Armistice bulgare

2 Octobre 1918

C’est un fait accompli. L’armistice bulgare est signé. Nous ignorons les conditions. A la veille de voir leur territoire envahi, craignant de terribles représailles, les Bulgares ont fait « Kamarade » évitant ainsi le châtiment. C’est évidemment bien commode.

Les conséquences de cet événement sont énormes. C’est une grave fissure dans le bloc ennemi. Les communications directes des Centraux avec l’Asie sont coupées. La Turquie devra capituler.

5 Octobre

Depuis le 10 septembre, le temps est affreux, vent, froid, pluie. Les mouvements des armées doivent être bien difficiles. Les sorties de tanks et d’avions sont impossibles. Que la Providence veuille bien nous accorder une belle fin d’automne pour l’hallali des Boches et peut-être aurons-nous la paix en 1918.

Malgré le mauvais temps

LES REPRESAILLES

(déclaration officielle du Gouvernement français)

« Le gouvernement allemand n’a pas cessé de proclamer que si jamais il venait à être forcé d’abandonner les territoires français qu’il a occupés, il ne rendrait qu’une terre absolument nue et ravagée.

« Cette sauvage menace a été mise à exécution à chacun des replis ennemis avec une férocité méthodique.

« Contraintes aujourd’hui à reculer sans arrêt sous la pression inlassable des Alliés, les armées allemandes, pour se venger de leurs défaites continues, s’acharnent plus cruellement encore que précédemment contre les populations, contre les villes et contre la terre même.

« Rien n’est épargné aux malheureux habitants de nos provinces. Arrachés brutalement à leurs demeures et à leur sol, déportés en masse, poussé comme un troupeau de bétail devant les armées allemandes en retraite, ils voient derrière eux piller et détruire leurs maisons et leurs usines, incendier les écoles et les hôpitaux, dynamiter les églises, saccager leurs vergers et toutes leurs plantations. Enfin ils trouvent villes et villages minés, les routes semées de machines infernales à explosion savamment retardées pour produire le meurtre en masse des populations revenues à leurs foyers. Le bombardement des hôpitaux vient ajouter à ces forfaits le massacre cynique des blessés.

« En présence de ces violations systématiques du droit et de l’humanité, le gouvernement français a l’impérieux devoir d’adresser un avertissement solennel à l’Allemagne et aux Etats qui l’assistent dans son oeuvre monstrueuse de ravages et de dévastations. Des actes aussi contraires aux lois internationales et aux principes même de toute civilisation humaine ne resteront pas impunis.

« Le peuple allemand, qui participe à ces forfaits, en supportera les conséquences. Les auteurs et les ordonnateurs de ces crimes en seront rendus responsables moralement, pénalement et pécuniairement. Vainement ils chercheront à échapper à l’inexorable expiation qui les attend.

« Le compte à régler avec eux est ouvert. Il sera soldé. La France est dès à présent en pourparlers avec ses alliés pour toutes les décisions à prendre.

Voilà une déclaration qui vient à son heure.

Les Boches demandent la paix

(6 Octobre)

Zurich, 6 octobre. – C’est à l’issue de la séance du Reichstag que le texte de la note transmise par l’intermédiaire du gouvernement suisse au président Wilson, de la part du gouvernement allemand, a été livré à la publicité. Elle est ainsi conçue :

« Le gouvernement allemand prie le président des Etats-Unis d’Amérique de prendre en mains la cause de la paix ; d’en informer tous les états belligérants et de les inviter à envoyer des plénipotentiaires pour ouvrir des négociations.

« Le gouvernement allemand prend pour base de ces négociations la programme élaboré dans le message adressé au congrès du 8 janvier 1918 par le président des Etats-Unis d’Amérique et dans ses déclarations ultérieures, en particulier dans le discours du 27 septembre 1918.

« Pour éviter que l’effusion de sang continue, le gouvernement allemand demande la conclusion immédiate d’un armistice général sur terre, sur mer et dans les airs. »

« Max de Bade »

Cette note a été remise, vendredi à midi, par le ministre d’Allemagne à Berne, le baron Rombert, au chef du département politique du gouvernement fédéral, pour être transmis au président Wilson

(Havas)

Combien cette demande a du coûté à l’orgueil boche. Elle n’en a que plus de prix, elle est le signe certain de leur défaite et de la prochaine faillite de l’Autriche et de la Turquie. La Bête chancelle, c’est l’heure de succomber, la force des coups pour l’achever. On fera la paix après.

Réponse de Wilson

(10 Octobre)

Elle est fort habile sauf sur un point où elle me semble dangereuse.

Washington, 8 octobre. --  Voici le texte de la note envoyée par le Secrétaire d’Etat au chargé d’affaires de Suisse, en réponse à la note de l’Allemagne :

« Département d’Etat, 8 octobre.

« J’ai l’honneur d’accuser réception, au nom du président, de votre note du 6 octobre, à laquelle est jointe une communication du gouvernement allemand au président ; et le président m’a chargé de vous prier de communiquer ce qui suit au chancelier impérial allemand :

« Avant de répondre au gouvernement impérial allemand et afin que la réponse soit aussi sincère et sans détours que les formidables intérêts en jeu l’exigent, le président des Etats-Unis estime nécessaire de s’assurer de la signification exacte de la note du chancelier impérial.

« Le chancelier impérial veut-il dire que le gouvernement impérial allemand accepte les conditions posées par le président dans son adresse au Congrès des Etats-Unis, le 8 janvier dernier, et dans ses adresses subséquentes, et que son but, en entamant les discussions, serait seulement de se mettre d’accord sur les détails pratiques de leur application ?

« Le président se voit dans l’obligation de dire, en ce qui concerne la suggestion d’un armistice, qu’il ne voit pas la possibilité de proposer une cessation des hostilités aux gouvernements avec lesquels le gouvernement des Etats-Unis est associé contre les puissances centrales, aussi longtemps que les armées de ces dernières sont sur le sol des gouvernements associés.

« La bonne foi de toute discussion dépendrait manifestement du consentement des puissances centrales de retirer immédiatement partout leurs forces des territoires envahis.

« Le président se croit également justifié en demandant si le chancelier impérial parle simplement au nom des autorités constituées de l’empire qui, jusqu’ici, ont conduit la guerre.

« Il considère que la réponse à ces questions est vitale à tout point de vue.

« Agréer, monsieur, les assurances renouvelées de sa haute considération »

 « Robert Lansing »

Il est impossible d’admettre que nous permettrions à l’armée allemande de se retirer de France et de Belgique avec armes et bagages. La valeur de la parole allemande est nulle tant qu’il leur sera possible de la violer. Il nous faut la victoire militaire ; il faut que la force militaire  allemande soit détruite. Il faut arracher les greffes dans la patte sanglante.

Que l’armée boche se retire, oui mais en laissant armes, canons, munitions.

Les Anglais continuent d’avancer, ils ont pris Cambrai, la ligne Hindenburg est enfoncée sur 80 kilomètres de front.

L’heure de la paix approche.

On vit dans l’attente et la fièvre. Quelle extraordinaire succession d’évènements. Il y a trois mois à peine la menace sur Paris demeurait grave. Après nos dures défaites de Mars et de Mai, aucune offensive de l’Entente ne semblait possible en 1918, on ne souhaitait qu’une chose : Tenir.

Et soudain tout change. Notre constante infériorité se change en éclatante supériorité. Le front allemand contre lequel toutes nos attaques se brisaient c’est tout d’un coup. Ce front inviolable est enfoncé en vingt endroits.

Jusqu’à présent les Allemands ont réussi à reculer en ordre avec un minimum de pertes en hommes et matériel mais l’heure semble approcher où cette retraite va se changer en déroute ; il ne s’agit plus pour nos ennemis de conserver le terrain il s’agit de sauver leurs armées.

Nous sommes à la veille des évènements qui vont décider du sort du monde pour un siècle. L’Autriche et la Turquie sont à bout, l’Allemagne va hélas pouvoir prolonger la lutte ; pourra-t-elle faire tête sur la Meuse ou le Rhin ? Cela semble presque impossible, c’est le secret de demain. Mais une chose me paraît certaine c’est que si l’Allemagne doit consentir une paix immédiate et humiliante ce n’est pas le Kaiser qui la signera.

