3 Juillet 1915

- en France -

Le temps exécrable empêche des opérations sérieuses. En Belgique, nous sommes solidement établis à St Georges. Dans la région de Perthes nous avons continué à attaquer et fait encore quelques légers progrès.

En Argonne, de très vifs combats – nous avons échoué dans une attaque sur Boureuille. Nous avons perdu des tranchées dans le bois de la Grusée, quelques-unes n’ont pu leur être reprises.

En Haute Alsace, nous avons pris Steinbach après un violent combat.

- en Russie -

Aucun changement en Pologne. Les Allemands passent à la défensive, ils ont retiré plusieurs corps d’armée du front de la Bzoura.

Les Russes occupent la Galicie et la Bucovine, des troupes franchissant les Carpates ont pénétré en Hongrie. 

Les Turcs ont été complètement battus à Ardagan, un corps d’armée a été fait prisonnier avec son état-major.

Cette complète victoire russe peut avoir un grand retentissement dans les Balkans.

- en Angleterre -

Le cuirassé « Formidable » a été coulé dans la Manche par un sous-marin. Les conditions de cet exploit sont étonnantes, sinon extraordinaires : il faisait très gros temps et le cuirassé a été frappé à 2 h du matin par nuit noire. Cette action des sous-marins allemands sera des plus redoutables quand le printemps ramènera les longs jours et le beau temps.

Discours à la Chambre des Communes

(Détermination anglaise)

« Jusqu’au dernier denier, jusqu’à la dernière goutte de sang »

(M. Asquith conclut ainsi)

« Par quoi l’humanité doit-elle être dirigée, le droit ou la force ? La prospérité, le luxe, l’existence facile et embellie par les arts, la littérature, peuvent s’acheter mais si le prix doit en être tout ce qui rend notre vie personnelle et nationale digne d’être vécue, nous refusons ce sacrifice : nous préférons lutter jusqu’à la fin, jusqu’à notre dernier farthing, jusqu’à la dernière once de notre force, jusqu’à la dernière goutte de notre sang »

Pensons toujours à nos soldats

Plus ou moins cruellement, toutes les familles, sans distinction de classe, sont frappées ; tous, nous avons nos deuils et saignons par les nôtres ; tous, ouvriers ou bourgeois, nous pâtissons dans nos intérêts, dans nos affaires, et notre travail périclite. Mais tous, riches ou pauvres, hommes trop vieux, hommes trop jeunes, et les femmes, les jeunes-filles, les enfants, nous tous qui sommes ici, vivants et debout, nous comptons parmi les moins à plaindre, par le seul fait de n’avoir été ni égorgés, ni mutilés, ni radicalement ruinés, comme tant d’autres.

En arrière des départements qu’on déchire et des héros qui se battent, nous sommes à l’abri, nous mangeons, nous dormons. Mais par ce fait aussi nous avons notre devoir de guerre, un catéchisme de vertus civiques, et il a trouvé sa formule dans cette belle parole de Lavisse : « Toute souffrance non endurée est une dette contractée envers ceux qui souffrent. »

Débiteurs, oui certes nous le sommes, débiteurs de la vie, débiteurs de nos biens, débiteurs de notre indépendance matérielle et morale, du droit de penser, du droit de parler, débiteurs de l’espoir que nous mettons dans l’avenir, et même débiteurs de notre passé qu’on nous laisse par la grâce de ceux qui luttent, nos enfants, nos frères, nos maris, de tous les rangs, qui se tutoient, rient, meurent et chantent ensemble, là-bas sous la mitraille.

Plus rien n’est à nous que par eux. Nos maisons ne restent debout que parce qu’ils gîtent dans les fossés. L’air que nous respirons est leur œuvre, notre sommeil est payé de leur insomnie, et notre chair n’est faite que de leur sang qui coule. Pensons-y à tous les instants ; comprenons-le de tout notre cœur et de tout notre esprit ; pénétrons-nous de cette solidarité auguste dont ils nous offrent le modèle, et demandons-nous avec ferveur : « Comment vais-je payer ma dette ? ».

Discours de M. Sarraut

(à la distribution des prix du lycée Louis le Grand)

 « Je suis sur d’être entendu ici, si je souhaite que nous fassions ensemble le serment sacré de ne consentir aucune hésitation, aucun doute, aucun fléchissement jusqu’à la victoire finale. Non, il n’est pas possible que les mères aient donné leurs enfants, que les hommes aient versés jusqu’à la dernière goutte de leur sang, que la patrie ait décuplé ses forces, que tant d’autres nations aient joint à nos armes leurs armes valeureuses, pour que cet effort, le plus grand qu’ait connu le monde, ne soit pas couronné par le triomphe éternel de l’humanité sur la barbarie. O morts de la Marne et de l’Yser, morts des Vosges et des Eparges, morts de l’Alsace et des Dardanelles, nous ne vous trahiront pas en laissant votre œuvre inachevée. La jeunesse française le jure, la main tendue sur ces milliers de tertres que font vos tombeaux sacrés à travers les campagnes de France, sur ces tombeaux qui sont pour elle les autels de la Patrie. »

(coupures de journaux)

du 5 au 14 Juillet

- en France -

Nous avons réussi un brillant coup de main en Lorraine et la Fontenelle (881 prisonniers)

Nous avons repoussé ces attaques violentes au nord d’Arras, en Argonne et au sud-est de St Mihiel. Toutefois nous avons perdu le cimetière de Souchez et en Argonne et Hoevre avons cédé quelques tranchées détruites par l’artillerie lourde. L’initiative des opérations a été aux Allemands.

- en Russie -

Entre la Vistule et le Berg, les Russes ont victorieusement arrêté l’offensive austro-allemande à 30 km environ de la voie ferrée Lublin – Cholm.

C’est un succès très important. On ne sait si les Russes pourront se maintenir sur leurs positions actuelles ou s’ils se replieront derrière le Bug. Mais la vitalité et la puissance de l’armée russe paraissent demeurer entières.

- aux Dardanelles -

Le jeune et glorieux général Gouraud a été gravement blessé. On a du l’amputer du bras droit.

