La guerre à travers le récit journalier

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

2ème partie : année 1915

Pas de vœux individuels, un seul vœu pour toute la France :

la Revanche – la Victoire

Elle sera au plus tenace.

1er Janvier 1915

L’année commence par de tristes nouvelles. Raymond de Malézieu, faisant comme volontaire une reconnaissance, a été blessé aux jambes et a une cuisse cassée. Augustin de Boisanger est blessé et prisonnier, son régiment, le 19ème, a perdu 1300 hommes à Thiepval. Est-ce l’influence de ces tristes nouvelles, est-ce celle d’une horrible journée de vent et de pluie, je sens comme un manteau de plomb et ne puis me défendre contre de noires pensées. Que nous donnera 1915 ?

Nous avons évité l’anéantissement dont rêvait l’Allemagne ; mais il nous reste une tâche si difficile ! Il serait puéril de nier l’incroyable puissance de notre ennemi. Sa confiance en sa force n’est pas entamée. On ne conçoit guère de paix possible avant l’épuisement complet d’un des deux adversaires. Nous en sommes encore bien loin, des deux côtés il y a d’énormes réserves.

Alors en présence des maux déjà soufferts et qui sont inexprimables, comment ne pas être effrayé de l’avenir, puisque logiquement, nous …

(Ici il me manque deux pages complètes sur l’exemplaire du cahier en ma possession m’obligeant malheureusement à en faire l’impasse !!! les pages 197 et 198 ne pourront donc pour l’instant être retranscrites ici.)

On ne peut étudier le mouvement des idées dans l’Allemagne actuelle sans être frappé de l’ardeur que mettent un grand nombre de publicistes à faire l’éloge de la guerre. « La guerre, dit Wagner, donne aux peuples forts la place dont ils ont besoin pour grandir. Si nous voulons nous développer, il faut reconnaître la nécessité de la guerre. La guerre est le cri d’éveil pour les peuples sains, le cri de mort pour les peuples malades ».

Le maréchal de Moltke avait déjà dit : « La guerre est sainte, elle a été instituée par Dieu : elle entretient chez les hommes les nobles sentiments, l’honneur, le désintéressement, la bravoure ; elle empêche l’humanité de tomber dans le matérialisme ». Cette thèse était aussi celle de Bismarck. « La grande question du temps, disait-il, le 30 septembre 1862 quelques jours après sa nomination à la présidence du ministère prussien, ne sera pas décidée par des discours ou des décisions de majorité, elle sera tranchée par le fer et par le sang ».

(coupure de journal)

Pour eux, le combat sanctifie toutes les violences. J’ai dit leur façon de faire la guerre, j’indique ici quelques témoignages. J’avais entendu des officiers d’infanterie coloniale raconter les atrocités des Chinois, des Pavillons noirs du Tonkin, des Marocains, des Malgaches… En écoutant ces récits, je me disais qu’en Europe nous étions tout de même d’une mentalité bien supérieure. Je ne connaissais pas le « Teuton », l’atrocité ordonnée, voulue par les chefs, érigée à l’état de système ; voilà ce qui se voit en Europe au 20ème siècle. Et le comble, c’est le Kaiser ne cessant d’implorer son « vieux bon Dieu » de bénir les armes allemandes.

Prières publiques
  • Le 20 Décembre, l’épiscopat français a demandé des prières dans toute la France et le jeûne.
  • Le 3 Janvier des prières sont dites simultanément en Angleterre, en France et en Russie.
  • Le 11 Janvier, à l’instigation des évêques allemands, il y aura jeûne et prières en Allemagne et en Autriche.

L’aumônier canadien

La Croix a annoncé que l’aumônier du nouveau régiment du Canada sera l’abbé Casgrain.

Ce prêtre est d’origine française. Son ancêtre paternel quitta Airvault (Deux-Sèvres) le 17 Février 1749 et vint s’établir sur la rivière Ouelle. Il défricha le terrain, ensemença, se maria en secondes noces avec Marguerite Cazeau et fut père de dix enfants. La famille prospéra. Elle occupa, et la race aînée l’occupe encore, le manoir d’Airvault, sur la rivière Ouelle et dans la paroisse de ce nom.

Le plus illustre représentant de cette famille fut l’abbé Henri-Raymond Casgrain, l’historien de « Montcalm » et de « Levis » l’auteur de l’attachante histoire des Acadiens, le lauréat de l’Académie française.

Le 12 Mars 1871, l’abbé H.R. Casgrain montait dans la chaire de la cathédrale de Québec pour solliciter des secours en faveur des blessés français. Les Casgrain continuent la tradition.

(coupure de journal)

J’ai lu des récits dont l’authenticité ne me paraît pas douteuse relatant des massacres de blessés et de prisonniers. Dans l’un d’eux on voit un officier bavarois brûlant la cervelle successivement à 4 prisonniers.

On peut encore juger du caractère atroce de cette guerre sans précédent par le fait suivant très fréquent sur tout le front. Dans le bois de Mortmare où les tranchées sont à cent mètres de l’ennemi, à la suite d’une attaque plusieurs centaines de blessés, mourants et morts restèrent entre les tranchées. Pendant huit jours, on les vit et entendis appeler, râler, agoniser et mourir sans qu’il fut possible de les secourir sans être salué par une grêle de balles.

La fin de la guerre

Il est de plus en plus évident que c’est une guerre d’usure et d’épuisement. Nous ne pouvons plus être battus donc nous devons vaincre. C’est une question de temps, d’énergie, de ténacité. Mais quand ?

Le 25 Octobre, j’écrivais que les alliés ne pourraient mettre en ligne toutes leurs forces qu’au printemps et qu’on ne pouvait espérer la victoire avant la fin de Juillet. Je le crois plus que jamais, même dans le cas d’une intervention en notre faveur de l’Italie et de la Roumanie.

La Russie est très isolée, elle ne communique avec le reste du monde que par le Transsibérien. Les brise-glaces ne sauraient maintenir libre la voie d’Archangalsk.

Les Allemands ont organisé d’une façon  formidable la défense des territoires qu’ils occupent, mais ils souffrent dès maintenant du blocus.

du Vendredi 1er au Jeudi 7 Janvier

- en France -

Le temps exécrable empêche des opérations sérieuses. En Belgique, nous sommes solidement établis à St Georges. Dans la région de Perthes nous avons continué à attaquer et fait encore quelques légers progrès.

En Argonne, de très vifs combats – nous avons échoué dans une attaque sur Boureuille. Nous avons perdu des tranchées dans le bois de la Grusée, quelques-unes n’ont pu leur être reprises.

En Haute Alsace, nous avons pris Steinbach après un violent combat.

- en Russie -

Aucun changement en Pologne. Les Allemands passent à la défensive, ils ont retiré plusieurs corps d’armée du front de la Bzoura.

Les Russes occupent la Galicie et la Bucovine, des troupes franchissant les Carpates ont pénétré en Hongrie. 

Les Turcs ont été complètement battus à Ardagan, un corps d’armée a été fait prisonnier avec son état-major.

Cette complète victoire russe peut avoir un grand retentissement dans les Balkans.

- en Angleterre -

Le cuirassé « Formidable » a été coulé dans la Manche par un sous-marin. Les conditions de cet exploit sont étonnantes, sinon extraordinaires : il faisait très gros temps et le cuirassé a été frappé à 2 h du matin par nuit noire. Cette action des sous-marins allemands sera des plus redoutables quand le printemps ramènera les longs jours et le beau temps.

Lettre du lieutenant VALLEE

datée du 20 Décembre et

relatant le combat de St Laurent de Blanzy

(cette lettre, écrite me semble-t-il à ma grand’tante, épouse de l’oncle Jean,

a été retranscrite ici par ma grand’mère)

« Quelle triste chose que la guerre mais quelle leçon de courage, d’héroïsme on y apprend, que de braves gens on apprend à connaître et c’est là dans les passages difficiles et douloureux que l’on trouve un réconfort dans les braves gens que l’on a à commander et qui vous aiment, non seulement comme leur chef, mais d’une amitié créée par le danger et les fatigues supportées en commun.

« Nous avons vu des choses terribles. As-tu déjà eu la vision de l’enfer ? Ce ne peut être plus affreux. Quelle trempe et quel sang froid il faut avoir pour endurer ce que nous avons enduré ! De l’aveu de tous ceux qui sont ici depuis le commencement de la campagne, jamais on n’avait subi tant de danger dans de telles conditions.

« Nous avons emporté la position, nous l’avons organisée, nous l’avons défendue, je puis dire pied à pied, sous une pluie de balles et d’obus, d’explosifs, de mines, de torpilles, ce qui ne s’était pas encore vu. Le 2ème s’est écrit ces trois jours derniers une jolie page de gloire et ce n’est pas fini, car en ce moment les obus pleuvent de plus en plus et quoique nous ayons droit à un repos bien mérité, nous nous attendons à partir d’un moment à l’autre si les positions que nous avons prises ne pouvaient être maintenues. Ma Compagnie s’est comme je vous le dis particulièrement distinguée. Elle va être mise à l’ordre du jour, ainsi que tous les chefs de section et son commandant que tu connais bien et à qui tu avais recommandé de faire tout son devoir et d’en revenir, est proposé définitivement pour le grade de capitaine et de plus, je pense que cela te fera plaisir, pour Chevalier de la Légion d’Honneur.

