du 29 Mars au 3 Avril 1916

Les attaques d’infanterie ont repris et se font de plus en plus violentes sur les deux rives de la Meuse, nous avons perdu du terrain, avant hier le village de Vaux, hier une partie du bois des Caillettes. Cette dernière perte est sérieuse pour nous.

6 Avril

Nos contre-attaques nous ont entièrement rendu le terrain perdu entre Vaux et Douaumont.

Le duel de Verdun continue, la réputation mondiale et l’honneur de l’armée allemande réclament la prise de la ville coûte que coûte.

Nous tenons, c’est fort heureux ; mais n’oublions pas que c’est insuffisant. Il faut battre l’armée allemande

Les Russes

Les Russes ont tenté fin Mars une large offensive, ils ne semblent pas qu’ils aient obtenu des résultats bien appréciables.

Les Anglais

L’armée anglaise a étendu son front, elle occupe maintenant tous les secteurs de Dixmude jusqu’à la Somme. Les succès russes au Caucase ont écarté toute menace sur l’Egypte. La situation des Anglais en Mésopotamie demeure difficile.

Finances

L’Europe sortira ruinée à fond de cette guerre. Déjà les difficultés financières vont croissant chez tous les belligérants. De ce côté l’avenir me paraît très sombre. Des banqueroutes d’Etat me semblent inévitables, que sera-ce si la guerre dure.

L’avenir est redoutable, tout arrive dans cette guerre contrairement aux prévisions. Chose singulière, personne au monde n’avait osé prévoir l’immensité du désastre, et cependant en général les prophètes ne manquent pas. On avait certes prévu la guerre, mais on pas une telle guerre.

On peut se demander si l’épuisement financier pourra entraîner la fin de la guerre. Ce n’est pas certain, surtout pour l’Allemagne qui prend peu à l’extérieur. Elle prend à l’intérieur ce qui lui faut pour approvisionner ses armées et elle paie avec du papier qui a cours forcé.

Tant que la confiance règne dans le pays, la guerre peut continuer. Le manque de matières premières pourrait seulement arrêter les hostilités.

Mais il est clair que si l’Allemagne est vaincue, ses billets ne vaudront pas beaucoup plus que le poids du papier.

du 7 au 17 Avril

Les Allemands ont dirigé une offensive générale sur nos positions de la rive gauche de la Meuse. L’assaut acharné a duré les 9, 10 et 11 Avril sans autre résultat que le gain de quelques tranchées. Le bombardement continue très intense. Sur la rive droite, nous avons repoussé quelques attaques entre Vaux et Douaumont.

Il se confirme hélas que devant Verdun les Boches nous sont encore très supérieurs en artillerie lourde. Qu’il est triste de constater qu’au 20ème mois de la guerre nous ne sommes même pas encore arrivés à l’égalité du matériel. J’espère que nous n’arriverons pas trop tard, mais comme le disait dernièrement un ministre anglais «  il faut se hâter, un obus de plus aujourd’hui vaut mieux que dix de plus dans dix mois ».

Articles de consommation

16 Avril

 

 

Prix

 

 

avant la guerre

actuel

Sucre

le kilo

0,80

1,35

Essence de pétrole

les 5 litres

1,90

2,80

Alcool à brûler

le litre

0,70

2,25

Pommes de terre

les 100 kilos

9,00

18,00

Œufs

la douzaine

1,30

1,90

Lait

le litre

0,15

0,40

Beurre

la livre

1,70

2,70

Fromage camembert

la livre

0,70

1,30

Fromage gruyère

la livre

1,60

2,50

Légumes, pois cassés

le kilo

1,10

2,00

Légumes, lentilles

le kilo

1,40

2,60

Vin

le litre

0,50

0,90

Margarine (marque Tip)

le kilo

2,40

2,90

Graisse alimentaire

la livre

0,80

1,30

Huile combustible blanche

le kilo

1,60

3,00

Bois de chauffage

le stère

13,50

25,00

Café torréfié de bonne qualité

la livre

2,00 à 2,10

2,10 à 2,15

(coupure de journal)

Maladie

Ce journal a failli être interrompu pour toujours par une grave maladie, mais petit bonhomme vit encore et je continue.

