La guerre à travers le récit journalier

Commencé au Lude le dimanche 2 Août

3ème partie : année 1916

1er Janvier

« L’Allemagne a mis en marche la redoutable machine de la guerre et elle ne sait plus comment l’arrêter. Elle paraît diriger les événements dans le détail. Mais déjà le cours général des choses lui échappe et, avec les autres peut-être, mais autant que les autres, elle est emportée vers l’inconnu »      

Jacques DAINVILLE

(coupure de journal)

L’année  1916 verra-t-elle la victoire des alliés.

Il semble absolument logique de l’admettre. Leurs ressources en hommes et en argent sont supérieures à celles de leurs adversaires et surtout, fait capital, ils sont maîtres de la mer.

Mais nous devons reconnaître que la position centrale de nos ennemis et leur parfaite unité de commandement sont pour eux de précieux avantages, de plus ils ont un véritable gouvernement  où tout ce qui est supérieur commande à l’inférieur.

On répète que le temps travaille pour les Alliés, oui mais à la condition que les Alliés travaillent pendant ce temps. Hélas, ils ont beaucoup gaspillé ce temps précieux.

En commençant mon dernier cahier, il y a plus de 9 mois, je croyais que j’y relaterais la fin de la guerre. Je crois qu’elle serait finie si les alliés avaient fourni l’effort maximum. Il n’en a rien été. L’erreur anglaise a été particulièrement lourde.

D’après les déclarations précises de Lloyd Georges, l’Angleterre a commencé seulement en Mai dernier sa mobilisation industrielle, elle n’est pas encore terminée. De plus le service obligatoire n’est encore qu’à l’état de projet.

Le programme des alliés demeure le même ; ils veulent détruire le militarisme allemand et dicter la paix. Se croire supérieur est bien, c’est un facteur de victoire ; mais se montrer supérieur est encore beaucoup mieux.

Il faut reconnaître qu’en 1915 les alliés ne se sont pas montrés supérieurs. Que s’est-il passé ?

- en France -

Le front allemand est resté inviolable. En Mai notre essai de percer au nord d’Arras a échoué. Fin Septembre, nous avons attaqué en Champagne sur un front de 25 kilomètres. Nous avons conquis en profondeur 2 ou 3 kilomètres, mais nous n’avons pas percé.

- en Russie -

A la fin d’Avril, les Russes occupaient une notable partie de la Prusse orientale et de l’Autriche. Mais pendant l’hiver, l’Allemagne avait intensifié sa production de canons et de munitions. Elle produisait 250 000 obus par jour (à la même époque l’Angleterre en produisait 8 500) aussi, au printemps, les Russes devaient reculer sous une avalanche d’explosifs et sur un front de 700 kilomètres. Les Russes durent battre en retraite pendant 5 mois abandonnant à leurs ennemis une notable partie de terre russe peuplée de 30 millions d’habitants.

- en Italie-

Pendant 8 mois les Italiens ont essayé vainement de forcer les lignes de l’Isonzo ; Goritz et Tolmino sont toujours aux Autrichiens.

- aux Balkans-

L’échec des alliés à Gallipoli a été complet et sanglant. La Serbie est écrasée, la totalité de son territoire est occupé. Nos troupes arrivées trop tard pour secourir les Serbes se retranchent devant Salonique.

Bilan

Voilà le bilan de 1915.

Mais pour être victorieux, il faut anéantir les forces militaires de l’adversaire. L’Allemagne l’a tenté, elle n’a pu le faire, mais elle a saisi des gages précieux. Les Alliés peuvent-ils anéantir les forces militaires des Austro-Boches ? Réussiront-ils en  ce qu’ils n’ont pu faire en 1915. Je le crois mais sous réserves que les Alliés s’entendront mieux que l’an passé et que tous ils donneront l’effort total, partout. Il faut que tout soit subordonné à cette pensée, vaincre.

Parlement

Aux graves dangers extérieurs s’ajoutent des dangers intérieurs au moins aussi graves. Les séances de la Chambre deviennent chaque jour plus écœurantes, quel puissant réconfort elles doivent apporter à nos ennemis. La question se pose très simplement. 

Il est d’évidence que l’unique question nationale est en ce moment de libérer notre territoire. Le Parlement aide-t-il le gouvernement dans cette tâche ? Non, il est d’évidence qu’au contraire il empêche l’action du gouvernement. Alors, comme dit excellemment Maurras « Il faut donner congé au Parlement et s’il s’y oppose, qu’on le fiche dehors. Je crois en effet que si la France veut vraiment agir pour vaincre cette mesure s’imposera à bref délai. Le salut du pays peut en dépendre. Il est impossible que nos ministres agissent et organisent s’ils sont sans cesse contrôlés et critiqués par une bande d’irresponsables et d’incompétents.

