1er Avril 1918

La ruée allemande est enfin contenue, mais ils sont à Villers Bretonneux, à quinze kilomètres d’Amiens. La grande voie ferrée Paris - Amiens est sous le feu de leurs canons. Des combats d’un acharnement inouï se sont livrés sur un vaste front.

Les Allemands prétendent avoir pris 1100 canons et 70000 prisonniers. Il est probable que ces chiffres sont exacts.

Dans ces conditions, en admettant que les pertes allemandes soient plus fortes que les nôtres, il n’en paraît pas moins certain que l’affaiblissement des armées franco anglaises est au moins égal à celui des Allemands.

Ce qu’il y a de particulièrement navrant c’est de constater qu’après quatre ans de guerre l’Allemagne qui a combattu toute l’Europe (et qui soit disant a toujours payé ses succès par des hécatombes humaines) a toujours sur nous une grande supériorité d'effectifs ??

Il est vrai que l’Angleterre a des armées en Syrie, en Mésopotamie et ailleurs ; armées qui lui coûtent très cher et occupent un fret considérable, mais elle a l’appui des Indes, du Canada, de l’Australie, de la Nouvelle Zélande.

3 Avril

Foch a été nommé généralissime sur le front occidental ; il a fallu que nous connaissions le frisson de la défaite pour que cette décision d’une si évidente et capitale importance soit enfin prise.

Il y a accalmie sur le front. Le bilan de la bataille est une perte de terrain allant jusqu’à 60 kilomètres en profondeur. Sur 80 kilomètres de front d’attaque.

Si nous avions gagné une telle étendue de terrain au lieu de la perdre, nous aurions rejeté les Boches sur la frontière de Lille à Vouziers.

Enfin la perte de terrain n’est que peu de chose, vaincre est la seule question. Pour cela il faut se montrer supérieur, ce n’est pas précisément ce que nous venons de faire.

L’essentiel est cependant fait, l’ennemi est arrêté. Mais il est évident que la bataille pour Amiens n’est pas finie. Il faut attendre.

Paris

Le bombardement de Paris par le canon qui tire à 120 kilomètres a lieu presque tous les jours.

Le Vendredi Saint, un obus tombant sur l’église St Gervais a causé la mort de 72 personnes. Le bon vieux dieu boche doit être satisfait.

4 Avril

Pas d’actions d’infanterie, mais la reprise de la bataille ne saurait tarder. Allons-nous encore subir la volonté de l’adversaire. Attendons.

Les Américains qui comprennent toute la gravité de la situation de l’heure ont mis à la disposition de Foch toutes leurs troupes disponibles.

6 Avril

La bataille a repris entre Montdidier et la Somme avec la plus grande violence. Nous avons été légèrement refoulés. Les Allemands ne sont plus qu’à quelques kilomètres de la grande ligne Paris – Amiens.

8 Avril

Accalmie car cela ne saurait être autre chose.

10 Avril

Au nord d’Arras, région de Givenchy, les Anglais ont été violemment attaqués et ils ont cédé du terrain.

La théorie des fronts intangibles a donc vécu ; mais il est bien triste de constater que les Allemands ont réussi ce que nous avions vainement tenté de faire en 1917.

La puissance de l’armée anglaise est très inférieure à celle que je lui attribuais. Si nos pauvres alliés continuent à se faire battre, ils sont menacés des plus grands désastres et de destruction complète. Quels jours affreux nous vivons…

11 Avril

La lutte s’étend au nord d’Armentières, les Anglais reculent partout. C’est la grande bataille pour la décision de la guerre qui continue.

12 Avril

De Givenchy à … (mot que je n’ai pas réussi à déchiffrer !!!), l’armée anglaise recule en combattant, elle a déjà cédé une dizaine de kilomètres.

14 Avril

Les Anglais continuent à céder du terrain devant la ruée allemande, les boches approchent de Merville et Bailleul.

15 Avril

Les Allemands ont pris Bailleur et Merville, ils ne sont plus qu’à douze kilomètres d’Hazebrouck. La situation est grave. Dunkerque est menacé. Si l’avance ennemie se poursuit … (malheureusement ici encore la photocopie trop pâle est illisible… que n’ai-je l’original pour faire ce gros travail !!!)

Le maréchal sir Douglas Haig a adressé à ses troupes l’ordre du jour que voici :

 « Officiers et soldats de l’armée britannique en France et dans les Flandres,

« Voici aujourd’hui trois semaines que l’ennemi a commencé contre nous ses formidables attaques sur un front de cinquante milles. Son but est de nous séparer des Français, de saisir les ports de la Manche et de détruire l’armée britannique.

« Bien qu’il ait déjà lancé cent six divisions dans la bataille et qu’il sacrifie avec une impitoyable obstination la vie de ses soldats, il n’a encore fait que peu de progrès vers son but. Nous sommes redevables de cela à l’énergique résistance et à l’abnégation de nos troupes.