du 17 Avril au 3 Juin

- en France -

La bataille de Verdun a continué avec des alternatives de violence jusqu’au 20 Mai. A partir de cette date la bataille a redoublé pour atteindre ces derniers jours une effrayante intensité. Sur la rive gauche de la Meuse, grâce à des pluies de gros explosifs, les Allemands ont fortement grignoté la cote 30 – le Mort Homme, ils ont pris le village de Cumières, mais nous tenons bon. Sur la rive droite, nous avions dans une superbe réaction reconquis la presque totalité du fort de Douaumont, mais ce succès a été aussi brillant qu’éphémère, actuellement les Boches nous refoulent, ils ont atteint le sud du bois de la Caillette. Ils menacent le fort de Vaux, ils occupent la moitié du village de Camloup. Verdun est de nouveau gravement menacé.

- en Angleterre -

Les Anglais ont voté le service obligatoire. L’importance du fait est grave, mais ce n’est que dans quelques dix mois qu’on en verra l’effet.

La petite armée anglaise (10 000) assiégée par les Turcs depuis 6 mois à Kat el Amara, n’a pu être secourue et a du se rendre.

Aucun combat important sur le front anglais d’Ypres à la Somme.

- en Russie-

Calme sur le front russe.

Les Italiens

L’Autriche est en train de nous montrer que loin d’être épuisée, elle est au contraire plus forte militairement qu’elle ne l’a jamais été et qu’elle a en particulier une magnifique et nombreuse artillerie lourde, surabondamment approvisionnée. Le 20 Mai elle a commencé une violente offensive dans le Trentin, elle a battu et refoulé les Italiens qui résistent mais reculent toujours. Il faut espérer que nos alliés grâce à leur supériorité numérique pourront empêcher les armées autrichiennes de déboucher dans la plaine de Vicence ; sans quoi ce serait toutes les lignes de l’Izonzo prises à revers et un véritable désastre militaire.

La situation

Pendant ces deux derniers mois, toutes les déclarations de l’Entente, tous ses journaux n’ont cessé de proclamer que jamais la situation militaire n’a été meilleure, l’Allemagne serait épuisée et ne saurait résister à l’offensive générale des Alliés que ceux-ci, s’entendant enfin, prendront à leur heure.

Toutes ces phrases et écritures sont agréables à entendre et à lire, mais malheureusement c’est toujours « demain » que nous devons nous montrer supérieurs.

Voyons les faits. A Verdun nous résistons admirablement mais nous sommes encore très inférieurs en artillerie lourde et nous ne réagissons que faiblement. Les Boches prétendent qu’ils perdent beaucoup moins de monde que nous, nous prétendons que c’est juste l’inverse, je crois pour ma part que les pertes allemandes dépassent de bien peu les nôtres ; ils nous font quantité de prisonniers. Enfin, l’initiative appartient sans aucun doute aux Allemands et la prise de Verdun reste fort possible ; certes cela ne terminerait pas la guerre, mais le coup n’en serait pas moins très rude pour nous.

En Italie, les Autrichiens affirment leur supériorité.

Dans les Balkans, c’est un comble, les Bulgares viennent occuper les positions qui commandent la Strouma, nous fermant une des voies d’invasion vers Sofia.

Enfin partout nos ennemis attaquent, partout ils prennent l’initiative et obtiennent des succès. Ces succès peuvent, il est vrai, les épuiser, ils peuvent n’être que temporaires. Mais quand donc cesserons-nous de nous montrer toujours et partout inférieurs. Nos adversaires ne donnent pas le moindre signe d’épuisement, bien au contraire. Ils se montrent de plus en plus fort. Il est clair que le temps qui devait être notre allié, ils l’ont utilisé aussi bien que nous sinon mieux que nous.

Cependant, malgré tout, je conserve dans la victoire des Alliés la foi du charbonnier et cela parce que nous avons pour nous toute la puissance de l’Angleterre. Mais l’Europe sera saignée à blanc, il y aura des tueries sans nom, encore plus atroces que celles de Verdun, et quelles ruines. L’avenir est de toutes manières aussi mystérieux que terrible.