Réponse allemande

(13 Octobre)

 « En réponse aux questions du président des Etats-Unis d’Amérique, le gouvernement allemand déclare :

« Le gouvernement allemand a accepté les points que le président Wilson a posés dans son discours du 8 janvier 1918 et dans ses discours postérieurs comme base d’une paix de droit durable. Le but des pourparlers à entamer serait donc seulement de s’entendre sur les détails pratiques de leur application.

« Le gouvernement allemand suppose que les gouvernements des puissances alliées, des Etats-Unis aussi, se placent sur le terrain des manifestations du président Wilson.

« Le gouvernement allemand d’accord avec le gouvernement austro-hongrois, se déclare prêt à répondre à la proposition d’évacuation du président Wilson pour amener un armistice.

« Le gouvernement allemand s’en rapporte au président pour provoquer la réunion d’une commission mixte qui serait chargée de passer les accords nécessaires en vue de l’évacuation.

« Le gouvernement allemand actuel, qui porte la responsabilité de conclure la paix, a été à la suite de négociations et d’accord avec la grande majorité du Reichstag, et, s’appuyant dans chacun de ses actes sur la volonté de cette majorité, le chancelier de l’empire parle au nom du gouvernement et du peuple allemand. »

Cette réponse allemande soulève une joie générale mais tempérée d’une grande méfiance.

Et les crimes commis sur terre, sur mer, par les airs, crimes innombrables … assassinés… rapts, pillages, populations emmenées en esclavages… ! … !… Est-ce que l’Allemagne s’imagine qu’il lui suffit de crier : « Kamarades » pour que nous puissions oublier ? Non, non, il n’y a que nos socialistes sans petites cervelles pour répondre : « Kamarades » à la bête Boche.

L’Allemagne serait … sans une capitulation militaire. La guerre doit être continuée tant que la force militaire allemande persiste. Et il faut bien le voir, elle n’est encore qu’ébranlée mais non brisée ; nos ennemis reculent mais non sans habileté en sauvant la plus grande partie de leur matériel. Le dernier coup, le knock-out n’est pas donné, il faut qu’il le soit avant que l’on cause, d’ailleurs ce mot est impropre, il faut que  nous dictions nos conditions. Si Wilson veut rêver, Clemenceau et Lord Georges sont là pour le réveiller.

Nouvelle réponse de Wilson

(15 Octobre)

La réponse de Wilson me satisfait  cette fois beaucoup plus que la précédente. Mais les deux notes du 8 et du 15 sont assez discordantes. Enfin la dernière est la bonne, c’est l’essentiel.

Si l’Allemagne répond autre chose qu’un « non », pur et simple, c’est qu’elle est bien bas.

« Département d’Etat, 8 octobre.

 « En réponse à la communication du gouvernement allemand en date du 12 courant, que vous m’avez remise aujourd’hui, j’ai l’honneur de vous demander de transmettre la réponse suivante :

« L’acceptation sans restrictions par le gouvernement allemand et par une grande majorité du Reichstag allemand des conditions posées par le président des Etats-Unis d’Amérique dans son adresse au Congrès des Etats-Unis du 8 janvier 1918, et dans son adresse subséquente, justifie le président à faire un exposé franc et  direct de la situation relativement aux communications du gouvernement allemand des 8 et 12 octobre 1918.

« IL DOIT ETRE CLAIREMENT ENTENDU QUE LE MODE D’EVACUATION ET LES CONDITIONS DE L’ARMISTICE sont des questions qui doivent être laissées AU JUGEMENT ET AUX AVIS DES CONSEILLERS MILITAIRES DU GOUVERNEMENT DES ETATS-UNIS ET DES GOUVERNEMENTS ALLIES et le président a le sentiment qu’il est de son devoir de dire que NUL ARRANGEMENT NE PEUT ETRE ACCEPTE PAR LE GOIUVERNEMENT DES ETATS-UNIS qui n’assurerait pas  des sauvegardes ou des garanties absolument satisfaisantes au maintien de LA PRESENTE SUPERIORITE MILITAIRE DES ARMEES DES ETATS-UNIS ET DES ALLIES SUR LE CHAMP DE BATAILLE.

« Il a confiance de pouvoir présumer en toute sécurité que tels seront aussi le jugement et la décision des gouvernements alliés.

« Le président sent aussi QU’IL EST DE SON DEVOIR D’AJOUTER QUE NI LE GOUVERNEMENT DES ETATS-UNIS D’AMERIQUE, NI – il en a la certitude – LES GOUVERNEMENTS avec lesquels le gouvernement des Etats-Unis est associé comme belligérants,  NE CONSENTIRONT à envisager UN ARMISTICE AUSSI LONGTEMPS que les FORCES ARMEES DE L’ALLEMAGNE continueront de se livrer AUX PRATIQUES ILLEGALES ET INHUMAINES dans lesquelles elles persistent.

« Au moment même où le gouvernement allemand approche le gouvernement des Etats-Unis avec des propositions de paix, SES SOUS-MARINS S’ACHARNENT A COULER DES NAVIRES A PASSAGERS, sur mer et non seulement les navires mais les embarcations mêmes dans lesquelles les passagers et les équipages cherchent à se sauver. Et dans leur retraite actuelle, forcée de Flandres et de France, LES ARMEES ALLEMANDES POURSUIVENT LE COURS DE LEURS DESTRUCTIONS EFFRENEES, ce qui a toujours été considéré comme étant une violation des règles et pratiques de la guerre civilisée. Villes et villages, s’ils ne sont pas détruits, sont dépouillés, non seulement de tout ce qu’ils contiennent, mais souvent de leurs habitants eux-mêmes.

« ON NE SAURAIT S’ATTENDRE à ce que les nations associées contre l’Allemagne CONSENTENT A UNE SUSPENSION D’ARMES, tandis que se poursuivent CES ACTES D’INHUMANITE, DE DEVASTATION ET DE DESOLATION que ces nations considèrent à juste titre avec horreur et le cœur enflammé.

« IL EST EGALEMENT NECESSAIRE, afin qu’il n’y ait aucune possibilité de malentendu, que LE PRESIDENT APPELLE, TRES SOLENNELLEMENT, l’attention du gouvernement allemand sur LA FORME ET LA PORTEE MANIFESTE D’UNE DES CONDITIONS DE PAIX AUXQUELLES le gouvernement allemand a maintenant adhéré. Elle est contenue dans l’adresse du président prononcée à Mont-Vernon le 4 juillet dernier. Elle est ainsi conçue :

« DETRUIRE TOUT POUVOIR ARBITRAIRE OU QU’IL SE TROUVE QUI PEUT SEPAREMENT, SECRETEMENT ET PAR SA SEULE VOLONTE, TROUBLER LA PAIX DU MONDE, S’IL NE PEUT ETRE PRESENTEMENT DETRUIT, AU MOINS LE REDUIRE A UNE VIRTUELLE IMPUISSANCE.

« LE POUVOIR QUI, JUSQU’ICI, A GOUVERNE LA NATION ALLEMANDE EST DE LA NATURE CI -DESSUS INDIQUEE.

« Il dépend de la volonté de la nation allemande de le changer.

« LES PAROLES DU PRESIDENT, qui viennent d’être citées, CONSTITUENT NATURELLEMENT UNE DES CONDITIONS PREALABLES A LA PAIX, si la paix doit venir par l’action du peuple allemand lui-même.

« Le président se sent obligé de dire que TOUT LE PROCESSUS DE LA PAIX, selon son opinion, SERA SUBORDONNE A LA PRECISION ET AU CARACTERE SATISFAISANT DES GARANTIES qui peuvent être données DANS CETTE QUESTION FONDAMENTALE. Il est indispensable que les gouvernements, associés contre l’Allemagne, sachent sans équivoque possible, à qui ils ont à faire. »

« Le président fera une réponse séparée au gouvernement impérial et royal d’Autriche-Hongrie.

« Acceptez, Monsieur, etc. …

 « Robert Lansing »

Avec quels mots rendre la haine et la colère (juste et sainte haine) qui grondent dans les cœurs français à la lecture des abominations commises par les Allemands. On parle de Société des Nations. Jamais, pour ma part, je n’admettrai de Société avec ces brutes et j’espère que mes enfants et petits-enfants auront toujours la haine du Boche et  qu’ils n’oublieront jamais les horreurs de Lille et tant d’autres…

Le martyre de la population de Lille.