14 Juillet

Poincaré prononce un discours où il affirme avec la plus grande force la résolution des alliés de pousser la guerre jusqu’à l’effondrement de la puissance allemande. L’intérêt de l’Allemagne est évidemment d’agir vite ; on doit s’attendre de sa part à de violents efforts pour arracher la victoire. Ils auront lieu sur terre et je crois sur mer Il est impossible que la puissante flotte allemande ne prépare quelque coup d’audace. Il semble aussi que de part et d’autre on construit de puissants aéroplanes.

« Chacun de nous, Messieurs, peut en toute sérénité ranimer ses souvenirs et interroger sa conscience. A aucun moment, nous n’avons négliger de prononcer le mot ou de faire le geste qui aurait pu dissiper les menaces de guerre, si un fol attentat contre la paix européenne n’avait été, depuis longtemps, voulu et préparé par des ennemis implacables. Nous avons été les victimes innocentes de l’agression la plus brutale et la plus savamment préméditée.

« Mais, puisqu’on nous a contraint à sortir l’épée, nous n’avons pas le droit, Messieurs, de la remettre au fourreau avant le jour où nous aurons vengé nos morts et où la victoire commune des alliés nous permettra de réparer nos ruines, de refaire la France et de nous préparer efficacement contre le retour périodique des provocations.

« De quoi demain sera-t-il fait, s’il était possible qu’une paix boiteuse vint jamais s’asseoir, essoufflée, sur les décombres de nos villes détruites ? Un nouveau traité draconien serait aussitôt imposé à notre lassitude et nous tomberions, pour toujours, dans la vassalité politique, morale et économique de nos ennemis. Industriels, cultivateurs, ouvriers français seraient à la merci de rivaux triomphants et la France humiliée s’affaisserait dans le découragement et dans le mépris d’elle-même.

« Qui donc pourrait s’attarder à de telles visions ? Qui donc oserait faire cette injure au bon sens public et à la clairvoyance nationale ? Il n’est pas un seul de nos soldats, il n’est pas un seul citoyen, il n’est pas une seule femme de France qui ne comprenne clairement que tout l’avenir de notre race, et non seulement son honneur, mais son existence même, sont suspendues aux lourdes minutes de cette guerre inexorable. Nous avons la volonté de vaincre. Nous avons la confiance en notre force et en celle de nos alliés, comme nous avons confiance en notre droit.

« Non, non, que nos ennemis ne s’y trompent pas ! Ce n’est pas pour signer une paix précaire, trêve inquiète et fugitive entre une guerre écourtée et une guerre plus terrible, ce n’est pas pour rester exposés demain à de nouvelles attaques et à des périls mortels que la France s’est levée tout entière, frémissante, aux mâles accents de la Marseillaise.

« Ce n’est pas pour préparer l’abdication du pays que toutes les générations rapprochées ont formé une armée de héros, que tant d’actions d’éclat sont, tous les jours, accomplies, que tant de familles portent des deuils glorieux et font stoïquement à la patrie le sacrifice de leurs plus chères affections. Ce n’est pas pour vivre dans l’abaissement et pour mourir bientôt dans les remords que le peuple français a déjà contenu la formidable ruée de l’Allemagne, qu’il a rejeté de la Marne sur l’Yser l’aile droite de l’ennemi maîtrisé, qu’il a réalisé depuis près d’un an, tant de prodiges, de grandeur et de beauté.

« Mais ne nous lassons pas, Messieurs, de le répéter : la victoire finale sera le prix de la force morale et de la persévérance.

« Employons tout ce que nous pouvons avoir de calme, de vigueur et de fermeté à maintenir étroitement da,ns le pays l’union de toutes les provinces, de toutes les classes et de tous les partis, à protéger attentivement l’opinion contre l’invasion sournoise de nouvelles perfides, à fortifier sans cesse l’action gouvernementale et l’harmonie nécessaire des pouvoirs publics, à concentrer sur un objet unique toutes les ressources de l’Etat et toutes les bonnes volontés privées, à développer sans relâche notre matériel de guerre et nos moyens de résistance, à ramasser, en un mot, la totalité des énergies nationales dans une seul pensée et dans une même résolution : la guerre poussée, si longue qu’elle puisse être, jusqu’à la défaite définitive de l’ennemi et jusqu’à l’évanouissement du cauchemar que la mégalomanie allemande fait peser sur l’Europe.

« Déjà le jour de gloire que célèbre la Marseillaise a illuminé l’horizon ; déjà, en quelques mois, le peuple a enrichi nos annales d’une multitude d’exploits merveilleux et de récits épiques. Ce n’est pas en vain que se seront levées en masse, de tous les points de France, ces admirables vertus populaires. Laissons-les, Messieurs, laissons-les achever leur œuvre sainte : elles frayent le chemin à la victoire et à la justice. »

(coupure de journal)

Très beau et réconfortant discours. Pour le succès final, il faut une victoire française.

De plus les bureaux d’inventions de guerre fonctionnent chez tous les belligérants. On peut s’attendre, si la guerre dure, à voir paraître d’effroyables machines dans tous les éléments. C’est tout à fait charmant. Le but suprême, l’idéal poursuivi est l’invention d’un moyen de détruire d’un seul coup le plus d’hommes possible.

L’Europe peut être fière du Progrès, de la Science et de la Civilisation de ses habitants.

Nous récoltons les fruits de l’erreur pacifiste. Le proverbe latin : « Si vis pacem, para bellum », demeurera autant que le monde. Tout le reste est boniment.

du 15 au 18 Juillet

- en France -

Calme relatif. Des combats en Argonne et sur les Hauts de Meuse sur des fronts peu étendus.

- en Russie -

C’est l’attaque générale et à fond de toute la ligne russe. Les Austro-Allemands attaquent avec huit armées évaluées chacune à sic corps d’armées.

Machensen dirige l’assaut vers le Nord entre la Vestule et le Bug. Les Russes tiennent bon au sud de la ligne Ivangorod – Lublin – Cholm.

Hindenburg dirige l’assaut vers le Sud contre les lignes de la Narew. Là les Russes ont reculé vers la Narew. Toute la région de Varsovie – Ivangorod – Brest Litovsk est menacée par les deux branches d’une immense tenaille. Il est certain que les Russes n’engageront la lutte à fond que si la victoire leur semble sûre. Si non, ils se replieront mais ce serait tout au moins une cruelle défaite morale que l’abandon de Varsovie.