« J’en suis d’autant plus fier que je suis le 1er officier au 2e proposé pour cette distinction, à mon avis peu méritée car il m’était impossible de reculer.

« Donc j’ai tenu après avoir attaqué et il paraît que c’était très méritoire, car en retournant 3 jours après j’ai cru ne pouvoir le faire tellement chacun me réclamait pour me féliciter.

« Malheureusement il y a un point noir. Si nous, à la 3e, avons réussi en ne perdant que 45 hommes et en ramenant tous les officiers et sous-officiers, il n’en est pas de même des autres compagnies et parmi ceux-ci combien de bons amis et de soldats (800 à 1000 manquaient à l’appel en rentrant). Je vais d’ailleurs te raconter là tout par le menu.

« Le régiment avait l’ordre d’attaquer et de prendre St Laurent de Blanzy au Nord-Est d’Arras, les 2e, 4e, 6e compagnies en tête devaient sortir des tranchées et s’élancer à la baïonnette sur l’ennemi qui devait auparavant recevoir 3800 obus. Les 1ère, 3e et 7e compagnies en 2e ligne devaient s’élancer 10 m après dans le cas seul où les Cies de 1ère ligne auraient abordé l’ennemi et soupé son réseau de fil de fer. –Les autres Cies en réserve générale.

« L’attaque a eu lieu jeudi à 10 h du matin. A l’heure précise les Compagnies s’élancent hors des tranchées, sont aussitôt aperçues par l’ennemi qui avec des mitrailleuses les fauchent à 200 m. Si tu avais vu ces malheureux tomber comme des épis ! Les Cies de réserve étaient à ce moment dans une cruelle attente et nous allions partir quand le Commandant, revenant en arrière de 150 m nous fait dire de rentrer dans la tranchée. La 1ère Cie part quand même en se faisant hacher comme les autres, se couche à 20 m en avant et revient comme elle peut. D’où j’étais, je voyais la 6e Cie qui allait arriver au village, je provoque des ordres et le Commandant Chevillotte me dit d’aller la soutenir.

« Nous partons au pas de gymnastique mais au lieu de prendre le terrain battu, nous nous rabattons tout de suite sur les maisons où nous trouvons un talus qui nous abrite des mitrailleuses. Il ne nous reste plus à craindre que les balles et les shrapnells. Mais comme tu le verras, ce n’est rien en comparaison de ce que nous avons eu ensuite ; nous enlevons 30 maisons tout en ne perdant pas beaucoup de monde et nous arrivons à un mur crénelé où nous nous heurtons à des monceaux de cadavres de la 6e et de la 7e qui étaient venues se faire hacher devant ce mur défendu par la mitrailleuse.

« Je fais précipiter une de mes sections, celle de l’adjudant, un brave entre tous, sur la maison d’école qui nous flanquait à 100 m à droite ; il l’enlève à la baïonnette, fait prisonnier les Allemands qui la défendaient et la met en état de défense.

« Pendant ce temps, aidé de Trochu et avec mes 3 autres sections et tout ce qui reste de la 6e et de la 7e je fais mettre mes 30 maisons en état de défense.

« Sous notre poussée les Allemands  avaient fichu le camp mais par précaution je fais visiter les caves et toutes les pièces. Nous avons trouvé toute sorte de choses sauf des Allemands. A ce moment, se passe quelque chose de pénible pour nous. Nous étions en train de faire organiser une fenêtre quand Beaumont dont la Cie était décimée et qui essayait d’en rassembler le reste arrive à portée de voix et dit au Cdt Chevillotte qui venait avec nous : « Eh bien mon Cdt on est là ! » A ce moment il reçoit une balle en pleine poitrine. Nous nous précipitons pour le ramasser, impossible, une pluie de balles nous assaille et tue un caporal, un soldat qui venaient avec nous. Il reçoit alors une balle dans la tête qui lui fait jaillir la cervelle au dehors. Le malheureux avait encore sa pipe à la bouche. Nous n’avons pu le tirer de là que le soir quand les créneaux eurent été organisés et la fenêtre bouchée. Le soir un aumônier est venu le chercher en même temps que le corps du Cdt Lamboi, tué aussi tout près de nous dans des conditions à peu près identiques.

« Je n’ai jamais rien vu d’aussi émouvant que le « De Profundis » dit par tous à minuit sous une pluie de balles. Tous, surtout Trochu et moi, nous pleurions à chaudes larmes, quand, tout à coup, deux grosses détonations retentissent dans les maisons : les Allemands nous envoyaient des grenades par les fenêtres. Nos hommes fichent le camp effrayés ; revolver au poing nous nous précipitons, les rallions et faisons mettre le tout en état de défense.

« Quelle nuit atroce nous avons passé ! blottis dans une cave et prêts à sortir à la 1ère alerte. Le lendemain se passe dans les mêmes conditions : balles, shrapnells, grenades etc… A chaque instant, attaque des Allemands qui voulaient faire sauter nos maisons. Je demande un peu de renfort et on m’envoie la 10e Cie dont Dior tout près de moi ; je répartis le tout dans mon secteur et ma foi nous nous disposons à passer la nuit tous ensemble dans notre cave. De temps en temps réveil désagréable par les grenades. Chacun se précipite à son poste, remet tout en main et revient s’étendre dans la cave. Nous sommeillons vers 7 h du matin quand une formidable détonation nous fait bondir de notre trou, nouvelle détonation, Dior est précipité dans la cave sur nous tous sans néanmoins avoir grand mal. Mais nous nous ressaisissons et sortons, nous apercevons tous nos hommes qui, au grand galop, fuyaient en criant que les maisons étaient minées et que tout sautait. C’est alors qu’il m’a fallu rassembler toute mon énergie. J’ai pris mon revolver et j’ai crié : « Tout le monde dans les maisons ou je vous descends au fur et à mesure ! » Trochu en fait autant et avec beaucoup de peine nous les faisons rentrer et se remettre aux créneaux. Enfin tout le monde à son poste, quand une heure après 2 maisons en arrière sautent en engloutissant ceux qui s’y trouvaient.  

« Nous nous trouvions complètement coupés du régiment et les Allemands nous envoyaient des obus-torpilles qui creusent des trous de 6 m de profondeur sur 12 à 15 m de diamètre ! C’est terrifiant !

« Mes chefs de section me préviennent qu’il est impossible de tenir plus longtemps, que les hommes sont terrifiés et parlent de partir n’importe où. Je donne énergiquement l’ordre de rester et j’envoie Trochu au téléphone prévenir le Général qu’il est impossible de tenir, que nous sautons de tous côtés. Réponse : « Dites au lieutenant Vallée que nous l’admirons beaucoup mais qu’il faut tenir à tout prix et ordre formel de ne pas reculer ».

« Pendant ce temps les torpilles tombaient nous lançant des tonnes de terre et de tuiles sur le dos, massacrant les hommes, les lançant à 50 m en l’air. Je te passe les détails, c’était terrifiant. Je rassemble mes chefs de section, leur fais part de l’ordre, vais voir les hommes, leur parle, les soutiens, leur dis que l’on compte sur nous, qu’il ne faut pas reculer et nous nous affalons dans une tranchée pleine d’eau et de boue, sans courage, démoralisés, n’ayant pas mangé depuis 3 jours. Je ne sais si tu te rends bien compte par quelles tortures je suis passé de savoir les 200 hommes qui me restaient dans un tel danger.

« Moi, je ne faisais que penser à toi. Des blessés pantelants criant auprès de nous, les cadavres que nous enjambions nous n’y pensions plus ; nous étions complètement démoralisés et attendions l’obus-torpille qui devait nous ensevelir. Quand tout à coup arrive un jeune sous-lieutenant du Génie qui avec beaucoup de mal vient nous trouver dans la tranchée pleine de boue où nous étions étendus. Il demande le lieutenant Vallée, je lui réponds à grand-peine que c’est moi : « Mon lieutenant, me dit-il, je viens de la part du Colonel vous apporter des félicitations et vous dire qu’il vous propose définitivement pour le grade de Capitaine et pour Chevalier de la Légion d’Honneur » Nous étions tellement saisis que nous nous sommes mis à pleurer et à nous embrasser comme des enfants. Je le remercie et ma foi nous commençons à réagir quand arrive l’aumônier de la Division qui lui aussi venait nous annoncer la bonne nouvelle.

« Il nous a remontés complètement et du coup nous prenions notre mal en patience. Les hommes tirent toujours, les torpilles tombent toujours en arrière et nous commençons à blaguer quand tout à coup j’entends : « Lieutenant Vallée ». Je sors de mon taudis et en quel état ! Un Cdt du 47e me serre dans ses bras en disant : « Lieutenant vous êtes un brave, vos hommes sont des héros. Tenez jusqu’au bout, je vous apporte les félicitations du Général de Division ». Il harangue les hommes, les encourage.