Dans la terrible crise que nous traversons il nous faut avant tout des chefs.

Il faut vaincre sinon la France deviendrait un petit pays secondaire et sa glorieuse histoire serait terminée.

La France monarchique a vécu des siècles, 40 ans de république l’auraient tuée.

Il semble prouvé que les deux obstacles les plus terribles à toute progression de l’infanterie sont les réseaux de fil de fer et les mitrailleuses. Il y a des réseaux apparents, d’autres dissimulés. Quant aux mitrailleuses, les Allemands en augmentent chaque jour le nombre et en perfectionnent l’emploi. Ils multiplient les abris casematés et créent des réserves souterraines de mitrailleuses qui ne seront mises en place qu’après le bombardement. Il semble qu’avant l’attaque du 25 Septembre nous avons lancé plus de trois millions d’obus sur les lignes allemandes, nous avons été très près du grand succès.

Les prochaines attaques verront des déluges fabuleux de gros obus à explosifs puissants. Ce sera la vraie pluie de feu… (hélas, combien il est évident que la civilisation de l’homme est surtout un progrès matériel, c’est-à-dire souvent un recul moral).

Je crois que les résultats obtenus le 25 Septembre permettent d’affirmer qu’il est possible de briser le front allemand. Une telle tentative nous causera certainement de terribles pertes ; mais à mon avis nulle bataille si épouvantable soit-elle ne sera aussi terrible et aussi sanglante que la guerre d’usure qui laisserait l’Europe saignée à blanc.

Mais il est évident que si une masse d’explosifs est nécessaire, il y a bien d’autres facteurs de victoire. D’abord le Chef sans lequel il n’y a pas de victoire possible et qui est le cerveau de l’armée. Ensuite le moral du soldat et la discipline. Le moral de nos soldats est bon ; le poilu enthousiaste est peut-être devenu rare mais il a été remplacé par le poilu philosophe, résigné et déterminé à faire tout ce qu’il faudra pour repousser le boche. Quant à la discipline… il n’est guère le fait des armées démocratiques et c’est souvent pour elles une cause de faiblesse.

Et puis il y a le facteur chance, la fortune des combats a toujours été capricieuse.

La paix – la fin de la guerre

La paix n’est pas possible en ce moment. Par ailleurs les forces en présence sont si considérables qu’il est tout à fait impossible de prévoir la fin de la guerre. Les hostilités dureront au moins jusqu’à la fin de l’été.

En 1915, la tuerie a été épouvantable, on doit s’attendre en  à des combats encore plus sanglants. Déjà les pertes européennes sont évaluées à 8 millions d’hommes tués ou estropiés. En France nous devons approcher du million.

Oh ! combien ce jour de l’An est tragique et triste, comment ne pas penser à tant d’êtres charmants à jamais disparus. Dieu seul connaît l’avenir. Lui seul sait ce que nous apportera l’année 1916.

Mais j’ai confiance, nous pouvons et devons vaincre. Nous sommes maîtres de la mer, l’Allemagne est assiégée, elle souffre. Mais la lutte sera dure ; les réserves en hommes de l’Allemagne s’épuisent, mais sa puissance matérielle reste colossale et elle est une.

L’Angleterre aura au printemps quatre millions d’hommes sous les armes.

Les Russes avec l’aide du Japon et de l’Angleterre auront le matériel nécessaire.

La France aura sous les armes tous ses hommes de 17 à 50 ans.

Les canons et les mitrailleuses des alliés se compteront par centaines de milles et ils auront des réserves illimitées de munitions.

Nous serons prêts… enfin. On prétend que Kitchener et Gallieni auraient dit : « La vraie guerre commencera au printemps ».

Finances

Les dépenses militaires sont extravagantes, les nôtres atteignent trente milliards, elles vont sans cesse croissant. Nos dépenses mensuelles dépassent maintenant deux milliards et demi.

Si la guerre se prolonge encore un an, la dette de la France se trouvera augmentée de 70 milliards, cet argent emprunté à 6 % demandera une somme B. L’emprunt a donné 10.130 millions dont 6.368 millions d’argent frais ; il y a eu 3.133.389 souscriptions annuelles de 4.200 millions, sans compter les innombrables pensions aux veuves et orphelins et la remise en état des pays ravagés.