Il faut que les Alliés persévèrent. Il faut qu’ils donnent l’effort total. Il faut que leur froide volonté ne se démente jamais, qu’elle demeure inflexible. De cette volonté de vaincre dépend l’avenir et l’existence de quatre grands peuples.

Sous-marins

Leur nombre augmente sans cesse ainsi que le mal qu’ils font. La question est d’extrême importance car c’est là une arme redoutable que l’Allemagne possède contre l’Angleterre.

- en Irlande -

En Mai, une grave révolte a éclaté en Irlande. Elle a été étouffée. Elle n’en est pas poins un fait déplorable faisant peu honneur à la perspicacité des dirigeants anglais. Il est clair que d’importants contingents vont se trouver immobilisés en Irlande.

8 Juin

Bataille navale

Une importante bataille navale s’est livrée le 31 Mai et s’est poursuivie dans la nuit par des attaques de torpilles.

Les Anglais avouent la perte de 3 beaux croiseurs de bataille, 3 croiseurs cuirassés et 8 contre-torpilleurs des plus modernes.

Les Allemands prétendent n’avoir perdu qu’un cuirassé déjà ancien, 3 croiseurs légers et quelques contre-torpilleurs. Aussi fêtent-ils la grande victoire navale, ils ont illuminé et octroyé un jour de congé aux écoliers de l’Empire.

Les Allemands mentent, c’est fort probable ; mais quoiqu’il en soit, j’ai l’impression que les Anglais ont bien reçu une pile. Les marins anglais ont poussé trop loin le mépris de l’adversaire et avec une folle hardiesse la flotte des croiseurs de bataille a engagé le combat contre des forces allemandes très supérieures. L’arrivée de l’amiral … - (ne voulant pas écorcher le nom de cet amiral que je n’ai pu déchiffrer : Jalliuse ??? j’ai préféré le taire) - avec le gros de la Home Fleet a heureusement rétabli le combat et déterminé les Boches à une prudente retraite. Les Anglais sont donc restés maîtres incontestés du champ de bataille et quoique leurs pertes aient été dures ils demeurent les maîtres de la mer.

La bataille a été livrée par la totalité des forces allemandes disposant de tous ses moyens. On est au moins fixé sur un point important, les Boches n’ont inventé aucun engin nouveau, leurs vaisseaux sont au plus égaux en puissance à ceux des Anglais et comme ces derniers en ont deux fois plus, il est évident que les Allemands n’ont pas la plus petite chance sur mer.

Mort de Kitchener

Kitchener est mort. Le croiseur anglais qui le transportait en Russie a été torpillé. C’est une mort glorieuse de soldat, mais une dure perte pour l’Angleterre et les Alliés. Homme hors ligne, homme d’action et tout d’énergie, c’est lui qui a fait surgir, armée, équipée, organisée, une armée de plus de 4 millions d’hommes. Heureusement il meurt après avoir accompli presque entièrement sa tâche.

Verdun

Nous avons du céder du terrain devant l’effroyable bombardement. Les Allemands sont maîtres du fort de Vaux et des bois au sud de Douaumont. C’est pour nous un recul de deux kilomètres. Les nouvelles lignes de défense seront jalonnées – forts de Siouville et de Tavannes.

- en Italie -

L’offensive autrichienne est arrêtée et même semble-t-il durement arrêtée par les Italiens.

- en Russie -

Sur un front de 400 kilomètres jusqu’à la frontière roumaine les Russes ont commencé une violente offensive. Ils annoncent 40 000 prisonniers. C’est un beau succès. Ils ont certainement entamé le front autrichien en plusieurs endroits. Puissent-ils avoir des masses d’infanterie et d’artillerie suffisantes pour pouvoir exploiter leur succès. Etant donné les fronts actuels, les belligérants qui verront leur front disloqué et seront contraints à une retraite générale subiront un véritable désastre.

La Paix

Les gens dits « bien informés » prétendent que nous allons à la paix, que la paix est proche.

J’avoue ne partager cet avis. Avant d’avoir la paix il faut battre l’Allemagne militairement, il faut l’abattre à genoux. Ceci reste à faire.