« Mon Cdt, le Général peut compter sur nous, nous tiendrons ou nous sauterons tous mais je demande en grâce que nous soyons relevés ce soir. Mes hommes ont fait l’attaque, ont organisé la défense, ont tenu jusqu’ici, mais ils n’ont rien mangé depuis 3 jours, ils sont toujours sur la brèche ou à travailler à la tranchée, je réponds d’eux jusqu’à ce soir mais pour la nuit, je n’en réponds plus » - « Vous me garantissez tenir jusqu’à ce soir me dit-il ? » - « oui mon Commandant » - « Très bien, je vais en rendre compte au Général ». Ce qu’il fit car le soir nous fûmes relevés par la Cie Le Marois * (5e)…

insert de mon grand-père

(Mon frère, remplaçant le commandant Lambin faisait fonction de commandant et, par suite, n’était pas avec sa compagnie le 19. Elle fut très éprouvée et perdit 110 hommes.)

« Tu penses les acclamations du Colonel en rentrant et les félicitations !… Enfin arrivés à notre cantonnement nous nous sommes affalés sur nos lits ou plutôt sur ce qui en restait car St Nicolas a été bombardé pendant l’attaque et nous avons dormi en rêvant d’Allemands, de Mélénites  et autres choses en « ite »…

« De tout ceci, ce dont je suis très heureux, c’est que ton mari te soit conservé, que Trochu et nos chefs de section soient tous là, quant à la gloire nous y penserons en rentrant ».

Extrait du carnet du Capitaine de Civrac

Je transcris cette dernière page du carnet du Capitaine de Civrac du 2ème, écrite le 16 Décembre, veille de sa mort.

Désigné pour l’assaut en 1ère ligne de St Laurent de Blanzy, il voyait le danger terrible, il voyait juste. Il fut tué à sa sortie des tranchées.

N’est-ce pas le sacrifice sublime, le martyr.

« Ma carcasse tremble ce soir en écrivant ces lignes. Surtout je pense à ma Léo, privée de moi et à mon enfant…

« Mais demain matin lorsque je monterai le premier, debout sur la tranchée en donnant le signal, je sens que l’on ne s’apercevra de rien et je ferai, grâce à ma communion de ce matin, tout mon devoir.

« Que la Ste Vierge me protège et me ramène vite à ma Léo.

« Pour Dieu et pour la France ».

Prisonniers

Une note officielle du 10 Janvier nous apprend que les prisonniers français sont durement traités et n’ont que le strict nécessaire pour ne pas crever de faim. Les démarches faites pour obtenir diverses améliorations ont échoué. En conséquence, le régime des prisonniers allemands en France vient d’être modifié, restreignant ou supprimant les soldes, supprimant les distributions de tabac, diminuant la nourriture, diminuant les droits de correspondance, n’admettant plus la liberté sur parole… ou mieux suspendant jusqu’à réciprocité.

Etant donné la façon atroce allemande de faire la guerre, la seule loi à adopter est celle de lynch œil pour œil, dent pour dent.

Toute concession à ces « hommes animaux » est appréciée par eux comme un signe de crainte et de faiblesse.

Jusqu’au dernier homme et dernier schelling

Les Allemands ont conduit la guerre de telle façon que la paix n’est plus possible. Elle va lutter pour l’existence. Les alliés aussi vont lutter pour l’existence mais aussi pour l’idée de justice, pour châtier et pour nous venger – le mot ici est juste et permis. La détermination anglaise est égale à la nôtre « Jusqu’au dernier homme et au dernier shilling »

Encore une fois, c’est la guerre d’usure, une guerre qui s’annonce féroce, impitoyable, très longue ; dont les conséquences sociales, économiques… seront profondes. Enfonçons-nous dans ces redoutables inconnues et cessons le jeu des prévisions chimériques.

du Vendredi 8 au Mardi 12 Janvier

- en France -

Egale activité des deux côtés. Calme relatif en Belgique. Nous avons gagné un peu de terrain vers la Boisselle – au nord de Soissons – à Perthes que nous avons occupé. Nous n’avons reculé nulle part.

Mais quelles sont les pertes relatives ?

A moins que nos gains nous valent l’occupation de points stratégiques importants, je ne vois pas que ces résultats aient grand sens. Je renonce à comprendre grand chose aux opérations, vu la tournure de la guerre. Comment faire pour expulser les Boches ?

  1. Défense passive : absurde.

  2. Guerre de siège, avance à la sape : il y en aurait pour 10 ans 

  3. Défense active, contre attaques ! : insuffisant.

  4. Offensive en masse en quelques points du front : ? ? ?

  5. Attendre que les Allemands affamés s’en aillent : impossible vu les territoires belges et français qu’ils occupent et puis seront-ils jamais affamés !

Saint Joffre – priez pour nous – décidez.
- en Russie -

Rien de nouveau.

Le front russe est à l’est de la Bzoura – Rawka et surtout de la Pilitza.

- en Angleterre -

Rien de nouveau.

Les communiqués

- en France -

Par des renseignements directs venus du front, nous avons constaté que nos communiqués autant qu’ils le peuvent grossissent nos succès et restreignent l’importance de nos échecs quand ils ne peuvent les cacher. C’est la vérité mais améliorée ou gazée. Ceux qui les rédigent ont raison à mon avis.

- en Allemagne -

La déformation que les communiqués allemands apporte aux faits militaires est beaucoup plus forte encore. Je « colle » ici comme exemple les communiqués français et allemands pour la même journée de guerre.

Communiqué français

De la mer à la Lys : canonnade intermittente et peu intense.

Dans la région d’Ypres, notre artillerie a contrebattu efficacement celle de l’ennemi et réussi des tirs bien réglés sur les tranchées allemandes.

De la Lys à l’Oise : dans la région de la Boisselle, nos troupes se sont emparées d’une tranchée après un violent combat.

Au nord-est de Soissons, sur l’éperon 132, elles ont repoussé, hier, une attaque allemande, puis ont attaqué à leur tour et ont enlevé deux lignes de tranchées ennemies sur un front d’environ 500 mètres, prolongeant vers l’est les tranchées conquises le 3 janvier et assurant la possession entière de l’éperon 132.

Sur l’Aisne et en Champagne jusqu’à Reims, duels d’artillerie.

De Reims à l’Argonne, notre artillerie a bombardé les tranchées ennemies de première ligne et les abris des réserves.

Au nord de Perthes, après avoir refoulé les contre-attaques signalées hier soir, nous avons progressé en gagnant une ligne de 200 mètres de tranchées.

Au nord de Beauséjour, l’ennemi s’est acharné à reprendre le fortin qu’il avait perdu ; ses contre-attaques étaient fortes chacune de deux bataillons, le seconde en formations serrées ; elles ont été toutes deux repoussées après avoir été très fortement éprouvées.

En Argonne, quelques petits engagements ; notre front a été maintenu.

Entre Meuse et Moselle, journée calme.

Dans les Vosges, chute abondante de neige ; quelques obus sont tombés sur Vieux-Thann et la cote 425.


(coupure de journal)

Communiqué allemand

Théâtre occidental de la guerre :

Hier le temps défavorable a régné de nouveau ; il tombe, par moments, des pluies torrentielles, avec orages ; La Lys a débordé en quelques endroits.

Plusieurs attaques ennemies au nord-est de Soissons ont été repoussées avec des pertes élevées pour les Français.

Une attaque française, près de Perthes, au nord du camp de Chalons, a été repoussée, avec de graves pertes pour l’ennemi.

Dans la partie orientale de l’Argonne, nos troupes ont donné un assaut couronné de succès ; elles ont fait prisonniers 1200 français, s’emparant de quelques lance-mines et d’un mortier de bronze.

Les chasseurs silésiens, un bataillon lorrain et la landwehr hessoise, se sont distingués sur ce point.

Près de Flirey, nous avons fait sauter une tranchée avancée, non occupée par nous au moment où les Français en prenaient possession ; toutes les troupes françaises qui s’y étaient installées ont été anéanties.

Au sud de Cernay, il n’y a pas eu d’engagement.

Les Français ont été rejetés de Burnhaupt-le-Haut et devant ce village, des tranchées établies dans leurs positions : ils ont laissé plus de 190 prisonniers entre nos mains.

Théâtre oriental de la guerre :

La situation dans l’Est est inchangée à cause du mauvais temps persistant.

Nous avons fait le 7 janvier 2000 prisonniers et pris 7 mitrailleuses.



(coupure de journal)

- en Russie -

Les Russes nous renseignent exactement sur leurs succès mais pas du tout ou presque pas sur leurs défaites ; c’est ainsi que fin Août, ils subirent un désastre en Prusse orientale et reculèrent de 200 kilomètres sans jamais en parler.

- en Autriche -

Les Autrichiens n’ont cessé depuis le début de la guerre d’annoncer des succès. Tous leurs reculs ont été voulus, stratégiques : conformes à leurs plans.

- en Turquie -

Les Turcs suivant une habitude ancienne annoncent chaque jour d’éclatants succès sur terre et sur mer.

Les Neutres

Les neutres ont ainsi à boire et à manger. La collection complète des communiqués des nations en guerre serait des plus curieuses.

Premsyl

Quoique les Autrichiens puissent dire de leurs succès, il est certain que les Russes ont occupé une totale portion de leur territoire. Reste la troublante question du siège de Premsyl. Nous avons en France et en Belgique à côté de « mauvais » forts des forts très modernes ; ils ont été détruits, bouleversés par l’artillerie de siège en quelques jours. Comment les forts de Premsyl font-ils pour résister depuis quatre mois ?