Il faudra faire faillite ou doubler les impôts, des troubles graves sont à craindre.

Jamais le monde n’a vu cataclysme pareil, il est donc impossible de déterminer ce qui se passera après la guerre d’après les leçons de l’histoire. Du point de vue de la population, le problème n’est pas moins sombre, comment la France déjà dépeuplée supportera-t-elle ses effrayantes pertes en hommes.

Je crois que si la France ne veut pas périr, il faudra qu’elle sache s’imposer des lois de fer. Il faudra subordonner les droits de l’individu aux intérêts supérieurs de la France. (Chaque individu s’en trouverait mieux d’ailleurs. Mais il va de soi que ce n’est pas un régime basé sur le suffrage universel qui remplira jamais ce programme.

Offensive allemande

Depuis près d’un mois les Allemands font courir le bruit qu’ils préparent une grande offensive contre la France. Ils doivent aussi attaquer l’Egypte, la Mésopotamie, Salonique. Ils doivent nous jeter à la mer à Gallipoli. Ces bruits divers répandus par les Allemands ressemblent à mon avis aux feintes de l’escrimeur qui cherche à tromper son adversaire avant de se fendre à fond.

L’Allemagne est assiégée, il est incontestable qu’elle souffre ; il est certain que si nous savons employer le temps qui passe, ce temps travaille pour nous. Il semble logique de croire à une grande offensive de l’Allemagne d’autant plus que l’hiver russe libère provisoirement une grande partie de ses armées. Il est clair que cette attaque sera formidable ou ne sera pas.

du 1er Janvier au 10 Janvier

- en France -

Combats violents dans la région du Vieil Armand sans grand résultat appréciable.

- en Russie -

Les Russes ont commencé une offensive qui semble importante entre la Strypa et Cernowitz.

- aux Balkans -

Calme à Salonique où nous nous fortifions en attendant l’attaque qui ne vient toujours pas mais qui viendra, on n’en peut guère douter. La présence des Alliés à Salonique doit être intolérable à nos ennemis. De plus, par leur présence les Alliés maintiennent dans la neutralité la Grèce et la Roumanie. Et on peut ajouter qu’ils sauvent leur prestige en Orient.

Il faut que nous nous maintenions à Salonique.

Le Monténégro

Les Autrichiens attaquent violemment le Monténégro. Il est même à craindre que les Monténégrins ne soient écrasés et qu’ils ne perdent même le mont Lovoen. Combien il est pitoyable pour l’honneur des Alliés qu’ils ne puissent secourir efficacement ce brave petit peuple.

Kaiser

Le bruit court avec persistance que le Kaiser est gravement malade ; j’entends dire et je lis que sa mort serait indifférente. Je n’en crois rien. L’extraordinaire puissance de l’Allemagne ne peut se concevoir sans l’effort persévérant et intelligent d’un chef investi du pouvoir suprême. Ce chef est le Kaiser et sa mort serait grave pour nos ennemis.

du 10 au 13 Janvier

- en France -

Les Allemands nous ont attaqués en Champagne sans résultat dans la région de Mesnil. L’action a été violente sur un front de huit kilomètres.

- en Russie -

Aucune nouvelle de Bucovine.

- aux Balkans -

Nous avons évacué Gallipoli. Nos communiqués annoncent que nous n’avons subi aucune perte. Si c’est vrai c’est un tour de force qu’aura seul rendu possible la présence d’une très puissante escadre. Mais il me semble quand même difficile que le communiqué nous dise la vérité.

A Salonique, rien de nouveau. Notre situation n’y sera jamais trop forte.

Les Monténégrins sont écrasés, ils ont perdu le Mt Lovoen. Je ne sais s’il faut incriminer chez les Alliés l’impuissance ou l’incurie ; mais il est lamentable qu’ils n’aient rien pu faire pour sauver le Monténégro.

Les journaux fourmillent en ce moment d’articles qui nous expliquent que l’Allemagne est à bout ; Je souhaite que ce soit vrai, ce serait assez vraisemblable. Mais il n’y paraît guère, dans tous les cas voilà encore un fait militaire, l’écrasement du Monténégro qui n’est pas pour rehausser le prestige des armes de la quadruple Entente.

Vie chère

Leroy Beaulieu explique les raisons du renchérissement de la vie.