La population de Lille manifeste patriotiquement sa joie de la délivrance, sans se départir d’une imposante dignité.

Hier après-midi, un avion allemand a tiré sur la foule. Il y a quelques blessés.

L’ennemi a bombardé Flyes avec un canon à longue portée.

Les Allemands ont outragé odieusement la population féminine.

Prétextant de sauvegarder la santé de l’armée allemande, ils obligèrent les femmes et les jeunes-filles de toutes classes et de toutes conditions à subir la visite médicale.

Deux crimes pèsent particulièrement sur l’envahisseur : les déportations de femmes en octobre 1916 et le récit des hommes faits il y a dix jours.

Ceux-ci quittèrent Lille en chantant « La Marseillaise » si stoïquement qu’ils arrachèrent au gouverneur allemand Gravenitz ce cri : « cette race ! Quelle race ! »

(coupure de journal)

Nouvelle réponse allemande

(20 Octobre)

La réponse allemande n’est pas « non », elle est très humble mais ces gens-là  parlent de négociations… Pensons aux horreurs de Lille, est-ce qu’on négocie avec de rares telles brutes. Dans cette réponse, il est question de l’honneur allemand. Voilà deux mots dont la réunion jurent terriblement. Qu’est-ce que cela peut bien être que l’honneur allemand ?

La réponse de l’Allemagne à la note du président Wilson en date du 14 octobre.

La réponse de l’Allemagne au président Wilson a été transmise par l’agence Wolff le 21 octobre. Elle a été connu à Berne au début de l’après-midi ; elle porte la date du 20 octobre et d’après le Lolad Anzeiger du 21, a été transmise en Suisse dans la journée. En voici le texte :

« Le Gouvernement allemand, en acceptant le proposition relative à l’évacuation des territoires occupés, s’est inspiré de ce point de vue  que les modalités de cette évacuation et les conditions de l’armistice devraient confiées à des conseillers militaires et que les arrangements destinés à  en garantir l’exécution devrait avoir pour base le rapport proportionnel des forces actuellement en présence sur le front.

« Le Gouvernement allemand laisse au président Wilson le soin de provoquer une occasion de régler les détails. Il compte que le président des Etats-Unis n’approuvera pas les prétentions qui seraient inconciliables avec l’honneur du peuple allemand et avec la préparation d’une paix de justice.

« Le Gouvernement allemand proteste contre les accusations relatives à des actions illégales et inhumaines qui ont été lancées  contre les troupes allemandes de terre et de mer et, par conséquent, contre le peuple allemand.

« Des destructions sont toujours nécessaires pour couvrir une retraite et elles sont, quand elles ont cet objet, permises sur le droit des gens. Les troupes allemandes ont reçu l’ordre le plus formel d’épargner la propriété privée et de prendre le plus grand soin possible de la population. Si, cependant, des excès sont commis, les coupables sont châtiés.

« Le Gouvernement allemand conteste également que la marine allemande ait, lors des torpillages de navires, anéantis en pleine connaissance de cause des canots de sauvetage avec leurs occupants. Le Gouvernement allemand propose de faire éclaircir, par des Commissions neutres, tous les faits relatifs aux points dont il vient d’être question.

« Pour éviter tout ce qui pourrait entraver l’œuvre de la paix, le Gouvernement allemand a fait adresser à tous les commandants de sous-marins des ordres destinés à rendre impossible tout torpillage de navires affectés aux transports de passagers. Pour des raisons d’ordre technique, il est toutefois impossible de garantir que ces ordres atteindront, avant leur retour, tous les sous-marins actuellement en mer.

« Le président pose comme condition fondamentale de la paix la destruction de tout pouvoir arbitraire susceptible de troubler à son gré la paix du monde en dehors de tout contrôle et par sa simple volonté. Le Gouvernement allemand répond sur ce point : dans l’Empire allemand, le gouvernement, jusqu’ici, était formé en dehors de toute action de la représentation nationale ; sa Constitution ne prévoyait pas, pour décider de la guerre ou de la paix, la collaboration de la représentation nationale. Une transformation radicale a modifié cet état de choses. Le nouveau Gouvernement a été constitué en parfait accord avec les vœux de la représentation nationale qui émane du suffrage égal, universel et direct. Les chefs des grands partis du Reichstag en sont membres. A l’avenir, aussi, aucun Gouvernement ne pourra prendre le pouvoir ou continuer à l’exercer sans avoir la confiance de la majorité du Reichstag. La responsabilité du chancelier d’Empire, vis à vis de la représentation nationale, sera étendue et assurée par une loi.

« Le premier acte du Gouvernement a été de présenter au Reichstag une loi qui modifie la Constitution de l’Empire en ce sens que l’assentiment de la représentation nationale sera nécessaire pour décider de la paix et de la guerre.

« La durée du nouveau système n’est pas seulement assurée par des garanties légales, mais par l’inébranlable volonté du peuple allemand qui, dans sa grande majorité, soutient ces réformes et exige qu’elles soient énergiquement poursuivies.

« A la question posée par le président, qui demande à qui les Gouvernements alliés et lui ont affaire, il est ainsi répondu clairement et sans équivoque possible que l’offre de paix et d’armistice émane d’un Gouvernement qui, à l’abri de toute influence arbitraire des milieux dépourvus de responsabilité, s’appuie sur l’adhésion de l’écrasante majorité du peuple allemand.

« Berlin, 20 octobre 1918. »

Wilson va-t-il encore répondre. Toutes ces parlottes sont bien peu intéressantes. La lecture du communiqué des opérations de guerre est bien plus importante. La défaite militaire allemande voilà  ce qu’il faudrait réaliser pour pouvoir non pas négocier mais dicter les conditions de paix et exiger toutes les réparations nécessaires.

Nouvelle réponse du Président Wilson

à la note de l’Allemagne du 21 octobre.

« Département d’Etat, 23 octobre 1918.

« Monsieur, j’ai l’honneur de vous accuser réception de votre note du 22 courant transmettant une communication du Gouvernement allemand en date du 21 octobre, et de vous informer que le président m’a chargé de répondre à cette communication comme suit :

« Ayant reçu les assurances solennelles et explicites du Gouvernement allemand, que celui-ci accepte sans réserves les termes de paix exposés dans son adresse au Congrès des Etats-Unis, en date du 8 janvier 1918, ainsi que les principes de règlement énoncés dans ses adresses subséquentes, particulièrement dans l’adresse du 27 septembre, qu’il désire discuter les détails de leur application et que ce désir et cette intention émanent, non pas de ceux qui ont jusqu’ici dicté la politique allemande et conduit la présente guerre du côté de l’Allemagne, mais de ministres qui parlent pour la majorité du Reichstag et pour une majorité écrasante du peuple allemand ; ayant aussi reçu la promesse explicite du présent Gouvernement allemand que les règles humanitaires de la guerre civilisée seront observées et sur terre et sur mer par les forces allemandes armées, le président des Etats-Unis estime qu’il ne peut pas refuser d’étudier avec les Gouvernements avec lesquels le Gouvernement des Etats-Unis est associé la question d’un armistice.

« Il considère qu’il est de son devoir de redire, cependant, que le seul armistice qu’il s’estimerait justifié à soumettre pour être pris en considération serait un armistice qui laisserait les Etats et les peuples associés avec eux en position d’imposer tout arrangement qui pourrait être conclu et de rendre impossible un renouvellement d’hostilités de la part de l’Allemagne.

«Le président a donc transmis sa correspondance avec les présentes autorités allemandes aux Gouvernements avec lesquels le Gouvernement des Etats-Unis est associé comme belligérant, avec la suggestion que si ces gouvernements sont disposer à effectuer la paix aux conditions et suivant les principes déjà indiqués, il conviendrait de demander à leurs conseillers militaires, ainsi qu’aux conseillers militaires des Etats-Unis de soumettre aux Gouvernements associés contre l’Allemagne les conditions nécessaires d’un armistice tel qu’il puisse protéger d’une manière absolue les intérêts des peuples intéressés et assurer aux Gouvernements associés le pouvoir sans limites de sauvegarder et d’imposer les détails de la paix, à quoi le Gouvernement allemand a consenti, pourvu du moins qu’ils jugent un pareil armistice possible au point de vue militaire.