Atrocités

Elles résultent des théories de tous les écrivains allemands :

« Notre devoir est de traiter les prisonniers et la population civile ennemie de telle façon que l’adversaire éprouve bientôt toutes les charges et toutes les horreurs de la guerre. Il faut travailler à épuiser le pays ennemi, à détruire ses ressources. Le seul moyen d’adoucir la guerre est de la rendre aussi atroce que possible parce que c’est le procédé le plus sûr pour l’abréger. C’est même un devoir envers l’armée nationale d’abréger ses fatigues et ses pertes »

                                                                          (citation d’origine inconnue)

La race germanique est la race élue qui peut se permettre ce qui est défendu à toutes les autres, vu le magnifique but poursuivi « l’expansion de sa Kultur ». Elle peut abolir tous les scrupules qui sont le lot d’une humanité inférieure.

du Mercredi 13 au Jeudi 14 Janvier

Allons-nous connaître de nouveau les émotions poignantes des premiers mois.

Les Allemands contre attaquent violemment nos gains récents au Nord-Est de Soissons. Le centre de l’action est à Crouy. La bataille me semble s’étendre au moins sur un front de 15 kilomètres de Pasly à Missy sur Aisne. Pour le moment, je crois que nous sommes refoulés, nous avons perdu nos gains et je le crains beaucoup plus. Le combat très violent continue.

Blessés de l’Abbaye

Je reçois la visite de 2 fusiliers : 1 soldat du 76ème et 1 du 173ème. Ils s’accordent à exalter chez le Boche le courage incroyable et la façon parfaite de faire la guerre. Le fusilier les a vus passer en rangs serrés musique en tête, sous le feu des mitrailleuses. Tous parlent du feu terrifiant des mitrailleuses et de la quasi-impossibilité d’aborder de front les tranchées protégées par des réseaux de fil de fer. Mais seuls les 2 fusiliers en parlent par expérience.

Le jour de Noël et le jour de l’An

Sur un assez grand nombre de points du front, surtout en face des Bavarois, il y a eu trêve et communication entre les tranchées avancées avec échange de douceurs.

Vendredi 15 Janvier

Nous sommes bien enfoncés au Nord-Est de Soissons. De Crouy à Missy nous avons du repasser l’Aisne. Cette rivière est actuellement en crue. Ce passage sous la pression de l’ennemi a du nous coûter cher en hommes et matériel. C’est un échec local sérieux. L’attaque allemande a été exécutée par des forces considérables. Sa réussite semble avoir été complète. On peut discourir sur l’imbécillité des attaques allemandes en masse. Le fait est que ce genre d’attaque semble être le seul qui puisse donner des résultats.

Depuis 5 semaines, dans une foule d’attaques partielles, nous avons du faire des pertes importantes pour des gains infimes. Une seule attaque importante n’eut pas coûté plus cher et aurait peut-être donné d’importants résultats. Mais ceci est une réflexion d’après les résultats, donc facile et sans valeur.

J’attends avec pleine confiance la dépêche de demain. Mais malgré tout avec une pointe d’anxiété car si cette amorce de trouée devenait plus importante, on frémit… !

du Samedi 16 au Mardi 19 Janvier

L’échec de Soissons n’a pas eu de suites fâcheuses. Le communiqué dit « succès local, sans importance, il affirme que moins de trois brigades prenaient part à l’action. Notre retrait serait du avant tout à la crue de l’Aisne qui menaçait nos communications ». J’ai bien de la peine à le croire, pour moi cette affaire est plus qu’un combat de trois brigades et a été désastreuse dans ce secteur. L’avenir nous apprendra aussi s’il est indifférent que les Boches tiennent la rive de l’Aisne.

- en France -

Canonnades, petites attaques ça et là, spécialement région de la Boisselle.

- en Russie -

Rien d’important.

- en Italie -

Violent tremblement de terre dans la région d’Avezzano (30000 victimes).

Augustin de Boisanger

Nous avions appris que le 19ème avait livré un désastreux combat à la Boisselle. On avait annoncé que le Lt de Boisanger était blessé et prisonnier. Depuis, des nouvelles précises étaient pessimistes. On vient de prévenir officiellement de sa mort.

Navrante nouvelle qui nous émeut profondément, perte cruelle pour ses amis et perte irréparable pour les œuvres sociales et syndicales qu’il avait fondées. Il était parti sur sa demande dans la réserve de l’active comme sergent. Il avait été cité à l’ordre du jour et promu lieutenant. La disparition d’hommes de cette valeur est bien effrayante, dans cette guerre sans nom si meurtrière l’élite paie le plus lourd tribut. Les braves, les entraîneurs, ceux qui vont de l’avant sont presque infailliblement tués. Dieu fera que par leur magnifique sacrifice et leur noble sang versé, ces braves obtiennent pour leur pays, plus qu’ils n’auraient pu en vivant.

C’est notre consolation de croire à cette moisson qui lèvera du sang de ces martyrs. Plus nobles sont les victimes, plus fécond est le sacrifice.

Sa citation à l’ordre du jour

«  A fait preuve dans de nombreuses circonstances d’un sang froid et d’une hardiesse remarquables, particulièrement dans les multiples patrouilles les plus délicates qu’il a tenu à diriger lui-même, a été relever le corps de son sergent à une faible distance des tranchées allemandes ».

Dernière offensive

Les attaques allemandes contre le front russe ont presque cessé en Pologne où l’état des routes et le climat interdisent avant plusieurs mois des opérations de grande envergure. Il semble que les Allemands s’étant établis sur une solide défensive sont à même d’envoyer vers l’Ouest une importante fraction de l’armée Hindenburg.

D’autre part, l’armée anglaise ne doit pas intervenir avant le printemps et nous disposerons nous-mêmes à ce moment d’importants renforts.

Il semble donc très plausible, très probable que nous aurons à subir avant le printemps une grande offensive allemande. Le Secteur de Soissons ou les Boches viennent de faire une victorieuse poussée se trouve être le point de leur ligne le plus rapproché de Paris. Jusqu’à Berry au Bac notre situation au nord de l’Aisne à quelques kilomètres de la rivière me paraît moins bonne que partout ailleurs.

Au printemps

Les forces de tous les états belligérants sont actuellement tendues dans un effort absolument gigantesque et sans aucun précédent dans l’histoire. Au printemps plusieurs milliers d’hommes s’ajouteront à la masse déjà si grande des combattants. Le nombre des pièces d’artillerie s’accroît chaque jour avec rapidité. Déjà dans bien des actions, des tirs concentrés d’artillerie ont eu lieu et l’intensité du tir est telle qu’on n’entend plus qu’un tonnerre ininterrompu.

Que seront les grands chocs du printemps ? Quand chacun jettera à la fois dans la balance la totalité de ses forces ? Et il ne s’agit pas là de rêves mais d’évidentes réalités.

On arrivera avec l’artillerie à transformer des kilomètres carrés de terrain en véritables volcans. La victoire sera à ceux qui dans ces fournaises tiendront le plus longtemps. Le massacre (il n’y a pas d’autre mot) est déjà effrayant, que sera-t-il ?

L’apocalypse nous décrit quelques signes précurseurs de la fin du monde qui vraiment font penser aux évènements actuels.

du Mercredi 20 au Dimanche 24 Janvier

- en France -

On se bat un peu partout. L’initiative des attaques semble être en ce moment aux Allemands. Il y a eu de vives attaques repoussées à la Boisselle et à Berry au Bac mais surtout dans l’Argonne. Une action enragée est engagée depuis 3 jours dans la région Thann-Cernay. Elle se poursuit.

Guerre de siège

Tous ces combats acharnés et meurtriers se livrent le plus souvent pour des objectifs peu importants, la conquête d’une tranchée ; dont le gain ou la perte ne saurait entraîner de grands résultats. Il me semble que si l’on veut chercher des résultats décisifs, il faudra employer une tactique différente.

- en Russie -

Sur la rive droite de la Vistule les Russes semblent avoir concentré des forces et ils ont avancé un peu. Partout ailleurs rien d’important ; des 2 côtés on concentre des troupes en Bukovina.

Les Turcs sont décidément pilés dans le Caucase.

- en Angleterre -

Raid de 6 (?) Zeppelin partis de Cuxhaven qui lancent des bombes sur la côte de Yarmouth. But ? Résultat : beaucoup de vitres cassées, quelques maisons démolies, quelques civils tués.

Neige

La neige tombe abondamment le 22, flocons gros comme des soucoupes. Les enfants font un bonhomme le 23.

Les neutres

J’ai déjà dit que d’une façon générale les neutres souhaitaient peu le triomphe de la France (Foyer de jacobinisme) mais la guerre sauvage allemande commence à faire naître un courant contraire.

Ignominie

Jean nous écrit que dans sa région les Allemands attachent des sonnettes à nos morts qui restent entre les tranchées. Prévenus ainsi la nuit quand nous voulons les enlever, ils tirent.

Armée anglaise

Par des renseignements directs et semblant certains, une partie importante de l’armée Kitchener est actuellement débarquée au Havre.

du Lundi 25 au Dimanche 31 Janvier

- en France -

En l’honneur de la fête du Kaiser, le 27 Janvier, les Allemands ont tenté de violentes attaques surtout à l’est d’Ypres, dans la région de Givenchy (anglais) et à l’ouest de Craonne. Partout ils ont été repoussés avec des pertes importantes.