A l’intérieur, notre industrie travaille surtout pour la guerre. Nos plus riches régions industrielles sont envahies. Nos meilleurs hommes, ceux de 17 à 50 ans, sont mobilisés ; ils sont plus de cinq millions. Parmi les autres beaucoup travaillent pour la guerre.

Dans ces conditions, peut-on s’étonner de voir s’établir une hausse de 30 à 50 % sur tous les produits manufacturés.

Notre agriculture souffre de même, manque de main-d’œuvre.

De plus les besoins alimentaires des armées sont énormes, sur le front la ration de viande est de 500 g, en arrière de 400 g. En temps de paix il est évident que nos cinq millions de mobilisés étaient bien loin d’absorber cette ration de viande.

Et combien de familles de mobilisés auxquelles les très larges allocations permettent maintenant l’usage de la viande.

On ne peut s’étonner que d’une chose, c’est que les prix ne soient pas plus élevés.

A St Sauveur

Ici l’augmentation de la viande atteint à peine 20 %. Cet hiver les œufs ont monté jusqu’à 2,70 la douzaine et le beurre jusqu’à 2,60 la livre.

Sous-marins

Il est vrai que puisque nous tenons la mer, il devrait nous être facile de nous approvisionner à l’étranger de tout ce qui nous manque.

Nous avons la liberté des mers, mais nous la payons cher ; en plus des flottes de guerre il a fallu armer des milliers de bateaux de commerce. Par les mines et par les sous-marins les Allemands nous font une guerre acharnée. Ils nous ont déjà coulé (aux Alliés) pour plus de 700 millions (valeur) de navires. Il s’ensuit une énorme augmentation du prix des frets qui varie entre 600 % et 1200 % (chiffres officiels). C’est une véritable crise qui pourrait devenir fort sérieuse. Il est donc très enfantin de se moquer des sous-marins boches.

Les Alliés viennent de se décider à armer leurs bateaux de commerce ; ceci va rendre la tâche des sous-marins beaucoup plus pénible et plus difficile, ils ne pourront plus attaquer qu’en plongée. Cette mesure aurait du me semble-t-il être prise depuis longtemps, elle aura comme inconvénient de justifier le torpillage sans avertissement, mais avec les sinistres pirates boches c’est ce qui se produisait dans la moitié des cas.

Nous avions donc très peu à perdre et beaucoup à gagner en mettant des canons sur nos bateaux de commerce.

Vie chère

On voit donc qu’avec de pareils prix de fret, nous sommes obligés de payer très cher ce qui nous manque. D’où vie chère et qui sera de plus en plus chère jusqu’après la fin de la guerre.

J’extrais d’un catalogue général ces quelques chiffres :

Agriculture 30 % jusqu’à 60 % pour certains articles - Mercerie de 20 % à 50 % - Blanc 30 % - Lits, sommiers métalliques 50 % - Fourneaux 40 % - Quincaillerie 40 % - Produits chimiques 100 % - Outillage, électricité 30 % ……

Les articles d’épicerie ont plus augmenté que la boucherie ; certains ont augmenté de 30 % - L’alcool de 130 % - Le sucre de 100 %.

Nous ne sommes pas prêts de revoir les prix d’avant la guerre. Ce n’est pas le ramassis d’imbéciles qui peuple les Chambres qui saura trouver les moyens de relever la France de ses ruines. Il lui faudra une Autorité indépendante, durable qui seule pourra mettre les compétences à leur place et les crétins blaguologues à la leur.

du 13 au 16 Janvier

- en France -

Les Allemands dirigent de fréquentes attaques partielles contre notre front spécialement au nord d’Arras dans la région de Thélus et Neuville. Ils font exploser de nombreuses mines. On se bat pour des entonnoirs, pour des éléments de tranchées. Nous avons perdu un peu de terrain autant que nos énigmatiques communiqués permettent d’en juger.

Nous avons subi également des attaques au sud de la Somme où nous avons perdu le village de Frise. Au nord de l’Aisne, en Champagne et en Alsace des combats pour des fronts peu étendus se sont produits.

L’initiative de toutes ces actions appartient aux Boches ; est-ce le prélude d’une offensive plus étendue ? On en parle beaucoup, mais en somme personne n’en sait rien.

Zeppelins

Un Zeppelin a lancé des bombes sur la Butte Montmartre tuant 25 personnes.

Charner

L’Amiral Charner a été torpillé sur les côtes de Syrie ; on a trouvé un seul survivant sur un radeau.