Mais il est clair que l’essentiel est le sort de l’armée russe. Là est la force de la Russie, tout son espoir de vaincre. Inutile de souligner l’extrême importance des opérations russes actuelles. Une victoire russe nous permettraient d’espérer sérieusement la fin de la guerre en 1915.

Un recul sur le Bug reculerait la solution de quelques six mois peut-être. Une grande défaite russe serait pour les alliés un très grave événement. Car il est évident que la puissante coopération russe nous est indispensable pour réduire l’Allemagne.

- en Italie -

Rien de nouveau. Les communiqués italiens sont ultra laconiques. J’espère qu’ils progressent aussi sano que piano.

- aux Dardanelles -

Rien de nouveau. On annonce comme d’habitude que le plus grand désordre règne à Constantinople et que les Turcs manquent de munitions. C’est à souhaiter car sans une aide de ce genre je crains fort que l’expédition des Dardanelles ne soit un four. Ou bien il faudrait trouver quelque moyen de tourner les défensives turques. Dans quelques mois, quand la mauvaise saison sera revenue, le ravitaillement de nos troupes deviendra un problème des plus ardus.

19-20 Juillet

Notre installation à St Sauveur, villa St Jean.

du 21 au 26 Juillet

- en France -

Calme. Un coup de main heureux au Ban de Sept nous donne quelques tranchées et 800 prisonniers.

- en Russie -

La grande offensive austro-allemande se poursuit. Partout les Russes luttent avec opiniâtreté, mais ils reculent devant les attaques en masse austro-boches. Ceux-ci ont atteint la ligne Lublin – Cholm, ils sont devant Ivéangorod et Novo Georgiek. Ils ont franchi la Narew en Poulstuk et Ostrolonka. Il est clair que non seulement Varsovie est menacée, mais encore l’armée russe contre laquelle la grande manœuvre d’enveloppement se dessine de plus en plus.

notre impuissance

Pendant que ,nos braves alliés se battent avec acharnement, nous sommes impuissants contre les lignes boches. Elles sont pourtant défendues par un minimum de baïonnettes. Mais Marcel Hutin nous annonce qu’elles sont appuyées par 96000 mitrailleuses. Les Russes luttent pied à pied et contre attaquent sans cesse. Ils perdront peut-être Varsovie mais à coup sûr ils sauveront leur armée et c’est là l’essentiel.

du 26 Juillet au 2 Août

Calme.

- en Russie -

Après une résistance opiniâtre, les Russes ont commencé leur mouvement général de retraite. Les Allemands ont forcé les lignes de la Narow, forcé aussi le passage de la Vistule entre Varsovie et Ivangorod. Ils ont coupé la ligne Lublin – Cholm. Il semble certain qu’il y aurait grave danger pour les Russes à prolonger leur résistance. Déjà leur retraite en face des puissantes armées boches s’annonce difficile. Où va s’arrêter le recul russe ? Sans doute sur la ligne du Niémen moyen et du Bug jalonnée par les places fortes de Kovno, Grodno, Brest-Litovsk.

Quel sera le sort d’Ivangorod et de Novo Georgiek ?

La défaite des Russe est pénible, l’armée russe échappera j’espère à l’étreinte allemande mais quelle grande victoire morale allemande ! Et il serait chimérique de croire que des retraites de cette envergure peuvent s’effectuer sans de graves pertes en matériel et en hommes.

Les Allemands vont-ils poursuivre l’armée russe ou bien vont-ils se retourner contre nous ?

Je crois qu’il faut s’attendre sur notre front à subir une ou deux poussées formidables. Quel sera leur objectif ? Il y en a deux qui doivent les séduire, c’est Calais et Paris. Leurs attaques seront précédées de concentrations d’artillerie qui déchaîneront des pluies de feu.

Mais malgré tout j’ai confiance car l’entente des alliés semble parfaite ainsi que leur détermination de lutter jusqu’au bout.

Certes les coups du colosse allemand sont formidables et il en portera d’autres encore ; mais ses veines sont ouvertes et il s’épuise. Il succombera puisque nous restons unis et déterminés. Hier encore le président de la Doume a affirmé l’union du tsar et des Russes et leur inébranlable certitude de vaincre.

- en Italie -

Ils avancent à l’est de Montfalcone et menacent Goritz.

Joffre a décidé d’accorder quelques jours de permission à tous les militaires qui sont au front depuis 6 mois.

Jean arrive à Grandville et vient au Lude en auto le jeudi 29 pour 48 heures. Heures bien bonnes, bien douces mais vraiment un peu angoissantes, car comment ne pas songer à l’épée de Damoclès.

du 3 au 7 Août

- en France -

Combat en Alsace et en Argonne.

- en Russie -

Prise de Varsovie, d’Ivangorod et Novo Georgiesk. Je notais le 3 juillet que la prise de Varsovie était à craindre, c’est hélas un fait accompli.

Le cours entier de la Vistule et la basse Narew sont entièrement entre les mains des Allemands.

Plus au nord la chute de Riga et de Kovno semble très proche. Les Allemands sont en force devant Kovno.

La situation des Russes n’est pas brillante !…

Après la belle séance inaugurale de la Douma, voici de fâcheux évènements : la Douma vote la mise en accusation de l’ex ministre de la guerre et de ses complices !…

Que vont faire les Boches, il semble hélas que les Russes manquent non seulement de munitions mais encore de canons et de fusils.

Mais je mets mon espoir dans cette conviction que l’Allemagne est trop épuisé pour pouvoir maintenir son colossal effort.

Eugène Ameline

Nous avions appris vers le 15 Juillet que ce brave Eugène était blessé, le brave garçon disait blessure légère pour ne pas inquiéter sa sœur. En réalité nous apprenons qu’il a le bras brisé, deux plaies profondes à la cuisse gauche et une autre à la cheville droite. Il est à Bourges, son état est très sérieux.

Jean

Le 10ème corps a quitté la région d’Arras laissant la place aux Anglais. Il va aller semble-t-il en Alsace.