An Argonne et en Alsace, nous avons maintenu nos positions.

Combat naval

Une escadre anglaise composée des croiseurs de combat – Lion – Tiger – Princess of Ireland – New Zeland – Indomptable a engagé le combat contre le Derflinder, le Molthe, le Sedlytz et le Blucher. Cette flotte allemande se trouvait à 30 milles de la côte anglaise. Le Blucher fut coulé et 2 autres croiseurs gravement avariés. Du côté anglais, le Lion fut endommagé et dut être remorqué par l’Indomptable.

Les pertes anglaises furent très faibles. L’Angleterre est bien toujours la maîtresse de la mer.

- en Russie -

Les Russes ont été actifs en Prusse orientale, ils ont avancé légèrement. Rien de net en Pologne et Autriche. Mais il semble que des opérations importantes se préparent dans les Carpates.

Canal de Suez

Des détachements turcs sont parvenus très près du canal de Suez. La menace contre le canal se précise.

La durée de la guerre

Cette guerre de géants est sans précédents. Les leçons de l’histoire ne nous permettent ici de rien prévoir.

Si les alliés demeurent étroitement unis, ils triompheront de l’Allemagne, mais quand ? mais comment ? d’où viendra la solution ? Notre front actuel est pratiquement inviolable ; mais celui des Allemands est lui aussi très difficile à rompre ! On commence à parler couramment d’une guerre pouvant durer encore un an et même plus.

L’Allemagne est un tout très puissant…

Je persiste à penser que l’issue de la guerre sera fixée au mois d’Août prochain.

Sous-marins : grave nouvelle

Nous apprenons que dans la même journée du 30, les sous-marins allemands ont torpillé sans avis préalable 4 navires anglais de commerce. L’un au large du Havre, le 2ème près du cap d’Antifer et les 2 autres dans la mer d’Irlande soit à 650 milles de toute base allemande. Ce dernier exploit est grave, car il n’existe pas de moyen de défense bien efficace contre les sous-marins. Les bâtiments de commerce sont presque à leur merci.

Si l’Autriche avait des sous-marins pareils, quelle menace dans la Méditerranée – Elle en aura…

Ce blocus anglais par les sous-marins est un rude coup pour l’Angleterre. Cette épée de Damoclès suspendue sur ses innombrables bateaux aura de graves conséquences. En les redoutant je ne croyais pas que les sous-marins allemands pourraient jamais opérer dans la mer d’Irlande.

Guerre sans merci

Une nation aussi étendue de navires sous-marins me semble appelée à modifier complètement bien des questions navales.

En premier lieu, il en résulte que l’Angleterre n’est plus invulnérable. Pour tout Anglais avisé il doit être maintenant évident que l’existence de l’Empire anglais va à la lettre se jouer dans cette guerre. Si l’Allemagne triomphe, la prépondérance anglaise est ruinée à jamais.

Plus que jamais il se confirme que la guerre sera longue, sans merci, implacable. Elle ne peut pas être indécise, les vaincus seront ruinés pour un siècle au moins.

Odile

Le Docteur Renault vient de venir. La petite Odile a une broncho-pneumonie. Depuis Vendredi soir elle est malade avec forte fièvre (40° et jusqu’à 40°7) Je suis un peu inquiet.

Etats-Unis

Il y a 15 millions de citoyens d’origine allemande. L’attitude des Etats-Unis est au moins suspecte.

Bulgarie

La Bulgarie qui, avec raison, n’a pas digéré le traité de Bucarest ne rêve que vengeance (je le comprends) contre la Serbie et la Roumanie. Elle rend presque impossible l’intervention de la Roumanie.

Odile

Après des crises de fièvre atteignant 41°, le mal cède le 9 Février.

du Lundi 25 au Dimanche 31 Janvier

- en France -

En l’honneur de la fête du Kaiser, le 27 Janvier, les Allemands ont tenté de violentes attaques surtout à l’est d’Ypres, dans la région de Givenchy (anglais) et à l’ouest de Craonne. Partout ils ont été repoussés avec des pertes importantes.

An Argonne et en Alsace, nous avons maintenu nos positions.

Combat naval

Une escadre anglaise composée des croiseurs de combat – Lion – Tiger – Princess of Ireland – New Zeland – Indomptable a engagé le combat contre le Derflinder, le Molthe, le Sedlytz et le Blucher. Cette flotte allemande se trouvait à 30 milles de la côte anglaise. Le Blucher fut coulé et 2 autres croiseurs gravement avariés. Du côté anglais, le Lion fut endommagé et dut être remorqué par l’Indomptable.

Les pertes anglaises furent très faibles. L’Angleterre est bien toujours la maîtresse de la mer.

- en Russie -

Les Russes ont été actifs en Prusse orientale, ils ont avancé légèrement. Rien de net en Pologne et Autriche. Mais il semble que des opérations importantes se préparent dans les Carpates.

Canal de Suez

Des détachements turcs sont parvenus très près du canal de Suez. La menace contre le canal se précise.

La durée de la guerre

Cette guerre de géants est sans précédents. Les leçons de l’histoire ne nous permettent ici de rien prévoir.

Si les alliés demeurent étroitement unis, ils triompheront de l’Allemagne, mais quand ? mais comment ? d’où viendra la solution ? Notre front actuel est pratiquement inviolable ; mais celui des Allemands est lui aussi très difficile à rompre ! On commence à parler couramment d’une guerre pouvant durer encore un an et même plus.

L’Allemagne est un tout très puissant…

Je persiste à penser que l’issue de la guerre sera fixée au mois d’Août prochain.

Sous-marins : grave nouvelle

Nous apprenons que dans la même journée du 30, les sous-marins allemands ont torpillé sans avis préalable 4 navires anglais de commerce. L’un au large du Havre, le 2ème près du cap d’Antifer et les 2 autres dans la mer d’Irlande soit à 650 milles de toute base allemande. Ce dernier exploit est grave, car il n’existe pas de moyen de défense bien efficace contre les sous-marins. Les bâtiments de commerce sont presque à leur merci.

Si l’Autriche avait des sous-marins pareils, quelle menace dans la Méditerranée – Elle en aura…

Ce blocus anglais par les sous-marins est un rude coup pour l’Angleterre. Cette épée de Damoclès suspendue sur ses innombrables bateaux aura de graves conséquences. En les redoutant je ne croyais pas que les sous-marins allemands pourraient jamais opérer dans la mer d’Irlande.

Classes françaises et Allemandes

Nombre de naissances

 

En France

En Allemagne

1894

855 000

1 904 000

1895

834 000

1 941 000

1896

866 000

1 979 647

Guerre d’effectifs

D’où il résulte que le recrutement des jeunes gens de 18 – 19 et 20 donnera à l’Allemagne 228 recrues pour 100 françaises. Dans cette guerre d’usure où la question des effectifs a une importance capitale, la natalité allemande si féconde depuis 30 ans est une grande force. Mais heureusement nous ne sommes pas seuls.

du Lundi 1er au Mardi 9 Février

- en France -

Rien à signaler. Aucune action importante. Toujours de violentes attaques allemandes dans l’Argonne.

en Russie

Grande offensive austro-allemande.

1°) en Pologne – Avec 7 divisions appuyées par 100 batteries les Boches par de violentes attaques en masse ont tenté d’enfoncer la ligne ruse entre la Bzura et la Pilitza. Ils ont été repoussés et les contre attaques russes ont même gagné du terrain.

2°) sur toute la ligne des Carpates, d’importants combats se poursuivent.

Egypte

Des troupes turques paraissant atteindre 10000 hommes sont arrivées avec de l’artillerie jusqu’au canal de Suez. Elles ont été repoussées.

Déclaration officielle allemande

  1. Les eaux qui se trouvent à l’entour de la Grande-Bretagne et de l’Irlande, y compris la Manche, sont par la présente, déclarées zones militaires. A partir du 18 Février prochain, les navires marchands des nations belligérantes qui navigueront dans ces eaux seront détruits, même s’il n’est pas toujours possible d’éviter les dangers qui menacent les équipages et les passagers.
  2. Les navires neutres courront également des risques dans la zone militaire, en raison de l’abus des pavillons neutres ordonné le 31 Janvier par le gouvernement britannique et parce que les accidents ne peuvent pas toujours être évités dans les combats navals.
  3. Au nord des îles Shetland, dans la région orientale de la mer du Nord, et à une distance d’au moins 30 miles marins le long de la côte hollandaise, la navigation ne sera exposée à aucune attaque.
(coupure de journal)

Ceci est un coup de bluff car s’il est clair que les sous-marins allemands peuvent gêner considérablement le commerce anglais, ils sont heureusement loin de pouvoir faire un blocus effectif de l’Angleterre.

Un sous-marin a deux graves défauts quand il est immergé. Il est myope le jour et presque aveugle la nuit. De plus, il est lent (12 nœuds grand maximum en plongée). Il en résulte que de jour un bateau marchant lentement court les plus grands risques. Un bateau rapide et veillant attentivement en court très peu le jour, on peut dire aucun la nuit.