- en Russie -

Les Russes sont toujours actifs en Bucovine

En Caucase, ils ont battu les Turcs et assiègent Erzeroum.

- aux Balkans -

Le roi de Monténégro est en France.

L’armée serbe soit 100 000 hommes est presque entièrement transportée à Corfou, elle va s’y reformer.

Nous nous fortifions à Salonique. Y serons-nous attaqués ? Mystère. Les Alliés ont là des forces considérables dans un but politique. Il s’agit de faire réfléchir la Grèce et la Roumanie.

Congrès à Paris

Briand revient d’Italie. On y a décidé un congrès politique et militaire qui se réunira à Paris fin Février. Il s’agit d’unifier l’action des Alliés.

Blocus

On parlera sans doute aussi du blocus de l’Allemagne. On s’avise en effet de plus en plus que ce blocus est une duperie. L’Allemagne est matelassée d’Etats Neutres : Suède, Norvège, Hollande, Danemark, Suisse. Ces états ravitaillent nos ennemis. Le problème est complexe.

En résumé la situation générale est la même, il semble même que l’usure de l’Allemagne est moins forte qu’on ne le croyait. Seule la défaite militaire des Boches terminerait glorieusement la guerre, seule elle abattrait et humilierait notre puissant adversaire.

Avec quel bonheur je saluerai l’événement qui permettra d’affirmer que la supériorité militaire des Alliés commence à se montrer.

Ce jour viendra, j’y crois parce que j’ai foi dans les destinées de la France, mais le comment m’échappe complètement. Car, hélas, le problème est toujours le même, pour vaincre il faut se montrer supérieur. Or les Allemands continuent à se montrer incontestablement supérieurs.

Nous avons heureusement la supériorité sur mer, l’Allemagne tient sur le continent  de beaux gages, l’Angleterre y oppose comme gage la maîtrise des Océans.

du 16 au 23 Janvier

Les Allemands continuent leurs violentes attaques locales précédées d’intenses bombardements.

Les Anglais sont menacés dans le saillant d’Ypres.

Nous avons perdu un peu de terrain près de Givenchy. Perdu aussi au nord de Verdun où les Boches sont très actifs.

En résumé l’ennemi a pris en de nombreux points de notre front l’initiative de l’attaque. Il se borne strictement à l’occupation du terrain que son artillerie a préalablement bouleversé.

- en Russie-

Les Russes ont pris Erzeroum, place importante d’Arménie, c’est un succès véritable. Voilà donc pour une fois une incontestable victoire militaire remportée par l’un des Alliés.

24 Février

Bataille de Verdun

Les combats devant Verdun entre Brabant sur Meuse et Beaumont ont pris le caractère d’une grande offensive allemande qui s’étend maintenant sur un front de 40 kilomètres entre Malan court et Etain. Il est probable qu’elle va s’étendre encore sur les flancs du saillant de Verdun. Sommes-nous en présence d’une grande offensive à fond ? C’est probable, nous connaissons le soin de la préparation allemande, l’énorme puissance de son matériel, aussi il est évident que la lutte qui se poursuit va vite atteindre une infernale intensité. L’enjeu de la partie peut être immense. J’attends le cœur serré mais avec confiance les nouvelles de demain. Il semble que nos lignes ont relativement peu fléchi au premier choc et que nous tenons.

25 Février

La bataille continue nuit et jour au nord de Verdun. Les communiqués du 24 sont moins bons, nous avons notablement reculé jusqu’au sud de Somagneux et au sud d’Ornes. Mais plus de quatre jours sont écoulés, le bénéfice de la surprise et du premier choc a donné aux Boches tout ce qu’il peut leur donner.

Donc, confiance dans Joffre et Castelnau, c’est de la bonne trempe, du cerveau et du cœur de ces généraux que va dépendre actuellement la destinée de la France.

Que penser d’un régime qui ces jours derniers encore permettait à de plats imbéciles, à d’incompétents parleurs, des Hervé, des Clemenceau, des Prison (32 ans) des Ecoutant (28 ans) de tout faire pour discréditer notre commandement suprême.

Dans ce même mois de Février, 19ème mois de la guerre, les Allemands étant à 80 kilomètres de Paris, le général Gallieni a failli quitter le ministère, mis en échec par les bistrots de Marseille.