Pertes en vies humaines sur le terrain

1er Juin 1915

Prisonniers

Morts

Blessés

Totaux

Angleterre

19 000

130 000

200 000

349 000

France

180 000

450 000

666000

1306 000

Russie

350 000

1 350 000

1 680 000

3 380 000

Belgique

15 000

44 000

49 000

108 000

Total

5 143 000

Allemagne

490 000

1 635 000

1 880 000

4 006 000

Autriche

310 000

1 710 000

1 825 000

4 895 000

Turquie

95 000

110 000

140 000

345 000

Total

8 746 000

Total

1 959 000

5 440 000

6 940 000

13 889 000

soit

13 789 000

Vendredi 13 Août

Nous partons pour Néris le soir. Dans l’après-midi nous avons la visite de Touquédec.

Eugène Ameline

Louise, sa sœur, appelée par dépêche, part le Jeudi 12 et arrive à Bourges le lendemain à 12 heures 30. Elle trouve le pauvre Eugène à la dernière extrémité…

Je passe à Bourges le samedi à 12 heures 30. Louise est à la gare et nous accueille avec ces mots déchirants : « Il va mourir Madame, il va mourir ». Hélas, elle disait vrai, à 2 heures il était mort.

Quel brave garçon ! Quel cœur d’or dans cette écorce rude ! Son souci de cacher la gravité de sa blessure pour ne pas faire de la peine est touchant à en pleurer.

Il a avoué combien il avait souffert en Argonne.

Pauvre victime de la guerre. Il n’avait certes ni l’extérieur, ni l’âme militaire. Et cependant il a obéi et rempli absolument tous ses devoirs de bon soldat français jusqu’au sacrifice suprême ; et cela sans jamais une plainte ou un murmure.

du 8 au 20 Août

- en France -

Combats en Alsace et en Argonne.

En Argonne, l’armée du Kronprinz continue ses attaques et gagne peu à peu du terrain se rapprochant de la voie ferrée Ste Menehould – Verdun. Son système d’attaque est toujours le même. Enorme concentration d’artillerie qui détruit nos tranchées, ensuite attaque d’infanterie pendant que l’artillerie allongeant son tir crée des barrages et rend presque impossible l’approche de nos renforts.

- en Russie -

La retraite russe se poursuite et l’armée russe doit avoir atteint la ligne Riga, Kovno – Balastok – Brest Litovsk  et la ligne du Bug.

Au nord de Kovno, les Russes ont arrêté la poussée boche, mais la chute de Kovno semble imminente. Plus au sud, la ligne du Bug est forcée à hauteur de Kovel. Dans ces conditions il est évident que la gigantesque offensive allemande n’est pas enrayée. Les Russes ont échappé à l’encerclement et leur retraite est très belle, mais l’avenir reste sombre de ce côté. La perte de Kovno est grave pour nos alliés. Jusqu’où seront-ils obligés de reculer ?…

- en Italie -

Aucun progrès sensible des Italiens.

- aux Dardanelles -

Nous avons débarqué sur d’autres points de Gallipoli. Ceci me semble parfait, il semble très indiqué de tourner la ligne Krithea – Achi Bolna. Mais je m’inquiète de ne lire aucune dépêche précise sur ce nouvel effort.

Un sous-marin a coulé un transport de troupes anglais : 1000 victimes.

- aux Balkans -

La Quadruple Entente a demandé à la Serbie et à la Galicie s’ils consentiraient à des concessions de territoire à la Bulgarie.

Leur acceptation permettrait la reconstitution du bloc balkanique. Ce serait un coup fatal pour la Turquie et pour l’Autriche. C’est dire son immense importance. Mais pour décider les Balkaniques, il faudrait des succès aux Dardanelles et en Russie.

situation grave

Nous ne pouvons pas nous rendre un compte exact des opérations en Russie. On ne peut que constater, d’après ce qu’on veut bien nous dire, que les Russes subissent de très graves revers. Les Anglais reconnaissent toute la gravité de la situation créée par les défaites russes. En France nous ne sommes probablement pas capables de regarder en face les réalités désagréables. La presse française affecte la plus complète indifférence devant le recul russe. Varsovie est prise – Parfait.

Ivangorov – Kovno – Aucune importance. Les Russes se retirent sur leurs lignes de défense du Niémen et du Bug.

Mais voici ces lignes presque tournées. Tant mieux nous dit-on. Les Russes attirent l’armée allemande vers l’immensité des steppes ! Le désastre allemand n’en sera que plus grand.

Tout cela est vraiment stupide. Certes la situation n’est pas désespérée. Mais de nombreuses et puissantes armées serrent les Russes de tout près. Hélas ! on peut certes tout espérer, mais est-il exagéré de dire que l’on peut tout craindre, je ne le crois pas.

Le Parlement

Les ignobles séances se poursuivent. Elles équivalent à des défaites françaises. Jamais les émanations du fumier parlementaire n’ont été plus infectes. Toutes les incompétences, tous ceux qui avant la guerre niaient la guerre, ceux qui ont fait campagne contre l’armée : le grand état major - la loi de 3 ans, ceux qui n’ont rien prévu, qui niaient le péril allemand… attaquent dur Millerand, l’homme de cœur et de volonté qui en union étroite avec Joffre travaille depuis un an à réparer le mal fait par ceux-là qui l’attaquent aujourd’hui.

Oh ! les misérables !

22 Août

Les nouvelles russes demeurent très graves. La rapidité de leur recul s’accentue. Est-ce là toujours la retraite stratégique ? Une nouvelle tenaille se forme. La fameuse ligne Niémen – Bug est enfoncée. Que va-t-il se passer ? Les Russes auront-ils leur victoire de la Marne ? Il va y avoir un an que nous n’avions pas eu d’attente aussi angoissante.

L’Italie déclare la guerre à la Turquie

(ceci est excellent)

Début du discours de Bethman Holbug

« De grands évènements se sont produits depuis que la Chambre s’est séparée. Toutes les tentatives des Français, en dépit de leur mépris de la mort, n’ont eu aucun succès pour percer notre front ; elles ont échoué devant la résistance inébranlable de nos vaillantes troupes.