D’ailleurs, les Boches possèdent au plus 10 sous-marins de 8 à 900 tonnes capables de croiser devant les ports anglais. Dans ces conditions la déclaration allemande telle qu’elle est conçue comporte une très grande part de bluff. Mais elle n’est certes pas à négliger.

Il faut ajouter qu’un sous-marin demande un commandement parfait et des équipages très endurants. Pour atteindre la mer d’Irlande, y croiser et revenir, un sous-marin doit tenir la mer au moins 8 ou 10 jours et probablement bien davantage. L’existence de l’équipage est des plus pénibles. Il faut des chefs et des hommes d’acier. Le sous-marin ne peut rester constamment plongé ; il faut bien qu’il émerge pour renouveler l’air et recharger les accumulateurs.

du Mercredi 10 au Samedi 13 Février

- en France -

Rien d’important

- en Russie : de graves évènements -

Il est incontestable que sur le front russe les Allemands ont dans Hindenburg un chef remarquable.

Il use brillamment du réseau ferré parallèle à la frontière ; concentrant à un point bien choisi de grandes masses d’hommes il les lance à l’attaque dans de foudroyantes offensives.

Les dépêches russes de ces jours derniers annonçaient une violente offensive allemande au sud des lacs Mazuriques dans la région de Johannesburg.

Aujourd’hui, hélas, nous apprenons le recul des Russes, tout le terrain péniblement gagné depuis 4 mois est perdu d’un seul coup. Les Russes ont reculé jusqu’à la rivière Narew à l’abri des forteresses de Lomza et Ossonetz. C’est un recul de 50 à 80 kilomètres sur un front très étendu. Il a du aussi entraîner la perte de toute l’avance vers Thorn. On prévoit avant peu une grande bataille sur la Narew.

Il  est consternant de voir que les Allemands ont hélas toujours l’initiative et la direction de la guerre et qu’ils peuvent briser les fronts dits inviolables.

Hécatombes nécessaires

Leur force est peut-être dans leur absolu mépris de la vie humaine. On rit, on méprise leurs attaques en masse, toujours est-il que souvent ainsi ils ont obtenu des résultats considérables. Ces attaques coûtent cher mais c’est terrible à dire, nous ne pourrons jamais vaincre sans consentir à de très grands sacrifices.

On ne peut réussir dans cette guerre qu’avec des chocs forcément sanglants. Il faut oser les hécatombes nécessaires. Joffre semble ne pas oser ces sacrifices ; il le faudra cependant.

Mais quel calme, quelle force il faut au chef pour déclencher l’attaque et le massacre.

Hindenburg semble posséder cette qualité au suprême degré.

Il faut que les Russes tiennent sur la Narew, sans quoi Varsovie serait tournée, ce serait le recul général ? Ils tiendront.

La marche sur Berlin

J’ai toujours une absolue confiance dans la victoire finale mais il faut reconnaître l’incroyable puissance militaire allemande. Depuis le 15 Septembre, nous n’avons pas dans l’ensemble gagné un pouce de terrain sur notre front. Quant aux Russes, le temps devait rendre leurs forces écrasantes. Hélas après six mois les voilà encore rudement étrillés.

Il faut convenir que la marche sur Berlin ne se dessine pas encore…

Malgré la tâche écrasante qu’ils supportent trop bien, les Allemands ont encore trouvé 250 000 hommes qui soutiennent les Autrichiens dans les Carpates.

Il se confirme de plus en plus que pour maintenir inviolable un front très fortement retranché il suffit d’effectifs assez fluides.

Après avoir organisé de solides lignes défensives, les Allemands font de rapides concentrations de troupes sur les points qu’ils ont choisis pour agir offensivement.

Aéroplanes

Le 14 Février, 34 avions anglais bombardent Zeebrugge, centre de sous-marins allemands. Le 17,  40 avions anglais et 8 français recommencent la même opération.

Prière pour la Paix

« Puisqu’il faut regarder l’avenir en face, dit ce factum, nous devons dès maintenant, réagir énergiquement contre les multiples tentatives de la pieuvre cléricale, qui veut étendre ses tentacules sur toutes les œuvres de bienfaisance, dans un intérêt indiscutablement politique. Abusant cyniquement de la terrible crise que traverse le pays, affichant avec une impudence scandaleuse son intention agressive de reprendre demain les rênes du pouvoir, le Parti Noir, toujours et plus que jamais debout, a eu l’audace et l’adresse de s’infiltrer partout, dissimulant son éternelle tactique de domination sous l’odieux masque d’une charité usuraire et derrière le bouclier occasionnel d’un patriotisme de parade. »

(coupure de journal)

La campagne de calomnie n’a pas cessé un instant.

La Franc-Maçonnerie enrage. Il est certain que si elle a triomphé jadis avec les curés « sac au dos » ce triomphe se tourne contre elle. Partout les prêtres et religieux « sac au dos » donnent devant l’ennemi l’exemple de tous les héroïsmes et forcent l’admiration et le respect. Les égarés, les pervertis reviennent nombreux aux idées religieuses. La pensée de la mort qui place sans cesse sur les champs de bataille  fait que bien des yeux se tournent vers le ciel. Voilà donc le péril noir déchaîné. Une campagne ignoble se poursuit pour mettre en opposition le patriotisme et le catholicisme (qui aurait voulu la guerre et s’en réjouirait). On a récemment pris encore prétexte des « Prières pour la paix »(7 Février) ordonnées par le pape (qu’on ignore d’ailleurs). On assimile ces prières à une propagande de pacifisme, néfaste dans un moment où la France doit d’évidence continuer la guerre pour obtenir une paix honorable et durable.

La perfidie et la mauvaise foi éclatent dans ces attaques odieuses. Tous nos cardinaux français et évêques ont affirmé qu’il ne pouvait être question que d’une paix victorieuse dans le droit et la justice, ce qui à mon avis allait de soi.

du Dimanche 14 au Jeudi 18 Février

- en Russie -

Une fois de plus les Allemands essaient la tactique de l’enveloppement par les 2 ailes. Mais ici le front est immense.

  1. Sur la rive gauche du Niémen direction de Kovno, d’importantes forces allemandes refoulent les Russes, ceux-ci reculent sur le Niémen et le Narew, mais ils s’arrêtent souvent pour faire tête.
  2. A l’extrémité sud du front, en Bucovine : les Russes reculent aussi vers Czernevitz devant de grandes forces ennemies. Il est trop clair que si les Russes ne peuvent enrayer ce vaste mouvement tournant et enveloppant, ils seront contraints d’effectuer un recul général en abandonnant les cols de Dukla et d’Oujok où cependant ils résistent victorieusement à de furieuses attaques.

En résumé, les opérations du front oriental ont en ce moment la plus grande importance. Elles auront une grande répercussion sur l’attitude des Balkaniques.

Les Russes soutiennent un effort immense, la rareté de leurs chemins de fer et la lenteur dues aux vastes étendues à franchir les mettent souvent en état d’infériorité momentanée. Dans ces cas, ils n’ont d’autre parade que de céder du terrain et rompre le fer.

du Vendredi 19 au Mardi 23 Février

- en France -

Depuis huit jours, nous avons repris l’offensive et progressé sur le front de Souain à Beauséjour. Nous ne pouvons nous rendre compte de l’importance des opérations. Mais il me semble que cette fois notre effort est très sérieux. Combien il serait opportun de dévier sur nous l’effort dirigé contre les Russes.

- en Russie -

Il s’y déroule des opérations de capitale importance. Sur presque tout le front les Russes sont furieusement attaqués. Leur aile droite a du battre précipitamment en retraite sous la ruée allemande, in corps d’armée russe a été fait prisonnier. La retraite a du s’effectuer par des routes défoncées et obstruées par les neiges… elle a du être bien coûteuse… Les Russes font tête sur la ligne marquée par les rivières Narew – Bobra et le Niémen Le but évident d’Hindenburg est de tourner les défenses de Varsovie.

A l’autre extrémité du front, en Bucovine, les Austro-Allemands ont occupé Stanislau. S’ils continuent à avancer, il me semble que la situation des Russes deviendra aussi très sérieuse dans les Carpates.

En résumé, du côté oriental les Austro-Allemands ont remporté d’importants succès.

Sur mer

Les sous-marins allemands ont fait sauter une dizaine de bateaux de commerce.

La famine en Allemagne

On nous a raconté tant de blagues à ce sujet que l’on ne sait trop que penser. Il est clair que jusqu’ici les neutres ont copieusement ravitaillé l’Allemagne.

Déclaration franco-anglaise

Jusqu’à ce jour les alliés saisissaient seulement les articles déclarés contrebande de guerre. A partir du 1er Mars, toute marchandise allemande sera saisie et même tout ce qui sera présumé venant d’Allemagne ou devant y entrer sera saisi.

Voilà le coup d’assommoir que l’Allemagne reçoit en réponse à son blocus sous-marin. Mais si le blocus allemand est surtout du bluff, le nôtre sera très effectif.