Ah ! racaille ignoble, que demain notre front soit ébranlé par les Boches, je vous vois faisant vos malles pour Bordeaux et votre frousse anxieuse implorer ces grands chefs que vous insultiez hier. Car vous êtes de sombres imbéciles et des hommes de mauvaise foi, vous exaltez sans cesse le citoyen soldat de notre démocratique armée républicaine, votre vaillance ne s’exerce qu’à le protéger contre l’officier, la brute galonnée et vous savez bien pourtant que la seule chose qui puisse faire de l’armée une magnifique chose puissante et organisée c’est l’intelligent et persistant labeur de ces officiers, leur absolu dévouement et esprit de sacrifice.

Depuis 18 mois ils montrent en plus comment ils savent magnifiquement mourir, l’armée est la grande muette jusque dans la mort. Mais les malheureux qui continuent à insulter les chefs militaires sont incapables dans leur basse mentalité électorale de comprendre le sens de mots tels que Honneur, Noblesse de cœur, Désintéressement. Les officiers, tous les officiers français de terre et de mer connaissent eux le sens de ces mots dont le culte a été maintenu intact dans nos écoles militaires par d’antiques traditions. Sur notre vieux Borda étaient inscrits ces mots – Honneur – Patrie.

La déformation électorale et parlementaire est telle que le plus souvent ces mots sonneraient étrangement au Parlement. Combien il est vrai de parler des institutions corruptrices. Demain si nous sommes victorieux, ces insulteurs de nos généraux diront « Heureusement que nous étions là » et ils insulteront de nouveau.

26 Février

Mauvaises nouvelles. Notre recul annoncé hier devant Verdun a été très Il atteint par endroits six kilomètres. Comme c’était très évident les Allemands ont tenté de préparer une attaque irrésistible par une « Kolossale » accumulation de puissance matérielle. Nous devons avoir devant nous à Verdun de nombreuses pièces d’artillerie des calibres les plus élevés – 280 – 305 – 420. Ils avancent méthodiquement précédés d’un déluge d’explosifs.

J’ignore tout des défenses de Verdun et surtout de la configuration du terrain. J’espère que les lignes sur lesquelles nous nous sommes retirés sont naturellement plus fortes que nos premières positions. Car s’il n’en est pas ainsi il est hélas bien à craindre que les Allemands ne se rapprochent encore de Verdun et le prennent. Les pertes boches doivent être élevées, on nous le dit et c’est vraisemblable, mais les nôtres !

Les Allemands vont-ils se borner à une seule attaque frontale sur un secteur de Verdun ? c’est peu probable. Ils adorent les manœuvres d’enveloppement. Il faut s’attendre à autre chose. Ah qu’il est bon de pouvoir au moins reposer sa confiance sur des hommes comme Joffre et Castelnau.

Mais j’ai bien peur pour Verdun ; le sort va s’en décider très vite. Si les Allemands prennent Verdun en huit ou dix jours, pour eux quel incontestable triomphe militaire, quelle preuve de supériorité donnée au monde entier. Il y aurait là d’ailleurs une énorme part de bluff car dans l’étonnante guerre actuelle il n’y a rien d’essentiel à ce que notre front passe devant ou derrière Verdun.

27 Février

Nous avons encore légèrement reculé, nous sommes sur la ligne des forts extérieurs ; les Allemands tentent l’assaut du fort de Douaumont. Avec l’artillerie infernale dont ils disposent, ils ne seront pas longs à détruire le fort de fond en comble.

Il va se livrer là de furieux combats dont il est impossible de prévoir l’issue. Il se confirme que nos chefs étaient parfaitement prévenus de l’attaque et que nous étions prêts. Donc espoir. Les Boches perdent sûrement plus d’hommes que nous quoique nos pertes aient du être bien sensibles tant en hommes qu’en matériel quand nous avons du reculer sous le feu de plus de quatre kilomètres.

28 Février

Nous avons perdu, puis repris Douaumont, mais il semble que les Allemands l’ont repris. Cependant la situation semble un peu meilleure. Nous tenons bon sur la ligne des forts. Toutefois, au Nord et à l’Est, l’ennemi est à 8 à 10 km de la ville qui, bien entendu, est couverte d’obus. La neige tombe en abondance ce qui doit gêner beaucoup plus l’offensive que la défensive.

La situation demeure d’autant plus sérieuse qu’il est douteux que la situation de Verdun soit seule en jeu. Il semble probable que l’attaque actuelle n’est que le prélude d’opérations plus vastes.

29 Février

Les nouvelles sont meilleures. Nous tenons ferme sur la ligne des forts, mais au Nord comme à l’Est les Allemands sont à huit kilomètres de Verdun. Le terrain que nous avons évacué en Woëvre est étendu, huit kilomètres en profondeur sur 15 de front. Attendons.