« Si de semblables conditions d’armistice devaient être ingérées, leur acceptation de la part de l’Allemagne fournirait la preuve la meilleure et la plus concrète que celle-ci accepte d’une façon non équivoque les conditions et les principes de paix dont dérive toute l’action.

« Le président semblerait lui-même manquer de sincérité s’il ne faisait pas ressortir, dans les termes les plus francs possibles, la raison pour laquelle des garanties extraordinaires doivent être exigées. Quelque significatifs et importants que semblent être les changements constitutionnels dont parle le secrétaire allemand des Affaires Etrangères dans la note du 20 octobre, il ne paraît pas que le principe d’un Gouvernement responsable vis à vis du peuple allemand ait été complètement réalisé, ni que des garanties existent ou soient envisagées permettant d’avoir l’assurance que les modifications de principe et de pratique actuellement ressenties en partie soient permanentes.

« D’ailleurs il ne semble pas que l’on ait atteint le coup de la difficulté actuelle. Il se peut que les guerres futures aient été mises sous le contrôle du peuple allemand mais celle-ci ne l’a pas été, et c’est avec cette guerre que nous avons affaire. Il est évident que le peuple allemand n’a pas les moyens de forcer les autorités militaires de l’Empire à se soumettre à la volonté populaire.

« Il est évident que le pouvoir qu’à le roi de Prusse de contrôler la politique de l’Empire n’est pas affaibli ; l’initiative reste encore entre les mains de ceux qui ont jusqu’à présent été les maîtres de l’Allemagne. Estimant que toute la paix du monde dépend maintenant de la franchise dans les paroles et de la loyauté dans les actions, le président juge qu’il est de son devoir de dire, sans essayer en aucune manière d’adoucir des mots qui peuvent paraître durs, que les nations du monde ne se fient pas et ne peuvent pas se fier à la parole de ceux qui jusqu’à présent ont été les maîtres de la politique allemande et de faire remarquer une fois de plus qu’en concluant la paix et en faisant des tentatives pour redresser les torts infinis et les injustices de cette guerre, le Gouvernement des Etats-Unis ne saurait traiter qu’avec de véritables représentants du peuple allemand, investis d’une autorité sincèrement constitutionnelle qui fassent d’eux les véritables gouvernants d’Allemagne. S’il devait maintenant traiter avec les maîtres militaires et les autocrates monarchiques de l’Allemagne, ou s’il devait éventuellement avoir à traiter avec eux plus tard pour ce qui concerne les obligations internationales de l’Empire allemand, il devra exiger non pas des négociations de paix, mais une capitulation. Il n’y  arien à gagner en faisant cette chose essentielle.

« Acceptez, Monsieur, l’assurance de ma haute considération.

« Robert Lansing »

Cette réponse de Wilson  n’est pas du tout satisfaisante ; ainsi les conditions de la paix seront très différentes suivant que l’Allemagne coiffera ou non le bonnet rouge… !!! Cet excellent !! On quitte de temps en temps la terre pour s’envoler et rêver au milieu des étoiles. Entre lui et les Boches et les horreurs de la Guerre il y a l’Océan. Mais comme le dit fort bien Léon Daudet : « J’aime bien Wilson, mais j’aime mieux la France, mes enfants et mes petits-enfants » or tout cela ne sera en sécurité que si toutes les griffes de la Bête Allemande sont arrachées de façon qu’elles ne puissent repousser avant un siècle.

La France a assez souffert du réalisme allemand pour faire à son tour de la politique réaliste et non une politique humanitaire et nuageuse dont les Français seraient les premiers à souffrir.

Tout se résume en un mot ; il faut que l’Allemagne paie.

24 Octobre

Dans cette phase de la guerre, les armées anglaises font preuve d’une vaillance et d’une puissance incomparable. Depuis quelques jours la résistance boche s’accroît, ils ne cèdent plus de terrain. On ne peut nier que nous avons devant nous une armée qui reste vivante et qui manœuvre. L’Allemagne pourrait sans doute résister encore, mais ses alliés sont à la veille d’abandonner et alors sa défaite est une certitude absolue.

Réponse de l"Allemagne à M. Wilson

 « L’Allemagne attend maintenant les propositions d’une armistice préliminaire à une paix juste. »

Voici le texte de la réponse que le Dr Solf, ministre des affaires étrangères allemand, a adressé au gouvernement suisse, avec prière de la transmettre au président Wilson.

« Le Gouvernement allemand a pris connaissance de la réponse du président des Etats-Unis.

« Le président connaît les changements d’une grande portée qui ont été accomplis et sont encore en cours d’exécution dans le régime constitutionnel de l’Allemagne.

« Les négociations de paix sont conduites par un gouvernement national, qui a entre les mains l’autorité effective et constitutionnelle pour prendre une décision. Les pouvoirs militaires sont aussi subordonnés à ce gouvernement.

« LE GOUVERNEMENT ALLEMAND ATTEND MAINTENNAT LES PROPOSITIONS D’UN ARMISTICE PRELIMINAIRE A UNE PAIX JUSTE, COMME ELLE A ETE CARACTERISEE PAR LE PRESIDENT DANS SES DECLARATIONS PUBLIQUES. »

26 Octobre

Attendons les conditions de l’armistice, je pense qu’elles seront dures. Un journal de Paris paraît avec cette manchette : « Les Allemands demandent une paix juste, les malheureux pensent-ils à ce qu’ils demandent » Et en effet que ne devons-nous pas imposer aux Boches au nom de la Justice.

L’Autriche abandonne l’Allemagne et demande la paix, le mot capitulation est toutefois impropre.

La Turquie signe l'armistice

Décidément la coalition de nos ennemis s’effondre ; les coups de foudre se succèdent et l’horizon s’éclaircit. Nous allons à pas de géant vers la fin de la guerre. La Turquie désarme, nous occupons les forts des Dardanelles et la Mer Noire nous est ouverte.

L'Autriche signe l'armistice

L’offensive italienne commencée le 23 octobre s’est accentuée le 28 ; le front autrichien a cédé et l’armée vaincue se retire en désordre.

L’Autriche capitule.

Bâle, 28 octobre. – On mande de Vienne :

Le bureau de correspondance viennois annonce que le ministre des affaires étrangères, comte Andrassy, a chargé hier le ministre d’Autriche-Hongrie à Stockholm de prier le gouvernement royal suédois de transmettre au gouvernement des Etats-Unis la réponse suivante à sa note du 18 octobre :

« En réponse à la note du président Wilson du 418 de ce mois, adressée au gouvernement austro-hongrois, et au sens de la décision du président de parler en particulier avec l’Autriche-Hongrie de la question de l’armistice et de la paix, le gouvernement austro-hongrois a l’honneur de déclarer que, de même qu’aux précédentes déclarations du président, il adhère aussi à sa manière de voir contenue dans la dernière note sur les droits des peuples d’Autriche-Hongrie, spécialement ceux des Tchécoslovaques et des YougoSlaves.

« Comme par conséquent l’Autriche-Hongrie accepte toutes les conditions desquelles le président a fait dépendre l’entrée en pourparlers sur l’armistice te la paix, rien ne fait plus obstacle, d’après l ‘avis du gouvernement austro-hongrois, au commencement de ces pourparlers.

« Le gouvernement austro-hongrois se déclare en conséquence prêt, sans attendre le résultat d’autres négociations, à entrer en pourparlers sur la paix entre l’Autriche-Hongrie et les Etats du parti opposé et sur un armistice immédiat sur tous les fronts de l’Autriche-Hongrie.

« Il prie le président Wilson de bien vouloir faire des ouvertures à ce sujet. »

Toute résistance devenant impossible, l’Autriche a du accepté un dur armistice nous livrant ses plus beaux bateaux de guerre, tous ses sous-marins, la moitié de son matériel de guerre, toutes ses voies ferrées et leur matériel… Dans quelques semaines, si besoin est, nous pourrons envahir l’Allemagne par le sud.