« Monsieur Boche crache en l’air, cela lui retombe sur le nez ». L’humour anglais est ici exquis. Il dit à Monsieur Boche : « Vous proclamez le projet d’empêcher toute entrée ou sortie d’Angleterre. Très bien, nous de même à votre égard ». Dans ces conditions, l’étranglement économique me paraît des plus sérieux. Mais que vont imaginer ces brutes allemandes ; elles ont assez prouvé qu’elles ne reculaient devant rien. Or, ils ont de beaux gages, la Belgique et cinq départements français. Ils en useront de quelque façon.

Pour le moment, ils avalent du pain KK ce qui n’est guère remontant ni pour le physique ni pour le moral.

Quant aux alliés, la supériorité des mers leur donne une immense supériorité. Non seulement les industries françaises et anglaises travaillent pour nos armées, mais encore celles de tous les pays du monde. Nous arriverons ainsi à une grande supériorité de matériel de guerre qui, plus encore que les masses d’hommes, nous donnera la victoire.

- aux Dardanelles -

 Une flotte anglo-française – 9 cuirassés – a bombardé les forts d’entrée, les a réduits, a pu pénétrer de 10 kilomètres après avoir dragué les mines.

Les Dardanelles ont 70 km de longueur, 3 à 4 km de largeur qui se réduisent à 1200 mètres dans plusieurs passages. C’est dire l’énorme difficulté de l’entreprise qui me semble nécessiter en outre le concours d’un important corps de débarquement. Mais il apparaît nettement que les alliés ont résolu d’aller à Constantinople.

Si ce projet grandiose est exécuté, ce sera bel et bien la mort de la Turquie et nous serons les maîtres des questions balkaniques et par suite de la Bulgarie, Roumanie…

(Il est clair que si les alliés avaient pu s’entendre plus tôt sur cette épineuse question de Constantinople, le forcement eut été plus aisé en Novembre)

La Russie qui a toute sa récolte de blé invendue pourra l’envoyer en France, en Italie, en Angleterre…

De toute façon, la possession des détroits aurait pour la prompte et favorable issue de la guerre une importance sans limites.

Mais nous n’avons pas seulement affaire aux Turcs et je ne puis croire que nous puissions atteindre Constantinople sans la mise en action de forces considérables et de lourds sacrifices.

du Mercredi 24 Février au Mardi 2 Mars

- en France -

Notre offensive se continue entre Souain et Beauséjour ; nous enlevons des tranchées, des blockhaus, nous arrêtons les contre-attaques. Mais l’envergure de ces opérations continue à nous échapper.

- en Russie -

Une fois de plus les Russes semblent avoir exécuté avec succès leur manœuvre habituelle. Après avoir rompu le fer et cédé du terrain, ils ont reçu leurs réserves et vaillamment rebondi en avant. Les Allemands sont arrêtés partout et même refoulés dans la région de Prasnyck ; si les Russes peuvent accentuer leur succès sur ce point, les mouvements des Allemands seront très compromis et ils ne pourront continuer le bombardement d’Ossovitz.

Dans les Carpates, rien de nouveau. Les Austro-Allemands sont nettement arrêtés dans la région de Stanislau.

Guerre d’usure

Usure d’hommes, de munitions, de toutes ressources. Usure financière, industrielle…

Quelle que soit l’organisation et la vitalité allemande, nous avons la certitude de vaincre par l’usure.

On prétend que Castelman aurait dit que « cette guerre ne pourrait finir militairement » voulant dire que les fronts sont inviolables. Si cela est vrai pour le front occidental relativement restreint, il semble qu’il n’en est rien sur le front oriental.

De notre côté, après les hécatombes de fin Décembre, on s’est aperçu que la théorie « on avance quand on veut, il suffit d’y mettre le prix » serait fausse. On n’avance pas contre des mitrailleuses et des retranchements comme ceux qui existent. On s’y brise sans faire un pas. Joffre n’en veut absolument pas.

On procède actuellement en Champagne à des attaques, ou mieux à des occupations de terrain après une pluie ou mieux un déluge d’obus bouleversant et détruisant tout, principalement par les explosifs de gros calibre. Une telle avance est lente mais elle démoralise et abrutit l’adversaire. Elle exige une folle dépense de munitions ; elle a l’avantage d’immobiliser dans la région attaquée ainsi de grandes forces ennemies.

Les Allemands sont obligés par la force des choses de rechercher une action violente et décisive. On escompte qu’elle se produira – une intéressante étude parue en Suisse la prévoit soit dans le secteur d’Arras à la mer, soit vers St Mihiel et autour de Verdun.

Nous briserons cette offensive – je n’en veux pas douter – en infligeant de grosses pertes aux Boches et à ce moment, l’occasion se présentera peut-être par une action vigoureuse de forcer le front ennemi et d’en finir avec la guerre de tranchée.

Classe 1916

Elle va partir vers le 20 mars. On prépare l’appel de la classe 1917.

Officiel

Les Allemands ont contre nous 47 corps d’armée et 30 contre les Russes. Les Autrichiens ont 22 corps engagés contre les Russes.

Munitions

Canon de 75.

Dans un tir d’efficacité, une pièce de 75 tire 15 coups à la minute.

1 batterie de 4 pièces tirerait donc en 10 mns

600 coups

30 batteries

18 000 coups

90 batteries

54 000 coups

900 batteries

540 000 coups

Chaque coup coûte 30 F, soit pour 10 armées 16.200.000 Francs.

Chaque obus contient 300 balles.

Ceci peut donner à penser ce qu’il est dépensé de munitions dans une action un peu vive  menée par une force X.

Et il ne s’agit que du 75.

du Mercredi 3 au Mardi 9 Mars

- en France -

Continuation entre Souain et Beauséjour d’une offensive qui fait de très lents progrès et sur laquelle nous avons peu de renseignements.

- en Russie -

Les Allemands ont dégagé la Prusse Orientale, ils semblent en recul mais continuent cependant les attaques contre Ossovitz.

Contre offensive victorieuse des Russes en Bucovine ; ils ont réoccupé Stanislau et fait de nombreux prisonniers.

Armée autrichienne

L’armée autrichienne semble vraiment bien inférieure, bien mal commandée et bien désorganisée.

- aux Dardanelles -

Les opérations se poursuivent méthodiquement. A partir de Kilid Bar, les détroits se resserrent et il y a deux coudes successifs. La destruction des forts est très difficile ; ils sont bombardés, en tir direct, par des cuirassés qui pénètrent dans le détroit et en tir indirect par-dessus la presqu’île de Gallipoli. Ce dernier tir est effectué notamment par le « Queens Elisabeth » super Dreadnought portant 8 pièces de 380 (obus dépasse 1000 kg).

Un communiqué officiel annonce la concentration en Afrique du nord d’un corps de débarquement. Il semble que le débarquement de troupes nombreuses sera nécessaire pour occuper au moins la presqu’île de Gallipoli et aider à l’occupation des forts.

L’amiral Carden a la direction des opérations auxquelles il semble que 3 cuirassés français seulement coopèrent (Gaulois – Charlemagne – Suffren).

Grèce – Smyrne

L’attaque de Smyrne a également commencé.

Le premier ministre Venizélos a exposé au roi dans un conseil de la couronne que l’heure avait sonné pour la Grèce de sortir de la neutralité afin de pouvoir, à la liquidation turque, reconstituer l’ancienne grande Grèce. Le roi Constantin, beau-frère du Kaiser, feld-maréchal prussien, a rejeté cet avis. Venizélos a donné sa démission.  Il faut noter que Venizélos avait pour lui la majorité du Parlement et de l’opinion du pays.

J’espère que nous n’avions pas compté sur le concours de l’armée grecque.

Les neutres

Les alliés feront bien de ne compter que sur eux. On nous a assez balancé sur l’entrée en ligne de l’Italie, de la Roumanie, de la Grèce. Les Allemands tiennent fortement chez leurs ennemis de vastes et riches territoires. Ils ont encore de grosses réserves d’hommes. Leur défaite ne paraît nullement certaine aux neutres. Pour voler à notre secours, nos « sœurs latines » attendent que notre victoire soit plus certaine.

Peut-on leur en vouloir : un pays ne se jette pas dans une guerre et ses horreurs pour le seul amour de son prochain et de la liberté dont la France est soit disant le champion [où est-on moins libre qu’en France, sous la coupe de 700 tyrans parlementaires qui sont d’ailleurs eux-mêmes sous la coupe de leurs intelligents électeurs dont ils ont reçu le pouvoir contre libations et promesses….]

Dans la guerre des balkaniques contre les Turcs, nous étions calmes spectateurs. Par le traité de Londres, nous avons garanti (triple entente) la possession de la Thrace à la Bulgarie qui n’a cessé la guerre que sur cette assurance. Quelques mois après, par peur de la guerre, la Triple Entente manquait à sa parole d’une très sale façon.

C’est comique de voir toute la presse française jeter feu et flammes et soutenir que leurs intérêts bien compris et le culte du Droit et de l’honneur doivent jeter les neutres dans nos bras. Evidemment cela ferait notre affaire, mais les bons neutres attendent, voulant discerner nettement si nous sommes vraiment les plus forts. Peut-on leur reprocher de faire passer leurs intérêts avant les nôtres.

du Mercredi 10 au Lundi 15 Mars

- en France -

Les Anglais ont remporté un joli succès au nord de la Bassée, enlevant le village de Neuve Capelle et avançant de 2 kilomètres sur un front de 4 km. Opération parfaite de conception et d’exécution, très à l’honneur des troupes anglaises.