Ma pensée et mon cœur sont avec ceux qui là-bas dans la nuit, dans la neige et sous l’avalanche de mitraille se sacrifient pour la France. Le souvenir de mon inaction pendant la guerre laissera sur tout le reste de ma vie le plus triste, le plus amer des regrets.

2 Mars

Aucun changement. Les Allemands ont suspendu l’attaque. Il est probable qu’ils déplacent leur artillerie et préparent l’assaut final. J’ignore dans quelle mesure il est humainement possible de défendre Verdun contre une concentration d’artillerie comme celle qu’ils ont réalisée. Mais il est certain que les Allemands ont manqué de souffle pour mener à fond leur premier élan. Notre commandement aura eu le loisir de préparer la résistance. Confiance. Mais le péril n’est pas passé. On vit dans l’attente de graves évènements.

Ah ! combien j’avais raison dés le deuxième mois de la guerre d’écrire que pour vaincre l’Allemagne il fallait que les Alliés soient unis et réalisent chacun l’effort total. L’Allemagne déjà parfaitement prête a organisé dés le premier jour de la guerre cet effort total. Quant aux Alliés déjà beaucoup moins bien préparés, c’est à peine si après une année de guerre ils ont compris cette nécessité de l’effort complet. C’est pourquoi ils sont encore inférieurs.

4 Mars

La bataille de Verdun a repris, les Allemands ont réussi à nous prendre de haute lutte le village de Douaumont après de violentes attaques précédées de bombardements insensés. Ils dirigent également un feu intense contre nos positions de la rive gauche de la Meuse. Il est évident qu’il est essentiel que l’infanterie boche ne puisse progresser de ce côté, car alors la situation de Verdun deviendrait intenable. Elle est déjà difficile. J’attends anxieusement les nouvelles. Que se passerait-il si nous perdions Verdun ?

A bien regarder une carte, il est permis de se demander si nous pourrons conserver toutes nos positions sur la rive droite de la Meuse. Un tel recul serait grave, nul ne peut prévoir ce qu’il en résulterait.

Sous-marins

L’Allemagne a déclaré qu’à partir du 1er Mars ses sous-marins couleraient sans avertissement tous les bâtiments portant des canons, mais je persiste à croire que les Alliés ont mille fois raison d’armer leurs navires de commerce. Mais il importe qu’ils soient armés le plus sérieusement possible.

L’Allemagne disposerait actuellement de sous-marins de fort tonnage portant quelques pièces de calibre moyen sous abri blindé. Ces mêmes sous-marins sont mouilleurs de mines et en sèment en abondance sur les routes commerciales.

On ne peut nier que l’Allemagne soit un terrible adversaire.

La fin de la guerre

Si nous résistons à Verdun, si nous gardons la place, nous aurons remporté malgré le terrain perdu une grande et incontestable victoire qui peut rapprocher sérieusement la fin de la guerre. Mais si nous perdons, on ne sait plus.

D’ailleurs qui peut sonder l’avenir.

5 Mars

La terrible bataille et combien sanglante se poursuit pour la possession de Douaumont qui passe de main en main. Nous tenons, la victoire sera à celui qui tiendra le plus longtemps.

Les régiments et même les corps d’armée doivent fondre rapidement dans cette fournaise. Quant à la consommation des munitions elle doit être fantastique, j’espère que nous n’en manquerons pas. Mais certainement, c’est plusieurs fois cent mille obus qu’il nous faut chaque jour devant Verdun.

7 Mars

Les attaques frontales contre le château de Douaumont ont cessé hier. L’ennemi nous a violemment attaqués sur la rive gauche de la Meuse et s’est emparé de Forges. Il faut attendre les évènements qui d’ailleurs sont favorables car c’est certain que chaque jour gagné est un succès pour nous. D’autre part, il semble impossible que les Allemands ne tentent pas un effort enragé pour arracher la victoire.

8 Mars

Médiocres nouvelles. Nous avons perdu un terrain important sur la rive gauche de la Meuse. Impossible d’invoquer comme excuse un effet de surprise, nous avons donc du céder devant une force supérieure. J’espère que nous avons des positions de repli beaucoup plus fortes que celles que nous avons si vite été contraint d’abandonner.

L’ennemi s’est emparé de Fresnes en Woëvre.

La bataille acharnée se poursuit.