« L’Italie, qui pensait s’emparer aisément du bien d’autrui qu’elle convoitait, a été jusqu’à présent brillamment repoussé malgré la supériorité numérique et les grands sacrifices de vie qu’elle fait.

« Aux Dardanelles, l’armée turque oppose à l’ennemi une résistance invincible.

« Quant à nous, nous avons pris l’offensive, nous avons battu et refoulé l’ennemi ; nous avons, avec nos alliés, délivré des Russes presque toute la Galicie, la Pologne, la Lituanie et la Courlande. Ivangorod, Varsovie, Kovno sont tombés entre nos mains. Bien avant dans l’intérieur ennemi, nos lignes présentent partout un mur impénétrable. Nous disposons de puissantes armées, prêtes à porter de nouveaux coups. Pleins de confiance dans nos glorieuses troupes, nous envisageons l’avenir avec fierté et sans aucune crainte.

« Notre germanophilie consiste dans la crainte que la défaite de l’Allemagne n’entraîne une éclipse des idées d’organisation et de discipline sociales, qui sont la base de tout progrès fécond, et dont la disparition, selon toute probabilité, favoriserait la révolution. »

(coupure de journal)

Le Reichstadt a voté un emprunt de dix milliards. On ne peut nier l’exactitude des  faits ci-dessus. Il n’y a pas un mot qui ne soit exact. Ainsi après douze mois de guerre, chaque belligérant conserve sa confiance absolue dans le succès final. Combien l’avenir est mystérieux.

Un tel cataclysme ne peut manquer d’avoir en toutes choses de profondes répercussions…

Espagne

Un grand journal catholique espagnol explique les causes de sa germanophilie. Peut-on traiter d’absurde cette manière de voir ? Ce n’est certes pas l’attitude actuelle de nos pantins parlementaires qui peut inspirer confiance dans notre principe de gouvernement.

Réflexions d'un soldat

(cité par GB de l’Echo de Paris)

Les hommes. Il parle d’abord de l’armée composée (pour la première fois) de la totalité des hommes de 18 à 48 ans en état de porter les armes. Il n’y a pas qu’un type de poilu, mais une innombrable variété. Leur qualité morale est des plus variée. Il y a ceux qui sont braves naturellement, ceux qui le sont par volonté, … les froussards qui ne peuvent pas, qui s’évanouissent, qui ont la diarrhée, les abrutis, les paysans et tous ceux, en grand nombre, qui ne saisissent pas grand chose à cette ruineuse aventure où se joue leur vie… les meneurs en petit nombre, les menés qui sont la foule.

Les chefs. Il parle ensuite des chefs :

« Le véritable chef connaît toutes ces nuances ; il sait qu’il commande des hommes, que ce ne sont pas tous des héros, mais que le but est là, qu’il faut l’atteindre, qu’il est nécessaire de tirer parti de son personnel. A lui de voir par quel moyen il obtiendra le résultat cherché comme si c’était la plus belle troupe du monde.

«  Pas d’illusions ici : s’ils sont braves, on peut marcher à côté d’eux ou légèrement en arrière ; si c’est un mélange peu homogène, l’exemple des officiers et l’énergie des serre files fera avancer le tout ; si ce sont tous des trembleurs, un petit discours bien senti et la vue d’un revolver chargé leur feront comprendre qu’il n’y a pas à traîner ou à rester en arrière. Au total c’est le moral qui compte et le chef énergique impose sa volonté.

Et ici l’auteur arrive à la conclusion naturelle et profonde de son essai psychologique. Je cite son texte, qui incite à la réflexion.

Voici en effet le grand partage : d’un côté les chefs, de l’autre la masse.

« Plus je fais la guerre, et plus je deviens aristocrate. N’entendez point par là que je méprise le peuple et nos soldats. Presque tous nos hommes sont de bons enfants. Mais des enfants seulement et sans guides ils ne sont rien.

« Voyez-les dès que les chefs manquent : si quelque individu énergique ne s’improvise pas aussitôt leur conducteur et leur maître, c’est fini, ils s’en vont, ils quittent le champ de bataille : "Le lieutenant a été tué, les sergents étaient blessés, alors on ne savait plus quoi faire, on est parti". Combien de fois l’ai-je entendu cette phrase typique. Et que leur retraite eut de l’importance ou n’en eut point, voilà bien le dernier de leur souci. Pour eux le désastre a été consommé au moment où leurs chefs ont été mis hors de combat ; le reste ne compte plus.

« Ce sont de drôles de gens. Vous les reprenez, vous leur faite la morale. Au besoin vous leur videz sur la tête une potée d’injures. Ils acceptent tout. Vous leur donnez un nouveau chef ; ils repartent placidement sous les obus, les balles, à la mort. Ils sont contents. Ils ont un guide.

« L’armée est une grande machine : elle prend des êtres amorphes, elle les pétrit, elle les encadre et les voilà transformés en héros, en fous furieux, en statues de bronze, en terrassiers, charpentiers, coltineurs, en chevaux de trait… Mais la guerre ne compte que comme matière : c’est par la volonté organisatrice des chefs qu’elle prend sa valeur totale, sa forme nécessaire.

Toutes ces dernières remarques sont extrêmement lucides. M. Georges Pierredon vit au milieu des combattants. Il nous dit : « Tous ces hommes, pris dans toutes les classes de la société, ne sont pas des héros. Cela nous blesse un peu, bien que ce soit l’évidence. Et il dit encore : « Plus je fais la guerre, plus je deviens aristocrate. » et il conclut à la nécessité absolue des chefs, d’une volonté organisatrice.

La logique commande de prolonger les conclusions de M. Pierredon. Tous ces hommes, qui savent à peine se conduire dans la vie militaire, sont-ils mieux armés dans la vie civile ? N’ont-ils pas besoin dès lors pour les diriger de cette volonté organisatrice, de ce chef que M. Pierredon estime indispensable dans la conduite de la guerre ?

(coupure de journal)

Quant au commentaire qui termine cette citation, combien j’y souscris pleinement.

Pour défendre la souveraineté du peuple, il faut être idiot ou en vivre.

du 20 au 28 Août

- en France -

Escarmouches sur tout le front.