« Les mots me manquent pour exprimer l’admiration que j’éprouve pour la splendide conduite de tous les officiers et soldats britanniques dans les circonstances les plus difficiles. Beaucoup d’entre nous sont aujourd’hui fatigués. A ceux-là, je dirai : « La victoire sera du côté de celui qui tiendra le plus longtemps. »

« L’armée française se porte rapidement à notre aide en force considérable.

« Combattre jusqu’au bout est notre seul devoir. Nous devons tenir chaque position jusqu’au dernier homme. Pas de retraite.

« Pénétrés de la justice de notre cause et n’ayant aucune autre alternative, il faut que nous luttions jusqu’au bout. De la conduite de chacun de nous en cette heure critique dépendent la sécurité de nos forces et la liberté de l’humanité. »

(coupure de journal)

?? Avril

Les Boches sont arrêtés. Le terrain gagné par eux forme une poche profonde dans les lignes anglaises. Mais … (mêmes problèmes de déchiffrage !!!)… n’ont pas fléchis et la situation des Allemands permettrait une attaque de force franco anglaise. Il est impossible que ce front reste fixé dans sa situation actuelle.

On s’attend à une reprise imminente de la dure bataille vers Hazebrouck et vers Amiens.

30 Avril

Les Allemands ont dirigé une puissante attaque sur … et Villers Bretonneux – elle a échoué. Ils ont été plus heureux dans les Flandres où ils ont pris le mont Kemmel. Ypres est très menacé.

Mais ces affaires ne sont encore que le prélude du grand assaut qui est attendu de jour en jour.

7 Mai

On attend l’offensive allemande.

Je prétendais autrefois qu’il était impossible de s’habituer à la douleur et au malheur. Je le crois moins maintenant. On ne peut toujours vivre dans l’angoisse, la faculté de sentir et de souffrir s’émousse. La mauvaise nouvelle ou la souffrance ne surprend jamais puisqu’on l’attend toujours.

Ainsi dans cette guerre il s’est créé une certaine accoutumance à la mort et à toutes les horreurs. Et puis on ne sait plus rien ; on a tant de fois espéré, désespéré de la fin. On finit par ne pas voir et ne pas penser à force de désirer ne pas voir et ne pas penser.

La pensée se perd quand on veut le sang sans considérer la catastrophe mondiale ; l’esprit est frappé de vertige comme devant un abîme.

L’avenir est affolant. J’ai écrit ici vingt fois ce que je pensais de l’avenir si la guerre se prolongeait au-delà de 1917. A quoi bon voir venir. Déjà de graves problèmes sociaux et financiers apparaissent sans solution. La valeur de l’argent a baissé de 40% au moins. La société sera bouleversée.

Mais pour le moment la seule question de vie ou de mort est celle de la victoire. Tout plutôt que la défaite, que le front dans la poussière devant les boches.

Si les derniers évènements n’ont pas emporté de décision, on ne peut pas dire hélas qu’ils aient apporté la preuve d’une supériorité de notre part. C’est bien plutôt le contraire et cela est grave.

Nous avons un affreux printemps, pluie, froid, brume continuelle. C’est peut-être ce motif qui retarde l’offensive boche.

La supériorité de l’aviation des alliés semble s’affirmer. Le concours américain devrait nous permettre d’acquérir une supériorité écrasante. Cette question a une grande importance et jouera peut-être un rôle décisif. Il est évident qu’une grande extension de l’aviation de bombardement pourrait notamment rendre impossibles les communications  de l’ennemi.

Une opération aussi remarquable par la hardiesse de sa conception que par celle de son exécution a été tentée par les Anglais contre les entrées de Zeebrugge et d’Ostende. De vieux bâtiments remplis de béton ont été échoués en travers des passes. Des nuages artificiels ont permis leur approche. En même temps des détachements anglais ont débarqué sur le môle de Zeebrugge et détruit des portes d’écluses. C’est un magnifique fait d’arme.

Une première tentative n’ayant pas donné de résultats complets, une deuxième expédition a eu lieu et il semble bien que les entrées de Zeebrugge et Ostende sont bloquées.

?? Mai

La ruée allemande est attendue. De partout on annonce que ce sera le plus choc de la guerre. Les énergies sont tendues à leurs plus extrêmes limites.

La situation est meilleure qu’au 21 Mars ; nous avons l’unité de commandement, ce qui est capital. Mais, d’autre part, il est certain que nous ne pouvons cette fois nous offrir ce luxe d’un recul de 60 kilomètres. Il nous faut tenir coûte que coûte.

L'offensive allemande

(Jeudi 30 mai 1918)

Lundi matin, 27 mai, les Allemands ont follement inondé de toxique nos lignes entre Soissons et Reims.