En Champagne, voir la note officielle, c’est limpide :

  • Les Français disent les pertes allemandes 4 fois supérieures aux leurs,
  • Les Boches disent les pertes françaises 3 fois supérieures aux leurs.

Il est certain que si nos chiffres sont exacts ou seulement à moitié exagérés, le résultat serait excellent car à ce taux l’usure de l’armée allemande serait rapide.

L’Angleterre vient de monopoliser toutes les usines capables de produire des munitions. C’est dire le déluge de fer et de feu que nous nous apprêtons à déverser sur la tête des Allemands.

- en Russie -

Hindenburg continue à promener en chemin de fer et en auto d’énormes masses de troupes. Il semble qu’il prépare une offensive vers Prasnytch. Ossovitz est toujours bombardé.

Aucun changement dans les Carpates.

- aux Dardanelles -

Rien de nouveau. Les opérations doivent continuer contre les défenses qui sont accumulées après Kiliet Bar. On sait que le général d’Amade commandera le corps de débarquement qui semble être en route.

Des morts, des morts

et les meilleurs, les plus braves, la fine fleur française.

L'honneur est la rançon du danger

et combien cela est juste. Plus grand est le danger, plus grand est l’honneur. Aussi tout le monde revendique pour les siens le plus grand danger car tout le monde sent profondément cette évidence : danger = honneur.

Mais chose curieuse, ceux qui ont les leurs dans les combattants de l’infanterie (active et réserve) se contentent de le dire, chacun sait l’héroïsme et les incessants combats de nos régiments de ligne. Par contre, tous les autres s’acharnent à vous démontrer que dans cette guerre tout le monde est exposé de la même façon, alors même qu’on ne leur demande rien. Et si on a le malheur de ne pas dire comme eux, ils se fâchent, s’évertuent à prouver qu’en 2ème, 3ème ligne et même dans les services de l’AR on est aussi exposé, sinon plus qu’en 1ère ligne. Et on vous explique avec autorité qu’en 1ère ligne, on n’a rien à craindre de l’artillerie Boche…

Mais ils n’arrivent même pas à se tromper eux-mêmes et on le voit car ils ont une tranquillité d’esprit qu’ils n’auraient certes pas s’ils savaient les leurs dans les tranchées de première ligne, là où les balles sifflent sans cesse, jetant à terre les imprudents qui négligent le périscope pour regarder par un créneau, là où pleuvent parfois les grenades à main et les obus-torpilles, là où on s’efforce en vain d’entendre le bruit de la sape ennemie qui peut vous anéantir, là où la nuit, dans un énervement intense, on s’efforce de deviner dans l’obscurité les mouvements de l’ennemi, là d’où partent les furieuses attaques, là où souvent on se bat dans les plus sauvages corps à corps.

Certes partout dans la zone du front on court des risques, mais il y a ceux qui peuvent mourir et ceux qui à chaque instant vont au devant de la mort et qui même parfois la cherchent et la trouvent « je vais vous faire voir comment meurt un officier français ». Mouvements sublimes dont l’exemple peut suffire à donner une victoire, car ils exaltent nos âmes françaises jusqu’au sacrifice complet. Combien il est vrai de dire que dans cette guerre se fond une nouvelle noblesse.

Il faut lire le récit de la prise du fortin de Beauséjour. Pour la première fois on nous donne le récit complet d’un combat avec des noms – Est-ce que ces noms ne sont pas illustres à jamais ?

Quelle lecture plus belle que celle des ordres du jour et tout ce que nous ne savons pas !

Mais il est clair que tout le monde ne peut combattre en première ligne. L’armée est un faisceau.

Honneur à tous ceux qui font leur devoir aux postes qui leur ont été assignés.

Samedi 20 Mars

- aux Dardanelles -

Le Bouvet coulé par une mine. Le Gaulois hors de combat (artillerie). Deux cuirassés anglais coulés par des mines dérivantes. Voilà les tristes nouvelles reçues ce matin. Nous n’en savons pas davantage. (J’espère que le Queens Elisabeth  n’est pas coulé). Avons-nous débarqué des troupes ? Avons-nous forcé le passage ? Je veux l’espérer, sans trop y croire.

Mais si nous n’avons pas obtenu de très gros avantages, je crains que nous ne puissions forcer le passage. Des tentatives qui coûtent quatre cuirassés ne peuvent se renouveler souvent, ceci est évident. Mais ce qui ne l’est pas moins, c’est qu’un recul des alliés serait un lourd échec matériel et moral.

Les forts turcs, construits par Brialmont, sont armés de pièces Krupp de 356, le commandement des forts et le service des pièces est entre les mains des Allemands, sous la haute direction de Van der Goltz et Liman Van Sander.

Lundi 22 Mars

- aux Dardanelles -

On suppose que le bombardement qui nous a coûté 3 cuirassés coulés a gravement avarié les forts entre Kiliet Bar et Tchanak.

Toujours pas de nouvelles du corps de débarquement. Il me semble que sans le concours à terre de forces très importantes, nous ne pourrons franchir les Dardanelles.  Le Henri IV et le Jauréguiberry vont remplacer le Gaulois et le Bouvet.

Egaux mais pas encore supérieurs

Les jours passent, avec quelle joie je saliverai la première nouvelle d’un véritable succès. Les affaires de Champagne ne sont pas nettes, on a beau prêter au minime terrain gagné une importance très grande, il ne me semble pas que la méthode d’écrasement par l’artillerie ait donné des résultats bien décisifs.

Quand donc verrons-nous éclater nettement notre supériorité ? Nous ne dominons pas encore. Les forces se neutralisent.

Nous sommes à un tournant de l’histoire, à un tournant du monde. L’avenir – Demain – Quels mots mystérieux. Nous voici à la fin de Mars. Sans doute Avril ne s’achèvera pas sans que les grands chocs aient commencé.

du Mardi 16 au Vendredi 26 Mars

En France des combats partiels à Notre Dame de Lorette, en Champagne, en Alsace.

- en Russie -

Les Russes font tête en Pologne et semblent même progresser un peu sur tout le front. Le 22 Mars Premsyl s’est rendu, affamé. La garnison était de 120 000 hommes. En plus du grand effet moral, ce grand succès met entre les mains des Russes un important nœud de voies ferrées et libère une armée d’au moins 150 000 hommes et un matériel considérable.

- aux Dardanelles -

Les opérations dans les Dardanelles sont suspendues par une tempête de N.E. On ne sait rien du corps de débarquement.

Bouvet

Le Bouvet a coulé par l’avant trois minutes après l’explosion de la torpille. L’état-major groupé autour du commandant Rageot de la Touche a salué une dernière fois le pavillon en criant « Vive la France » et le glorieux cuirassé a sombré entraînant plus de 600 victimes.

Sur le pont de tous nos vaisseaux on peut lire en grandes lettres d’or les deux mots « Honneur » « Patrie ». De tout temps, les marins de la France ont eu ces mots gravés dans le cœur.

Maintes fois, les Anglais, nos anciens ennemis séculaires ont vu comment nous savons vaincre ou mourir. Mais cette fois nous combattons à côté d’eux.

Les journaux nous disent « Sur le rivage, de nombreuses femmes grecques jettent des fleurs dans la mer et brûlent de l’encens, tout en versant des larmes sur les héros disparus ». C’est une vision de l’Iliade.

Zeppelin

Le 22 Mars, première nuit de printemps. Les Zeppelins ont lancé des bombes sur le nord et la banlieue de Paris. Signalés à Compiègne, ils ont trouvé Paris dans l’obscurité. Saisis à leur arrivée par les projecteurs de la tour Eiffel, du Mont Valérien… ils ont été violemment canonnés mais sans résultat apparent.

La nuit était sereine et magnifique, le ciel rayé par les faisceaux lumineux, le Zeppelins apparaissaient par moments environnés par l’éclatement des obus, de nombreux aéroplanes sillonnaient le ciel… tel est le spectacle fantasmagorique auquel ont assisté les parisiens. Par bonheur, il n’y a eu que neuf blessés.

Depuis, deux nouvelles alertes ont eu lieu mais aucun Zeppelin n’est arrivé jusqu’à Paris. Ces raids sont à coup sûr assez vexants. Mais leur résultat semble mince. Les Allemands se vantaient de pouvoir incendier Paris, nous n’y sommes pas. Le but militaire est inexistant ; c’est donc un simple exploit de bandit, à la lettre. Cela fait partie du système de terrorisation qui doit paraître donner la victoire à l’Allemagne.

Les Allemands savent préparer la guerre. Ceci est indiscutable, mais ce qui ne l’est pas moins c’est qu’ils sont de bien lamentables psychologues. A la dernière alerte, une foule de curieux s’est précipitée aux points où l’on pensait pouvoir bien jouir du spectacle. La déception a été générale quand on a su qu’ils avaient rebroussé chemin.

du Samedi 27 au Mercredi 31 Mars

- en France -

Calme.

- en Russie -

Les Russes semblent progresser dans les Carpates.

- aux Dardanelles -

Les Russes ont bombardé l’entrée au Bosphore et les forts des Dardanelles ont été bombardés à grande distance.