapide douche m’ayant remis les idées en place, je me retrouve au restaurant où je vais me restaurer d’une façon assez efficace afin de me permettre de tenir tout au moins jusqu’à l’heure du déjeuner et tout au long de ce périple qu ‘il me faudra faire avant même que d’en arriver là !
8 heures : nous voici partis vers l’oasis de Tozeur que nous allons parcourir, abandonnant nos « 4X4 » pour quelques instants, en calèche.
L’oasis de Tozeur s’étend sur 200 hectares, répartis de multitudes petites parcelles de un, deux ou trois hectares en propriétés totalement privées mais sans aucune matérialisation de l’une à l’autre. Comme à Gabès, nous retrouvons ici nos trois étages de végétations, la plus haute étant composée bien entendu des palmiers-dattiers au milieu desquels nous trouvons ici quelques bananiers. La différence essentielle entre ces deux arbres, hormis leur fruit bien sûr, est la suivante :
ü Le bananier ne produit au cours de son existence qu’un seul régime de fruits. Lorsque ce régime est à maturité, il est récolté et le bananier coupé. Ce dernier rejettera et produire ses rejets produiront, à leur tour, un seul régime qui sera récolté et ainsi de suite le cycle se reproduira.
ü Le palmier-dattier, quant à lui, vivra environ 200 ans et produira en moyenne 80 kilos de fruits par an. Les arbres femelles seulement produisent mais les mâles sont nécessaires à la pollinisation de leurs fleurs. Il faudra compter un arbre mâle à l’hectare.
Chacune de ces parcelles est confiée à un ou deux jardiniers. Ces derniers ne touchent pas de salaire. Ils se rémunèrent en récupérant un cinquième de la production et en cultivant le sol de leur parcelle. Leur travail consiste en deux tâches primordiales : l’entretien du palmier et l’irrigation de la parcelle.
ü L’entretien du palmier : chaque année, le jardinier sera appelé à grimper trois fois au sommet de chaque arbre :
· Une première fois, pour la pollinisation
· Une seconde fois pour caler les régimes sur les branches
· Une troisième fois enfin pour la récolte. Le régime alors coupé sera descendu de l’arbre à « échelle humaine » ; en effet, six hommes, grimpés sur le tronc à des hauteurs différentes, se le passeront de mains en mains jusqu’au pied de l’arbre. Tous ces hommes, y compris le jardinier qui monte au faite de l’arbre (une trentaine de mètres) le font à pieds nus, sans attache de protection et sous le couvert d’aucune assurance pas même un semblant de régime de sécurité sociale… On dénote, bien sûr, des accidents de toutes natures y compris… mortels…
ü L’irrigation : celle-ci, et on le comprend aisément dans cette région où l’eau n’est qu’une richesse, est très contrôlé et réglementée. Chaque parcelle ne peut être irriguée que de nuit et simplement à raison de deux heures par semaine selon des heures bien déterminées, parcelle par parcelle. Il est donc conseillé de ne pas laisser passer son tour sinon il faudra attendre … la semaine suivante avec tous les risques que cela supputent en attendant. Cette irrigation est totalement manuelle et menée par de tout petits canaux de quelques centimètres à peine de profondeur qui vont conduire petit à petit à l’inondation totale et complète de la parcelle.
Au cours de ce périple à travers l’oasis, nous aurons l’occasion de visiter l’une de ces parcelles et d’y rencontrer l’un de ces jardiniers qui, à pieds nus, nous fera une petite démonstration dans son art de grimper au sommet d’un arbre de trente mètre de hauteur. Ce jardinier est sourd et muet et, pour sa prestation, nous lui laisserons quelques petits copecks…
Ayant abandonné nos calèches et rejoint nos chauffeurs, nous ne nous attardons pas davantage et prenons immédiatement la piste, par le Sud du lac salé, afin de gagner Douz avant la fin de la matinée.