- en Russie -

Les Russes abandonnent les lignes Niémen, Bug, ils ont évacué Ossavetz et Brest Litovsk . Ils continuent leur recul vers l’est serrés de près par les armées austro-allemandes. Il semble bien que ce recul est ordonné, méthodique. Les Russes ont remporté un succès naval dans le golfe de Riga, un sous-marin anglais a torpillé (coulé ?) le grand croiseur Moltke, 2 croiseurs légers et 8 contre torpilleurs ont été avariés ou coulés. Une tentative allemande de débarquement a été repoussée.

Les forces navales boches ne peuvent appuyer l’action des armées allemandes. C’est important.

Mais, malgré ce succès, il est clair que nos pauvres alliés manquent de canons et de munitions. Ils sont refoulés et poursuivis avec une vigueur sans pareil. La situation sur le front oriental reste grave et angoissante.

- en Italie -

Rien de nouveau.

- aux Balkans -

Malgré le renforcement du corps expéditionnaire anglo-français, il ne semble pas que nous gagnons du terrain. Souhaitons que des forces italiennes, débarquant sur la côte d’Asie, nous assure enfin le succès.

La situation dans les Balkans est incompréhensible. La Bulgarie reste dominée par une haine féroce contre la Serbie et la Grèce. Elle ravitaille la Turquie en toutes choses en cachant son jeu d’ailleurs.

Par crainte de la Bulgarie, la Roumanie et la Grèce restent dans l’indécision.

Il nous faudrait une victoire russe ou surtout une victoire aux Dardanelles. Nous ne pouvons qu’espérer ardemment l’une ou l’autre, mais ni le passé ni le présent ne nous permettent de les attendre à bref délai.

du 29 au 31 Août

Paule me laisse à Néris le lundi 30 août.

Notre artillerie se montre active sur tout le front. Est-ce la prélude d’une action. Combien il est triste et inquiétant que nous ne puissions rien tenter pendant que le colosse allemand tien à la gorge notre pauvre allié russe.

l’avenir

Que nous réserve-t-il ? Dans combien d’années le calme complet reviendra-t-il en Europe ??

Après un an de guerre, l’espoir et même la certitude de la victoire demeurent entiers dans les deux camps.

Une paix boiteuse semble impossible. Il y aura un vainqueur et un vaincu. Les vaincus seront ruinés et il n’est pas douteux que leur désastre sera parachevé par de graves troubles intérieurs.

La victoire des alliés semble certaine, mais elle est subordonnée à une union parfaite et à l’utilisation de toutes leurs forces. L’Allemagne tire son incroyable puissance de son unité et de son organisation. Et peut-être avant tout du cerveau qui a tout préparé et exécuté.

Il y a lieu de croire que malgré ses graves défaites, l’armée russe reste une force vivante, c’est l’essentiel.

La défaite de la France amènerait fatalement le renversement du gouvernement. Mais elle sera victorieuse et je suis convaincu que la victoire sera suivie tout au moins de la chute du parti qui détient le pouvoir. La responsabilité des socialistes et des radicaux est trop évidente, même la foule aveugle l’aperçoit. On apprend la sagesse dans la douleur.

l’homme des tranchées

Les hommes de France, après un an ou deux de tranchées, en sortiront des hommes différents de ce qu’ils étaient et certainement améliorés. Si nos catholiques libéraux savent vouloir et agir, ils balaieront facilement l’infâme clique qui siège au Parlement. Mais ces libéraux trembleurs sauront-ils manier le balai, ils ont tellement pris l’habitude de présenter leurs postérieurs aux coups de botte.

la puissance anglaise

La guerre semble devenir nationale en Angleterre.

Inutile de souligner l’immense importance du concours anglais. Il y a là une incalculable réserve de puissance ; cette puissance s’organise pour la guerre continentale, elle donnera son effort maximum quand les Boches à bout de souffle n’auront plus de réserves. De plus je compte sur l’inflexible Angleterre pour maintenir l’inébranlable résolution des alliés.

usure d’hommes

Quelle effroyable guerre. On ne peut plus espérer sérieusement user matériellement l’Allemagne. Il n’y a plus que l’horrible usure d’hommes. Il faut pour dompter cette hydre lui tuer encore quelques millions d’hommes alors, à bout de sang, elle cèdera.

du 1er au 9 Septembre

- en France -

On signale ce matin que nous avons repoussé une violente attaque à l’ouest de l’Argonne. C’est le secteur où Jean doit être.

Violentes actions d’artillerie surtout région d’Arras et en Champagne.

Nos escadrilles d’avions sont de plus en plus actives.

Aucune attaque d’infanterie de notre part.

- en Russie -

Les Russes tiennent toujours Riga et Vilna mais plus au sud ils reculent devant l’offensive allemande à l’est de  Lemberg vers Ternopol. Les nouvelles russes sont embrouillées. Mais il semble cependant que l’offensive boche diminue d’intensité, ils groupent des forces nombreuses en Galicie. Il y a certainement des troubles intérieurs en Russie, mais nous e, ignorons le sens et la portée. Le grand duc semble être en disgrâce, il est nommé vice-roi du Caucase. Le tsar assume le commandement suprême des armées.

- en Italie -

Rien de nouveau. Les Italiens semblent se heurter à des défenses formidables contre lesquelles ils sont impuissants, au moins pour le moment.

- aux Balkans -

Suite des négociations de plus en plus inextricables.

attente

Il semble que le calme actuel du front n’est que le calme précurseur de la tempête. Nous savons notamment qu’en Champagne, région de Suippes, il se fait en ce moment une grande concentration de troupes, d’artillerie et de munitions. J’ai appris avec plaisir la présence à cet endroit de très nombreuses batteries lourdes.

Les alliés se préparent. Il le faut. On répète : « Le temps est pour les alliés » C’est exact seulement si les alliés agissent.

Nous avons proclamé contre bande de guerre le coton et les matières grasses. Il paraît insensé que les alliés aient tant attendu pour prendre cette décision. Jusqu’ici notre blocus a été fictif, il fallait ménager les neutres. Il semble que l’on va cesser de s’occuper de leurs intérêts.

sous-marins

Trois bâtiments français viennent d’être torpillés à la hauteur de Bordeaux, de la Rochelle et de Belle-Isle. Il s’agit certainement de sous-marins récents et de très grandes dimensions.