8 Novembre

Les évènements se succèdent avec une rapidité presque déconcertante. Aussitôt que les conditions de l’armistice étaient-elles reçues par Wilson que celui-ci les transmettait à Berlin.

Les Boches ont envoyé de suite des parlementaires qui à l’heure où j’écris se présentent peut-être aux avants postes français. Le glorieux maréchal Foch a reçu le télégramme suivant qui annonce la fin de la guerre et consomme l’humiliation suprême de l’Allemagne. Hindenburg sollicite l’armistice de son vainqueur.

Si ferme que soit l’âme de Foch, son cœur aura battu plus vite en lisant les mots qui suivent :

Reçu le 7 novembre à 0 h. 30

« Le haut commandement allemand, sur l’ordre du gouvernement allemand, au maréchal Foch.

« Le gouvernement allemand ayant été informé, par les soins du président des Etats-Unis, que le maréchal FOCH a reçu les pouvoirs de recevoir les représentants accrédités du gouvernement allemand et de leur communiquer les conditions de l’armistice, les plénipotentiaires suivants ont été nommés par lui :

Général d’infanterie VON GUNBEL,

Secrétaire d’Etat ERZBERGER,

Ambassadeur comte OBEURNDORF,

Général VON WINTERFELD,

Capitaine de vaisseau DANSELOW.

« Les plénipotentiaires demandent qu’on leur communique par T.S.F. l’endroit où ils pourront se rencontrer avec le maréchal FOCH.

« Ils se rendront en automobile, avec leur personnel subalterne, au lieu ainsi fixé.

« Le gouvernement allemand se féliciterait, dans l’intérêt de l’humanité, si l’arrivée de la délégation allemande sur le front des Alliés pouvait amener une suspension d’armes provisoire.

« Prière d’accuser réception.

Réponse du maréchal Foch

7 novembre, 1 h. 25.

« Le maréchal Foch au gouvernement allemand.

Si les plénipotentiaires allemands désirent rencontrer le maréchal FOCH pour lui demander un armistice, ils se présenteront aux avant-postes français par la route CHIMAY-FOURMIES-LA CAPELLE-GUISE.

« Des ordres seront donnés pour les recevoir et les conduire au lieu fixé pour la rencontre. »

Pour moi, cette hâte de la part des Boches me donne la certitude qu’ils vont tout accepter. Refuser serait pure folie de leur part. Ils ne peuvent rien espérer sur la continuation de la guerre sinon des conditions beaucoup plus dures dans quelques mois, après une terrible invasion de leur pays.

Pour moi, du fond du cœur, malgré la pensée des vies qui seraient encore sacrifiées, je souhaite qu’ils refusent car je ne les trouve pas suffisamment châtiés de leurs crimes.

Mais vraiment ils ne pourraient refuser qu’en vertu de l’adage : « Quos vult herdere Jupiter demendat »

9 Novembre

La victoire vient mais sans le grand enthousiasme que soulève les foules. Pour faire sonner les cloches, pavoiser et illuminer, il faudrait que nous apprenions la grande victoire militaire, la défaite désordonnée de l’armée allemande. Alors seulement la grande joie française éclaterait malgré les deuils innombrables de cette guerre. Et puis il y a une déception : il faut renoncer à la juste vengeance en Allemagne.

Les nouvelles militaires sont toutefois très bonnes en ce sens que la retraite allemande s’accélère. Nous avons occupé Gand, Tournai, Maubeuge, Hirson, Sedan, mais nous faisons peu de prisonniers. L’armée allemande va finir en beauté.

Wilson

Ce grand rêveur aura sauvé les Allemands du plus dur châtiment avec ses fameux « 14 points ». La seule condition qui aurait terminé dignement cette guerre atroce et qui aurait pu et du être exigée est la capitulation complète « sans conditions ».

Mais comment en vouloir à Wilson ?

Comme Clemenceau vient de le dire, nous n’aurions pu vaincre sans nos alliés et le concours américain a bien été le grand facteur décisif de notre victoire. Les Anglais avaient mis plus de trois ans à former une grande armée. Les Américains pour qui la tâche était plus difficile car ils n’avaient pas de cadres, ont fait en 18 mois ce que les Anglais n’avaient pu faire en 3 ans. Honneur à eux, ils ont rendu possible cette soudaine rupture de l’équilibre des forces qui a permis à Foch d’arracher en 1918 cette victoire qui semblait impossible avant 1919.

Foch a reçu les parlementaires boches ; ils ont 3 jours pour répondre, le délai expire Lundi 11 à 11 h.

10 Novembre

Je suis à Nacqueville, j’attends dans le calme la nouvelle de la signature de l’armistice. Il me semble si certain que dans quelques heures va sonner cette heure historique et inoubliable de la signature de la défaite allemande.

J’apprends la nouvelle de l’abdication du Kaiser. L’Allemagne s’écroule sous les efforts réunis du monde entier. L’expiation va commencer pour l’empereur et pour son peuple. Ils ont commis l’un comme l’autre, l’un autant que l’autre, le péché d’orgueil.

L'armistice est signé

(11 Novembre)

Ce matin avant 6 heures j’ai été réveillé par une sonnerie insolite de clairon sonnant le branle-bas. Aussitôt j’entendais sur le gravier de la cour du fort le bruit d’une course précipitée. Mes portes s’ouvraient avec fracas et une voix où vibrait l’émotion m’a dit : « Commandant, les Couplets préviennent que l’armistice est signé ; les hostilités seront suspendues à partir de 11 heures. »

La nouvelle était certaine et cependant, demeuré seul dans le noir de ma chambre, je me suis demandé si j’étais bien éveillé, si c’était vrai, bien vrai que ce sanglant cauchemar de quatre ans était terminé.

J’ai fait tout ce qu’il m’était possible de faire pour fêter ce jour de gloire et en faire ressortir l’éclat aux yeux des hommes que je commande.

A neuf heures le drapeau du fort a été hissé lentement et la clairon a sonné « au drapeau ».

A onze heures, l’équipage a eu le double de vin.

A deux heures, les forts devant tirer 21 coups de canon, j’ai écrit au curé de Nacqueville pour lui demander de faire sonner ses cloches. Il a accepté et je lui ai envoyé 5 sonneurs ; j’ai aussi envoyé 3 sonneurs au curé d’Urville pour se mettre à sa disposition.

Enfin les hommes ont été rassemblés sur la butte du fort et, après les salves de canon, j’ai crié 3 fois : «  Vive la France ». Je n’y voyais plus bien clair quand tous ont répété mon dernier cri.

Ma joie est grande mais elle est grave aussi. Je pense que la France porte sur ses épaules plus de deux millions de morts.

(Quelques) Conditions de l’armistice

ü      Evacuation des pays envahis  et de l’Alsace-Lorraine (délai : 15 jours)

ü      Retour immédiat des prisonniers sans réciprocité.

ü      Livraison en bon état de

Ø      2500 canons lourds

Ø      2500 canons de campagne

Ø      25000 mitrailleuses

Ø      3000 minenverfers

Ø      1700 avions de chasse et bombardement

ü      Evacuation de la rive gauche du Rhin et de têtes de pont de 30 kilomètres (Mayence, Coblence, Cologne) Les troupes d’occupations seront nourris aux frais de l’Allemagne (délai : 31 jours)

ü      Livraison de 5000 locomotives, 15000 wagons en bon état plus tout le matériel des voies ferrées de l’Alsace-Lorraine.

ü      Renonciation aux traités de Brest Letorsk et Bucarest. Evacuation de la Russie dans les limites du 1er Août 1914.

ü      Réparation en dommages. Restitution de l’or russe, de l’or roumain, de l’encaisse de la banque nationale belge, titres, valeurs.

ü      Livraison aux alliés de tous les sous-marins. Livraison de 6 croiseurs de bataille, 10 cuirassés d’escadre, 8 croiseurs légers, 50 destroyers qui seront désarmés. Le reste de la flotte sera désarmé dans des ports allemands et surveillé par les alliés.

ü      Maintien du blocus.