Nous ferons une courte halte-photo à la « corbeille » de Nefta où je me procurerai, à l’échoppe du coin, quelques spécimens de roses des sables… Nous poursuivons ensuite jusqu’à Hézoua au niveau de la frontière algérienne. Bifurquant alors sur notre gauche, nous allons sur une cinquantaine de kilomètres longer (très rapidement et sans halte !!!) cette frontière… à quelques dizaines de mètres à peine !!!
Nous traversons, après nous être fait ouvert une barrière de barbelés, le village militaire de Matrouha puis, plus loin, celui de Redjim Mastoug. Quelques villages ont été ainsi créés dans le désert… les uns pour garder les militaires sur place … les autres, pour tenter de sédentariser les nomades… et occuper ainsi le désert tout en le sécurisant. En certains endroits, comme ici par exemple, le gouvernement a attribué à chaque homme de plus de 20 ans qui désirait se marier, une maison et un hectare de terre à l’intérieur d’un oasis. Malgré ces mesures cela n’a pas arrêté tous les nomades et, le sable du désert continuant de gagner du terrain, la plupart de ces villages, ensablés, ont été abandonnés.
Nous nous arrêterons près d’une carrière d’extraction de « roses des sables ». Cette carrière où les « roses » jonchent le sol, nous semble abandonnée ; mais à peine nous sommes nous arrêtés que deux, trois berbères surgissent, véritables mirages, d'on ne sait où…
La « rose des sable » est le résultat d’une cristallisation d’un mélange de gypse, de sel et de sable travaillée ensuite par l’érosion jusqu’à prendre la forme d’une « rose ». Ce mélange explique la présence de ces roses dans cette région du lac salé. Elles sont enfouies sous le sable et, pour les en extraire, les berbères creusent des trous de moins d’un mètre de diamètre au fond desquels ils se glissent pour creuser ensuite des galeries jusqu’à trouver la « rose »… lorsque l’on voit tous ces trous, à même le sable, on frémit à l’idée des dangers qu’ils encourent dans ces fouilles souvent particulières même si, la plupart du temps, ils y travaillent deux par deux mais… sous aucune autre surveillance…
Aussi, si un jour, vous passez sur l’une de ces pistes et que vous y découvriez, comme nous aujourd’hui, une carrière, respectez ce lieu et ne le pillez pas de ces innombrables roses qui jonchent le sol. Par contre, n’hésitez pas à acheter à ce berbère, jeune ou vieux, le fruit de son travail… au moins, en rentrant, vous pourrez dire, en vous remémorant l’endroit précis d’où vient votre « rose » que vous l’avez achetée à son extracteur direct et qu’en lui donnant votre maigre participation vous lui avez mis un peu de bonheur dans son cœur en lui mettant un peu de pain dans son assiette ou dans celle de ses enfants.
Respectez le désert…
Sur ce parcours, nous avons aussi été fréquemment assujettis à ce phénomène extrêmement curieux du « mirage » dans le désert. En effet, souvent, nous avons cru voir surgir dans notre horizon des paysages de bord de mer, de côtes, d’îles et de palmiers… ce ne sont cependant que des illusions optiques dues ici à la réverbération sur ce sol humide immensément sablé et salé… C’est vraiment très curieux et véritablement très trompeur. Nous les observerons principalement au-dessus des Chott d’El Dabala et du Bou Charab.
Nous gagnerons enfin la ville de Douz par El Dergine, Becchine et Nouil. Il est enfin l’heure de la halte-repas… pour ma part, cette route m’a ouvert l’appétit et je me meurs de faim.
Heureusement le repas sera agréable et le repos ensuite au bord de la piscine du restaurant de l’hôtel Méhari le bienvenu. Nous profiterons aussi de cette halte pour nous procurer, sur les ardents conseils de nos chauffeurs et guides, de longs foulards-turbans pour nous protéger et du sable et du soleil lors de notre prochaine et toute proche aventure à travers les dunes et l’immensité du désert.