Trois autres ont été coulés, l’un sur les côtes d’Espagne et deux français en Méditerranée devant Oran et Mostaganem.

Cette extension de la guerre sous-marine témoigne des grands perfectionnements apportés par les Allemands à leurs sous-marins. Voilà le corsaire sous-marin qui apparaît. Peut-être poussera-t-on le tonnage de ces bâtiments jusqu’à 1500 ou 2000 tonnes en surface. Ils pourront atteindre 25 nœuds et porter plusieurs pièces de 100. Avec un grand rayon d’action et une meilleure habitabilité de tels croiseurs sous-marins seraient très redoutables.

Mais la mauvaise saison approche et va rendre difficile sinon impossible les croisières sous-marines à grande distance.

Si la guerre dure encore au printemps 1917, il faudra sans doute compter avec un grand nombre de ces pirates.

Il semble que l’action des sous-marins dans les eaux anglaises et dans le Pas de Calais est devenue presque impossible ; 40 sous-marins boches auraient été coulés.

C’est sans doute pour cette raison que l’Allemagne porte la guerre sous-marine dans l’Atlantique et dans la Méditerranée.

12 Septembre

Furieuses canonnades de part et d’autres sur de nombreux points du front. Les Russes ont remporté de très sérieux succès sur le Soretk. L’offensive allemande contre les Russes diminue certainement d’intensité. Que va faire l’Allemagne ? On en sait absolument rien. A mon humble avis elle va nous attaquer et transporte en ce moment vers nous quelques douzaines de corps d’armée et surtout un immense et redoutable matériel d’artillerie. Leur offensive devancera la nôtre si nous tardons.

J’ai la hantise d’effroyables batailles, l’intérêt évident de l’Allemagne et de l’Autriche est de chercher à tout prix la décision le plus tôt possible et avant l’hiver.

Etre ou ne pas être ; tel est l’enjeu.

Nous ne savons rien ou presque rien de ce qui se passe en Orient. La décision du tsar de prendre le commandement suprême indique certainement de graves évènements intérieurs dont nous ignorons tout. Il est évident aussi que nous ne savons rien de ce qui se passe dans les Balkans.

mensonge

Dans le grande guerre le mensonge aura joué un rôle important chez tous les belligérants. Mentir est un art. On comprend combien il est difficile de se faire une idée exacte de la situation réelle…

du 13 au 20 Septembre

- en France -

Intenses bombardements de part et d’autres. Il semble qu’une offensive de notre part est imminente.

lassitude

Il semble hélas de plus en plus certain (comment s’en étonner !) qu’une lassitude extrême commence à se manifester sur le front. Assurément cette fatigue morale et physique n’est pas générale, elle existe surtout parmi les régiments qui, malgré leurs efforts, ont toujours vu échouer leurs offensives dans de sanglantes hécatombes. On a peut-être parfois abusé du moral de nos soldats en ordonnant des attaques insuffisamment préparées par l’artillerie lourde.

L’esprit d’offensive de l’ensemble de l’armée me semble affaibli. C’est un symptôme sérieux. Il semble bien important d’en tenir compte, car si notre prochaine offensive est brisée il deviendra peut-être difficile de faire sortir nos soldats des tranchées car ils perdront toute confiance dans la possibilité de l’offensive.

Il semble aussi que les nerfs sont ébranlés par les intenses canonnades de ces dernières semaines. Même dans les lignes de l’arrière, tout repos est devenu impossible. Je crois qu’on pet sérieusement admettre que le cataclysme va atteindre un tel degré d’intensité et d’horreur que sa fin est plus proche qu’on ne le croit. Tout est mystère dans l’avenir.

Les dépenses de la guerre dépassent maintenant deux milliard par mois pour la France et trois milliards pour l’Angleterre.

- en Russie -

Les Russes ont remporté en Galicie à Ternopol et sur le South des succès sérieux et répétés. Mais au nord les Allemands ont pris une foudroyante offensive au nord de Vilna précédés par une masse énorme de cavalerie soutenue par l’infanterie et l’artillerie sur autos. Ils ont pris Vilna et le front russe semble absolument coupé à l’est de Vilna. D’importantes forces russes sont sérieusement menacées d’encerclement. Un nouveau recul russe très important est  prévoir.

Les Allemands ont occupé Pinsk.

- en Italie -

Le front italien semble aussi immuable que le nôtre.

- aux Balkans -

Plus inextricable que jamais.

- aux Dardanelles -

Nous occupons un front beaucoup plus étendu, mais voilà la mauvaise saison qui approche et malgré les plus magnifiques et héroïques efforts nous sommes impuissants. On espérait beaucoup de l’intervention italienne  mais rien n’apparaît encore de ce côté.

25 Septembre

Mobilisation générale bulgare suivie de celle de la Grèce.

Depuis trois semaines il était clair que la censure interdisait toute communication sur les affaires balkaniques. Celles-ci étaient donc très mauvaises pour nous ? Je ne suis donc guère surpris par cette déplorable nouvelle aujourd’hui.

La Bulgarie va se jeter sur la Serbie.

Une énergique déclaration de la Grèce et de la Roumanie, appuyés par la Quadruple Entente, pourrait peut-être arrêter la Bulgarie.

L’heure est certainement grave. La prise de Constantinople était pour les alliés de capitale importance.

Allons-nous perdre tout espoir de ce côté après tant d’héroïsme prodigué aux Dardanelles.

Combien est vraie cette phrase de l’historien Ferrero : « Notre patience et notre fermeté seront mises à une rude épreuve par cette guerre. Mais qui parle de guerre ? Ne s’agit-il pas plutôt d’une immense croise historique qui pour le moment a pris forme de guerre et dont notre génération voit le commencement dans le conflit européen, sans être bien sûr d’en voir la fin ? »

27 Septembre

Offensive française

De très bonnes nouvelles ce matin. Déjà hier le dernier communiqué nous annonçait que dans l’après-midi de Samedi 25 nous avions pris l’offensive.