Le bombardement a duré 3 heures. A 6 heures du matin, l’attaque se déclenchait. Le succès boche a été foudroyant. A midi, ils atteignaient l’Aisne à Pont Arcy. A minuit toutes les fameuses positions du Chemin des Dames sur 20 kilomètres de front et 10 kilomètres de profondeur étaient en leur possession et l’armée allemande franchissait l’Aisne sur un large front.

Plus tard nous saurons ce qui s’est passé, nos troupes ont dû être surprises complètement… Nous saurons aussi ce qu’un recul aussi rapide au sud de l’Aisne nous aura coûté d’hommes, de canons !! et de matériel.

D’ailleurs notre recul ne s’est pas borné là ; dès le mardi les Allemands forçaient la Vesle à l’ouest de Fismes ; le mercredi, ils la franchissaient sur un large front ; dans la même journée, ils élargissaient la trouée prenant Soissons ; quant à Reims, sa prise n’est plus qu’une question d’heures.

Cette fois on ne nous parle pas des grandissimes pertes allemandes J’écrivais ces jours derniers que la faculté de souffrir, la faculté d’angoisse finissent par s’émousser. C’est vrai.  Nous avons connu des situations aussi terribles et nous avons pu arrêter l’ennemi. J’espère qu’il en sera encore de même. Je fais en acte de foi en Dieu, en notre armée, en la France qui ne peut mourir et ensuite je tâche de ne pas penser, de ne pas réfléchir car autrement ce serait à pleurer, à crier, à devenir fou d’angoisse.

Prions pour Foch

J’ai dit à mes enfants, à tous ceux que j’ai vus : « Priez pour Foch » On prétend qu’il aurait dit à Clemenceau : « Si la situation devenait désespérée, je ferai mettre le Sacré Cœur sur les drapeaux. » et notre premier aurait répondu : « Foutez ce que vous voudrez mais sauvez la France. »

Jamais fardeau plus écrasant n’a été porté par des épaules humaines. Prions pour Foch.

Il est évident qu’un succès initial aussi rapide nous a laissé bien peu de temps pour amener nos renforts. La ruée allemande atteindra-t-elle la Marne ? C’est bien probable. Et dans la direction de Paris jusqu’où ira-t-elle ?

J’espère qu’une fois encore nous arrêterons l’Allemand ; mais où est notre supériorité. Nous encaissons toujours suivant le vocabulaire des combats de boxe.

Quant aux fronts inviolables, la cause est réglée par les Allemands, non par nous hélas.

Nous sommes encore inférieurs.

Samedi 1er Juin

Les Allemands ont atteint la Marne entre Château-Thierry et Epernay, voilà l’angoissante nouvelle de ce matin. Il se confirme que nous avons été complètement surpris au Chemin des Dames. Il était tenu par des régiments territoriaux et des divisions anglaises qu’on avait envoyé là au repos.

Ainsi s’explique notre lourde défaite.

Nous tenons toujours Reims et les abords de Soissons, ce qui devrait nous permettre une victorieuse réaction, en sommes-nous capables ? Il faut l’espérer, je l’espère même fermement.

Mais quelle angoisse, en ce moment même où j’écris, les soldats français meurent pour la France par dizaines de milliers. Avec de tels hommes, un général comme Foch doit pouvoir parer et riposter. Sursum corda.

Mais que Dieu veuille épargner nos enfants des heures pareilles à celles que nous vivons.

Mardi 4 Juin

La situation est moins mauvaise. Nous tenons encore Reims mais nous avons cédé du terrain entre Aisne et Oise.

Les Allemands attaquent sur les deux rives de l’Ourcq en direction de Paris. Nos réserves arrivent et contiennent l’ennemi. Une grande bataille est probable sur le front Montdidier – Château-Thierry. Des attaques dans le Nord sont aussi probables. Il est clair que l’Allemagne veut essayer d’arracher la décision avant l’intervention en force de l’armée américaine.

Les Allemands annoncent 35000 prisonniers et la capture d’un matériel immense – canons de tous calibres dont un grand nombre de lourds, énormes dépôts de munitions, aérodromes et nombreux aéroplanes prêts à partir… La vérité est assurément embellie, mais notre front ayant été complètement rompu, l’avance allemande a été si rapide que nous avons du forcément abandonner le matériel après l’avoir (il faut le croire) rendu inutilisable.

Je m’inquiète d’Amédée de Marsac qui était à Fismes.

Mardi 11 Juin

La poussée allemande a été endiguée, nous tenons toujours Reims, les lisières de Château-Thierry et la forêt de Villers Cotteret.

Le 7 juin, une nouvelle bataille acharnée s’est engagée sur le front Montdidier – Noyon. Nos troues ont résisté avec acharnement.

Une vive contre attaque française commandée par le général Mangin abloqué l’avance allemande. Ils ont cependant gagné une dizaine de kilomètres et ne sont plus qu’à 2 lieues  de Compiègne.