ü      La durée de l’armistice est de 36 jours. Il peut être prolongé. Il peut être dénoncé en donnant préavis de 48 heures

 

Erzberger (secrétaire d’Etat)

Foch

Oberndorf

Weymiss (amiral)

Winterfeldt (général)

 

Danselow (capitaine de vaisseau)

Ces conditions sont sévères mais absolument juste. Il est à souhaiter que les conditions de paix aggravent certains articles. La justice exige au moins la réparation complète de tous les dommages et vols commis sur les territoires français et belges.

A quoi devons-nous la victoire ?

1)      à Foch en tout premier lieu.

2)      aux armées françaises, anglaises, américaines dont l’effort depuis Juillet dernier a été particulièrement soutenu et splendide, à leur admirable esprit de sacrifice.

3)      à Clemenceau qui a imposé silence aux traîtres et galvanisé les énergies françaises.

4)      à la rapidité et à l’intensité de l’effort américain.

5)      à notre armement, tanks et avions.

Cette victoire a été obtenue malgré la république parlementaire parce que Clemenceau, Lord Georges, Wilson ont employé dans leurs pays respectifs les moyens monarchiques qui seuls lui ont permis de vaincre l’Allemagne… Et comment nier que cette Allemagne devait son incroyable puissance à son organisation autocratique et son respect de l’autorité.

La guerre aura fait l’éducation du poilu et de beaucoup de Français qui riront de pitié et de mépris en lisant cette phrase du discours de M. Renault à la Chambre, discours dont bien entendu l’affichage a été voté par nos glorieux ! députés.

« Notre hommage va enfin et c’est l’apothéose de la République à la République elle-même (vifs applaudissements répétés – MM. Les députés se lèvent), dont la vertu divine a fait le miracle de la victoire. »

A cela Maurras répond justement

« Un régime qui a du faire appel à un milliard d’êtres humains pour mettre à mal  cent à cent cinquante millions d’autres bipèdes pourrait triompher s’il avait eu affaire à l’élite de l’humanité ; pas du tout, le Boche en est la lie, il ne vaut que par son organisation politique. Le même régime aurait lieu de se rendre gloire s’il avait triomphé par ses  moyens propres, constitutionnels, légaux ; pas du tout. Démocrates, socialistes, libéraux n’ont cessé de l’accuser de violer la règle du jeu, de crier qu’on utilisait les moyens de la Monarchie, qu’on jugulait les libertés ou que la République est encore à fonder. Alors ? »

En ce monde la vérité est quelque fois voilée par l’accumulation des mensonges, mais tôt ou tard elle apparaît triomphante. Il en sera ainsi du mirage démocratique et de la société des nations.

Discours de Poincaré

(prononcé devant la statue de Strasbourg)

« HONNEUR A NOS ARMEES DE TERRE.ET DE MER, qui après avoir défendu e sauvé la France ont réduit l’ennemi déconcerté à solliciter l’armistice et la paix.

« A CETTE BRILLANTE PLEIADE DE CHEFS MILITAIRES qui, en se faisant aimer de leurs hommes, ont obtenu d’eux tant de prodiges.

« A NOS SOLDATS, et puisque ce terme a joyeusement pénétré dans la langue, A NOS POILUS,à cette glorieuse personnification des plus belles vertus héréditaires de la race française, à cette multitude de héros anonymes qui si longtemps sous le soleil et sous la pluie, dans la poussière et dans la boue, ont opposé aux furieux assauts de l’ennemi, leur vigueur inflexible et leur inlassable ténacité.

« HONNEUR AUX NATIONS ET AUX ARMEES ALLIEES qui, toutes, ont rivalisé avec les nôtres d’endurance et de bravoure et qui toutes ont mérité d’être à la joie après avoir été, elles aussi, à la peine !

« HONNEUR à ces innombrables légions de vainqueurs à jamais unis par des liens fraternels. A CES PEUPLES ARMES qui ont combattu côte à côte pour un idéal commun et qui demain cueilleront ensemble dan la paix, le fruit de cette camaraderie prolongé. Nous les verrons bientôt, ces incomparables soldats de la Grande Guerre suivre dans Paris la voie même que vient de parcourir aujourd’hui le long cortège des manifestants ; nous les verrons passer dans une lumière d’apothéose, sous la voûte triomphale et des cendre de l’Etoile pour effacer sous leurs pas cadencés la souillure laissée jadis à nos Champs-Élysées, par l’arrogant défilé des bataillons ennemis.

« HONNEUR AU PARLEMENT FRANÇAIS qui, en des sessions laborieuses et presque permanentes, a efficacement secondé le gouvernement de la République dans l’organisation progressive de la défense nationale

« HONNEUR A PARIS qui, dans les nuits où gémissait la sirène, dans les journées sombres où les obus assassins venaient brusquement surprendre les enfants dans leurs jeux, les femmes dans leur travail ou dans leurs prières, les vieillards dans le repos des asiles, a conservé son calme, sa confiance et sa sérénité. Combien de fois n’ai-je pas alors le douloureux devoir de saluer ses morts et de visiter ses blessés ! J’ai senti de tout près battre son cœur. Le mouvement n’en était ni activé ni ralenti. Le rythme n’en était pas troublé.

« HONNEUR AU PEUPLE DE FRANCE tout entier qui a répondu avec tant d’empressement à l’appel d’union que je lui ai adressé le premier jour de la guerre ; AUX VIEUX PAYSANS, AUX FEMMES, AUX JEUNES GENS qui ont su ajouter aux miracles d’énergie, des miracles de patience, qui ont labouré, semé, récolté pour alimenter les combattants ; AUX OUVRIERS qui ont fondu les canons, chargé les obus, armé les avions, développé pendant quatre année cet outillage formidable qui a été l’instrument nécessaire de la victoire ; AUX FONCTIONNAIRES de la République, AUX MAIRES, aux municipalités qui ont assuré la bonne administration, la tranquillité et l’approvisionnement du pays ; AUX MAITRES qui ont mis sous les yeux de l’enfance les impérissables leçons de désintéressement et de patriotisme offertes par la guerre à l’éternelle admiration ce l’esprit humain ; AUX PRELATS, AUX PRETRES et AUX PASTEURS de toutes religions qui se sont étroitement rapprochés autour de l’autel de la patrie et qui ont invoqué un seul Dieu pour le salut de la France et pour le repos de ses morts.

« HONNEUR A NOS COLONIES qui ont rivalisé de dévouement avec la métropole et qui de toutes les parties du monde ont envoyé par milliers des travailleurs à nos usines et des soldats à nos armées !

« HONNEUR AUX MERES qui n’embrasseront plus leurs chers fils ; AUX FEMMES qui cherchent sur les champs de bataille la tombe de leurs maris ; AUX ORPHELINS qui deviennent les enfants adoptifs de la France ; mais par- dessus, Messieurs, HONNEUR A CEUX QUI NE SONT PLUS, à ceux qui sont tombés, l’espoir au cœur, dans les sillons ensanglantés, dans les tranchées bouleversées, dan la profondeur des mers et dont les yeux clos n’auront pas pu voir poindre l’aurore de la vie et la lumière de la paix ! Honneur aux plus modestes, aux plus obscurs, aux plus moins connus d’entre eux. Il n’en est pas un seul dont la mort n’ait aidé à la résurrection de la France et à l’affranchissement de l’humanité. Leurs corps déchirés par les projectiles gisent dan les régions dévastées où s’est décidé le sort du monde, mais leur image sacrée demeurera intacte au fond de nos cœurs. C’est elle qui sera désormais notre inspiratrice ; c’est elle qui nous rappellera demain, dans notre labeur pacifique, quelle moisson de gloire et bientôt de force et de prospérité nationales a pu faire lever, en quelques années, sous le soleil de France, l’esprit de sacrifice et d’abnégation. Honneur aux morts immortels, conseillers des vivants ! »

Horreurs boches

M. Hanotans en convint, à bon droit, qu’il faut reprendre notre bien. On retrouvera tout en Allemagne, dans les maisons particulières comme les Pastels de La Tour, mais il faut une enquête sérieuse pour dénicher voleurs et receleurs.

L’historien espère que les clauses de la paix y pourvoiront.

Et il y a pire encore les cimetières profanés.