             I.      Les Anglais ont attaqué dans la région au sud de la Bassie, faisant 1700 prisonniers.

          II.      Nous avons attaqué au nord d’Arras, pris Souchez et gagné le nord de Thélas occupant ainsi d’un seul bond des positions contre lesquelles nous nous étions brisés en Mai et Juin. Nous sommes très près de cette falaise de Vimy qui domine la plaine de Lens.

       III.      D’Auberives sur Suippes jusqu’à Ville sur Tourbes, sur un front de 25 kilomètres, nous avons attaqué, pris toutes les positions de 1ère ligne, fait 16000 prisonniers, conquis 25 canons d campagne. Les positions prises, fortifiées depuis huit mois, étaient formidables. La bataille se poursuit.

Comment dire notre joie devant ces résultats substantiels, et notre admiration pour nos armées vaillantes.

J’admire aussi la perfection du commandement qui a préparé cette attaque, tâche formidable et minutieuse. Ecrasante responsabilité du chef dont la conception est la clef de voûte de toute l’action dont peut dépendre la vie de tant de milliers d’hommes et parfois le sort d’un grand pays.

Mais la bataille ne fait que commencer, ses débuts donnent confiance et ils vont avoir la plus grande importance morale en donnant à nos soldats du cœur au ventre suivant une vieille expression française. Cette force morale a la plus grande importance car il est certain que nous avons maintenant réalisé la sur production des munitions et que l’offensive va continuer à outrance. Nos moyens d’attaques sont très puissants, beaucoup plus qu’en Mai et nous semblons profiter de l’expérience acquise. Après le succès d’hier, la rupture du front allemand par nos troupes enthousiasmées, appuyées par un déluge d’obus, est certainement possible.

Les conséquences seraient immenses… pertes d’hommes, pertes de matériel, perte de prestige, désastre complet possible. Les Allemands sont engagés à fond sur le front oriental et ne peuvent disposer chez eux de nombreuses réserves exercées. Nous leur sommes certainement très supérieurs numériquement sur le front occidental. Notre cavalerie est nombreuse et intacte. Nous avons de nombreuses sections d’auto canons. En résumé, nous avons tous les moyens de transformer en une immense déroute le repliement des armées allemandes qu’entraînerait forcément la rupture complète de leur front soit en Champagne, soit au nord d’Arras.

Mais nous connaissons la puissance militaire allemande ; les retranchements que nous avons enlevés étaient désorganisés par un bombardement de trois semaines. Nous allons sans doute en trouver d’autres plus en arrière et ceux-là intactes. Nous avons toutefois pour enlever ceux-là l’élan de la victoire.

- en Russie -

Combats acharnés à l’ouest de Dwinsk et à l’est de Vilna. Succès en Galicie.

- aux Balkans -

Après la Grèce, la Roumanie mobilise. Démontée de suite, la puissance militaire bulgare se trouve ainsi neutralisée.

Le mois de Septembre va voir l’Europe en feu et des torrents de sang.

Mais soyons calmes, il n’y a encore jusqu’ici qu’un splendide fait d’armes.

30 Septembre

Une vague de froid qu’accompagne une vague de pluie diluvienne est défavorable aux opérations militaires.

Les combats se poursuivent en Champagne où nous avons pris 20000 boches et 58 canons. Sur un front de 20 kilomètres, nous nous sommes emparés des premières et formidables défenses allemandes. Mais à 3 kilomètres plus loin, nous sommes en présence d’une autre ligne complète de défense. Il me semble certain qu’avant de l’attaquer il est nécessaire que nous organisions le terrain conquis.

Notre magnifique succès détruit absolument la théorie du front inviolable. Il reste éternellement vrai que la défensive est vouée à l’échec. Mais sous réserve de moyens d’attaque d’une extrême puissance. Quelques milliers d’obus doivent précéder l’assaut au point choisi.

Les pertes allemandes ne doivent pas être inférieures à 100000 hommes. En admettant que les boches évitent la rupture de leur front, il est certain que quoiqu’ils fassent défensivement ils ne se sentiront jamais plus en sécurité. On nous annonce que plus de 1000 usines sont enfin en pleine activité en Angleterre. Elles fabriquent des obus.

On aurait pu s’y mettre six mois plus tôt ! Hélas !! Enfin, il n’est pas trop tard. Les Etats-Unis, le Canada travaillent pour nous. Une artillerie lourde, moderne, commence à apparaître sur notre front. C’est l’arme de démolition par excellence, celle surtout qui nous manquait et dont nos sommes encore loin d’être suffisamment munis. Car ce n’est que par des ouragans d’obus que nous ferons reculer le front allemand.

Nous avons pris en Champagne des milliers de boches enfermés dans les abris blindés par l’effondrement des issues.

- en Russie -

Lutte intense sans changements notables.

- aux Balkans -

L’attaque bulgare contre la Serbie est presque certaine, toutefois nos succès et l’attitude déterminée de la Grèce feront peut-être hésiter le bochophile Ferdinand.

Jean blessé

Nous apprenons que Jean a un éclat d’obus dans l’épaule, il est évacué à Dijon. Il semble que la blessure est légère. Vu les terribles circonstances, je m’en réjouis.

nos pertes

Avec le bénéfice de la surprise et de l’intense préparation d’artillerie, nos pertes ont du être inférieures à celles des Boches ; mais si nous poursuivons nos efforts dans les mêmes endroits contre un ennemi prévenu et renforcé de toute façon il est clair que nos pertes seront bien lourdes. Mais jamais la rupture complète du front boche ne sera payée trop chère. Dans ce cas d’ailleurs, les pertes allemandes ne pourraient manquer d’être écrasantes.

30 Septembre au soir

On se bat avec acharnement de la Bassie à Arras, nous avons conquis le point culminant de la crêt de Vimy ; point très important. Intense bataille aussi en Champagne.

Combats acharnés sur tout le front russe où le courage des soldats atteint les limites des possibilités humaines nous dit le communiqué russe.

Je songe avec angoisse à tous nos morts. Mais je ne les plains pas, je ne le peux pas. Je voudrais tant en ce moment même dormir pour toujours dans les plaines de Champagne après avoir fait mon devoir. Ce doit être une grande fête dans le Paradis pour la glorieuse entrée de nos héros.