9 Mars

Nous avons réagi sur la rive gauche de la Meuse et repris une partie du terrain perdu la veille. Il est plus que jamais hors de doute que la sanglante bataille actuelle aura sur l’issue de la guerre la plus grande importance. Ce qu’il importerait de connaître c’est la question des cartes relatives des deux adversaires. Je suis convaincu que les Allemands ont sur nous une grande supériorité d’artillerie lourde tant en nombre qu’en calibre. De plus, leur ravitaillement en munitions est beaucoup plus facile que le nôtre qui est particulièrement difficile sur la rive droite de la Meuse. Du fait du terrible bombardement allemand, nous devons subir de très grandes pertes tant en hommes qu’en matériel, et quelle épreuve presque surhumaine pour le moral de nos soldats.

C’est une bataille d’usure. J’ai confiance, mais le péril n’est pas écarté, notre résistance a peut-être surpris les Allemands mais ils ne sont pas arrêtés, ils poursuivent le développement méthodique d’un plan. Il faudrait que nous puissions leur asséner le coup dur qui les bloquera. Depuis 20 jours nous ne faisons que parer ; nous n’aurons la victoire qu’en imposant notre volonté. Pour le faire, il faudrait que nous fussions supérieurs et nous ne le sommes certainement pas encore.

Les Russes sont bloqués par les neiges, les Anglais ne tiennent encore qu’une très faible partie de notre front, nous sommes pour quelques mois encore presque seuls devant l’Allemagne. Ah ! Comme on comprend bien le plan de nos ennemis, il me semble certain que nous allons vivre des jours tragiques car l’Allemagne va foncer sur nous.

10 et 11 Mars

La lutte acharnée se poursuit sur les deux rives de la Meuse. Nous tenons. La lutte paraît devoir s’étendre, les Allemands bombardent avec intensité le front Est et Sud-Est de Verdun, d’Eix jusqu’à Bonzée. La Meuse est toujours débordée, le ravitaillement de nos armées sur la rive droite doit être un tour de force.  Les Allemands sèment des torpilles dérivantes dans la Meuse. Ce fleuve débordé derrière nous est une difficulté et une menace.

12 et 13 Mars

Accalmie. Le bombardement reste intense. Pas d’actions d’infanterie. Il semble certain que les pertes allemandes sont très élevées.

14 Mars

L’intensité du bombardement n’a pas diminué, l’effrayante bataille est reprise ou va reprendre. Sera-ce l’assaut général ? L’avance des Allemands si lente soit-elle est certaine ; tant qu’elle se poursuivra et que nous ne pourrons réagir victorieusement, l’issue de la bataille restera incertaine.

du 15 au 20 Mars

Les Allemands ont encore tenté 3 violentes attaques dont deux sur la rive gauche et une sur la rive droite de la Meuse. Elles ont été complètement repoussées. La bataille se ralentit. Le bombardement diminue.

Verdun est à nous et notre front reste inviolable. L’échec Boche est certain et sanglant ; toutefois, il convient d’attendre encore, nous avons gagné la première manche, il y en aura peut-être une seconde. Verdun est plus saillant que jamais.

Mais les derniers combats donnent vraiment entière confiance.

du 21 au 24 Mars

Les Allemands ne pouvant réussir leurs attaques frontales contre nos lignes Béthencourt – Mort Homme – Cumières- essaient de les prendre à revers en attaquant entre Avocourt et Malancourt. Ils ont gagné du terrain. La bataille de Verdun continue.

La Chambre

Les séances scandaleuses continuent à la Chambre, on y attaque le haut commandement à l’armée.

Le général Gallieni malade et surtout écœuré des parlementaires a quitté le ministère de la guerre. Le général Roques le remplace, c’est notre 4ème ministre de la guerre. Voilà qui suffit à juger un régime.

du 25 au 28 Mars

Pas d’attaques d’infanterie dans la région de Verdun, mais le bombardement continue, très intense. Notre artillerie de plus en plus nombreuse y répond largement. Les Allemands ne conserveront pas toujours l’initiative des opérations à Verdun. Il faut attendre.

Conférence des Alliés

Une importante conférence politique et militaire vient de se réunir à Paris. Les principaux ministres anglais et italiens y assistaient. Tous les Alliés y étaient représentés. Il faut espérer que cette conférence permettra de réaliser l’unité d’action des Alliés et la mise en commun de leurs ressources. C’est l’indispensable condition du succès pour eux.

Sans doute aussi on y parlera de la paix, hélas encore lointaine.