« Et le cimetière ? Là aussi nous avons des souvenirs chers. Un vaste espoir nous soutient… Pas cela du moins…Et bien si, même cela ! A première vue, le cimetière paraît intact ; deux ou trois rangées de tombes sont à peine effleurées. Mais voyez le raffinement : les deux ou trois rangées franchies, c’est le plus affreux sortilège. Toutes les tombes ont été profanées, toutes ont été ouvertes pratiquement et pillées ; mille, deux mille peut-être. Sur le fait et sur l’intention, il ne peut y avoir de doute, dans certains caveaux, plus spacieux, on trouve des tables et des chaises, des bureaux. Des fonctionnaires s’y étaient installés sans doute pour prendre registre de l’abominable déprédation. Je suis bien obligé de le dire. Comment me taire ? La tombe que je cherche est béante. Dans l’étroit caveau, il reste une échelle et quelques étais de bois, rien d’autre. Rien…Qu’ont-ils fait ? Qu’on-t-ils fait, mon Dieu !

« Et il en est ainsi pour toutes les familles saint-quentinoise. On a insulté la France jusque dans ses morts. L’hyène a creusé la terre pour détrousser les cadavres. Et pourquoi, pourquoi ? Voler le plomb, voler les rares bijoux ?… Peut-être. Mais surtout piétiner, briser, déraciner ce brave peuple, ce peuple du Nord, si grave et si fidèle ; salir le passé et l’histoire de la « Vieille France »

« Voilà comment ils auraient traité Paris… »

Ordre du jour de Pétain

« Aux armées françaises

« Pendant de longs mois vous avez lutté.

« L’histoire célèbrera  la ténacité et la fière énergie déployées pendant ces quatre années par notre patrie qui devait vaincre pour ne pas mourir. Nous allons demain, pour mieux dicter la paix, porter nos armées jusqu’au Rhin, sur cette terre d’Alsace-Lorraine qui nous est chère.

« VOUS PENETREREZ EN LIBERATEURS. Vous irez plus loin, en pays allemand, occuper des territoires qui sont le gage nécessaire de justes réparations.

« La France a souffert dans ses campagnes ravagées, dans ses villes ruinées. Elle a des deuils nombreux et cruels. Les provinces libérées ont eu à supporter des vexations intolérables et des outrages odieux. MAIS VOUS NE REPONDREZ PAS AUX CRIMES COMMIS par des violences qui pourraient vous sembler légitimes dans l’excès de vos ressentiments.

« Vous resterez disciplinés, respectueux des personnes et des biens.

« Après avoir battu votre adversaire par les armes, vous lui imposerez encore par la dignité de votre attitude ET LE MONDE NE SAURA CE QU’IL DOIT LE PLUS ADMIRER, de votre tenue dans le succès ou de votre héroïsme dans les combats.

« J’adresse avec vous UN SOUVENIR EMU A NOS MORTS, dont le sacrifice nous a donné la victoire.

« J’ENVOIE UN SALUT plein d’affection attristé, AUX PERES ET AUX MERES, AUX VEUVES ET AUX ORPHELINS DE FRANCE qui cessent un instant de pleurer dans ce jouir d’allégresse pour applaudir au triomphe de nos armes.

« JE M’INCLINE DEVANT VOS DRAPEAUX MAGNIFIQUES, VIVE LA FRANCE !

Pétain

Ordre du jour d'Hindenburg

« L’armistice est signé. Nous avons fait jusqu’à maintenant un noble usage de nos armes. Avec un dévouement fidèle et une claire conscience de son devoir, l’armée a accompli de grandes choses dans des offensives victorieuses et une défense tenace.

« Par de durs combats sur terre et dans les airs, nous avons tenu l’ennemi loin de nos frontières et protéger notre patrie des horreurs et des dévastations de la guerre.

« Le nombre de nos ennemis allant toujours croissant, les alliés qui fuient à nos côtés jusqu’aux dernières limites de leurs forces s’étant effondrés, les difficultés du ravitaillement devenant toujours de plus en plus grandes, plus urgentes, notre gouvernement a du accepter les dures conditions d’un armistice.

« Nous sortons de cette guerre droits et fiers après quatre de lutte contre un monde d’ennemis.

« L’accord de l’armistice nous oblige à rentrer rapidement dans notre Patrie ; dans ces circonstances, vous vous trouvez en face d’une lourde tâche.

« Dans la lutte, vous n’avez jamais abandonné votre Herr Maréchal, qui a toujours confiance en vous. »

L'heure de la paix

« Car la guerre est terminée mais la paix reste à faire. Comment la ferons-nous ?… Sans parler de la Russie, toute l’Europe centrale est en fusion. Que va-t-il sortir de cette fournaise ? La tenace vaillance de nos grands soldats et le génie de nos généraux nous ont donné la victoire. Voici maintenant l’heure des hommes d’Etat.

« Heure redoutable, disais-je dernièrement. Et quand je le disais, nous n’avions pas encore devant nous cette grande inconnue de la révolution allemande. Prenons garde, et que les consuls veillent !… Le génie militaire de la France  a rempli sa tâche ; c’est désormais sur son génie politique que se fondent nos espérances.

« Nous sommes un peuple chevaleresque et qui vibre à toutes les idées généreuses ; mais notre histoire témoigne que nous savons aussi être un peuple clairvoyant et dont l’esprit critique ne se laisse pas forcément duper par la comédie des « grands principes ». Au lendemain de l’horrible tuerie où la France a failli périr, j’ose espérer que cet esprit critique saura résister à tous les sophismes d’un humanitarisme  imbécile qui, déjà, cherche à nous ravir les fruits de la victoire. Ce n’est pas, comme l’affirment odieusement quelques bolcheviques de Parlement et de la C.G.T., pour fonder la République allemande que des milliers et des milliers de Français sont tombés sur les champs de bataille ;  c’est pour sauver leur patrie et pour empêcher celle-ci, envahie cinq fois depuis la Déclaration des Droits de l’Homme, connaisse une sixième fois cette torture abominable.

« Les Droits de l’Homme sont une très belle chose, encore qu’un peu lointaine et nuageuse ; mais les Droits de l’Homme, cet homme de chair et d’os et tout proche de nous, nous sont plus précieux encore. Nous demandons pour eux une défense solidement organisée et efficacement garantie. Et pour que ce but soit atteint, nous demandons que nos hommes d’Etat, dépouillés de toute métaphysique, abordent la discussion des préliminaires de paix en gens positifs et pratiques qui vont négocier une affaire et non pas promulguer les dogmes d’on ne sait quelle religion nouvelle.

« Nous ne voulons pas qu’à toutes les gloires qui auréolent le front vénérable de la Patrie, s’en ajoute une autre, du fait des idéologues : celle d’être la victime expiatoire dont le sacrifice servirait de rançon à l’avènement de la République boche ! »

Emmanuel Desgrées du Lou

18 Novembre

Je partage entièrement les idées exprimées dans cet article (voir juste ci-dessus). Nous n’aurons vraiment gagné la guerre que si nous mettons l’Allemagne dans l’impossibilité de recommencer. L’ordre du jour d’Hindenburg est menaçant, le Boche se vante de n’avoir pas été battu militairement et d’avoir maintenu la guerre loin de nos frontières, il pense déjà à la revanche. Pensons que les classes françaises sont de 200000 hommes et les classes boches de 500000. En bien peu d’années ils auront retrouvé une énorme supériorité numérique.

Il faut arracher les griffes de l’Allemagne et ensuite l’enchaîner fortement. Si nous nous laissions duper par les rêveries de Wilson sur la Société des Nations, nous serions perdus dans un avenir rapproché. Je reconnais que la Société des Nations est un rêve bien beau, mais hélas, elle vaut ce que valent les rêves. On ne construit pas sur les nuées.

Les Allemands

 J’ai beaucoup hésité à reprendre ici le paragraphe écrit ci-dessous

principalement dans sa troisième partie,

mais, après maintes réflexions et hésitations,

je me suis décidé à le transcrire tout de même tel quel.

Ce paragraphe est très dur, il est écrit sur le coup de la colère émotionnelle

mais une colère certainement réfléchie

et qui dénote l’état d’esprit et la révolte de ce grand-père,

et, je présume, de beaucoup d’autres Français de l’époque,

dans ce contexte de lendemain de guerre

 une guerre atroce qu’ils ont vécue dans l’angoisse et la terreur,

avec leur responsabilité professionnelle (ici de militaire responsable) et familiale,

au jour le jour,

alors que toutes les cartes ne sont pas encore posées sur la table

et qu’une grande révolte, malgré la joie de la victoire, bouillonne en eux.