On dit que les Anglais ne tarderont pas à prendre l’offensive. Au même moment nous attaquerons dans la Somme. Ce serait l’offensive générale combinée avec celles des Italiens, des Russes et de notre armée balkanique. Certes le tableau est sécurisant.

La Bourse

La Bourse est excellente et semble tout à l’optimisme ; toutes les valeurs sont sur cotées à des prix qui semblent absurdes même. Elles ne montent que pour mieux redescendre. Je crains que la paix ne soit encore bien loin ; bien heureux si elle survient avant l’hiver.

12 Juin

L’offensive russe contre les Autrichiens prend les proportions d’une grande victoire. Les Russes annoncent 71 000 prisonniers. Le front autrichien est enfoncé en plusieurs endroits. Les Russes s’avancent rapidement.

L’offensive autrichienne contre l’Italie semble maîtrisée, toutefois la bataille continue acharnée. Le ministère italien vient d’être renversé.

Il semble que d’importants évènements se préparent sur notre front, on parle d’une grande offensive franco-anglaise. Jean nous confirme ces rumeurs.

Verdun

L’infernal bombardement continue sur les deux rives de la Meuse, les Boches nous ont encore grignoté quelques tranchées.

Comité secret

Nos 900 Parlementaires vont discuter en comité secret, ce sera une jolie pétaudière et le secret sera bien gardé. Ces 900 souverains vont discuter les responsabilités de Verdun et la question du haut commandement. Que sortira-t-il de cette aventure, rien de bon je le crains.

Education - Instruction

Quoique ceci n’ait rien à voir avec la guerre, je transcris ici ces réflexions si justes de Lavedan. Il parle des classes pauvres, c’est vrai de toutes. L’éducation est la principale, elle prime. Elle seule organise et met en relief l’instruction, la conduit, la règle, la dirige. L’Education sans instruction fera toujours, même ignorants, des hommes sensiblement supérieurs à ceux qui ne seraient qu’instruits, tandis que l’expérience démontre avec une cruauté lumineuse que l’instruction sans éducation n’est capable que de produire des déclassés, des irrités de la vie, des malheureux ou des méchants.

Il faut rétablir l’éducation religieuse, l’éducation manuelle, l’éducation professionnelle.

en Juin

L’offensive russe se poursuit. Nos alliés annoncent plus de 150 000 prisonniers – 103 canons seulement ; singulière disproportion.

Les Autrichiens malgré des attaques acharnées ne gagnent plus un pouce de terrain contre les Italiens.

Nous tenons devant Verdun.

Les journaux et les soldats parlent de la grande offensive imminente de l’armée franco-anglaise sur les deux rives de la Somme. Les renseignements sont si précis et si répandus que je commence à croire que ce sont là de fausses nouvelles destinées à tromper et énerver les Boches. L’offensive n’est pas si imminente, sinon quels secrets de polichinelle que ceux de notre commandement.

L’heure

Dans la nuit du 14 au 15 Juin, toutes les pendules ont été avancées d’une heure. On se couchera plus tôt et on économisera ainsi la lumière artificielle c’est-à-dire le charbon. La même mesure a déjà été prise en Allemagne, en Angleterre et en Italie.

25 Juin

Les Russes ont pris Cernowitz. Plus au nord dans la région de Loutz, les austro allemands ont contre-attaqué les Russes dont l’avance semble arrêtée dans cette région. Il faut attendre les évènements.

En France, peu de changement, toujours aucune initiative de notre part. Les Boches continuent à bombarder et grignoter notre front devant Verdun. Allemands et Français continuent à affirmer que leurs pertes sont légères et celles de l’adversaire écrasantes.

En somme, les jours se passent, les hommes tombent toujours plus nombreux, les milliards sont prodigués et la situation ne se modifie guère. Il me semble toutefois certain que la guerre ne saurait se prolonger au-delà de  sans entraîner la ruine complète de l’Europe. C’est une limite extrême. Déjà la dette nationale de la France dépasse cent milliards.

J’ai confiance dans la victoire des Alliés. Les réserves anglaises et russes sont énormes. Nous ne pouvons pas être battus. Mais évidemment cela n’est pas suffisant, il fait que l’Allemagne soit défaite militairement. Il faut que cette victoire survienne avant que nous soyons ruinés et saignés à blanc.