Ne pas le transcrire serait, pour moi, trahir sa pensée profonde.

Alors ne m’en voulez pas et surtout ne lui en tenez pas rigueur…

C’était en un autre temps et en d’autres circonstances…

Comment nous-mêmes aurions-nous réagi dans ce contexte

et avons-nous le droit de  porter un jugement…

et avons-nous le droit de nier le passé de notre Patrie

pour préserver notre avenir…

Philippe Morize

J’ai mis du temps à comprendre l’âme allemande. Je pensais qu’on exagérait en la traitant de Barbare tout court. Hélas, ce n’est que trop vrai, les Allemands ont des âmes de brutes, de bandits ; ils sont travailleurs, disciplinés, courageux, ils ont des vertus, mais les buts que se proposent leur orgueil sont affreux ; sous ce vernis de qualité brillante, il y a la brute, l’instinct du brigand.

On ne séduit pas un bandit, il est inutile d’essayer de l’amadouer, on l’enchaîne pour qu’il ne puisse nuire. Il n’y a pas d’autre moyen si l’on veut être respecté par lui. Pas de pitié. Les Allemands se plaignent de l’armistice, les femmes allemandes ont adressé un manifeste aux femmes françaises leur demandant d’intervenir en faveur de leur ravitaillement et de celui de leurs enfants. Les femmes françaises ont répondu par une fin de non recevoir. C’est justice.

Quant à moi, je le dis nettement : je ne tendrais pas un morceau de pain à de petits enfants mourrant de faim dans les bras de leurs mères. Je dirais – Laissez passer la justice de Dieu – et je détournerais la tête, car en vérité les Allemands en ont trop fait.

Ils ont assez répété qu’ils voulaient nous casser les os, détruire la race française. Ils auraient bien voulu nous affamer et ils l’ont essayé de la plus affreuse façon par la guerre sous-marine. Sur terre, ils ont pillé, incendié, ruiné le Nord de la France et la Belgique. Je reste convaincu que pour le bonheur à venir de l’humanité, il eut fallu que la guerre dure six semaines de plus pour que les Boches sentent leur défaite et voient la guerre dans leur foyer… Ah, dire qu’on les tenait et qu’ils ont été sauvés par cet armistice qui leur permet de se retirer sur le Rhin.

Déjà ils disent et ils diront bien plus dans l’avenir.

« Nous n’avons pas été vaincus mais nous avons du abandonner la lutte contre la coalition du monde entier. »

Combien il est regrettable que l’Allemagne n’ait pas subi le désastre militaire auquel elle était acculée. Elle est vaincue, c’est entendu mais sur parole, par une signature.

Il est évident par exemple que le Boche se moque complètement de la signature qu’il vient de donner. Si demain l’occasion lui était offerte de bousculer à l’improviste nos armées, il n’hésiterait pas à le faire, il ne cède qu’à la force.

La permanence d’une telle menace ne peut être admise ; c’est pour en être délivré  que 10 millions d’hommes sont morts. L’armistice a mis l’Allemagne à genoux ; il faut que la paix la jette à terre avec des conditions qui la maintiendront dans l’impuissance pendant un demi-siècle au moins.

Alors, mais alors seulement, le monde respirera et on pourra essayer de panser les maux de la guerre.

Souhaitons que Wilson et nos démocrates anglo-français se montrent capables d’un peu de réalisme et nous donnent cette paix indispensable.

L’armistice

Sur la conclusion de l’armistice, nous savons peu de choses. Lorsque le 8 novembre les plénipotentiaires furent introduits devant Foch, le maréchal leur dit : « Qui êtes-vous, Messieurs ? » Erzberger répondit : « Nous sommes les plénipotentiaires allemands qui venons solliciter un armistice. »

Foch lut les clauses. Un délégué fut envoyé à Spa au Q.G. allemand, il eut beaucoup de peine à franchir la ligne de feu. A son retour, le 11, une âpre discussion eut lieu d’une heure à cinq heures du matin dan le Wagon salon du maréchal Foch garé à Rethondes. Enfin à 5 h. les boches signèrent avec calme. Seul le général Winterfeldt ne put maîtriser ses larmes.

Te Deum

Le 17 novembre, un Te Deum est chanté dans toutes les églises. J’envoie à l’église de Nacqueville quatre grands drapeaux qui sont fixés aux quatre clochetons de la tour. J’assiste au Te Deum avec plus de 150 marins. J’occupe avec les officiers mariniers les stalles du chœur. Devant nous un triple rang de marins. Belle cérémonie. Le curé, l’abbé, termine son discours par ses mots : «  Vive Dieu – Vive la France. »

Foch et Clemenceau reviennent de Londres. Les acclamations qui les ont accueillis étaient si enthousiastes qu’on a pu en entendre la clameur à de grandes distances. Les habitants de Londres appellent Clemenceau : « Dear old Tiger »

L’Allemagne a rendu sa flotte et ses sous-marins. Sur mer elle est désarmée mais sur terre il n’en est pas de même, son armée toujours puissante se retire.

A l’intérieur sa situation n’est pas claire. Wilson ayant sommé les Boches de se mettre en démocratie, le Kaiser a abdiqué et il en résulte un désordre qui ne peut étonner. Le peuple allemand a été dupé jusqu’au dernier moment ; lui qui avait tout enduré pour vaincre, sera-t-il assez discipliné pour supporter la terrible désillusion … ? Mystère.

Les multiples problèmes de cette paix à faire sont si complexes et si nombreux que je n’essayerai même pas de les indiquer. Il faut que l’Allemagne paie, c’est encore le meilleur moyen de la désarmer.

Quant à l’après guerre en France, j’ai maintes fois dans ce journal exprimé mon angoisse à ce sujet. Des troubles sociaux ne sont pas à craindre, du moins pour le moment. Nous avons la victoire complète, nous aurons l’appui des Etats-Unis, ce sont des facteurs excellents.

La France a tant de ressort, tant de ressources qu’il lui serait possible de se relever de ses ruines si elle était dirigée. Mais là, hélas, l’avenir est angoissant ; il nous faudrait des chefs ou, mieux encore, un Chef ayant la capacité et l’Autorité.

Or nous n’avons pas de chef et je ne vois nulle part l’autorité et la capacité. Je vois surtout des chefs de partis, des rêveurs, des parlementaires qui ne songent qu’à la surenchère électorale… et à flatter le peuple souverain !

Il faut que cela change sinon nous irons au grand désordre. J’espère que l’intelligence française le comprendra et que nos poilus de retour du front aideront la France à le comprendre. Je compte beaucoup sur eux, ils viennent de nous sauver de l’ennemi extérieur, ils sauront, je l’espère, nous sauver des ennemis de l’intérieur, des socialistes.

Il faut que l’union entre le capital et le travail se fasse, que l’excitation à l’envie et à la haine entre les Français cesse d’être tolérée, que l’homme intelligent et laborieux ait le pas sur le paresseux ignare et braillard.

Financièrement cette guerre a fait de nouveaux riches et de nouveaux pauvres. Les dépenses totales de la guerre atteindront pour la France près de 200 milliards. Comment liquidera-t-on une pareille dette… J’aime mieux n’y pas trop penser.

Tous les états européens se trouvent engagés dans les mêmes difficultés, pauvre Europe !

Mais la situation de la France, dépeuplée, ruinée, saccagée est particulièrement dramatique.

Si la catastrophe mondiale doit forcément entraîner la ruine de certains pays, il est inadmissible que ce soit celle d’un pays victorieux. L’Allemagne doit payer, c’est la justice, c’est la logique, c’est la sécurité de notre avenir.

Je termine ce journal commencé le 2 Août 1914.

J’y ai inscrit au courant rapide de la plume pendant 4 ans et 4 mois mes impressions de chaque jour à mesure que les évènements se déroulaient.

Nous avons été victorieux dans la guerre, il faut maintenant que nous ayons la victoire dans la paix pour que vive la France.